.

Deux heures sont passées depuis mon départ en trombe de l'appart'.

Et j'ai sept SMS et seize appels en absence d'Ace.

J'essaie d'me changer les idées comme je peux, pourtant. On a enchaîné les parties de Mario Kart jusqu'à ce que Chopper finisse par rentrer chez lui et depuis, on chille devant Youtube avec Usopp. En vrai, ça fait longtemps qu'on avait pas passé une aprèm posés tous les deux et ça fait du bien...

Même si ça serait encore mieux si mon fichu portable arrêtait de vibrer toutes les cinq minutes.

- ... C'est Ace, pas vrai ? me demande soudainement Usopp en me fixant droit dans les yeux.

- ... Ouais...

- Tu sais, si tu veux tellement l'ignorer, tu peux aussi mettre ton portable en silencieux ? Ou carrément l'éteindre ?

... Pas faux. Mais quelque chose me stresse à l'idée de faire ça. Pour le moment, ses appels réguliers me font comprendre qu'il est juste très paniqué –ou très énervé-, que j'me sois tiré comme ça, mais si y'avait quelque chose d'urgent qui arrivait, je sais qu'il insisterait beaucoup plus...

J'sais pas trop ce qui pourrait arriver de plus urgent, m'enfin... Un réflexe de peur stupide, je suppose.

J'essaie de me remettre dans la vidéo qui tourne tout en étouffant comme j'peux mon portable contre moi, et surtout en essayant d'ignorer Usopp qui me zieute d'une manière pas du tout discrète.

- ... Vous vous êtes disputés ?

J'soupire. Parce que j'ai vraiment, mais alors vraiment pas envie d'en parler, et surtout pas avec lui. J'pensais pourtant avoir été clair tout à l'heure...

- ... Ouais. Et j'veux pas en parler.

- OK, pas de problème. C'est juste que... Ça faisait un bail que t'étais pas venu te réfugier chez moi comme ça.

Je hausse les épaules. Qu'est-ce qu'il veut que j'lui réponde ? Avant, quand j'débarquais chez lui comme ça, c'était pour fuir les parents la plupart du temps. C'était rare qu'on s'engueule, et pourtant ça arrivait, surtout quand j'dépassais les bornes. J'compte plus le nombre de fois où j'ai envoyé bouler Papa quand je trouvais qu'il abusait de me reprendre sur tel ou tel truc. Alors qu'il faisait que son devoir de père, au final.

J'peux dire d'Ace, j'suis un sacré petit con aussi quand j'm'y mets...

- Au fait... continue Usopp et j'sens que j'vais bientôt plus pouvoir me retenir de lui sauter dessus pour le faire taire. C'est quoi ce pull ? Pas que ça te va pas, mais...

J'le vois pouffer. Il se moque de moi pour détendre l'atmosphère, sûrement.

... Sauf qu'il a choisi le pire sujet à lancer.

- ... C'est un pull de ma mère, lui réponds-je tranquillement, mais ma mâchoire s'est crispée involontairement alors que j'reviens à la vidéo.

- ... Oh. Désolé.

Mouais. Il pouvait pas l'savoir. Mais ça m'énerve quand même.

- ... On va quand même pas te voir débouler au lycée en robe, un jour ? Pas que ça me dérangerait, mais ça ferait bizarre...

- J'avais juste envie de le mettre, Usopp, le coupé-je. J'vois pas le problème.

Mon ton est cinglant, même moi ça m'surprend.

J'ai tellement les nerfs en pelote, j'me sens débordé dans mon propre corps, c'est affreux.

Et ce fichu portable qui n'arrête pas de vibrer... Il m'appelle plus, c'est déjà ça, mais les SMS s'enchaînent.

Au bout d'un moment, je peux finalement pas m'empêcher d'y jeter un œil, juste pour voir ce qu'il me dit.

Et c'est pas très joli.

« Lu, décroche merde il faut qu'on parle »

« Tu reviens quand ? »

« Je déteste quand tu pars comme ça, tu fais chier »

« J'espère vraiment que t'es chez Usopp »

« Je viens te chercher, il faut vraiment qu'on parle »

« Je te laisse encore une chance de me répondre avant que je débarque là-bas »

... Et merde.

- ... J'reviens, Usopp, j'vais...

J'lui montre fébrilement mon portable et il semble comprendre, me répondant juste avec un simple hochement de tête.

