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Le retour en voiture est beaucoup plus silencieux que d'habitude, sans les rires de Luffy pour saturer l'habitacle. Pourtant il est bien là : la tête collée à la vitre, la bouche entrouverte et les yeux écarquillés sur le paysage urbain nocturne qui défile.
Est-ce que je devrais me sentir mal de lui faire subir ça ? Bof. Après tout, c'est lui qui me l'a demandé.
Après tout, j'ai déjà été dans des états bien pire que ça moi-même à son âge pour la même raison.
Usopp et Chopper descendent tous les deux au pied de l'immeuble du premier. Ils me remercient tous les deux avec engouement, s'enjaillent en m'imposant presque de revenir à la prochaine soirée. Pourquoi pas... Ça sera toujours mieux que de rester tout seul à tourner en rond dans l'appartement des parents.
Lu' a un certain temps de latence pour répondre à leurs au-revoir, et je ne parle même pas de la montée des trois étages pour rentrer. Il traîne la patte comme je l'ai rarement vu le faire, et pourtant il semble serein quand on allume les lumières du salon et qu'il se pose comme une loque dans le canapé.
Je fais un passage éclair à la cuisine pour déposer un paquet de chips sur la table devant lui, me marrant au passage du fixe incroyable qu'il tape sur la télé éteinte. Mais il semble atterrir en repérant la bouffe et m'envoie un nouveau sourire qui me fait rater un battement.
- Merci beaucoup... !
... Ma si rayonnante tête de soleil. Je me demande souvent ce que serait devenue ma vie si je ne l'avais pas eu pour éloigner un peu mes ténèbres.
Je le vois exploser le paquet de chips en deux-deux et renonce à lui en piquer pour aller en rechercher un pour moi. 'Pas que le repas de Sanji ne nous a pas calé, bien au contraire, mais la foncedalle ça peut frapper à tout moment, ventre rempli ou pas. Et ce n'est pas comme si Luffy et moi n'étions pas des énormes sacs à bouffe jamais rassasiés de base.
- Tu veux mater quelque chose ? lui proposé-je, commençant à me faire bouffer par le silence beaucoup trop oppressant de l'appart' autour de nous.
- ... J'sais pas...
Je souris pour moi-même : je le comprends. Des fois, on est tellement bien dans ces moments-là qu'on a juste envie de se poser et de ne plus bouger d'un pouce. Et vu la position de larve de Luffy qui a déjà terminé d'engloutir son paquet, je pense qu'il n'est pas prêt de décoller de là avant un bon moment.
J'allume donc la télé pour simplement mettre un bruit de fond et vide mes poches sur la table pour m'en rouler un nouveau. À force d'avoir fait tourner et enchaîner les soufflettes au petit frère, j'ai pas tant fumé que ça moi, finalement. Il est grand temps de se rattraper si je ne veux pas passer mon dimanche à dormir car j'aurais encore tapé une foutue nuit blanche.
Mon rythme est devenu totalement chaotique depuis que je suis revenu ici, c'est affolant. Il faut dire que le fait de ne plus travailler et d'avoir quasiment arrêté le sport si soudainement doit faire bizarre à mon corps. Il faudrait vraiment que je reprenne et vite, d'ailleurs. Je sens déjà que je me ramollis.
J'allume mon joint et rejoins Luffy au fond du canapé. Mes doigts cherchent son contact par automatisme et bientôt, je me retrouve à lui gratouiller la cuisse comme ça m'arrive souvent. Tactile mais pas trop : une habitude que j'ai prise il y a des années pour pouvoir avoir ma dose de lui tout en évitant les réactions trop épidermiques que son contact me provoque automatiquement. Habitude que j'ai d'ailleurs un peu laissée au placard ces dernières semaines, mais est-ce que je peux vraiment me le reprocher ? Je ne suis pas quelqu'un de câlin, sauf avec lui. Et lui est juste une boule d'amour sur pattes qui cherche le contact tout le temps avec ceux qu'il aime : pas si étonnant qu'on ait fini par ne plus se lâcher dans un moment aussi difficile.
J'aimerais tellement que ça reste comme ça indéfiniment. Lui et moi, juste tous les deux, loin de ce monde et des enfoirés qui le parasitent, bien à l'abri entre ces murs qui pourtant me répugnent. Mais ici, seuls sans les parents depuis si longtemps, jamais l'impression d'être dans une bulle créée juste pour nous deux n'a été aussi forte. Jamais le besoin viscéral de le garder près de moi ne m'a autant bouffé.
