.

J'aperçois du coin de l'œil Shanks qui dépose des herbes sur le rôti par poignée entière.

- ... T'es sûr de toi, là ? Y'en a pas un peu trop ?

Il se tourne vers moi pour m'offrir un sourire rayonnant et même un peu crétin, bien digne de lui, quoi.

- Mais non ! Et puis ça donne du goût, l'herbe ! T'es bien placé pour le savoir, non ?

Je pouffe de rire, il me suit sans hésiter.

Et ce type a 41 ans.

- On est que tous les quatre, au pire. C'est pas bien grave si ça foire un peu. T'en fais pas : s'il a un goût horrible, je dirai à ton grand-père que c'est de ta faute.

- ... Enfoiré, lâché-je en haussant les sourcils, choqué.

Il explose de son rire tonitruant et communicatif comme pas possible qui me fait ricaner à mon tour. Et c'est ce moment que choisit Luffy pour débarquer en tirant une tronche de trois kilomètres.

- ... Pourquoi vous vous marrez comme des phoques ? C'est pas juste, moi aussi j'veux m'amuser !

- Désolé Lulu, toi tu es de corvée babysitting d'ancêtre, je te rappelle ! se moque Shanks en lui frottant affectueusement les cheveux.

- Ouais ben justement ! rajoute le petit-frère à mi-voix. Il me soule ! Il arrête pas de me bassiner avec le Bac et que j'suis pas sérieux dans mes études !

- Il a pas tort, noté-je en reprenant ma préparation.

- Il m'a déjà frappé deux fois ! couine-t-il en faisant ses yeux de chiots à l'oncle.

Oncle qui se marre, évidemment.

- Ça te forge le caractère, mon grand ! Ravale ton courage et retourne profiter de ton grand-père, un peu ! Ça lui fait vraiment plaisir de te voir, tu sais ?

Son ton est devenu plus doux et je devine qu'il doit envoyer un de ses regards bienveillants et étouffants d'amour à Luffy, que je vois loucher en se décomposant sur place tout en le fixant.

- Dans la voiture, il m'a confié tout le souci qu'il se fait pour vous deux. Alors retourne avec lui, empêche-le de radoter à la sauce Monkey D. Garp et raconte lui tes journées. Ça lui fera autant de bien à lui qu'à toi, je te le garantie.

Luffy est devenu penaud et il finit par obéir sans rien dire. Je me doute de ce qu'il vient de se passer : Shanks a beau être ce qu'il est, quand il entre dans son rôle d'oncle avec brio de cette manière, il ressemble trait pour trait à sa petite sœur. On s'était déjà tellement fait de fois cette réflexion avec Lu quand on était plus petits...

Ça se confirme quand il se retourne vers moi pour me sourire à mon tour. Le même sourire bienveillant de Makino, mais avec cette petite touche de malice en plus.

Déjà que moi ça me tord le bide, je n'imagine même pas l'état de Luffy.

- Ça m'fait plaisir de te voir... soufflé-je sans vraiment m'en rendre compte.

Son sourire devient un tsunami qui m'engloutit en entier et je me fais frotter la tête avec panache à mon tour.

- Moi aussi, mon grand. Tu n'imagines même pas à quel point.

Ce type... C'est un véritable gâchis. Est-ce qu'on va finir comme ça, moi et mes centaines de névroses... ?

- Halalala... soupire-t-il soudainement. Je me sens tellement vieux en vous voyant tous les deux-là, immenses, de plus en plus baraqués, seuls et indépendants sans adultes derrière vos fesses... Je ne vous ai décidément pas vu grandir, ces dernières années...

J'entends clairement le ressentiment dans sa voix à cette dernière phrase. Et ça me fait bien chier malgré moi.

- T'as pas raté grand-chose, m'empressé-je de le rassurer. On reste deux ados crétins. Surtout moi qui enchaîne connerie sur connerie...

Il me refait un sourire rayonnant et presque fier.

- Mais justement Ace, justement ! Quand ta mère m'appelait pour me raconter les nouvelles conneries que vous lui aviez faites, ça me faisait mourir de rire à chaque fois ! J'avais l'impression de me revoir quand j'étais petit... Les mêmes teignes intenables !