J'vais m'enfermer dans la salle de bain à côté et prends de grandes inspirations avant d'appuyer sur la touche d'appel.

... Ça va être l'un des pires coups de téléphone de ma vie. J'ai rarement été aussi stressé. Alors que c'est juste Ace. C'est juste mon frère.

Mon frère adoré avec qui j'me suis quasiment jamais embrouillé...

Il décroche au bout d'une sonnerie à peine, évidemment.

- Ouais.

Son ton est glacial. Il va tellement me tuer... J'peux pas m'empêcher de déglutir. Parce qu'en fait, j'ai aucune foutue idée de c'que je vais bien pouvoir lui dire...

- Allo ?! s'énerve-t-il impatiemment devant mon silence.

- Ouais ! sifflé-je. Désolé, je... J'étais...

- T'es où ?

... Bon sang, il me rappelle tellement Monkey D. Dragon quand il emploie ce ton-là.

- ... J'te l'ai dit, chez Usopp...

- Pourquoi tu répondais pas ?! explose-t-il enfin. Tu m'as fait flipper, putain ! Tu devrais savoir pourtant que tu... Bordel, et pourquoi t'es parti comme ça ?! Enfin...

J'l'entends soupirer bruyamment dans le combiné. Je l'ai déjà vu faire ça tellement de fois ces dernières semaines que je sais exactement ce qu'il se passe : il doit réfléchir, essayer de se calmer, peser ses mots...

- ... Je sais très bien pourquoi t'es parti comme ça, mais... Lu', on va juste... C'était rien, ok ? Un accident stupide... Rentre, on en reparle cinq minutes et on passe à autre chose, ça roule ?

... Est-ce que tu crois vraiment que ça sera si simple, Ace ?

J'devrais le lui dire, mais j'ai pas la force de l'faire. Pas maintenant, alors qu'on est même pas face à face.

Mais j'ai pas envie de rentrer tout de suite non plus. J'me sens pas prêt à l'affronter. J'sais bien que j'le serai certainement jamais, mais... Je sens mon cœur qui tambourine comme un taré dans ma poitrine, la boule que j'ai dans la gorge, la nausée qui m'prend l'bide...

J'crois que j'ai jamais autant flippé d'ma vie.

Et je sais même pas exactement pourquoi je flippe, en fait.

Qu'on arrive pas à passer outre ? Qu'on s'engueule pour de bon ? Que j'perde la seule famille qu'il me reste à cause d'une soirée où j'aurais un peu trop abusé... ?

... Ou, au contraire, qu'on se rende compte que cet « accident » ne vient pas de nulle part... ?

Nan, rien à faire. J'me fais à pas à l'idée.

Ace est mon frère.

Mon. Frère.

- ... Luffy ? me relance-t-il d'une voix beaucoup moins assurée, tout à coup.

- Euh... Ouais... Je... Je vais passer le reste de l'après-midi avec Usopp et je reviens ce soir, ok ?

Un court silence me répond, et j'crois encore deviner ce qu'il se passe dans sa tête.

Il a envie de m'égorger.

- Rentre tout de suite, m'ordonne-t-il presque, retrouvant son imitation parfaite du paternel furax, au moins on perce l'abcès maintenant, et-

- Je rentre ce soir, promis ! Et je ramène un Mcdo' pour me faire pardonner, si tu veux !

J'l'entends tiquer et souffler.

- Luffy putain... Plus vite c'est fait, et plus vite-

- Ce soir, promis Ace ! T'inquiète pas pour moi, j'suis tranquille chez Usopp ! Sa mère nous a même fait des cookies !

- ... J'm'en branle de tes cook-

- Allez, à tout à l'heure !

Et j'raccroche.

Ça m'fait pas vraiment me sentir mieux, par contre. J'ai le souffle court sous la panique et ma boule au ventre est toujours là.

Et lui, il doit me détester.

J'suis tellement mort...

Mais j'ai encore du temps avant d'y être. J'retourne dans la chambre d'Usopp par automatisme et j'crois que mon appréhension doit se lire facilement sur mon visage, vu la tête qu'il me tire quand il me voit arriver.

- ... Ça a été ?

- ... Ouais ?

J'vois bien qu'il voudrait m'aider mais il est hors de question que j'parle de ça avec lui.

Que j'parle de ça avec n'importe qui, d'ailleurs.

Même pas avec Ace...

