.
- La question va p't'être vous paraître bizarre, mais... Comment on fait quand on aimerait bien sortir avec quelqu'un mais que c'est pas possible et qu'on voudrait se retirer la personne de la tête, du coup ?
J'ai cinq visages presque choqués qui s'tournent vers moi. Usopp en fait retomber ce qu'il y avait sur sa fourchette dans son Tupperware et j'ai limite l'impression que les oiseaux du parc du lycée ont arrêté de pioupiouter. Pas vraiment étonnant, mais j'aurais peut-être dû la jouer plus fine sur ce coup...
- ... Pardon ?! S'étrangle presque Usopp.
- Tu es amoureux, Luffy ? S'extasie Chopper en couinant.
- Et je suis pas au courant ?! Hurle Nami à son tour en m'attrapant le col pour me secouer. Pourquoi je suis pas au courant ?! C'est qui ?! J'te préviens : je veux TOUT SAVOIR !
J'me laisse balloter, totalement blasé, alors que j'vois le sourire narquois de Sanji qui s'fout littéralement de moi et les sourcils de Zoro qui se froncent bizarrement.
- Ooooh, je sais : c'est Law, annonce fièrement notre rouquine. Hein que c'est Law ?! Il est super bizarre avec toi, je savais que vous alliez finir ensemble à un moment donné !
- Sauf qu'ils sont pas encore ensemble, vu ce qu'il a dit, fait remarquer Usopp.
- Ah oui c'est vrai... Pourquoi tu dis que c'est pas possible que vous sortiez ensemble ?
Mes joues se gonflent toutes seules sous l'agacement : quelle bande de relous, j'en peux plus d'eux.
- Vous pouvez pas juste me répondre au lieu d'me souler avec vos questions ?! J'ai pas envie d'en parler, j'veux juste plus penser à lui !
- Ah, c'est un homme ! Renchérit Nami, triomphante. Avoue que c'est Law, je le sais déjà de toute façon !
- Mais c'est pas Law ! Pourquoi ça serait Law, d'abord ?!
- Parce qu'il en a clairement après ton cul, intervient platement Sanji et j'vois Zoro et Nami acquiescer.
... Hein ? Torao a des vues sur moi... ?
'Même temps, ça m'étonnerait pas plus que ça, en fait. Il a toujours été un peu plus bizarre avec moi qu'avec les autres j'crois, mais j'mettais ça sur le compte de... Euh...
Sur le compte de rien du tout, en fait. J'y avais jamais réfléchi.
- On l'a perdu, note la voix d'Usopp au loin.
- En même temps, si tu commences à le faire réfléchir Sanji, on a pas fini ! S'agace Nami, toujours accrochée à mes fringues. Luffy, ne mets pas en route ton cerveau, tu sais très bien que ça sert à rien ! Dis-nous plutôt qui est cette fameuse personne avant que je te ligote devant un gigot fumant que tu n'aurais pas le droit de manger pour te faire avouer !
J'reviens brutalement à la réalité et la fusille du regard.
- J'vous dirai pas qui c'est !
- Pourquoi ? Tu nous dis toujours tout d'habitude, pourtant...
J'ai un bug devant la bouille super trognonne de Chopper qui me regarde d'un air tout triste. J'ouvre la bouche pour parler avant de capter le regard brillant de Sanji et Nami et j'me ravise aussitôt.
- Maiiiis, Chopper, arrête de m'attendrir !
- Hein ?! J'ai rien fait !
- Bon tu vas cracher le morceau, oui ?! On meurt tous d'impatience ici ! Râle Nami en me secouant de nouveau.
- Naaaaan ! Et si c'est comme ça, j'vous dirai plus jamais rien, bande de rapaces !
- Dis-nous juste si c'est Kidd ou pas, intervient Zoro, hyper sérieux.
Nami s'arrête pour écarquiller les yeux sur moi et j'sens que l'ambiance se refroidit direct. Mes cinq potes me fixent toujours, mais c'est plus du tout la même expression enjouée et curieuse que deux secondes avant : plutôt de la colère avec un soupçon de déception.
... J'les déteste.
- Luffy... C'est pas Kidd, hein ? Surenchérit Sanji sombrement et j'ai définitivement envie de les tuer.
