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Je suis vraiment un énorme fumier.
C'est ce que je me suis dit tout le long de ce foutu week-end qu'on a passé sur la route, à faire nos deux aller-retour bien chiants entre notre ville et celle où j'ai l'appartement avec Sab'. Enfin, je dis chiant, mais ça ne l'était clairement pas tant que ça. Un road-trip avec Luffy ne peut décemment pas être chiant, même si j'ai fini par céder à son caprice sur la musique et que j'ai dû me taper du rock de merde plusieurs fois.
J'ai même mangé du Metallica sans broncher, si ça ce n'est pas de l'amour, il va falloir m'expliquer ce que c'est.
Et me voilà à regarder mes quatre cartons qui se battent en duel éparpillés en vrac dans ma chambre, à me demander à quoi se résume ma vie, finalement.
Je n'ai quasiment rien récupéré des meubles que j'avais là-bas. On a finalement été les déposer chez Jiji en attendant de voir ce qu'on allait en faire. L'appartement des parents est déjà plein à craquer, pas la peine de le surcharger un peu plus avec mes trucs déglingués.
Surtout qu'au final, il n'y a pas la moitié des affaires d'ici qui nous appartiennent directement, concrètement. Parfois, je regarde les bibelots qui sont en train de prendre la poussière dans le buffet du salon et je me demande bien ce que Makino aurait voulu qu'on en fasse.
J'aurais tellement aimé partir d'ici et envoyer tout ça voler une bonne fois pour toute... J'ai jamais autant eu l'impression d'être un étranger ici qu'en ce moment.
Et surtout à cet instant, à regarder mes affaires de cours qui se battent en duel avec mes fringues et les deux-trois souvenirs de soirée que je garde soi-disant précieusement sans trop savoir pourquoi.
Je remarque quelque chose au fond d'un carton qui attire mon attention et le sort lentement : un bracelet que Marco m'avait offert.
Je crois que c'est ça qui me vrille le plus le bide, dans cette histoire. Le fait que je ne lui ai pas dit au revoir convenablement. Le fait que je me sois tiré sans état d'âme et sans un regard en arrière. Et surtout le fait que j'en ai absolument rien à foutre, au final.
Il ne mérite tellement pas mon indifférence, pourtant. Après tout ce qu'il a fait pour moi. Ce mec est un foutu ange à sa manière quand il s'y met, et moi je lui ai juste laissé un vieux message merdique du genre « désolé, je dois rentrer chez moi pour de bon, have fun avec ta vie. »
... Putain, tout ça c'est tellement vain, en fait.
Je m'assois à même le sol et sors mon briquet pour m'allumer une clope et me met à jouer avec la pierre que j'éteins et rallume à intervalle régulier, plongé dans mes pensées.
La vie ça tient tellement à que dalle. Un simple coup de volant mal placé et tout s'écroule d'un coup. À quoi ça sert d'accumuler des trucs et des trucs de merde toute sa vie si c'est pour que ça finisse à la poubelle un jour parce que tes propres enfants ne savaient pas quoi foutre de toutes ces merdes ? Tous les cadeaux d'anniversaire minables accumulés par Makino, sa collection de tortues gerbante, les centaines de livre de Dragon qu'il n'a jamais ouverts, les photos de famille... Ils vont en foutre quoi, maintenant qu'ils dorment sous quatre mètres de terre, bouffés par les vers ? Et toutes ces conneries que je garde pour me « rappeler des bons moments », ça me sert à quoi, au final ? À part me vriller le bide un peu plus ?
Parce que les soi-disant bons moments, ils sont derrière moi pour de bon aujourd'hui. Ils ne reviendront jamais. J'ai perdu le peu d'espoir de rire encore franchement de temps en temps en soirée en perdant la vie à peu près potable que j'avais réussi à me construire là-bas. En perdant les potes de la fac, les potes du bar, le bar lui-même...