Ça a été dur de le laisser retourner au lycée. Très dur. Et ça le sera encore plus après les vacances de Noël.
J'ai l'impression que plus je passe du temps collé à lui de cette manière, moins j'arrive à réfréner mes pulsions le concernant. Et ce n'est pas bon. Ce n'est tellement pas bon.
- Tu m'en refais une ?
Je tourne la tête vers lui pour être certain que j'ai bien compris, et son coup de menton en direction du joint me le confirme. Décidément, il a juste envie d'être aussi éclaté que moi ce soir, ou quoi ?
- T'es sûr ? T'es déjà pas mal, là.
- Une dernière ?
Aucune chance que je lui résiste face à sa petite voix et sa bouille défoncée adorable. Je réitère mon geste de plus tôt et lui souffle dans le nez, et il ne tousse presque plus en respirant la fumée.
Et je ris en voyant que ça le met K.O. de nouveau.
J'ai le temps de finir ma roulée avant de réaliser l'heure avancée : pratiquement 4h. Ouais, quand même. Pour une bande de petits coincés, ils sont un peu plus dévergondés que je ne le pensais. Surtout que c'est l'état de Luffy qui nous a fait décoller, eux ils étaient encore chauds pour continuer la fête apparemment.
- Allez Lu', on va t'coucher, t'es mort là.
Mort et enterré je dirais même : il met trois plombes à relever la tête vers moi et m'envoie un pauvre sourire fatigué.
Je l'attrape dans mes bras comme s'il ne pesait rien –et c'est faux, je tiens à le préciser. Heureusement que je portais bien plus lourd que ça en développé-couché avant d'arrêter la muscu'- et comme d'habitude, il se pend à mon cou comme un bébé singe s'accrocherait à sa mère, mains derrière ma nuque et jambes repliées autour de moi.
Ne toujours pas penser que cette position me donne beaucoup trop d'idées érotiques, surtout.
- Il est passé où le gamin enjoué de tout à l'heure qui riait pour un rien, dis-moi... ? Lui murmuré-je à l'oreille en l'emmenant dans sa chambre.
- Mort, tu l'as dit toi-même... Marmonne-t-il.
Je galère à ne pas le lâcher brusquement en le déposant dans le lit, mais il s'accroche tellement bien à moi que je finis par perdre l'équilibre et m'affale de tout mon poids sur lui, maladresse et fatigue oblige. Ça nous fait rire comme des idiots et ça part en énième câlin, puisque je me redresse juste assez sur mes coudes pour lui laisser de l'air pour respirer.
- T'as passé une bonne soirée... ? Finit-il par me demander d'une petite voix éteinte au bout d'un moment de silence.
- Ouais carrément. Et toi alors ?
- Ouais, c'était trop cool... Là j'suis mort, mais j'me suis vraiment bien amusé... J'fumerai p't'être juste un peu moins, la prochaine fois... ?
Il se pose la question à lui-même et je me sens plutôt fier de lui : ce n'est pas moi qui prendrais une décision aussi sage.
- On sait très bien tous les deux que tu peux t'amuser sans, donc oui, c'est pas une mauvaise idée.
Un nouveau silence tombe, simplement perturbé par nos respirations et le léger son de la télé au loin. Luffy resserre sa prise autour de moi et va nicher son nez dans mon cou pour me respirer. C'est toujours très compliqué pour moi quand il fait ça, mais je ne vais pas l'en empêcher. Tout simplement parce que j'adore qu'il le fasse. Du doux masochisme, comme d'habitude...
- J'suis trop content que t'étais là, avec nous... Mes deux mondes se sont rejoints...
Je ne sais pas trop ce qu'il veut dire, surtout que mon cerveau devient rapidement électrisé par les frottements affectueux de son nez dans mon cou. Je sens son souffle me créer un léger frisson et je me demande vaguement s'il cherche à me tuer.
... Ou à ruiner le peu de barrières mentales un peu solides qu'il me reste, puisque je sens ses lèvres se coller à ma peau.
Mon cœur rate un battement, mon souffle se coupe, mes muscles entiers se tendent. Luffy est en train de déposer une légère pluie de baisers aériens tout le long de ma putain de nuque.