- Non, c'est pas Kidd ! Hurlé-je presque en me dégageant violemment de la prise de Nami. Et même si c'était lui, il est où le souci ?! Ça vous concerne pas, j'vous ferais remarquer ! C'est quoi votre problème avec ça à la fin ?!
- Notre problème, c'est que t'as foutu en l'air ta relation avec Bartolomeo à cause de lui, déjà, me répond platement Zoro.
- Et que c'est un putain de connard que tu devrais pas approcher, rajoute Sanji en mordillant son filtre dans un geste anxieux que j'reconnaîtrais entre mille.
- J'le sais qu'c'est un connard, c'est même moi le premier qui l'ai dit en Seconde, j'vous rappelle !
- Ça t'a quand même pas empêché de te retrouver avec sa bite entre tes cuisses. Deux fois, en plus, claque Nami d'un air dédaigneux.
J'lui lance un regard outré mais j'y crois pas vraiment moi-même.
- Alors, déjà, c'est trois fois, et puis d'abord, j'vois pas le prob-
J'm'arrête net en voyant leurs yeux s'ouvrir en grand.
... Ah ouais, zut. C'est vrai qu'ils étaient pas au courant pour la troisième fois en scréd à la dernière soirée de Law, puisque personne s'est rendu compte de ma petite disparition.
J'suis vraiment un super pro dans l'art de m'enfoncer...
- JE SAVAIS QUE T'ÉTAIS AVEC LUI LE SOIR OÙ T'AS DISPARU CHEZ LAW ! S'étrangle Sanji en se levant du banc qu'ils squattent avec Zoro d'un bond, furibard. ET LE PIRE C'EST QUE JE T'AI RIEN DEMANDÉ PARCE QUE J'AI NAÏVEMENT ESPÉRÉ QUE T'ÉTAIS PAS AUSSI CON QUE ÇA !
- Hey, m'insurgé-je en faisant la moue.
- Hurle pas Sourcil en vrille, on a compris, tempère Zoro en le tirant par la manche pour le forcer à revenir à sa place.
Sanji grogne et se rassoit tout de même en me fusillant du regard. Et j'lui renvoie son dédain avec plaisir.
- Luffy... Tu as raison, on a aucun droit de se mêler de tes histoires de cul, continue calmement Zoro. On veut juste que tu te méfies de Kidd. Je sais de source sûre que ça lui arrive de tremper dans des trucs pas net. Alors, si t'as envie de t'envoyer en l'air avec lui et que ça se passe bien, c'est ton choix... Mais juste... Méfie-toi, c'est tout.
J'me mets à ronchonner dans ma barbe. J'voulais juste leur demander de l'aide pour Ace, moi. Pourquoi c'est parti en pugilat contre Kidd, au juste ?!
- J'suis assez grand pour m'occuper d'moi, merci bien ! grogné-je en croisant furieusement les bras contre mon torse. Et c'est pas parce que j'm'envoie en l'air de temps en temps avec lui que j'risque quelque chose !
- À part ta dignité, ta santé mentale et ton cul ? Non, effectivement, souligne Nami en ricanant, rapidement imitée par Usopp et Sanji.
J'me mets à bouder pour de bon cette fois. C'est pas comme ça que j'trouverais une solution pour le problème Ace, en attendant.
- Vous m'aidez pas, là.
- Je veux bien t'aider, mais il faut que tu nous dises qui c'est, me répond Nami en souriant de toutes ses dents.
J'la fixe d'un air mauvais et j'me dis que j'devrais lui dire pour bon, tiens. Et bien insister sur le fait qu'Ace est sûrement gay, aussi. Ça lui ferait les pieds.
- Il faut que tu laisses du temps au temps, intervient calmement Sanji. Et essaie de rester loin de la personne le plus possible, aussi. Ça aide à penser moins à elle.
- ... M-merci... balbutié-je en blêmissant.
Rester loin d'Ace ? Laissez-moi m'étouffer de rire, au secours.
- ... Tu la côtoies tous les jours, c'est ça ? Rajoute-t-il alors que le sourire vicieux de Nami s'élargit un peu plus.