Il rit, mais avec beaucoup moins d'engouement que l'instant d'avant. Et je capte son regard qui se perd dans la cuisine.

... Un regard mortifié qui commence à se remplir de larmes.

Putain. Les boules.

Je ravale ma salive et me met une claque mentale : je n'ai jamais craqué pour Luffy, je ne le ferai pas pour Shanks. Mais je suis quand même choqué de constater que son deuil m'atteint plus que celui de mon petit frère. Sûrement parce qu'il est un adulte, qu'il a vécu ici assez longtemps pour influencer un peu mon éducation, parce qu'il est l'une des rares personnes que j'admire pour sa personnalité...

Et parce qu'il avait la petite sœur la plus merveilleuse du monde. Et que je me mets à sa place, putain.

- C'est dommage que tu n'aies pas eu envie de faire une dinde ! embraye-t-il en se reprenant à son tour, récupérant son éternel sourire malicieux.

Ses yeux humides brillent toujours et je constate qu'il commence à trembler. Même lui à ses limites je suppose, mais j'admire tout de même son self-control. La seule fois où je l'aurais vu craquer de cette manière, c'était aux funérailles et je mets ma main à couper que ça sera la dernière fois que ça arrivera.

Même la gueule fracassée par l'alcool depuis plus de dix ans, il reste lui-même quoi qu'il arrive.

- Une dinde ? lui réponds-je en haussant un sourcil.

- Ouaip. Histoire que je t'apprenne à fourrer correctement !

J'explose d'un rire à moitié consterné. J'oubliais aussi que mon oncle est le roi des beaufs. Au secours.

- T'en fais pas pour moi, je suis rodé sur le sujet... lâché-je avec un sourire presque épuisé.

Et je me rends compte de mon erreur l'instant d'après, quand je me retrouve nez-à-nez avec ce putain de rouquin et son immense regard pétillant bouffé par la curiosité.

- Ah oui ? Raconte tout à Tonton ! Y'a un Monsieur à me présenter dans le coin ?

Je me liquéfie sur place. Il me prend pour un gamin ou pas ?! J'ai du mal à le dire vu le ton ridicule qu'il emploie.

Et dans tous les cas... Qu'est-ce que je n'ai pas envie de parler de ça avec lui, étrangement.

- Qu'est-ce qui te fait croire que c'est un « Monsieur » ? marmonné-je avec un demi-sourire crispé en essayant de me focaliser sur ma préparation pour le fuir.

- Parce que Makino me racontait absolument tout, me répond-il en affichant une rayonnante expression satisfaite.

Je lui jette un œil noir. Je la déteste, elle et sa grande bouche. J'espère qu'elle n'a pas été lui raconter des choses trop horribles... Bordel.

Je roule des yeux en soupirant : au pire, je m'en fous. Les pires choses qu'elle ait pu lui dire, ce sont les rares bruits étranges qu'elle aurait pu entendre quand on avait du mal à rester discrets avec mon plan cul du moment.

- Alors ? insiste-t-il malgré tout.

- Désolé de te décevoir, réponds-je en essayant de rester aussi frais que possible. J'ai personne en ce moment.

- Oh. Même pas quelqu'un que tu as laissé là-bas ? Une rencontre de la fac peut-être ?

Je me fige malgré moi et tape un fixe sur la vaisselle que je viens de mettre dans l'évier.

... Sérieusement. Cette histoire me perturberait plus que ce que je pensais... ?

- Héhéhé, on dirait que j'ai visé juste, s'amuse l'autre rouquin agaçant à côté, mais je vois son regard qui s'adoucit presque aussitôt. Tu veux en parler... ?

- ... Y'a rien à dire.

J'évite de le regarder, parce que ça m'énerve malgré moi. Ça m'énerve de réagir comme ça. Je pensais que cette histoire ne me faisait rien et dans les faits, je n'ai jamais eu de problème de remords ou de manque jusqu'ici.