... Qu'est-ce qu'il fout... ?
Sa bouche passe délicatement mon lobe d'oreille et continue sa course le long de ma mâchoire, jusqu'à s'arrêter sur ma joue pour m'embrasser bien plus fort.
... De l'affection, rien de plus. Exacerbée par son état, mais c'est tout. Qu'est-ce que j'ai à m'emballer comme ça, moi... ?
Notre position, les semaines passées, le manque de sexe. 'Sûrement ça.
Je reprends mon souffle que j'avais à peine réalisé avoir perdu et commence à essayer de me dégager de sa prise pour rouler sur le côté. Un peu plus éloigné de lui, cette situation sera tout de suite un peu moins tendancieuse pour mon foutu cerveau sud qui est en train de prendre le pas sur celui du nord.
Mais Luffy resserre encore son étreinte en grognant, refermant même ses jambes autour de ma taille dans un geste plus qu'équivoque.
Équivoque pour moi, certainement innocent pour lui. Mais putain de merde, il réalise ce qu'il est en train de faire, là ?!
- Reste... me souffle-t-il à mi-voix, j'veux qu'tu passes la nuit avec moi...
J'essaie de batailler contre moi-même pour reprendre le contrôle, mais je vous assure que c'est loin d'être évident dans une telle situation.
- Qu'est-ce que tu racontes... ? J'passe toutes les nuits avec toi en ce moment, Lu'...
- C'pas vrai. Ces derniers temps tu dors de moins en moins la nuit...
... Vrai. Mon rythme se détériore de plus en plus et au final, ces derniers jours, j'allais me coucher seulement après l'avoir déposé au lycée. Mais je ne pensais pas qu'il le vivait mal. Au contraire, je pensais que ça allait de mieux en mieux...
- ... Je reste Lu', promis. Laisse-moi juste...
J'essaie de me débattre doucement pour qu'il me relâche, mais ma bataille intérieure est encore plus violente pour faire fi de la sensation de son bassin collé au mien. Toutes ces années à me dégoûter moi-même me reviennent dans la face comme un boomerang, accompagnées d'un sentiment nouveau : la tentation.
Cette pute que j'avais réussi tant bien que mal à éviter brillamment jusqu'ici. 'Fait chier.
- Luffy... le supplié-je presque d'une voix cassée qui me surprend moi-même.
Et comme pour me torturer un peu plus, il met toute sa force dans la prise de ses bras autour de moi. Une de ses mains agrippe fortement mes cheveux, tandis que l'autre dans mon dos m'écrase contre lui. Il chope de plus en plus de force, je ne peux pas le nier. Bientôt, il sera plus fort physiquement que je ne le suis mentalement.
... En fait, c'est même déjà le cas.
J'abandonne la bataille et me relâche, m'écrasant le nez dans l'oreiller et me force à penser à autre chose, et vite. Quelque chose de moins agréable serait le top, avant que mon abstinence de plus d'un mois ne commence véritablement à se faire sentir. Mais les doigts doux de Luffy qui se mettent à me caresser le dos d'un geste traînant me rajoutent une difficulté supplémentaire.
Difficulté qu'il amplifie encore en réitérant ses embrassades dans mon cou.
Pourquoi, Luffy ? Pourquoi tu me fais subir ça ? Est-ce que ta confiance en moi et ta pureté sont si grandes pour ne pas réaliser que tu risques de perdre, à ce jeu-là ? Ou du moins à créer une situation dans laquelle tu n'as pas vraiment envie de te retrouver, c'est certain...
Alors que moi, je n'attends que ça depuis plus de cinq ans.
Cette pensée fait éclater encore les faibles chaînes de volonté qu'il me reste et j'attrape son visage pour le caresser du bout du pouce, basculant doucement la tête vers lui pour déposer un baiser sur sa joue à mon tour. Il laisse échapper un minuscule gémissement à ce contact et c'en est trop pour mon self-control : j'ai des limites à la maîtrise que je peux exercer sur ma queue. Là, c'en est juste trop. La bête est lâchée.
J'espère juste qu'il va me libérer avant de le réaliser.
Mais bien au contraire, ses doigts dans mes cheveux resserrent leur prise et descendent sur ma nuque, reprenant sa pluie de baisers qui se font plus appuyés.
Il va me tuer.