En perdant le seul mec qui a jamais réussi à prendre un minimum soin de moi.
Même avec Sabo, je ne suis pas certain que notre relation va rester la même maintenant qu'on est séparés pour la première fois depuis qu'on se connait. Et je le vois bien devenir petit à petit complétement accro à cette nana de sa promo, Rebecca. Je lui souhaite tout le bonheur du monde, à mon crétin, mais n'empêche que sans lui, je me retrouverai tout seul comme un con pour de bon.
Et ce n'est jamais bon quand je me retrouve tout seul, pas vrai... ?
Il me reste Luffy, certes, mais lui c'est encore autre chose. Un autre problème.
Le plus gros des problèmes, mais un autre problème quand même.
... Alors on est d'accord que toutes ces merdes que j'ai ramené, c'est complétement vain ? Toutes ces conneries que j'ai gardé, tous ces cours qui ne me serviront jamais à rien, toutes ces fringues que je ne mets jamais, tous ces meubles qui décorent ma chambre pour rien parce que je n'y dors plus, tout ce putain d'appartement de merde qui dégueule de trucs inutiles par tous les pores...
Ça sert à rien. À rien, à rien, à rien, à rien.
- ACE !
Je sursaute légèrement à la voix de Luffy en me rendant compte que j'étais parti loin, et j'écarquille les yeux en voyant la connerie que je suis en train de faire.
Et merde, ça faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé ça, tiens...
Je m'empare à regret de ma couette qui traîne sur le lit et l'éclate sur le carton qui crache des flammes de malade. Et comme d'habitude, je sens cette sensation de chaleur qui me remonte lentement dans la colonne vertébrale pour se loger gentiment dans ma nuque, me plongeant dans un état second proche de l'excitation.
Quelle merde. Je m'étais pourtant promis de ne pas replonger, putain.
- Ça s'éteint pas... Bafouille Luffy derrière moi.
- Commence par reculer toi, déjà ! lui craché-je bien plus agressivement que ce que j'aurais voulu. Et va chercher de la flotte si tu m'crois pas capable de gérer un pauvre carton de merde !
'Fait chier. Il est définitivement la dernière personne que je veux qui me voit dans cet état. Je le vois sortir de la chambre en tirant une sale tête et continue à m'acharner sur le carton que j'éclate à coup de couette pendant encore quelques secondes, avant de finalement lâcher l'affaire et la rouler carrément dedans en boule comme je peux en évitant de me cramer une main au passage. Il manquerait plus que ça.
Luffy finit par revenir et balance une casserole d'eau là-dessus, et on finit par rester plantés là, comme deux cons, à regarder le carton détrempé recouvert de ma couette foutue en silence.
- ... Ça m'avait pas manqué cette odeur, crache le petit frère en tirant la langue d'un air dégoûté.
Ouais, à ce qu'il parait ça pue, des objets cramés. Personnellement je ne m'en rends pas compte. Mon cerveau est beaucoup trop focalisé par l'aspect destructeur et la beauté des flammes que j'ai limite tendance à trouver jouissif, parfois. Encore un joli trophée que j'peux rajouter à mon palmarès de névrosé de l'année.
Et pourtant, la situation me gave comme pas possible, à cet instant T. J'attrape Luffy sans aucune douceur par le t-shirt pour le traîner hors de ma piaule en écoutant à peine ses protestations et claque la porte derrière nous. Il me fusille du regard et je lui rends bien avant d'aller me poser le cul sur le canapé comme une masse.
- ... Qu'est-ce qui t'as pris ? l'entends-je me demander d'une voix agacée en arrivant à ma suite l'instant d'après.
Je lui envoie un regard en coin que j'espère aussi meurtrier que possible : de quoi il se mêle là, au juste ? Il a jamais fourré son nez dans ces histoires-là jusqu'ici, qu'est-ce qui lui prend de venir me faire chier avec ça aujourd'hui précisément ?!