Bon sang, faites que cet après-midi passe au ralenti...

.

J'me dis que les prières servent définitivement à rien quand j'me retrouve planté devant la porte de notre appart' trois heures plus tard, les bras ballants et mes deux sacs de Mcdo en main.

Ça fait cinq minutes que j'fixe la porte en espérant qu'une force extraterrestre ultra puissante débarque d'un coup pour me kidnapper et m'emmener loin d'ici.

Ace flipperait, c'est sûr, mais au moins j'éviterai cette fichue discussion avec lui.

... Mais d'un autre côté, l'odeur des frites me prend au nez et mon ventre gargouille comme jamais. Les cookies de Bankina m'ont pas assez calés malgré qu'j'en ai quasiment pas laissé un seul à Usopp –ils sont trop bons, j'en peux plus-, et je sais pas si je vais tenir le coup encore longtemps.

Et si c'est pas moi qui craque le premier, c'est Ace qui va finir par entendre mon bide hurler à l'aide.

Je pousse un long soupir pour me donner du courage. Papa m'a toujours dit qu'il fallait affronter les situations compliquées la tête haute et le torse bombé. J'sais pas si c'était une image ou quoi, mais c'est c'que j'fais pour me redonner un semblant de contenance.

... Et j'crois que j'ai l'air totalement stupide en rentrant avec mes deux sacs qui me font galérer à ouvrir la porte de l'entrée, mon menton fièrement en l'air et mes épaules en arrière.

Mais ça paraît pas perturber Ace qui m'a à peine jeté un œil, à fond sur la console qu'il est. J'crois qu'il est rodé pour mes stupidités jusqu'à la fin d'sa vie, le pauvre.

Soit ça, soit il est encore moins frais que moi...

J'opte pour la deuxième option en voyant le regard décomposé qu'il m'envoie après avoir posé sa manette et qu'il s'est enfin tourné vers moi.

J'm'avance lentement pour déposer les sacs sur la table devant lui et j'ose pas le regarder. J'ai les jambes en coton, l'air autour de nous est tellement lourd. Cette sensation, j'la connais bien : c'était la même quand je rentrais de ma journée bouderie-je-vais-me-planquer-chez-Usopp-après-m'être-engueulé-avec-les-parents, à l'époque.

J'redoute tellement ce qui va suivre. Bon sang, j'entends mon sang pulser dans mon crâne et ma nausée me coupe presque l'appétit.

Presque.

J'fixe encore les sacs avec insistance quelques instants, embrassant toute ma lâcheté à corps perdu pour laisser Ace entamer la discussion.

Mais sa réaction n'est pas vraiment celle que j'attends : il pouffe de rire.

J'tourne enfin les yeux vers lui, surpris. Y'a clairement quelque chose de... Désagréable quand nos regards se croisent, mais il continue malgré tout de se pincer les lèvres de rire.

... Il se moque de moi, ou quoi ?

- Qu'est-ce qu'y'a ? balbutié-je difficilement, n'y comprenant rien.

- Je... C'est quoi ce pull ? C'est un pull à maman, non ? me demande-t-il, masquant magnifiquement sa gêne derrière son amusement en demi-teinte.

Ah... ça.

J'le fuis de nouveau, m'accrochant à un point invisible à ma droite. Sa réaction me met encore plus mal autant qu'elle me vexe légèrement. Je sais que j'ai l'air con là-dedans, il est clairement taillé pour une femme et il me moule beaucoup trop, mais c'pas une raison pour se moquer. Si j'ai envie de m'habiller en nana, j'm'habille en nana, d'abord ! Et d'autant plus avec les fringues de Maman, quoi.

... Mais là n'est pas la question. Et j'ai surtout pas pris ce fichu pull pour ça...

Alors, pour être direct et pour m'épargner d'ouvrir la bouche, j'me contente de baisser le col roulé pour lui montrer le joli cadeau qu'il m'a laissé la veille dans mon cou.

Et j'le vois se décomposer sur place.

Bien fait.

Il a l'air dans le même état que moi, maintenant. Le souffle un peu court, le regard fuyant. Il a les yeux qui courent un peu partout devant lui, cherchant sûrement ce qu'il va m'dire...

Et j'ai hâte de savoir ce qu'il va m'dire, maintenant qu'on y est. J'en ai déjà eu un aperçu tout à l'heure, mais quand même : il est vraiment serein sur le fait qu'on va arriver à passer au-dessus d'ce truc aussi facilement... ?