Je me laisse aller malgré moi et enchaîne les baisers à mon tour, profitant du goût de sa peau sur mes lèvres comme je ne l'ai jamais fait auparavant, me permettant même de humer son odeur qui m'enivre les sens tandis qu'il frotte son visage contre le mien avec une intensité qu'il ne m'avait jamais offerte jusqu'ici.
Il va me tuer.
Je le sens se tortiller légèrement contre moi alors que ses caresses dans mon dos s'amplifient, attrapant ma chair pour la serrer entre ses doigts. Je reconnaîtrais ce genre de geste entre mille -un geste de désir-, mais je refuse de me dire qu'il est en train de le faire consciemment.
Il ne peut pas le faire consciemment, c'est impossible.
Et pourtant, ses lèvres qui s'arrêtent soudainement à la commissure des miennes et son nez qui caresse le bout du mien alors que nos bouches se touchent presque me foutent le doute. Ses yeux sont résolument clos mais je préfère éviter de me concentrer sur l'expression lascive de son visage. Je préfère éviter de réfléchir à ce qui est en train de se passer.
Parce que je connais cette expression et je sais parfaitement ce qu'il se passe.
On franchit une limite qu'on est pas du tout supposés devoir franchir, lui et moi. Un domaine qu'il n'est censé connaître qu'avec les gens avec qui il...
Je ferme les yeux à mon tour, résolument, ravalant ma salive. C'est dur, putain. Presque autant que la putain d'érection que j'ai dans le froc. Je dois me tirer avant que ça ne parte définitivement en couille, je dois...
Je dois faire quelque chose que j'ai jamais réussi à faire : écouter ma putain de raison et abandonner mes pulsions. Je suis censé fuir la situation dont j'ai toujours rêvé.
Un sourire amer naît sur mes lèvres : aucune chance que j'y arrive. Je suis loin d'être aussi fort que ça.
Je suis même la dernière des merdes, à vrai dire. Fait qui se confirme par l'état dans lequel se transforme mon cerveau quand nos lèvres se rencontrent pour de bon.
Je comprends pas ce qui arrive. Je comprends pas, je comprends plus. J'ai une montée de désir en moi comme j'en ai jamais eu avant et ma bouche répond en réflexe à celle de Luffy avec une voracité que je ne me connaissais même pas.
J'en ai rêvé si longtemps. Et c'est encore mieux que ce que je ne pouvais imaginer.
J'ai pas les mots. Plus de pensée cohérente, juste un mélange d'émotions aussi puissant qu'incontrôlable qui se fracasse en moi avec une violence inouïe.
Il est en train de me tuer.
... Et je le laisse faire avec plaisir.
Ma main glisse fiévreusement sur son corps dans un automatisme qui m'ébranle moi-même alors que nos langues se décollent pour mieux revenir l'une à l'autre, avant qu'on aille se perdre de nouveau dans le cou de l'autre et que la prise de ses doigts ne m'arrache presque les cheveux.
Mais je m'en branle tellement. Hahahahaha, si vous saviez comme je m'en branle... !
Je suis en train de vivre les minutes les plus grisantes de ma vie. Je ne me suis jamais senti aussi vivant qu'en cet instant... !
Comme si toutes les ténèbres qui m'ont toujours pourries l'existence depuis ma venue en ce bas monde étaient soudainement chassées au loin, me laissant seul avec cette impression terrifiante de légèreté.
Je pourrais m'envoler, là, tout de suite.
Mais toute bonne chose à forcément une fin, et en particulier quand elles sont justement bonnes, me concernant.
Peut-être que ma main sous son t-shirt qui a attrapé sa peau était de trop, peut-être a-t-il enfin percuté ma queue au garde à vous contre la sienne, peut-être qu'un de mes râles de désir était trop sonore : il n'empêche que Luffy semble soudainement se reconnecter violemment à la réalité.
Il s'arrache de ma prise et nos regards se croisent dans la pénombre, et ce que je lis dans ses iris d'obsidienne me fait retomber encore plus brutalement que je n'étais monté.
De la surprise. De l'incompréhension. De l'épouvante.
... Du dégoût.
Je déglutis bruyamment et il baisse enfin ses yeux écarquillés mais toujours embrumés par l'alcool et la drogue.
Cette douce, cruelle et foutue drogue.