- De quoi ? Tu veux que j'te dise quoi, Luffy ?
- C'qui t'as pris. Pourquoi tu fais ça.
Je le regarde et ses yeux noirs sont durs, quoique j'y aperçois un soupçon d'inquiétude... Mouais. Qu'importe son ressenti, en fait. Je n'ai absolument pas envie de parler de ça avec lui.
- T'as qu'à demander à ton pote Google.
Il n'a logiquement pas l'air content de la réponse mais se contente d'émettre une sorte de grognement en s'asseyant à mes côtés sur le canapé avec la grâce d'une baleine échouée, avant de poser sa tête sur mon épaule.
Et je suis en train de me dire qu'il vaudrait peut-être mieux pour son propre bien qu'il arrête un jour de me pardonner toutes mes conneries instantanément...
- Ace... Je sais qu'on est dans une situation merdique, mais... J'te sens vraiment pas bien, en ce moment...
... J'hésite à rire ou à pleurer de sa stupidité, là.
- Lu', t'as répondu à ta question tout seul.
- Nan mais, c'que j'veux dire... J'me doute qu'tu dois pas être bien à cause de tout ce qui nous arrive mais, j'sais pas, j'ai... J'ai l'impression qu'y'a autre chose. Genre, un truc encore plus fort qui s'assoit sur tout le reste et qui écrase tout à l'intérieur de toi pour en faire de la purée...
Je m'allume une clope en regardant devant moi d'un air songeur : les métaphores de Lu' ont toujours été plutôt extraordinaires, je trouve. Il paraît qu'il y a plein de gens qui ne les comprennent pas, certainement parce qu'elles sont beaucoup trop littérales pour eux. Moi je comprends toujours plus ou moins ce qu'il veut dire.
Il me prouve donc encore une fois qu'il est l'une des personnes les plus douées en ce foutu monde pour lire en moi avec Sabo. Et ça, ça me fait bien chier.
- Je... Continue-t-il, hésitant. J'suis conscient qu't'es pas du genre à parler quand ça va pas et que t'intériorises tout... Mais tu sais que j'suis là pour t'écouter si t'as besoin, hein ?
Je ne peux pas m'empêcher de sourire à ça et je l'attrape par les épaules pour le serrer contre moi. Je l'aime, ce môme. Il est beaucoup trop mignon quand il dit ce genre de choses.
- Je sais, Lu'. T'en fais pas. Tu sais que j'ai pas la même manière de gérer que toi, mais ça veut pas dire que j'te fais pas confiance...
- Mais oui je sais ça, ça n'a rien à voir... C'est juste, ouais... Si j'peux t'être utile ou quoi...
- ... T'es utile rien qu'en respirant à mes côtés et c'est déjà pas mal, lui dis-je en lui embrassant le front.
- ... C'était grave chou ça.
Je bugue et me rends compte que, ouais. C'était un peu limite...
- Hey, du coup ! enchaîne-t-il en se redressant pour me regarder avec des yeux brillants. J'ai oublié de t'en parler ce week-end, mais j'voulais te proposer de m'accompagner à la prochaine soirée à Sunny ! Ça sera sûrement à fin de la semaine, j'pense !
- Le « Sunny » ? demandé-je en haussant un sourcil.
- Mais ouiii, tu sais ! C'est comme ça qu'on a surnommé l'appart de Zoro, Brook et Robin !
- Ah, oui p't'être bien...
- Ça te dirait alors ?
J'avise ses yeux pétillants et son immense sourire impatient : l'idée a vraiment l'air de lui plaire. Genre moi qui squatterai avec sa bande de lycéens... ? Bon, pas que ça soit forcément la différence d'âge qui me gêne, mais plutôt leur mentalité... Du peu que j'en ai vu et de ce que j'en sais, je ne suis pas certain qu'on ait les mêmes délires, ses potes et moi. Je ne suis même pas certain que Luffy lui-même ait les mêmes délires que moi en soirée, à vrai dire.