- C'est tellement Law, j'en peux plus, s'amuse cette chiante de rouquine. Mais pourquoi tu peux pas te mettre avec lui ? Tu peux au moins me dire ça ?
- Nan ! Parce que ! Laisse-moi tranquille !
Qu'elle arrête de m'parler de Law, pitié ! Ça serait tellement plus simple si c'était vraiment lui !
- Ça va aller Luffy, me dit Chopper avec un petit sourire. Dans tous les cas, tu peux compter sur nous si tu as besoin d'en parler, ne l'oublie pas !
Laissez-moi mourir de mignonnerie et de gêne sur le champ. Ce gamin est trop adorable pour ce monde.
J'me jette sur lui pour l'enlacer de toutes mes forces et il se met à hurler et à paniquer. Il se débat mais il peut pas grand-chose contre moi avec ses petits bras, alors j'renforce ma prise sous les rires amusés des autres.
Heureusement que je les ai, aussi chiants soient-ils. J'devrais peut-être passer plus de temps avec eux dehors plutôt que de rester à l'appart avec Ace... ? Mais l'arrivée des vacances de Noël va pas aider pour ça. Surtout qu'entre la préparation du réveillon, du repas, le réveillon en lui-même, le Nouvel An après... Ouais. J'suis un peu condamné à passer mon temps collé à Ace dans les prochaines semaines, quoi.
J'ai même pas envie d'm'en plaindre. Il m'a tellement manqué ces deux dernières années que pouvoir profiter d'lui à fond comme ça est tout ce que je souhaite, au fond. Mais...
Mais ouais. Y'a cette... « Tension sexuelle » entre nous.
J'dis ça, mais j'sais pas si on peut vraiment appeler ça comme ça vu qu'elle est certainement à sens unique... L'incident était y'a maintenant quatre jours et Ace a l'air de se comporter à peu près normalement, à la différence qu'il est beaucoup moins tactile avec moi qu'avant. C'qui est totalement normal, évidemment. Même moi j'ai beaucoup de mal à le toucher comme avant maintenant.
Mais Sanji a raison, j'suppose... Ça fait que quatre jours, après tout. Faut laisser le temps faire son œuvre. Si ça s'trouve, si j'me focus pas trop sur lui et mes envies perverses envers ses fesses, ça finira par partir au bout de quelque temps...
Mais quand je rentre après les cours dans l'après-midi et que j'le retrouve en train de faire le ménage torse-nu, j'me dis que la vie s'acharne vraiment sur moi.
- Yo, me balance-t-il nonchalamment par-dessus son épaule, tout en n'lâchant pas l'aspirateur des mains. Retire tes chaussures, j'veux pas avoir bougé mon cul pour rien !
Je m'exécute tout en prenant bien soin de jeter des petits coups d'œil à la dérobée pour mater allégrement ce dos musclé bien trop sexy pour ce monde, décoré comme il est de ses tatouages qui ne font que l'embellir.
- Tu fais le ménage, maintenant... ? Demandé-je pour essayer de penser à autre chose.
- Ouais, et c'est pas de gaieté de coeur. J'prépare le terrain pour les déco' de Noël. On est un peu à la bourre pour les poser.
Les décorations de Noël, hein... J'aimerais hausser un sourcil et pouffer de rire pour demander qui est ce type et qu'est-ce qu'il a fait de mon frère et de sa haine viscérale pour ce genre de trucs qu'il juge inutiles, mais vu comme Jiji nous bassine depuis des semaines pour qu'on rende ce Noël génial malgré la situation, ça m'étonne qu'à moitié.
- On fait le sapin aujourd'hui, alors ? L'interrogé-je en jetant un œil aux cartons de décos qu'il a apparemment sortis du placard.
Il éteint l'aspirateur pour se faire une pause roulée, qui attendait sagement sur le bord du cendrier.
- Ouaip. Sauf si t'avais un autre truc de prévu ? Genre des devoirs ?
- Des « de-quoi » ?
Il ricane et j'le suis aussitôt.
- Et je sais que t'es un exhibitionniste en puissance, mais on peut savoir pourquoi t'as perdu ton t-shirt ? Tenté-je quand même en prenant mon air le plus décontracté possible.