Il me repousse, fermement. Je ne me fais pas prier pour me décaler et le laisser s'éloigner de moi pour s'allonger sur le côté et rabattre violemment les couvertures sur lui. Et un silence de mort me tombe dessus.
... L'atterrissage est rude.
Vraiment.
Je suis partagé entre l'envie de hurler de joie, de douleur, de le serrer dans mes bras qu'importe son avis, de me rouler en boule pour pleurer ou d'aller carrément me jeter par la fenêtre sur le champ.
Peut-être que cette dernière option serait la plus simple pour tout le monde.
Parce que je n'ai aucune putain d'idée de la manière dont on va se dépêtrer de cette situation improbable, maintenant.
.
.
... Pouah. Dur.
Trop dur.
J'ouvre un œil, péniblement. J'ai miraculeusement pas mal au crâne, mais qu'est-ce que j'me sens lourd. Comme si tous mes membres avaient pris quatorze kilos chacun pendant la nuit.
J'me redresse laborieusement dans l'lit et avise ma chambre plongée dans la pénombre, la tête dans l'fion. J'ai la bouche horriblement pâteuse et la gorge sèche. Ça va pas être mon lendemain de cuite le plus compliqué, mais j'vais le sentir passer malgré tout.
Un coup d'œil à ma droite m'informe qu'il est presque 11h, alors qu'un autre à ma gauche me fait découvrir le visage d'Ace, profondément endormi près d'moi. Je souris malgré moi : ça faisait plusieurs jours qu'on avait pas dormi ensemble et ça m'fait plaisir. Même si j'étais trop K.O. pour le réaliser avant.
J'me laisse tenter à me recoucher contre lui dans un câlin et, comme d'hab, ses bras se referment par automatisme autour de moi. J'me love comme je peux alors qu'il ne moufte même pas et marmonne même dans son sommeil, et j'me laisse juste aller à apprécier sa chaleur contre moi.
J'réalise d'ailleurs au passage que j'avais pas retiré mes fringues. Mon jean me gêne horriblement, mais c'est pas comme si j'avais pas l'habitude de dormir avec quand je fais une soirée à Sunny.
Sauf que là, j'ai pu rentrer dormir à l'appart', et ça c'est cool.
Même si j'en ai aucun souvenir.
J'pousse un soupir malgré moi en essayant de rassembler des souvenirs trop flous. J'revois les bières que j'ai beaucoup trop enchaîné, les blagues avec Usopp et Chopper, Nami qui engueule Brook et Sanji pour être des gros pervers irrécupérables, Robin qui nous raconte une histoire super glauque, Ace qui s'marre à côté d'moi pendant qu'il roule.
Ace qui m'fait des soufflettes.
La sensation m'revient vaguement en mémoire et je ricane en repensant à l'impression terrible de planer bien haut. Ça me l'avait pas fait à ce point, la seule fois où j'avais essayé avec lui. Là, je sentais que mon corps pesait une tonne pendant que mon cerveau partait vivre des aventures de son côté au loin.
Plutôt sympa comme truc. À refaire à l'occas'.
Mais en attendant, j'ai beaucoup trop faim. J'me sépare d'Ace à regret et il ronchonne encore en se retournant brusquement dans l'lit.
J'me laisse porter par mon estomac jusqu'à la cuisine et engloutit rapidement les premiers trucs qui me passent sous la main. Genre des briochettes au chocolat : parfait. La moitié du paquet y passe avant que j'me décide à aller prendre une douche. Parce que j'ai beau pas avoir mal au crâne, j'me sens beaucoup trop mou et pâteux. Et l'un des meilleurs conseils que m'a jamais donné Maman, c'est : « le premier réflexe à avoir quand tu te lèves un lendemain de cuite, mon fils, c'est d'boire beaucoup et de prendre une douche, car l'eau est ton amie ».
Reçu cinq sur cinq, ma p'tite maman.
Mes yeux s'égarent brièvement sur sa chaise attitrée de la table de la cuisine avant que je n'm'enfuie rapidement dans la salle de bain.
La vie reprend doucement son cours, en fait... J'dis pas qu'c'est facile tous les jours, mais ces derniers temps, ça l'est un peu plus que c'que j'pensais. Le temps fait son œuvre, comme dit Ace... Et c'est sûr qu'la reprise des cours et les soirées à Sunny m'empêchent efficacement de trop penser.