Et j'espère bien, d'ailleurs. Parce que si j'apprenais qu'il s'explosait la tête à plus en savoir marcher et qu'il essayait de s'envoyer en l'air avec le premier péquenaud pas trop mal qui passe à chaque soirée, je me sentirai obligé de péter un bon gros câble.
- Hmmm... J'suis pas certain que ça soit une bonne idée, Lu'... finis-je par répondre, le menton posé sur mon poing fermé en essayant d'envisager vraiment ce que ça donnerait.
- Hein ?! Et pourquoi pas ?!
- J'sais pas, on a pas l'air trop dans le même délire, tes potes et moi...
- J'vois pas pourquoi tu dis ça : toi et moi on s'entend super bien et j'm'entends super bien avec eux, alors ça peut que marcher !
- Luffy, tu t'entends bien avec tout le monde, lui fais-je remarquer et je me marre en le voyant faire la grimace.
- C'pas une raison... C'est mes meilleurs amis, Ace ! J'ai envie qu'tu fasses un peu plus leur connaissance ! Et puis, ça t'permettrait de sortir et d'voir un peu autre chose ! Ça peut t'faire que du bien, j'suis sûr !
- Si t'en es sûr, alors... m'amusé-je en lui frottant brutalement la tête pour l'emmerder, et ça part évidemment en bagarre deux secondes après.
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J'fais claquer la portière de la voiture et fixe le tableau d'bord devant moi en essayant de pas trop réfléchir.
J'me sens comme si j'allais passer BAC dans les minutes qui suivent. Ou plutôt... Nan, ça doit plutôt ressembler à la sensation qu'on a quand on a un flingue braqué sur sa tempe avec un fou furieux près à vous faire exploser la cervelle à l'autre bout.
J'entends à peine Ace monter et se tourner vers moi pour me fixer.
- ... Lu', on peut toujours y aller à pied si tu veux.
- On va être à la bourre si on y va à pied, c'trop loin.
- Je sais mais...
- Ça va aller Ace, claqué-je en déglutissant malgré moi. 'Faut bien que j'm'y fasse, j'peux pas continuer à flipper dès que j'monte en voiture...
J'ose pas trop le regarder, parce que j'sais que j'vais trouver qu'un regard inquiet. Et j'veux aller au bout de mon envie le plus vite possible. Si j'veux pouvoir retourner en cours régulièrement, va falloir que j'me débarrasse vite fait de cette peur débile. Et au pire, j'pourrais toujours aller en parler avec Madame Hina...
L'idée de revoir la femme qui m'a appris la mort de mes parents m'enchante pas beaucoup, mais j'me rends compte quand j'y pense que j'ressens un truc qui ressemble à de l'affection pour elle. Elle était passée me voir à la maison la première semaine et ça m'avait vraiment touché et fait du bien de lui parler. Ace l'aime pas trop –Ace aime aucun psy', de toute façon-, mais j'sais que Maman m'encouragerait dans cette idée si je galérais à m'en sortir tout seul.
- ... Tu me dis si tu veux qu'on s'arrête, surtout, finit par souffler Ace en trifouillant l'autoradio et son portable.
Je soupire en pensant qu'en plus des dix prochaines minutes de flippe qui m'attendent, j'vais devoir me coltiner son rap naze. Mais les premières notes de Through the fire and flames de Dragonforce se lancent et j'envoie un regard halluciné à Ace.
Qui m'envoie un magnifique sourire aussi triste qu'attendri en retour.
... Il me tue quand il fait des trucs comme ça. Ça m'donne juste envie de venir me planquer dans ses bras pour pleurer toutes les larmes de mon corps parce que j'ai le meilleur grand-frère du monde.