- Mais parce que ça donne chaud, cette merde !
Il me montre dédaigneusement l'aspirateur et j'peux qu'acquiescer. Ce truc est une antiquité qui crache plus d'air chaud qu'il n'aspire de poussière.
- Bon, bref, claque-t-il en repoussant l'engin du pied. Puisque t'es là, on va pouvoir s'y mettre.
Il tire un grand coup sur sa roulée avant de la déposer et me dépasser pour prendre le premier carton qui passe.
- Par contre, Luffy... entends-je dans mon dos d'un air super froid et sérieux.
J'me retourne, presque effrayé et me demandant sérieusement ce qu'il va m'dire. Il a capté que j'le matais ? Ou alors il a trouvé mon 3/20 que j'ai essayé de planquer dans mon bureau hier soir ?
- L'étoile de Noël... C'est moi qui la mets, souffle-t-il quand nos regards se croisent enfin.
Et j'ai l'impression que la foudre vient d'me tomber sur le nez.
On se toise un instant en silence, lui de toute sa hauteur et moi qui tente de bomber l'torse pour m'donner plus de prestance.
- ... Dans tes rêves, mon pote, finis-je par lâcher sèchement, et je sais que la guerre est déclarée.
.
.
Je vois Luffy qui met toute la délicatesse du monde à placer ses boules sur le sapin et me demande bien ce qu'il peut lui prendre, subitement. Parce que Luffy et délicatesse ne vont pas forcément de pair, en général.
- T'as peur de les casser à ce point ?
- J'sais pas, ouais ! Maman aimait bien ces boules-ci, ça m'ferait mal de les casser comme j'le fais à chaque fichu Noël !
Je me marre dans mon coin, me demandant bien comment c'est possible d'avoir deux mains gauches à ce point.
Mais en attendant, le moment est parfait pour tenter ma feinte qui consiste à subtilement piquer l'étoile de Noël pour la planquer dans un coin. Parce qu'il est hors de question que ce sale gosse ne la mette à ma place !
Qu'on se comprenne : je l'aime à en crever et je ferais tout pour lui. Mais il y a des choses qui ne s'oublient pas et qui ne passent pas. Comme qui mangera la dernière chouquette du paquet ou qui mettra cette putain d'étoile de Noël au sommet du sapin. 'Faut pas oublier que nous sommes frères avant tout, quand même.
Et les frères, ça a des rivalités stupides sur des trucs stupides. Et en particulier nous deux.
Et cette guerre de l'étoile de Noël dure depuis trop longtemps pour que le simple décès de nos parents me pousse à enterrer la hache.
C'est donc tel un parfait pickpocket que je m'empare discrètement de l'objet de notre convoitise pendant que Luffy est concentré sur ses boules colorées. Je la planque dans mon dos et commence à me diriger tranquillement vers le couloir...
- J'vais pisser, annoncé-je l'air de rien.
- Ok, te noie pas dans l'trou !
Un grand sourire victorieux étire mes traits : il ne se doute de rien du tout, cet abruti. Je vais la cacher dans un endroit qu'il n'aura jamais l'idée de fouiller et dès qu'il aura le dos tourné loin du sapin, je la pose et-
Un fracas soudain me fait faire brutalement volte-face : ... je rêve où il est en train de me foncer dessus, là ?!
- ACE ! ENFOIRÉ, RENDS L'ÉTOILE !
Je me fais plaquer au sol la seconde d'après, le souffle bien trop efficacement coupé et le dos fracassé contre le parquet. Il faut vraiment que j'apprenne à me méfier un peu plus de lui et de sa force qui rattrape lentement mais sûrement la mienne...
N'empêche, adieu la tension anxiogène qui régnait entre nous il n'y a même pas encore une heure : pas de quartier maintenant que l'affrontement direct a commencé pour de bon. Je me retrouve à me débattre contre Luffy qui s'est agenouillé au-dessus de moi et qui tente de récupérer l'étoile que je tiens à bout de bras. Heureusement que le mien est un peu plus long que le sien, mais je sais que ça ne durera pas longtemps, alors je prends les devants : une jambe bien placée et j'arrive à le retourner sur le côté comme une crêpe.