- ... Écoute Lu', on... On était dans un sale état, hier soir. J'ai beaucoup trop fumé, TU as beaucoup trop fumé, surtout pour une première fois, et en plus t'avais picolé derrière... Et... J'sais pas toi, mais moi je... Enfin...

Il se passe une main sur la nuque, cherche encore ses mots... La pièce est tellement saturée par le malaise, c'est juste horrible. Je soupire un bon coup et m'affale par terre, jambes croisées et les mains sur mes genoux, à fixer la table en face de moi les sourcils froncés pour essayer de me calmer un peu.

- ... Perso', continue-t-il en soufflant un bon coup comme s'il allait sortir le pire truc de l'univers, perso'... Ça fait un moment que j'ai pas tiré mon coup. J'sais que ça justifie rien, et surtout pas... Surtout pas avec toi...

On s'regarde pas. Hors de question. Ça serait encore plus horrible. Ace fixe un point droit devant lui alors que j'contemple toujours la table sans la voir, les yeux écarquillés : rien que le fait qu'il me dise ça, mon cerveau débordant d'imagination fait le reste, à mon grand malheur.

Imaginer Ace et moi...

... Ace et moi... En train de...

... Cerveau, arrête ça tout de suite. J't'en supplie. Arrête de m'envoyer ces images.

Et surtout, SURTOUT : ARRÊTE DE TROUVER ÇA TENTANT ET AGRÉABLE, J'T'EN SUPPLIE !

- ... Écoute Lu', c'est pas grave, ok ? Au final, ça aurait pu tomber sur n'importe qui et, manque de bol, c'est tombé sur toi. Enfin sur moi... Enfin, t'as compris...

Il se frotte les cheveux avec hargne dans un geste d'énervement typique. Et moi j'reste planté là, à rien dire. À pas l'aider une seule seconde.

Comment j'pourrais l'aider alors qu'j'suis moi-même en train d'me noyer dans ma propre panique intérieure ?

- ... On dort ensemble tous les jours, continue-t-il en essayant de reprendre contenance, on est tout le temps collés ensemble, c'est... Euh... Enfin... Je suppose que parfois, avec un peu trop de weed dans l'crâne, c'est peut-être... Un peu normal de perdre la limite de vue... ?

... La limite, hein.

La ligne invisible à pas franchir qu'il y a entre deux membres d'une même famille.

... En fait, pourquoi ça existe, ce truc, déjà ? Qu'est-ce qui différencie Ace des autres gars avec qui j'ai déjà couché ?

Le fait qu'on a été élevé par les mêmes parents ? Le fait qu'on ait grandi ensemble... ?

Mais qu'est-ce que ça change, concrètement... ?

- ... Lu' ?

Je sursaute : j'étais parti hyper loin dans mes pensées, la vache. J'divaguais même peut-être un peu trop...

Beaucoup trop.

- O-ouais... Quoi ?

- ... T'en penses quoi ? Ça te va si on passe l'éponge et qu'on en reparle plus ? On va vite oublier... « Ça », et... T'inquiète pas. On est... On est plus forts que ça, pas vrai ?

Nos regards se croisent enfin, et j'ai le souffle coupé de toute la détresse que j'trouve dans les yeux de mon frère.

J'crois... Que je l'ai jamais vu aussi terrifié de toute ma vie.

De quoi il a si peur, au juste ? Qu'on arrive pas à mettre ça derrière nous... ?

... Mais il a raison, on est plus forts que ça. Y'a pas de raison que ça brise quoi que ce soit entre nous, pas vrai ? C'était qu'un simple petit accident...

Maintenant qu'il me le rappelle, moi aussi ça fait un bail que j'ai pas tiré mon coup... La dernière fois, c'était...

... Merde, c'était avec Kidd à la dernière soirée qu'on a fait chez Law... Encore.

'Faut vraiment que j'arrête de m'approcher de cette fichue tête de tulipe insupportable... J'fais cocu Barto' avec lui et j'trouve le moyen d'y retourner après...

Mais bref : autant dire que ça fait un bail. Même si j'suis pas vraiment le genre de gars qui en a tout le temps envie, mais quand même. Ça fait genre... Facilement trois mois ?

P't'être bien qu'on était juste beaucoup trop défoncés et un peu en manque tous les deux hier soir, ouais.