... À croire que ma première vraie relation à peu près stable m'a plus marqué que ce que je pensais, finalement.

- Ce n'est certainement pas le bon moment... rajoute Shanks, beaucoup plus sérieux. Mais si tu as besoin de parler...

- Non Shanks ! le coupé-je en m'agaçant pour de bon. Quand j'dis qu'y'a rien à dire, c'est qu'y'a rien à dire !

Je soupire et enchaîne plus calmement.

- ... T'inquiète pas pour moi. Je suis parti sans me retourner et j'étais loin d'avoir le moindre sentiment. Je suppose que... Je l'aimais bien malgré tout. C'était un bon gars. Il me manque peut-être en tant que pote à la limite, mais rien de plus.

Il ne me répond rien, son visage soudainement fermé n'exprimant rien de plus qu'une sorte de paternalisme qui m'agacerait immédiatement s'il s'agissait de quelqu'un d'autre.

Mais c'est Shanks.

Et je crois que je respecte et apprécie vraiment cet homme. Au point de me laisser aller à m'ouvrir à lui comme je n'aurais jamais pu le faire avec mon propre père.

- T'en fais pas, rajouté-je avec un sourire en coin. J'vais bien. Vraiment.

- ... Tu en es sûr ?

Mais pas assez néanmoins pour ouvrir les vannes à fond. Je reste quand même Portgas D. Ace, la plus grosse tête à claque entêtée, renfermée et secrète de ce putain de monde.

- Certain.

Il me toise encore un instant et finit par soupirer. Il me dépasse pour se rendre dans le salon l'instant d'après, prenant grand soin de déposer de nouveau sa grosse paluche sur ma tête pour m'ébouriffer les cheveux comme si j'avais encore dix ans.

- ... Je sais que je ne suis pas l'oncle de l'année... murmure-t-il juste avant de passer la porte. Mais si tu as besoin, n'hésite pas. La famille, c'est ce qu'il y a de plus précieux. Et j'espère que tu sais que je serai toujours là pour vous deux.

Je me retrouve alors seul dans la cuisine. Quelques secondes passent.

Je finis par entendre son rire tonitruant qui résonne dans le salon, rapidement imité par Luffy puis le vieux qui leur râle après.

Et je souris sans m'en rendre compte.

Oui, la famille c'est important. Et je sais très bien qu'il sera toujours là pour nous. Qu'à l'heure actuelle, ces deux vieux abrutis fracassés qui se battent dans notre salon sont les personnes qui tiennent le plus à nous dans ce bas monde.

Et je ne les remercierai jamais assez pour ça.

.

L'ambiance est toute autre une heure plus tard et je me tente à enchaîner les verres de vin cul-sec pour avoir une chance de survivre à cette soirée de la mort.

Je jette un œil au verre qui trône fièrement dans la main de Shanks et me dit que l'opération « Ace planque toute la tise de l'appart » était donc un échec total. On a été un peu naïfs de croire qu'il ne ramènerait pas quelques bouteilles de lui-même, je suppose. Bien qu'il a été assez malin pour ne pas les remonter tout de suite en même temps que le vieux.

Le vieux qui est donc en train de péter son câble sur lui.

- Le jour où tu te retrouveras cloué à un foutu lit d'hôpital jaune comme un coing à cause de la cirrhose, tu ne viendras pas te plaindre ! crache-t-il en tapant du poing sur la table, à défaut de la taper sur sa tête rousse.

- Ce jour-là vous serez six pieds sous terre, Garp ! Vous feriez mieux de vous en faire pour votre patte folle que pour mon foie, vous ne croyez pas ?! se marre l'autre de toute sa nonchalance.

- Ce ne sont pas tes airs de gros impertinent qui te sauveront, Shanks ! Tu n'es qu'un idiot qui gâche son potentiel !

- Mais oui mais oui ! J'aurais dû faire flic comme vous, au moins ?

- Bien sûr : je te l'avais proposé à l'époque ! Tu aurais pu éviter de faire toutes les années d'école de police et monter en grade plus vite, grâce à moi ! Imbécile ! Regarde-toi aujourd'hui ! Quel genre d'exemple tu donnes aux gamins ?!