Sauf que ce n'est définitivement pas évident de se battre et de se relever avec un bras en moins et Luffy ne perd pas le nord : il ne lâche pas l'objectif de vue et s'agrippe à moi pour mieux l'atteindre. Je l'esquive de peu et le coup de coude réflexe part tout seul dans son visage.
... Oups.
- Ah la vache ! Beugle-t-il en se massant rapidement à l'endroit de l'impact, mais ça ne semble pas démonter sa détermination pour autant.
L'instant d'après, je me retrouve avec un petit frère hargneux accroché à mon dos de toutes ses forces et-
- AÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏE, MAIS T'ES MALADE ?!
Il m'a mordu l'oreille, ce con !
- Rends-moi l'étoile, claque-t-il le menton posé sur mon épaule et toujours agrippé à mon dos. J'ai eu une année difficile, alors j'mérite de la mettre sur l'sapin !
- Parce que moi tu crois qu'j'ai pas eu une année difficile ?! Barre-toi d'là !
J'essaie de remuer dans tous les sens pour qu'il me lâche, mais il s'accroche mieux qu'un koala à son arbre, cette sale teigne. Je tiens toujours l'étoile à bout de bras pour ne pas qu'il l'attrape, mais c'est qu'il commence à peser un peu lourd...
À la guerre comme à la guerre, je fais trois pas en arrière pour le plaquer violemment contre le mur et heureusement, ça fait mouche : il me lâche enfin dans un couinement de douleur. Je veux en profiter pour prendre mes jambes à mon cou, mais voilà qu'il me rentre à son tour dedans et je me mange le mur d'en face en pleine tronche.
O.K. Là, il commence à me chauffer, le mioche.
Je fais volte-face prêt à cogner, mais je crois que je le sous-estime beaucoup trop : mes deux épaules sont plaquées contre le mur l'instant d'après et on se retrouve à se grogner dessus, le visage à moins de dix centimètres de celui de l'autre.
- Ace, fais pas ton enfant et rends-moi l'étoile ! ose-t-il m'ordonner.
- Moi j'fais l'enfant ?! Tu m'as bouffé l'oreille, espèce de taré !
- Tu résistes, j'suis bien obligé d'utiliser mes pires coups bas, ronronne-t-il avec un sourire en coin.
... Merde.
Il faut que j'évite de le regarder dans les yeux, surtout quand il m'offre une expression aussi... Vicieuse ?
Il tient beaucoup trop de moi. J'ai l'impression que c'est de pire en pire. Et ça met bien à mal ma concentration comme il faut, malheureusement... Mon cerveau est repassé en +18 direct avec son visage bien trop près du mien, son souffle chaud et emballé contre ma peau, ses mains brûlantes sur mes épaules nues...
Je l'annonce donc bien haut et pas très fièrement : je n'ai officiellement plus aucun contrôle sur moi-même concernant ce gosse et ce qu'il provoque chez moi. Adieu, la fenêtre me tend les bras.
Je me mets rapidement à fixer un point sur le côté après lui avoir un peu trop louché dessus à mon goût. Je suis certainement passé du tout au tout niveau expression et, évidemment, l'ambiance se refroidit direct...
Au revoir gentille gueguerre fraternelle, rebonjour le malaise.
Je vois le petit frère blêmir sur place et il me lâche les épaules aussitôt. Un silence de mort s'abat entre nous alors que mes yeux balayent frénétiquement le couloir et que Luffy, lui, fixe le sol. J'inspire un grand coup pour me reprendre : j'ai peut-être du mal à contrôler mes réactions quand on est trop proches, mais je garde tout de même la tête assez froide pour tenter de rebondir de manière pas trop dégueulasse, histoire qu'on repasse encore en mode autruche comme on le fait depuis le début de la semaine.
- ... On la joue au shifumi, si ça te va, proposé-je d'une petite voix, sans le regarder pour autant.
Mais il relève la tête vers moi pour m'offrir une de ses bouilles adorables que je devine être un mélange de gêne et de début de connerie.
- ... On a le droit au puits ?
- Nan.
- Alors non : tu vas encore gagner, boude-t-il tout en s'éloignant pour retourner dans le salon.