Il monte le son et démarre la voiture et j'essaie d'me fixer sur la musique. Cette chanson toute particulière a toujours eu un effet euphorique sur moi. J'ai tendance à la mettre quand j'suis excessivement content ou que j'veux me mettre un coup de pied aux fesses quand j'vais pas super bien. Ace la déteste –et c'est pas le seul, d'ailleurs-, donc c'est d'autant plus chou d'sa part de m'offrir mes 7 minutes 24 de bonheur pour commencer cette journée de reprise.
On a longuement parlé de mon retour en cours et j'ai bien compris que l'idée l'enchantait pas du tout, dans un sens comme dans l'autre. Surtout à si peu de temps des vacances de Noël, comme il dit lui-même. Mais au contraire, j'trouve ça pas mal de reprendre tranquillement pour avoir des vacances juste après.
Malgré tout, les pourparlers parfois vénères qu'on a eu nous ont poussé à faire une sorte de contrat tacite : je retourne en cours comme j'le veux, mais c'est lui qui m'dépose le matin et revient me chercher le soir, sans faute. Dans les faits j'devrais me sentir heureux d'avoir une escorte perso qui m'empêche d'me coltiner les bus blindés, mais j'me suis tout de même bien marré en imaginant Ace devoir se lever vite fait à 7h30 tous les matins pour faire l'aller-retour la tête dans l'fion et retourner se coucher direct en rentrant parce qu'il a un rythme de vie lamentable, depuis qu'il a de moins en moins besoin de passer ses matinées au téléphone.
Moi qui râle parce que j'me lève à quasiment midi les jours de flemme ? J'suis un petit joueur comparé à Ace qui peut roupiller jusqu'à 17/18h dans le plus grand des calmes et le vivre parfaitement bien.
Quoi qu'il est pas trop mal ce matin, mais j'crois que c'est surtout parce qu'il a fait une nuit blanche, puisque j'me rappelle pas qu'il est venu me rejoindre dans mon lit.
Le trajet passe vite finalement –j'ai essayé de pas trop regarder la route et Ace arrêtait pas de me balancer des blagues pour me faire rire-, et j'ai un sentiment bizarre de joie mêlée à du dégoût en apercevant le bahut que j'ai pas vu depuis un mois entier, comme pour le jour d'une rentrée.
Ace se gare en double file et j'repère Sanji qui fume à côté des grilles et qui m'envoie un signe enjoué de la main. L'excitation me gagne direct en le voyant et j'm'éjecte de la voiture en saluant vaguement Ace.
- Luffy !
J'm'arrête juste au moment de claquer la portière et baisse la tête pour voir ce qu'il me veut : son regard est bizarre. Inquiet, j'ai l'impression.
- Tu fais attention, hein. Envoie moi un message ou appelle carrément si ça va pas.
- T'inquiète frangin, ça va l'faire... À t'à'l'heure !
J'referme la voiture et trottine vers Sanji qui m'salue avec un sourire rayonnant. C'est pas le mec le plus expressif qui soit vis-à-vis de ses sentiments envers ses potes, alors le voir m'accueillir comme ça, ça m'fait un plaisir pas possible. Surtout qu'avec son taf et les cours, il a pas vraiment eu l'occasion de venir me voir souvent.
On parle joyeusement et je capte qu'à moitié qu'Ace met un temps fou à redémarrer et partir. J'jette un petit coup d'œil derrière mon épaule pour voir la voiture s'éloigner et on finit par rentrer pour attendre la sonnerie devant la salle de classe.
Et bon sang, revoir toutes ces têtes connues me fait tellement plaisir ! J'leur fais remarquer ma présence en lâchant un « Salut tout l'monde ! Le roi du lycée est de retouuuuuuur ! » hyper sonore qui résonne dans le couloir et des exclamations aussi surprises que blasées me répondent. J'vois Bellamy et Alvida grogner de dégoût dans leur coin, Cavendish me lancer un regard dédaigneux dont lui seul à le secret avant d'me saluer en boudant à moitié, Shiraoshi et Vivi qui m'envoient des sourires ravis, Shachi et Bepo qui me font de grands signes en me souhaitant un bon retour...