Je hausse un sourcil en me demandant si ces deux vieux tarés ont officieusement remplacé nos parents avec un discours pareil, ce qui me ferait bien marrer. Je croise finalement le regard de Luffy assis en face de moi et je vois bien qu'il me supplie. De quoi, je n'en sais trop rien. Est-ce qu'il pense que j'ai une quelconque autorité sur ces deux-là ?

- Vous radotez Garp. Les garçons n'ont plus besoin d'exemple, ils sont grands maintenant ! La preuve, c'est Ace qui a fait quasiment tout le repas tout seul !

Shanks m'envoie un sourire fier, mais je devine la couille cachée derrière et le fusille du regard. Putain de traître jusqu'au bout. Si le dîner foire, ça va clairement être de ma faute.

- En parlant du repas... intervient Luffy d'une petite voix. J'ai la dalle.

- C'est vrai qu'on a fini les verrines... ! note le roux en observant les verres vides de nourriture dans nos assiettes. Mais c'était pas encore prêt quand t'as été voir, Ace ?

- Nan, encore une dizaine de minutes. Tu vas survivre Lu', je crois en toi.

J'ai du mal à réfréner un immense sourire aussi amusé que moqueur quand sa tête s'effondre littéralement sur la table dans un fracas et qu'il pousse un soupir à fendre l'âme. Le petit enchaînement sur son estomac grondant ne m'étonne pas plus que ça non plus, d'ailleurs.

- Luffy, un peu de tenue ! gronde le vieux. Qu'est-ce que dirait ta mère si elle te voyait affalé comme ça ?!

Le petit frère se pince les lèvres hargneusement et en fronçant les sourcils à cette question que je juge plutôt maladroite, mais vu la tronche du vieux qui se décompose, il se rend compte tout seul de sa connerie. En face de lui, Shanks ferme les yeux pour secouer légèrement la tête de dépit. Bien, très bien.

- Ace, il ne faut pas que tu le laisses se relâcher comme ça ! enchaîne Garp malgré tout sans se dégonfler et en se tournant vers moi. Il est en pleine crise d'adolescence, c'est maintenant que tu dois te montrer ferme !

Je hausse un sourcil et c'est à mon tour de faire la moue : il est en train de me demander d'éduquer mon frère de dix-sept ans, ou je rêve... ?

- C'est comme pour les cours ! Tu l'aides à faire ses devoirs, au moins ?!

- Mais c'est pas vrai ! explose soudainement Luffy, surprenant tout le monde. Tu vas m'lâcher la grappe avec ça, ouais ?! J'ai toujours été nul t'façon ! J'ai continué en Générale pour faire plaisir à Papa, mais en vrai moi j'voulais aller en Pro' ! J'ai pas l'niveau pour la Générale ! J'l'aurais pas quoi qu'il arrive mon fichu Bac !

- Pardon ?! grogne le vieux et je suis déchiré entre l'envie de me planquer sous la table et celle de suivre Garp dans son futur sermon. Tu ne prends même pas la peine d'essayer, foutu garçon feignant que tu es ! Et votre père me disait que tu ne semblais pas si réticent que ça pour continuer en Générale l'été dernier !

- Et puis même Luffy, intervient doucement Shanks. Générale ou Pro, ça ne veut rien dire. Tu pourrais trouver l'un ou l'autre aussi difficile si ça ne te plaît pas. Il faut avant tout que tu saches ce que tu as envie de faire, ou au moins les matières qui t'intéressent.

- Le sport ! répond-il avec enthousiasme, à l'étonnement général.

Je plaisante. Absolument personne n'est étonné.

- Et bien parfait ! Il ne faut pas beaucoup plus pour rentrer dans la police ! s'enjaille immédiatement le vieux et je sens que je vais me cogner la tête contre la table dans pas longtemps à mon tour. Tu peux toujours quitter le lycée cette année si ça ne te convient vraiment pas et rentrer en école de poli-

- MAIS JE VEUX PAS DEVENIR UN POULET ! s'insurge Luffy. C'est trop naze ! Moi j'préférerais gagner de l'argent en faisant du sport !