Je soupire discrètement en me passant une main épuisée dans les cheveux : cette situation est juste... Je ne vais pas aller jusqu'à la qualifier de catastrophique, mais sincèrement, dans ce genre de moment, j'ai l'impression de ne pas être loin. J'arrive de moins en moins à supporter ce malaise entre nous. D'autant plus que l'attitude de Luffy me donne envie de croire que ça le perturbe presque plus que moi...
Je me demande pourquoi. Je me demande bien à quoi il peut réfléchir, dans des moments comme ça... Après tout, il ne m'a pas clairement dit ce qu'il pensait de cette histoire de dérapage...
Dire que je ne suis pas du tout serein à propos de cette histoire serait un mensonge éhonté.
Je retourne dans le salon à mon tour pour fixer mon petit-frère qui est retourné à ses boules en silence.
Et je me fais la réflexion que j'ai rarement eu aussi peur de ma vie.
J'ai une peur bleue de le perdre. Je me chie dessus à l'idée que cet incident n'ait fracturé quelque chose pour de bon entre nous...
Je sens de nouveau ces poids dans ma gorge et dans mon estomac revenir et mes doigts se mettent à trembler légèrement.
Zéro contrôle. Je n'ai plus aucun contrôle de moi-même. C'est fini. J'ai clairement perdu toute l'expérience que j'avais fièrement accumulée tout le long de ces dernières années pour étouffer un minimum tout ce malaise grondant en moi à son propos.
Et... En fait, je crois que ça m'effraie encore plus que de voir Luffy s'éloigner de moi.
J'ai peur des réactions que je pourrais avoir, maintenant que j'ai perdu ce piètre contrôle de moi-même.
- ... Je te laisse la mettre, m'entends-je souffler presque dans un murmure, alors que je suis toujours figé en plein milieu de la pièce comme un abruti.
J'ai le droit à deux billes noires choquées qui se tournent vers moi pour me toiser, mais je me sens incapable d'exprimer autre chose que de l'angoisse, incapable de remuer un doigt, me contentant simplement de le fixer en retour.
Il finit par s'approcher de moi, me lâche enfin des yeux pour regarder l'étoile qui pend dans ma main et me la prends doucement avant de l'observer pensivement.
- ... Tu vas me taper pour la reprendre dès que j'aurais l'dos tourné ? me demande-t-il.
Et je pouffe de rire. Au moins, lui reste lui-même pour désamorcer la tension, volontairement ou non.
- Non... Je suis un grand-frère si horrible pour que tu penses ça ?
- J'crois que t'as oublié tout c'que Sab' et toi m'avez fait subir quand j'étais plus petit, siffle-t-il en me fusillant du regard.
Je ris de nouveau, légèrement. Un peu détendu, mais toujours bien bloqué dans ma peur et ma tristesse.
Autant dire donc que je ne m'y attends pas du tout quand Luffy se met soudainement sur la pointe des pieds et passe ses bras autour de mon cou pour m'enlacer doucement et en silence.
J'ai l'impression de me liquéfier sur place. Je le sens aussi mal à l'aise que moi, aussi mal tout court, même. Et pourtant il prend sur lui pour m'offrir ça, sachant que ça ne fait que rajouter un malaise de plus... Mes bras se referment sur lui et mon corps réagit par pur automatisme en nichant mon nez dans ses cheveux. Je le respire de nouveau comme si j'avais retrouvé mon air. Même si ça n'enlève rien au malaise ambiant.
Au moins, ça a le mérite de me calmer un peu.
Il s'éloigne au bout d'une dizaine de secondes fort appréciables et peine à accrocher mon regard, même s'il m'offre un petit sourire. Il fixe l'étoile et fait aussitôt demi-tour pour la mettre délicatement en place sur la dernière branche du sapin. Et le sourire de fierté et de satisfaction qu'il m'envoie après ça réveille le grand-frère jaloux qui sommeille au fond de moi malgré tout.
Mais bon, je lui dois bien ça : les années où Dragon et Makino n'étaient pas là pour nous empêcher de nous taper dessus pour l'obtenir, c'était toujours moi qui la récupérais et la mettais. Je dois bien avoir deux ou trois Noël d'avance sur lui.