J'me glisse sous la douche après avoir envoyé voler mes fringues et la sensation de l'eau chaude sur ma peau est encore mieux que c'que j'espérais. J'me surprends à soupirer d'aise et reste un peu plus longtemps que l'raisonnable le voudrait.
Et c'est requinqué comme jamais que j'm'enroule dans ma serviette avec un immense sourire satisfait, chantonnant même de plaisir d'être aussi bien dans ma vie immédiate.
Sauf que j'déchante direct en apercevant une marque dans mon cou dans le miroir.
J'm'approche de mon reflet pour observer ça de plus près et pas d'doute possible, je sais très bien c'que c'est pour toutes les fois où Barto' ou même Kidd ont pu m'en faire un...
Un suçon.
Mais c'est pas possible... Hier soir, je...
J'écarquille les yeux en fixant ceux de l'autre moi dans le reflet, alors que des flashs me reviennent en mémoire pour me tomber dessus comme une massue.
Ace contre moi. Sa langue sur mon cou. Sa bouche contre la mienne. Ses mains sur ma peau. Son souffle saccadé contre le mien.
... Je...
J'ai pas les mots. Et tout c'que j'suis capable de faire, c'est d'poser ma main sur ma bouche d'un air choqué pitoyable et cliché à souhait.
J'espère une fraction de seconde que c'était juste un rêve stupide, avant qu'mes yeux ne se reposent sur la marque sombre dans mon cou.
Sois pas plus stupide que tu l'es déjà Luffy, s'te plaît !
J'essaie de rassembler mes souvenirs, mais j'arrive pas à comprendre comment ça a pu arriver. Comment ça a pu dégénérer. Qu'est-c'qui lui a pris ? Qu'est-ce qui M'A pris ? Et qu'est-ce qui s'est passé après ? Jusqu'où...
Mon souffle se coupe pour de bon dans ma gorge : jusqu'où... On est allés... ?
Mais l'air me revient en m'souvenant que j'avais justement toujours mes fringues. Ça me rassure, mais juste un peu, à vrai dire.
À vrai dire... Je sais plus du tout où j'en suis, là, tout d'suite.
Y'a trois minutes ma vie frôlait le génial -si on met de côté la condition d'orphelin, tout ça...-, et là, elle vient de nouveau de basculer violemment dans une direction que j'avais pas vraiment envie de découvrir.
Mais alors, vraiment pas.
J'sais pas quoi faire. La peur de croiser Ace et d'devoir affronter cette situation me paralyse sur place. Si j'pouvais rester enfermé dans la salle de bain tout l'reste de ma vie, ça serait tout aussi bien.
J'm'ennuierai vite et j'mourrais p't'être bien de faim en trois heures, mais...
Focus Luffy, focus. 'Faut trouver une solution à ce bordel sans nom. 'Faut juste que... 'Faut juste attendre le réveil du frangin et en parler tranquillement avec lui. On était bourrés tous les deux, on a fumé, j'étais même beaucoup trop raide mort pour pas me souvenir à ce point d'une partie de la soirée, et...
... Et...
Et je trouve Ace beaucoup trop sexy depuis beaucoup trop longtemps.
Et il est là j'crois, le vrai problème.
... Est-ce que c'est réciproque ?
... Et pourquoi l'idée que ça soit réciproque me fait plaisir ?!
Bon sang, 'faut que j'arrête de penser à ça et maintenant !
P'tit déj, on s'cale, on attend qu'Ace s'réveille, on en causera tranquillement et...
Advienne que pourra, j'suppose.
Et mon plan se déroule plutôt bien jusqu'au moment où j'me pose devant la télé. J'ai piqué un pull à col roulé dans les fringues de Maman et j'suis pas certain que le fait d'entrer dans leur chambre m'a aidé à me sentir mieux. Mais au moins, j'peux cacher ce truc immonde qui me donne l'impression qu'il y a écrit « abruti qui a fait une énorme connerie » sur mon front.
Ça empêche pas mes pensées de fourmiller à mille à l'heure, malheureusement, malgré la télé sur laquelle j'me force à m'focaliser.
J'adore les programmes des dessins animés du dimanche pourtant, mais là... J'arrive juste pas à me concentrer.
La sensation de la bouche d'Ace contre la mienne veut pas partir, c'est presque flippant.
... Et étrangement excitant.
... Et j'ai envie d'me pendre.