- De retour parmi les vivants, Mugiwara-ya... ?
J'me tourne pour croiser le regard de Law qui m'fait un petit sourire en coin et j'lui en rends un géant, comme aux autres.
- Salut Torao ! J't'ai pas trop manqué j'espère ?!
- Si, terriblement.
Et il passe devant moi en m'enfonçant un peu plus mon chapeau sur ma tête, avant d'aller rejoindre ses potes. Nonchalant, comme d'hab.
Il a vraiment une manière bizarre de s'comporter avec moi, celui-là. On est pas vraiment proches –ça reste juste un pote de classe chez qui on a déjà fait deux-trois soirées, quoi-, mais j'sens qu'il a un truc particulier après moi qu'il a pas avec les autres.
Le prof finit par arriver une minute à peine après la sonnerie et j'suis finalement plutôt content de retrouver cette tête de loutre de Borsalino qui va encore nous endormir direct avec sa voix traînante.
Et j'envoie un immense sourire à mon Usopp d'amour quand il tapote la chaise à côté de lui avec un sourire rayonnant pour m'inviter à le rejoindre.
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J'émerge doucement en ouvrant un œil et regarde l'horloge au-dessus du meuble TV : 14h. Je suis donc parti pour ne me taper que des micro-siestes de merde aujourd'hui, apparemment.
Je me relève et avise la télé qui avait continué de tourner dans le vide et finit par l'éteindre d'un geste presque rageur en y découvrant un programme bien merdique. Je ne comprends même pas pourquoi je m'évertue à l'allumer tout le temps de toute façon : à part quand j'ai la chance de tomber sur South Park au pif, il n'y a rien qui me plaît jamais, comparé à Luffy qui pourrait passer sa vie le nez collé dessus.
En même temps, on a pas le même niveau intellectuel, lui et moi. Sans vouloir me vanter ou le rabaisser...
Je me roule une clope et je constate que l'appart est tellement silencieux que j'entends le discret tic-tac de l'horloge. C'est tellement badant. Ça a tendance à me foutre les nerfs en pelote en deux secondes ce genre de silence horrible.
Ça me rappelle ma situation de merde, surtout. Le fait que je ne suis pas censé être là, normalement. Que dans ma vie normale, à l'heure actuelle, je devrais encore être en train de ronfler comme un bienheureux pour essayer de me remettre de ma soirée au bar. Et je parle pas que du rythme de travail démentiel, malheureusement : même Izo et Thatch avaient fini par m'engueuler certains soirs parce que je forçais trop sur la bouteille en plein service...
C'était la belle vie il y a encore un mois. J'enchaînais les soirs au bar sans vraiment me faire de souci pour l'avenir et sur le fait que je n'allais plus à la fac, puisque je voyais l'argent rentrer sur mon compte en banque comme je n'en avais jamais vu autant avant. Et je savais aussi, aux derniers échanges que j'avais eu avec les parents, que tant que j'étais heureux et que je ne galérais pas, ils me laissaient gérer et arrêter les cours si je jugeais que ça ne me menait nulle part...
Parfois j'ai du mal à me dire s'ils étaient juste trop laxistes ou carrément je-m'en-foutiste avec nous, ces deux-là. Toute mon adolescence j'ai entendu ce discours décalé de « fais ce que tu veux Ace, tant que tu le fais pour toi » et le parallèle avec mes potes autour de moi qui recevaient une pression monstre de leur parents pour qu'ils réussissent leur études m'avait toujours laissé perplexe.
Quand je vois Sabo qui a failli se faire jeter de chez lui parce qu'il a refusé de faire Sciences-Po... Ouais, ça me fait relativiser.