Ce n'est que partie remise pour cette fois.
Et j'en viens soudainement à me demander où on sera tous les deux, l'année prochaine à cette même période...
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J'ai besoin d'une greffe de cerveau je crois. Parce que j'ai beau me le retourner dans tous les putains de sens, je ne comprends pas ce que ça veut dire « réserver ».
Et me voilà vraiment en train de sortir mon portable de ma poche à contrecœur pour demander à mon moteur de recherche comment on peut « réserver » de la bouffe. Quoi, ces putains d'oignons veulent que je leur paye une soirée au resto ?! Je peux déjà pas me payer un McDo pour Luffy et moi sans pleurer des larmes de sang en ce moment, hors de question que je dépense une thune pour qu'ils puissent finir à l'hôtel en train de s'enfiler avec les gousses d'ail !
- … Pourquoi t'es en train d'insulter les oignons ?
Je relève la tête vers Luffy qui vient de débarquer dans la cuisine, la bouche remplie de viande séchée et les sourcils froncés.
- Ça m'soule de cuisiner. Putain ça m'soule tellement, pourquoi j'ai accepté d'faire ce repas à la con, déjà ?!
- Parce que Jiji peut pas et qu'tu fais pas confiance à oncle Shanks, t'as dit.
- ... C'était une question rhétorique Lu'.
- ... C'est quoi une question « éthorique » ?
Je le fixe droit dans les yeux les sourcils haussés et croise les bras sur mon torse.
- ... Comment tu peux faire pour survivre au jour le jour, sérieusement ?
- Pourquoi tu m'dis ça ?!
- Bon t'es venu m'aider ou juste te foutre de ma gueule ?! m'agacé-je de nouveau en l'ignorant.
- Mais qu'est-c't'as le parano ? J'viens juste me prendre un verre de cola !
Et je le vois trottiner comme un prince jusqu'au frigo pour se prendre une canette et repartir l'air de rien vers le salon.
- Fais pas des trucs chelous avec les oignons, j'veux les manger après ! me lance-t-il au loin.
... Je vais le buter.
Mais c'est bon je suis calme, tranquille. En fait j'ai même le cerveau complètement anesthésié et bordel, ça fait du bien. Peut-être que j'ai un peu trop abusé sur la fumette pour me motiver à commencer ma trop longue liste de tâches à faire avant ce soir, mais franchement vu ce qui m'attend aujourd'hui, il valait mieux.
Fêter le réveillon de Noël, sérieusement… Si ça ce n'est pas du masochisme, je ne sais pas ce que c'est. Mais le vieux a tellement insisté et insisté encore que Luffy a finalement capitulé. Oui, Luffy : moi je ne voulais pas. C'était niet. Déjà que je n'ai jamais trop aimé ça depuis que je suis petit, maintenant sans les parents… Quelle putain de torture.
Et surtout tous les deux seuls avec Garp et Shanks… Ça doit faire des années que je n'ai pas vu ces deux-là ensemble -sans compter les funérailles, évidemment. Et dans mes souvenirs, ça se terminait tout le temps en foutu massacre à la tronçonneuse version « poing de l'amour ». Pas qu'ils se détestent, ils ont juste un point de vue sur les choses qui n'a… Absolument rien à voir l'un avec l'autre ?
Et en plus, Shanks, bordel… Le vieux m'a demandé de planquer toutes les bouteilles d'alcool de l'appart, ce que j'ai fait. Mais bon, d'ici à ce qu'il débarque déjà complètement raide, il n'y a pas loin.
… Quoi que s'il pouvait éviter : c'est quand même lui qui conduit le vieux. Je ne comprends d'ailleurs même pas comment il peut toujours avoir son permis.
Je reviens à ma réservation de mes burnes après avoir découvert que c'est juste « les laisser de côté ». Okay. Vous ne pouvez pas juste dire « laisser de côté ces putains d'oignons de merde », donc.
Je jette un œil à mon rôti à côté que je suis censé enfourner dans pas longtemps. Je vais tellement me foirer sur la cuisson… Je n'ai jamais fait des repas un tant soit peu sophistiqués, moi. Makino m'a appris les bases pour survivre quand je suis parti à la fac, pas à faire un repas un peu recherché pour quatre personnes dont un gosse taré qui a un putain de kink avec la bouffe.