Qu'est-ce qui tourne pas rond chez moi, au juste ? Ace est mon frère. Ce genre d'attirance est pas censée arriver entre frères, il m'semble bien. Alors pourquoi...
J'ai pas envie d'y penser. J'ai pas envie d'y réfléchir. C'est trop. Trop de questions, trop violent à gérer. J'ai pas la force pour ça, en ce moment. Laisse-moi me remettre à peu près de la mort de mes parents déjà, avant de m'envoyer ça dans la tronche, l'Univers !
J'en suis là dans mes pensées que j'essaie de bloquer un maximum quand j'entends Ace se lever, au loin, dans la chambre.
Et mon trouillomètre monte tellement vite que j'en ai la tête qui tourne alors que j'suis encore assis.
J'le vois sortir de la chambre en se frottant le visage et se traîner jusqu'aux toilettes sans même me remarquer, vu que lesdites chiottes sont en face du salon.
... Et j'me dis que si j'suis assez rapide, je peux peut-être me barrer d'ici avant qu'il n'émerge pour de bon, vu comme il met toujours trois plombes pour pisser...
Après tout, j'ai juste à récupérer mon portable sur ma table de nuit et une veste et j'm'enfuis de l'appart' en courant.
… Ça s'tente.
Et c'est c'que je fais.
Ma propre rapidité m'étonne moi-même, mais j'suis définitivement pas le type le plus discret du monde, puisque mes pas de courses font un bordel monstre sur le lino, ce qui finit par attirer l'attention du frangin, évidemment.
Je l'entends m'appeler à travers la porte et j'accélère le pas. Mais il sort rapidement et nos regards se croisent alors que j'bataille encore dans l'entrée pour enfiler ma veste.
Une trop longue seconde de silence oppressant passe et mon cerveau se réveille d'un seul coup pour me mettre un coup de pied aux fesses : l'instant d'après, j'ouvre la porte d'entrée dans un fracas, mes tongs encore en main.
- J'vais chez Usopp ! lui crié-je en claquant la porte derrière moi.
- Luffy !
J'crois que même pour avoir mon bus quand j'suis à la bourre, j'ai jamais détalé aussi vite les escaliers de la cage. Et d'autant plus lorsque j'l'entends m'appeler de nouveau de notre étage.
C'est puéril et ridicule, j'le sais, mais y'a pas moyen que j'l'affronte maintenant. 'Faut déjà que j'fasse redescendre la pression. Ça tourne beaucoup trop dans ma tête, beaucoup trop vite.
Et quand nos yeux se sont croisés... J'ai cru que j'allais me décomposer sur place. Parce que j'ai bien vu qu'il avait pas oublié, lui, contrairement au boulet que j'suis.
Mes pas me mènent par automatisme vers l'immeuble d'Usopp. J'ai enfilé mes tongs après avoir dépassé la cour dallée qui trône devant notre numéro, histoire d'être sûr qu'Ace ne pouvait pas m'voir. Mais j'me rappelle douloureusement qu'on est déjà en décembre et que ça commence à plus trop être la saison pour mes chaussures fétiches.
Rien qu'pour ça, je déteste l'hiver, tiens.
Et j'félicite la partie de moi qui a eu la brillante idée de prendre un pull à maman. Sans ça, j'serais parti en t-shirt et là j'étais bon pour la pneumonie assurée.
J'sens mon portable vibrer dans ma poche pour la troisième fois et je déglutis malgré moi, enfonçant un peu plus ma tête dans mon cou comme pour m'protéger du monde extérieur. Ace va passer la pire journée possible s'il commence déjà à me harceler alors que j'suis parti depuis cinq minutes. J'me demande bien c'qu'il peut penser de cette histoire... Il doit être au moins aussi paumé et dérouté qu'moi et p't'être qu'il a hâte, contrairement au lâche que j'suis, qu'on mette tout ça à plat.
Qu'il se fasse pas d'idée, moi aussi j'ai hâte. Hâte que cette bêtise idiote soit rapidement derrière nous pour reprendre notre vie de galère là où on l'a laissée hier.
Mais pour le moment, j'suis trop paniqué pour parler. Trop effrayé par mes propres ressentis pour mettre des mots dessus.