... P't'être bien que ça n'a absolument rien à voir avec les envies bizarres que j'ai envers Ace depuis quelques temps.

P't'être bien...

- ... Ouais, on est plus forts que ça, soufflé-je au bout d'un long moment où j'l'ai vu me fixer avec une appréhension que j'm'en veux un instant d'lui faire subir. Y'a pas... Y'a pas de raison... J'veux dire, t'es Ace. T'es mon grand frère adoré, j'vois pas pourquoi ça changerait quoi que ce soit... !

J'le vois me fixer encore un peu alors que j'essaie de lui offrir un sourire qui doit pas être fameux, et finalement, il baisse les yeux et sort à son tour un pauvre sourire sans joie qui me serre le cœur malgré moi.

- ... Ouais. Toi aussi, t'es mon... Mon petit frère adoré. Y'a pas de raison que ça continue pas comme avant.

J'le vois déglutir avant de continuer.

- ... On est plus forts que ça.

... C'est mon cerveau qui me fait imaginer qu'il paraît déçu.

Il peut pas être déçu par cette décision.

Parce que... S'il est vraiment déçu, alors ça voudrait dire...

Ça voudrait dire quelque chose qui est impossible.

Ça voudrait dire qu'il... Qu'Ace aimerait peut-être... Avec moi... ?

C'est impossible. Pas Ace. Et encore moins avec moi.

Surtout pas avec moi.

Tous les mecs –du moins, ceux que j'soupçonnais être ses mecs-, qu'Ace a pu ramener à la maison jusqu'ici étaient d'un tout autre acabit que moi. Beaucoup plus de charisme et pas du tout dans le même style que moi, j'veux dire.

Et... Et j'sais très bien que ça veut rien dire, mais...

Mais j'suis juste en train d'me faire des films. Je l'sais.

Il me tend la main et j'hésite un instant à la prendre. J'sais pas de quoi j'ai peur. On va quand même pas arrêter d'se toucher parce qu'on a été trop cons pour retenir nos pulsions pendant une simple petite soirée de rien du tout... ?

J'glisse mes doigts entre les siens et il les serre fort. Son regard me brise le cœur. Il le sait très bien, au final. Malgré c'qu'il vient d'dire. Malgré qu'on se soit mis d'accord.

On arrivera pas à passer au-dessus de ça aussi facilement.

.

.

J'aurais dû me jeter par la fenêtre.

Ç'aurait été préférable que de subir ça, j'en suis sûr.

Il y avait certains moments dans ma vie, il y a quelques années, ou ma semi-dépression de merde atteignait tellement des sommets que j'avais parfois l'impression de toucher le fond.

Mais le fond, en réalité, il est là. Maintenant, tout de suite. Maintenant que j'dois subir cette douleur dans la poitrine.

Maintenant que ce foutu faux espoir qui s'est insinué dans mon crâne malgré moi a volé en éclat après que Luffy m'ait rappelé que je ne serais jamais rien de plus que... Son grand-frère adoré.

À quoi je m'attendais, au juste... ? À ce qu'il me tombe dans les bras ? Je l'ai vu venir, pourtant. C'était visible à trois kilomètres qu'il a juste flippé de cette situation insensée.

Et maintenant, en plus de m'être méchamment fait remettre à ma place, je dois subir cette distance inconsciente qui me vrille les boyaux.

On est pourtant à un mètre à peine l'un de l'autre, côte à côte sur le canapé. Si je tends le bras, je pourrais le passer derrière sa nuque et l'attirer vers moi.

Ça serait mentir de dire que j'en crève pas d'envie.

Mais je ne sais plus ce que j'ai le droit de faire ou non, maintenant. Et je sais qu'il est dans le même état que moi. Je sens ses coups d'œil à la volée. Je sens cette putain de tension entre nous, ce foutu malaise qui rend l'air tellement palpable.

J'en ai presque envie de chialer, tiens.

J'aimerais tellement le prendre dans mes bras, le serrer contre moi à nouveau, lui embrasser les cheveux et humer son odeur comme j'aime tellement le faire : continuer à faire tout ce qui me permettait d'avoir ma dose minimum de lui, en somme.

Mais maintenant, je sais que ça risque d'être mal interprété pendant un long, très long moment.

Et à juste titre. Même si je me garderai bien de le lui dire.

- ... J'vais me coucher, annonce-t-il soudainement.