On avait vraiment des sacrés parents. Pas les meilleurs du monde, certes, ils avaient aussi leurs tares, il ne faut pas croire... On n'est pas devenus des petits cons irrespectueux pour rien, Lu' et moi. Mais ils ont su prendre soin de nous comme jamais. Et moi, ils ont surtout su m'accompagner comme personne n'avait jamais réussi jusqu'ici pour me faire un peu remonter la pente.
Et je crois que je m'en voudrais toute ma vie de ne jamais avoir pris le temps de les remercier, ne serait-ce qu'une seule putain de fois...
Je relève la tête pour jeter un coup d'œil circulaire à l'appartement fantôme beaucoup trop silencieux autour de moi : au final, c'est peut-être leur façon de me le faire payer. Que je sois obligé de lâcher cette vie qui me plaisait quand même pas mal d'un coup, que je me ramasse cette merde à moi tout seul alors que je n'y connais rien, que je me retrouve à devoir gérer Luffy et sa tristesse alors que je galère déjà à me gérer moi-même...
Que je me retrouve si près de Luffy alors que j'avais justement fait exprès de le fuir...
Et maintenant que je suis plus proche de lui qu'on l'a rarement été, je sens que je bascule de plus en plus... Ça me vrille qu'il ne soit pas là, ici, avec moi. Pas juste parce que je meurs de trouille de recevoir un coup de fil pour m'annoncer encore une mauvaise nouvelle, non... Mais surtout parce que je veux le garder pour moi. Juste pour moi.
Parce qu'avec lui à mes côtés, je me sens un peu moins seul, un peu moins fracassé, un peu moins lamentable. Il est la seule vraie lumière dans ma vie. Le seul qui ait la capacité de réellement me faire rire aux éclats ou sourire franchement sans que ça ne soit pas un minimum forcé.
Avec lui, je peux enfin lâcher un peu mon putain de masque. Avec lui, j'ai l'impression de respirer réellement.
Mais c'est mon frère. Mon tout petit frère.
Rien d'autre.
Malgré toutes les envies et les pulsions dégueulasses qui m'assaillent quand je pense à lui depuis mes quinze ans...
Je serre les dents et me lève vers la cuisine d'un geste rageur. Je fouille dans tous les placards possibles à la recherche d'un peu d'alcool, n'importe quoi. Je dégote une bouteille d'un vieux vin que le père devait garder précieusement et que je fixe quelques instants, indécis, avant de la mettre de côté pour reprendre ma fouille à la recherche de quelque chose de mieux que ça.
Parce que je ne vais quand même pas faire mon enfoiré irrespectueux et à ce point-là, pas vrai... ?
Je tombe finalement sur une fin de vodka qui a l'air d'être là depuis avant ma naissance et range le vin pour m'ouvrir celle-ci. Ça me brûle la gorge comme jamais, mais ça fait du bien par où ça passe.
Je retourne dans le salon avec ma trouvaille bien en main et branche mon portable pour mettre du Vald à fond, avant de me poser le cul sur le canapé, histoire de m'en rouler un bien fat'.
On est pas mal, là. Tout ce qu'il faut pour oublier, juste l'histoire de quelques heures. Jusqu'à ce que j'aille récupérer Luffy et qu'il me noie de nouveau de sa lumière.
Qu'il m'envoie son sourire-soleil qui me donne toujours envie de pleurer de joie de l'avoir dans ma vie.
Qu'il puisse me faire un peu oublier quel genre de merde je suis en le prenant dans mes bras et en humant son odeur qui me fait tellement de bien.
Qu'il pallie ce silence beaucoup trop violent qui permettent à mes foutues pensées de merde de revenir me casser les couilles...
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- Twenty One Pilots – Car radio -
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Ce chapitre est un peu plus court, mais j'ai jugé que le couper là serait parfait vu ce qui nous attend pour la suite...
Désolée d'encore ruiner un peu plus le mental d'Ace, jetez moi des patates, je comprendrais... MAIS C'EST TROP BIEN DE LE TORTURER SQDJFDSBJSXHFD *s'enfuit*