Mon doigt s'enfonce mécaniquement sur l'interphone d'Usopp et je prie pour pas qu'il ait une réunion de famille. Ça faisait un bail que j'avais pas débarqué chez eux à l'improviste de cette manière, et j'me demande comment Bankina va m'accueillir, à moitié débraillé comme j'le suis et dans mon état de stress actuel. La dernière fois, ça devait être à l'une des dernières méchantes disputes que j'ai pu avoir avec Papa. Et ça r'monte. Tellement que j'arrive plus à la replacer. 'Sûrement une histoire par rapport à l'école, mes mauvaises notes ou une énième bagarre, peut-être...
- Oui ? me répond finalement une voix féminine.
- B'jour, c'est Luffy ! Désolé de débarquer comme ça un dimanche !
Un court silence me répond avant que la porte ne s'ouvre. Je monte en prenant les escaliers, esquivant le vieil ascenseur dans lequel on s'est beaucoup trop souvent retrouvés coincés, avec mon meilleur pote. De toute façon, c'est qu'au deuxième étage. Dix secondes plus tard, j'y suis déjà et le visage souriant de Bankina m'ouvre la porte.
- Bonjour Luffy ! Tout va bien, j'espère ?
- Oui, vous en faites pas ! Mens-je allègrement avec un sourire que j'essaie de faire le plus lumineux possible. J'ai eu envie de m'aérer la tête et j'me suis dit qu'ça serait sympa de passer dire bonjour !
Elle me zieute longuement de haut en bas et j'm'apprête à lui demander si y'a un problème, avant qu'elle me prenne d'un seul coup dans ses bras.
... Ah ouais, c'est vrai : c'est la première fois que j'la revois, depuis...
- Ça me fait plaisir de te voir... Me chuchote-t-elle avant de s'éloigner et de m'offrir un petit sourire peiné que j'encaisse du mieux que j'peux. Et je suis soulagée de constater que ça a l'air d'aller malgré tout.
Elle passe une main douce dans mes cheveux pour les replacer et ce simple geste me remue tellement que j'ai l'impression que mon cerveau s'est brutalement arrêté.
- Luffy ! Qu'est-ce que tu fais là ?!
La petite voix de Chopper me fait brutalement atterrir et j'déglutis bruyamment en ne lâchant pas Bankina des yeux, avant d'essayer tant bien que mal de me r'créer une façade pour me tourner vers mon pote.
Je sais qu'ça partait d'une bonne intention, mais j'espère qu'elle refera jamais ça. Plus jamais.
C'était Maman qui faisait ça, et personne d'autre.
- Heyyyy ! M'écrié-je et même moi j'me rends bien compte que c'est beaucoup trop forcé pour être naturel. 'Fallait que j'vous vois, vous me manquiez beaucoup trop depuis hier !
J'vais à la suite de Chopper pour rejoindre Usopp, qui nous attend sur l'pas de la porte de sa chambre en me regardant avec un sourcil haussé.
- ... Ça va ? Me demande-t-il en refermant derrière moi.
- Ouaip.
Court, clair, concis, le genre de réponse qu'je donne jamais à cette question, en somme. Si Usopp a pas perdu ses bonnes habitudes, il sait qu'il doit pas insister, donc.
Et vu qu'j'ai les meilleurs amis du monde, ils n'insistent pas, l'un comme l'autre.
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Thirty Seconds to Mars – Up in the Air
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*s'est roulé pendant une bonne partie du chapitre*
Bon. On commence à entrer dans la partie un peu glauque de la chose. (et la chose, ça s'appelle l'inceste lel) Je vais aborder ça de manière très crue, comme vous pouvez le constater. J'espère donc ne pas rebuter trop de gens, mais je suppose que non si vous vous êtes aventurés sur cette fic à l'origine.
Sinon, je voulais aussi rappeler une petite précision que j'aurais même dû rappeler au chapitre dernier : à aucun moment je ne fais l'apologie de la drogue et de l'alcool en général dans cette histoire. Et même si ces deux chapitres peuvent nous faire dire que c'est vachement marrant et que ça permet parfois de se désinhiber, ces deux consommations comportent des risques dont il faut être conscient. Vivez votre vie comme vous l'entendez, tant que vous savez ce que vous faites ! Auquel cas, il ne faut pas hésiter à en parler autour de soi... !
J'arrête là la minute moralisatrice à deux balles et je vous dis à dans deux semaines pour la confrontation entre les frangins ! En espérant que ça vous plaît toujours ! See ya !