- Tu voudrais devenir pro ? demande gentiment l'oncle. Dans quel sport ?

- ... J'sais pas.

- Le free-fight, puisque t'en fais en ce moment ? proposé-je en levant un sourcil.

- J'sais pas. J'ai pas réfléchi jusque-là.

Je ricane : il m'épuise. Je l'aime mais il m'épuise. Et à voir la tronche esclaffée de Shanks, on est encore d'accord sur ce coup-là.

- Tu es beaucoup trop nonchalant, Luffy ! C'est pour ça que tu n'arrives à rien dans tes études ! Mais ça ne fonctionne pas comme ça la vie ! Tu dois avoir un minimum de projet ! Et si tu n'en as pas, tu as obligation de terminer ton Bac en attendant de savoir ce que tu veux faire !

- J'ai pas d'obligation ! réplique-t-il et je me magne de remplir mon verre pour me l'enquiller rapidement. Dès que j'aurais mes 18 ans j'ferai ce que j'veux, d'abord ! Si j'ai envie d'arrêter le lycée, j'le ferai !

- Tu n'as pas intérêt Luffy ! s'étrangle le vieux en lui mettant un coup sur le crâne qui me motive encore plus à avaler mon verre cul-sec. Si tu fais ça, j'espère que tu es prêt à au moins quitter le pays, parce que je te jure sur ma vie que je ne te laisserai pas t'en sortir entier !

J'ai envie de passer directement au goulot de la bouteille, putain.

- BAH VAS-Y VIENS M'TUER SI T'EN EST CAPABLE, VIEUX GÂTEUX ! hurle le petit frère en se levant d'un bond de sa chaise, se tenant le crâne les larmes aux yeux. J'AI MÊME PAS PEUR DE TOI D'ABORD ! J'TE FAIS ROULER DANS LES ESCALIERS, TU POURRAS PLUS RIEN FAIRE !

Shanks explose de rire alors que je ricane nerveusement en m'agrippant la tête entre les mains.

D'accord, ça a toujours été plus ou moins comme ça entre le grand-père et nous, mais sans Dragon dans les parages pour calmer le jeu d'entrée, je n'ai aucune idée de comment ça va finir, là. Est-ce que je devrais intervenir ? Un coup d'œil à l'expression extasiée de Shanks face à ces deux cons qui s'aboient dessus alors que le vieux a réussi à chopper Luffy par le col de son t-shirt me confirme que je ne dois pas compter sur lui, sur ce coup-là. Je suppose qu'il est bien trop ravi de voir Luffy à son max' de cette manière.

- TU N'ES QU'UN SALE MÔME MAL ÉLEVÉ, COMME TON PÈRE À L'ÉPOQUE ! L'ÉCOLE DE POLICE TE FERAIT LE PLUS GRAND BIEN POUR TE REDRESSER UN PEU ! JE SORTIRAI DE MA RETRAITE AVEC PLAISIR POUR T'APPRENDRE À FILER DROIT !

- BAH OUAIS MAIS TU PEUX PAS PARCE QUE T'ES TELLEMENT VIEUX QU'ILS VEULENT PLUS D'TOI !

- JE SUIS UN HÉROS NATIONAL MOI, MON PETIT MONSIEUR !

- TU POURRAIS ÊTRE UN HÉROS DE COMICS QUE J'M'EN FOUTRAIS, VIEUX MACHIN ! T'ES JUSTE « SUPER SLIP LE VIEUX CROULANT HAS-BEEN » !

Cette fois je ne tiens plus et j'explose de rire. Ça offre apparemment une super diversion à Luffy pour qu'il se libère de sa prise –puisque j'ai eu le droit à un regard meurtrier du vieux-, et il s'éjecte de la zone du fauteuil roulant pour décamper vers sa chambre en lui hurlant qu'il est « le plus nul de tous les nuls » ou je ne sais pas trop quoi.

J'ai du mal à me concentrer sur ses paroles quand je reçois un poing de l'amour gratuit à mon tour.