Je jette un œil à la pendule : vingt-deux heures passées à peine... C'est une blague.

Mais est-ce que je peux vraiment lui en vouloir... ? Si j'avais pas autant cette pulsion maladive de vouloir rester près de lui qui me tordait les entrailles, j'aurais déjà fui le champ de bataille depuis longtemps aussi.

Je le regarde partir d'un pas lent vers la chambre en me demandant si je devrais aller le rejoindre dans le lit plus tard ou pas...

Quoi que vu comme c'est parti, vu la surchauffe actuelle de mon cerveau, ce n'est pas certain que j'arrive à dormir cette nuit...

Pour changer.

Il me jette un dernier coup d'œil avant de s'engouffrer dans la chambre et j'ai même le droit à un minuscule sourire et un petit signe de main auquel je réponds mécaniquement.

Trop aimable, frangin...

La porte se referme au loin et je sors l'attirail pour me rouler un joint illico. Je supporte pas ce qu'il se passe, putain. Je sais que c'est ma faute, pourtant. Je sais que je l'ai bien cherché. Il va falloir que j'arrête de me trouver des excuses : j'ai juste saisi la plus belle opportunité de ma vie à bras le corps comme un putain de junkie à qui on offrirait une tonne d'héroïne gratuitement. Si j'avais vraiment eu de la volonté, ce qui est arrivé ne serait jamais arrivé.

On n'en serait pas là, à remettre l'entièreté de notre relation en question, Luffy et moi.

Et malgré tout, malgré cette situation insupportable qui ne serait pas si je n'étais pas aussi atteint et faible, ma putain de matière grise ne peut pas m'empêcher de me rappeler sans cesse que, quand même, merde : c'est Luffy qui a ouvert les hostilités.

Bourré ou non, défoncé ou non, c'est lui qui a commencé à m'embrasser de cette manière dont on embrasse pas un frère. C'est lui qui ne voulait pas me lâcher. C'est lui qui s'agrippait à moi comme un taré pour coller nos corps le plus possible l'un contre l'autre...

Je pouffe de rire derrière mon boze entamé en fixant la télé allumée sans la voir : j'suis vraiment irrécupérable, pas vrai ? Rien que de repenser à ce simple petit échange me donne déjà une gaule pas possible. Rien que d'imaginer un seul instant qu'il pourrait peut-être me vouloir comme moi je le veux me donne envie de le rejoindre illico et de lui arracher ses fringues pour le baiser comme j'ai jamais baisé personne.

J'vais finir par exploser. Luffy va me retrouver un matin noyé dans mon propre foutre et dans les restes de ma cervelle qui aura finalement explosé sous la pression en même temps que ma bite.

C'est pas possible que je finisse autrement maintenant que j'ai découvert cette partie-là de Luffy.

Cette partie-là que les miettes de ma candide petite conscience enfouie très très loin en moi me murmurait qu'elle n'existait pas encore. Que mon tout petit frère était encore le gamin pur et innocent que j'ai laissé aux soins des parents en partant à l'université.

Et pourtant. Il m'a dit qu'il avait déjà été en couple. Et il ne faut pas sortir de Harvard pour comprendre qu'il n'est plus vierge depuis longtemps.

Ses gestes et ses embrassades d'hier soir étaient bien trop précis, bien trop passionnés. Patauds parce que THC dans la tronche et alcool dans le sang, mais d'une précision chirurgicale.

Assez précis pour taper en plein dans mon cœur et ma libido en manque, en tout cas.

Putain... Cerveau, je t'en supplie, arrête de m'envoyer ces images en boucle...

Je m'enfonce dans le canapé et essaie de me focaliser sur le programme, mais au bout d'un quart d'heure, je me rends à l'évidence : c'est ma queue qui l'emporte sur le reste ce soir. Encore une fois.

J'éteins tout pour aller me foutre sous la douche. Je suis tenté d'allumer l'eau froide à fond histoire de me rafraîchir radicalement les idées, mais je sais que ça ne fera que reculer les choses. Ça repoussera simplement le moment où toutes ces images et ce putain de désir reviendront et le retour de bâton sera encore pire.

Autant faire ça à l'ancienne, donc.