... Putain, j'espère que Luffy n'a pas de kink avec la bouffe…
... Et pourquoi je pense à ça moi, pourquoi ?!
Je suis irrécupérable, c'est dingue. Ça n'arrête pas ces derniers jours. Il faut vraiment que je me trouve un plan cul rapidos ou mes couilles vont finir par exploser. Même la weed n'arrive plus à garder ma libido sous contrôle, ces derniers temps...
En même temps… Je sais que je tends un peu le bâton pour me faire battre : il faut vraiment que j'arrête de dormir avec Luffy. Après notre dérapage, je me suis dit que ça serait le bon moment pour abandonner cette sale habitude et réintégrer ma chambre pour de bon, mais... Ouais, il faut que je me rende à l'évidence : déjà que j'ai des sérieux problèmes d'insomnies en temps normal, si je veux essayer de faire une nuit pas trop dégueulasse, je suis maintenant obligé de l'avoir contre moi comme un foutu doudou pour m'aider à m'endormir...
Une putain de drogue, ce gamin…
Et dans tous les cas, je suis soulagé qu'on n'ait pas perdu cette habitude. Le dérapage remonte à une semaine maintenant, et même si ce fut une longue semaine ponctuée de moments très malaisants entre lui et moi, le fait qu'on arrive toujours à se marrer ensemble et qu'il me serve toujours de doudou la nuit me rassure, en un sens. Peut-être qu'on s'est effectivement éloignés comme je le craignais, mais ce n'est vraiment pas grand-chose, dans le fond. Mon cerveau paranoïaque avait craint bien pire que ça.
Qu'il se casse carrément chez un de ses potes jusqu'à ce que la tension retombe, par exemple. Et je jure que si j'avais appris qu'il était parti dormir chez la plante verte pour me fuir, je me serais senti obligé de faire minimum flamber un pâté de maison entier pour me calmer.
- Aaaaaaace ! m'appelle-t-il justement du salon. Shanks vient d'me dire qu'ils vont arriver plus tôt pour te filer un coup d'main pour la bouffe ! Et ils ramènent le dessert !
... Je ne sais pas trop si je dois m'en réjouir ou en pleurer.
- Mais ça leur pète comme ça, d'un coup ? lui demandé-je de la même manière.
- J'pense que c'est parce que j'leur ai dit que t'étais en PLS devant les oignons. Shanks a dit, je cite : « dis-lui de ne pas paniquer, j'arrive ! Et précise-lui que c'est normal qu'il pleure : c'est les hormones ! »
Je l'entends se marrer et c'est officiel : je vais commettre un meurtre ce soir.
C'est qu'à force, j'avais fini par oublier que Shanks pouvait être une pire teigne que Luffy, quand il s'y met. Quelqu'un m'explique pourquoi ce gamin a eu les deux pires professeurs de l'univers, au juste ?
- Et au pire, toi, tu peux pas bouger un peu ton cul au lieu de t'goinfrer devant la télé ?! râlé-je en scrutant le rôti d'un peu plus près comme s'il allait soudainement m'annoncer qu'il accepte de se cuire tout seul.
- Mais c'est toi qui m'a dit de pas approcher de la cuisine !
- On se demande pourquoi... marmonné-je.
Bon. Je ne peux clairement pas compter sur Luffy pour me sortir de là et je vais apparemment devoir attendre la venue de mon oncle aussi alcoolique que célibataire endurci pour sauver le repas de Noël. Et tout ça en ayant la pression du grand-père derrière parce que ce vieux schnock est un putain de perfectionniste quand il s'y met et qu'il a en plus une humeur massacrante depuis qu'il est vissé dans son fauteuil roulant.
... Tout va bien.
Ça va être un Noël mémorable.
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- Michael Jackson – Little Christmas Tree -
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Je les aime boudiou, qu'est-ce qu'ils sont bêtes !
Le chapitre prochain nous apportera Shanks et Garp ! Mon dieu, ça sera la première fois que je les écrirai ! J'espère ne pas me rater !