- AÏÏÏE, MAIS POURQUOI ?!

- TU RIS DE SES STUPIDITÉS ! Tu ne lui donnes pas l'exemple, Ace !

À mon tour de le fusiller du regard. Parce que s'il commence à me faire les mêmes reproches que sa chère fille, on ne va pas s'entendre, lui et moi.

- C'est pas mon rôle de l'éduquer ! répliqué-je en montrant les crocs. Il a bientôt 18 ans, laisse-le apprendre le reste de la vie tout seul !

- Tu pourrais au moins le pousser dans ses études ! Même toi tu as tenu bon jusqu'au bout pour le Bac ! Mon pauvre Dragon se retournerait dans sa tombe s'il devait abandonner le lycée !

Je laisse ma tête mollement retomber sur mon poing fermé, grognant pour le sport alors que je regarde ailleurs.

- Il parle souvent d'arrêter les cours ? intervient tranquillement Shanks.

- ... Nan. C'est la première fois que je l'entends dire ça.

- Et que ça soit la dernière ! continue de gronder le vieux gâteux. Je refuse qu'il parte en roue libre parce qu'il n'a plus ses parents derrière lui ! Ace, tu dois-

- Ça vaaaa ! l'interrompé-je, agacé. Mais t'es marrant toi aussi ! J'ai été pire que lui toute mon adolescence pour c'qui est de menacer de plaquer les études ! J'vais avoir l'air fin en lui balançant un beau « fais ce que j'dis mais surtout pas ce que j'ai fait » !

- Il y a une manière d'amener les choses... renchérit Shanks, toujours aussi sereinement. Tu pourrais simplement l'accompagner, lui expliquer pourquoi il risque gros et pourrait le regretter en arrêtant les études avant le Bac.

Je lâche un claquement de langue dédaigneux malgré moi.

- Quoi ?! m'interroge Garp en me regardant d'un air mauvais.

- Mon Bac me sert à rien dans le boulot que j'faisais et j'm'en sortais très bien là-dedans... !

- Barman n'est pas un vrai travail ! réplique le vieux et c'est à mon tour d'exploser.

- Et allez ! C'est reparti ! m'exclamé-je en m'enfonçant sur ma chaise en me claquant les mains sur le visage.

Je vois Shanks glousser et se resservir, ce qui me confirme pour de bon que cette soirée était la pire idée de l'univers.

- Avec le niveau physique que tu as, tu pourrais rentrer dans la police facilement toi aussi ! entends-je le vieux radoter pour la millième fois depuis que je le connais. Tu pourrais avoir un travail honorable et bien payé !

- Et si ça m'intéresse pas ? ronronné-je avec un petit sourire de faux-cul.

- Et bien trouve autre chose, mais pas un métier ridicule qui sert tout juste à payer des études ! Regarde le résultat que ça a donné sur ce sac à vin ! crache-t-il en désignant Shanks qui explose de rire.

Il est trop serein pour ce monde, ce type. À sa place, je lui aurais mis une droite pour ça, fauteuil roulant ou pas.

- Votre problème Garp, c'est que vous êtes enfoncé trop loin dans votre entêtement ! s'éclate le roux sans lâcher son sourire et je réalise seulement maintenant qu'il commence à être bourré. Mais vous devriez être fier, vos deux petits-fils ont hérité de ce trait de caractère et vous arrivent même à la cheville !

L'échange dure encore plusieurs minutes durant lesquelles j'interviens juste pour essayer d'aider Shanks à faire fermer son clapet à cette tête de bourrique, mais rien à faire, décidément. C'est hallucinant d'être fermé et borné comme ça.

Le pire, c'est que je sais bien qu'il se fait simplement du souci pour nous. Mais il n'a juste aucun tact et aucune délicatesse. Il est épuisant. Il ne réalise pas à quel point il me donne encore plus envie d'imiter Shanks en me noyant dans l'alcool pour oublier.

Je finis par relever la tête vers la pendule en réalisant qu'avec toutes ces conneries, j'en oubliais presque la bouffe. Je me lève d'un bond pour aller à la cuisine en espérant que ça n'ait pas cramé, et je me stoppe net sur le pas de la porte, figé de stupeur.