Je suis déjà beaucoup trop dur pour être honnête quand je me prends en main pour commencer à m'astiquer. Les soupirs de Luffy résonnent dans mon crâne sans que je ne puisse rien y faire. J'ai l'impression que ses doigts qui s'enfoncent dans ma chair sont toujours accrochés à ma peau comme jamais et que son souffle me chatouille encore le cou, m'arrachant un râle incontrôlable de désir. J'ai envie que ça recommence, bordel. Encore et encore et encore. J'ai envie que nos peaux se rencontrent, se collent pour ne plus se séparer. J'ai envie de fusionner totalement avec lui, qu'il ne soit plus qu'à moi et qu'il ne voit plus que moi...

Je me sens déjà au bord de l'explosion rien que de m'imaginer en lui, en train de gémir sous mes coups de reins. Et je suis tellement en manque que l'imaginer aussi en moi ne me dérange même pas. Au contraire, putain : être pris, je suis pas hyper fan en soi même si j'ai déjà testé plusieurs fois récemment. Mais être pris par Luffy... ?

Réponse claire et concise : je jouis en réprimant du mieux que je peux mon râle de plaisir et le sperme qui glisse entre mes doigts est emmené par l'eau brûlante dans le siphon en quelques secondes à peine.

Je regarde la preuve de ma dépravation se faire la malle en posant brutalement ma tête contre le mur de la baignoire, aussi essoufflé par mon orgasme que par l'eau qui se déverse en torrent sur ma tête et m'obstrue légèrement les voies respiratoires.

C'est pourtant loin d'être la première fois que ça arrive. Me branler en pensant à Luffy, ça m'arrive régulièrement depuis que j'ai compris que je ne le voyais pas comme un grand frère est censé voir son cadet.

Cinq ans, donc... ? Une merde dans le genre ?

Et pourtant, je me sens encore plus mal que d'habitude, à cet instant T.

Encore plus sale. Encore plus pourri. Encore plus malsain.

Un sanglot m'étreint la gorge alors que je le noie dans un rire aussi nerveux qu'amer. Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire de moi, hein... ? Moi et mes névroses. Moi et mon caractère de merde. Moi et mes pensées aussi putrides qu'immorales.

Maman, je suis désolé : il n'y a définitivement rien à sauver chez moi. Malgré tous vos efforts pour me sortir de ma merde. Malgré toutes ces longues discussions tous les trois dans ma chambre, quand Luffy dormait bien profondément à côté. Malgré votre attention, votre patience, votre amour...

Je suis pourri jusqu'à l'os et ça ne changera jamais.

Pas quand ce qui est supposément la plus belle chose en moi est tournée vers la dernière personne à qui je devrais l'offrir.

Pas quand j'ai des pensées aussi crades que persistantes envers mon innocent petit frère que j'ai vu grandir.

Pas quand cette voix pernicieuse me murmure que si ça se trouve, en la jouant bien et fine, je pourrais peut-être faire tomber Luffy dans mes bras...

Je ris encore. Un véritable rire acerbe et sans joie, cette fois. Un rire presque dément, aussi bas et contenu soit-il.

Quelle sorte de putain d'ironie du sort se fout de ma gueule au point de me faire subir la mort de mes parents et de me coller sa responsabilité entre les mains dans la foulée, au juste ? J'ai l'impression qu'un fils de pute là-haut s'amuse juste à me tester pour voir jusqu'où je suis capable d'aller.

Et je sais parfaitement que quand ça concerne Luffy, ça peut aller loin. Beaucoup trop loin.

Je l'aime trop pour rester lucide quand ça le concerne.

Je vis en apnée depuis mes dix ans, complètement noyé sous tout l'amour que j'ai pour lui. Parce qu'autant le désir est venu tard, mais mon amour démesuré pour lui, il est là depuis un bail.

Depuis trop longtemps pour que je puisse me souvenir de ce qu'est la vie sans aimer mon petit frère de tout mon être...

Et je ne suis pas stupide : je sais faire la différence entre l'amour qu'on peut ressentir pour un membre de sa famille et le véritable amour. Parce que j'aimais réellement Makino, comme j'aimais réellement Dragon.

Mais pas autant que j'ai jamais aimé Luffy. Je n'ai jamais aimé personne comme j'aime Luffy. Mon besoin de lui est viscéral, obsessionnel, étouffant. Je me demande même comment j'ai réussi à agir à peu près normalement envers lui durant toute mon adolescence.

En esquivant tout ce qui s'approchait de l'amour et de la sexualité avec lui par exemple, ouais. Parce que je savais que si on commençait à parler de ça, la confiance qu'il a envers moi aurait mis mes défenses à mal. Je suis tellement ravagé et instable dans ma putain de tête que si on avait commencé à parler de branlette ensemble, ma main à couper que j'aurais fini par lui proposer de lui montrer comment on fait...

J'me répugne.

Et j'ai l'impression d'halluciner quand des larmes timides finissent par me brouiller la vue.

... Ça faisait un bail que j'avais pas chialer, tiens. Sur ce sujet, en tout cas.

Qu'est-ce que je raconte... Ces dernières années, il n'y a que ce sujet qui me fait pleurer.

La seule autre fois où je n'ai pas pleuré pour ça, c'était il y a bientôt deux mois : quand j'étais seul face aux corps sans vie de mes deux parents et que je réalisais toute l'ampleur de ce qui était en train de me tomber dessus. Quand je prenais conscience de ma vie en train de s'écrouler complètement.

Et de celle de Luffy que j'allais irrémédiablement finir par foutre en l'air, maintenant qu'il se retrouvait seul avec moi.

Makino et Dragon ne sont plus là pour le protéger de moi.

Il est seul face à moi. Du haut de ses dix-sept petites années, encore si jeune, si innocent et sûrement tellement dépourvu face au monstre totalement névrosé et affamé de lui que je suis.

Je vais finir par le bouffer, je le sais. Rien ne se finit jamais bien avec moi, de toute façon.

Peut-être que cet éloignement physique entre nous est ce qui pouvait lui arriver de mieux, au final...

Même si je ne vais jamais arriver à le supporter...

Je me sèche approximativement après m'être enfin extirpé de la douche et c'est juste avec une serviette ceinturée autour de moi que j'ouvre doucement la porte de sa chambre pour jeter un coup d'œil à l'intérieur.

Il est tranquillement allongé dans le lit, les yeux fermés, mais je sais très bien qu'il ne dort pas.

Je le connais par cœur. Toutes ses habitudes, toutes ses mimiques, tous ses tics.

Je le connais mieux que je ne me connais moi-même.

Parce que s'il y a bien quelque chose que je peux affirmer haut et fort sur moi, c'est que quand j'aime, je ne fais pas semblant.

Et j'aime Luffy. À en crever. Je ferais tout pour lui. Je pourrais me jeter sous les roues d'une bagnole sans hésiter pour lui sauver la vie. Je pourrais m'ouvrir le bide et le regarder baiser mes boyaux avec plaisir s'il me le demandait. Je pourrais tuer pour lui. Je pourrais peut-être même partir loin de lui s'il me le demandait vraiment. Si ça devenait vraiment nécessaire un jour...

Je finirais certainement par me tailler les veines, mais au moins, j'essayerai.

C'est à se demander comment j'ai réussi à vivre loin de lui pendant deux années entières...

Mais je sais comment j'ai fait, au fond : en m'explosant la tête h24, en baisant tout ce qui bouge, en m'accrochant lamentablement à tout ce que je pouvais m'accrocher comme un dément...

Sabo m'a plusieurs fois fait la réflexion qu'il ne m'avait jamais vu autant dans l'autodestruction et le n'importe quoi depuis qu'on avait changé de ville.

Je me demande s'il finira par comprendre, un jour. C'est déjà un miracle qu'il n'ait jamais réussi à percer mon foutu secret jusqu'ici.

... Il n'y a que Marco qui a réussi.

Il n'y a que lui qui sait. Même s'il n'a en réalité qu'une petite et vague idée de l'ampleur de mes sentiments.

Personne ne pourra jamais comprendre leur violence et leur puissance.

Personne ne pourra jamais comprendre à quel point Luffy est tout pour moi.

Il est ma lumière dans les ténèbres. Ma drogue. Mon oxygène. Mon univers entier. Le point central de mon cerveau et de mon cœur.

... Même lui ne pourrait sûrement jamais le comprendre.

- ... Bonne nuit, Lu', chuchoté-je en refermant doucement la porte pour le laisser dormir.

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Bebe Rexha – I can't stop drinking about you

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Bienvenue dans le cerveau d'Ace, mes amis. J'espère avoir réussi un beau mélange entre le malsain/glauque et la beauté/folie de ses sentiments... ?

Mon sadisme n'a toujours aucune limite envers lui. Et ça va pas s'arranger.

On envoie du love aux deux chouchous ?