- NAN MAIS JE L'CROIS PAS ?! T'AS PAS VRAIMENT FAIS ÇA, ESPÈCE D'IMMONDE SAC À BOUFFE ?!

Et pourtant, les yeux choqués de mon frère sont bien réels, j'en suis sûr. Presque autant que le rôti entier qu'il a dans la bouche et les restes de purée qui lui barbouillent les joues.

- ... C'est pas c'que tu crois... ose-t-il me lâcher en déposant lentement le rôti à moitié entamé de toutes parts dans son plat.

.

.

J'serre les dents et j'me déteste d'avoir les larmes aux yeux, mais c'est plus fort que moi. Je douille sérieusement ma maman. En plus, le regard autoritaire d'Ace sur moi et le rire de ce salaud de Jiji font rien pour m'aider, surtout qu'ce vieux débile me déstabilise au moindre mouvement qu'il fait. J'veux mourir.

- Aaaaaaaaace, c'est bon là non ?! couiné-je en essayant de faire mon regard de chiot, mais j'crois que ça échouera lamentablement quoi qu'je fasse, là.

- On a dit quinze minutes, ça en fait seulement six, lâche-t-il d'un ton hyper froid.

J'me pince les lèvres, chouinant dans ma propre morve. Je sais qu'j'l'ai mérité, mais c'est quand même pas cool. Et en plus, mon stupide cerveau peut pas s'empêcher d'se dire qu'il est un peu sexy comme ça, le regard strict fixé sur moi, me toisant de toute sa hauteur avec les bras croisés sur son torse.

J'déraille pour de bon, c'est fini pour moi. Et mes pensées me déconcentrent assez pour qu'je lâche une exclamation épuisée en manquant de m'écrouler.

- Tiens bon Luffy, ça te fait les abdos ! se marre encore le vieux.

J'devrais tout lâcher juste pour qu'il tombe et s'recasse la hanche, tiens.

C'est vraiment la pire idée de punition que j'ai jamais vu d'ma vie : me le mettre sur l'dos pendant que j'suis obligé de rester en gainage ?! Quel genre de barbares feraient ça, sérieux ?! J'vais vous l'dire moi : ma propre famille de traîtres ! Et après ils osent dire qu'ils tiennent à moi ?! Mensonges ouais !

Shanks revient de la cuisine et explose encore de rire en m'voyant, ce sale type.

- Il tient bien ?

- Y'a encore des progrès à faire, grince Ace avec un sourire mauvais en coin.

Il m'fait peur autant qu'il m'excite quand il fait ce genre de tête, ce débile.

Rhaaa, arrête de penser à ça Luffy !

- Il n'empêche que je serais curieux de connaître ta logique, p'tite tête ! s'exclame Shanks en pliant les genoux pour me faire face. Tu comptais tout boulotter tranquillement en pensant qu'il n'y aurait aucune conséquence ?

- MAIS J'EN SAIS RIEN MOI ! J'AI PAS RÉFLÉCHI, J'AVAIS JUSTE FAIM !

- Magnifique, tu viens de résumer ton existence entière en une seule phrase, lâche platement Ace tandis que l'oncle explose de rire et que l'poing maudit de Jiji s'abat sur ma tête.

- C'est tout de même incroyable d'être comme ça ! commente le vieux. De qui est-ce que tu tiens ça ?! On a pas de morfales pareils dans la famille, pourtant ! Ça doit venir de votre côté, Shanks !

Et lui, il se marre encore et se redresse.

- Vous avez déjà oublié tout ce que vous vous êtes enquillé au mariage de Dragon et Makino ? Parce que moi je m'en souviens bien ! La moitié du buffet y est passé ! La tête que tiraient mes parents n'avait pas de prix !

- C'était à la bonne époque où tu ne t'enquillais pas toi même la moitié du bar, c'est ça ?!

- RHAAAAAA, MAIS FERMEZ-LAAAAAA ! beuglé-je, à bout d'forces. VOUS M'SOULEZ LES DEUX VIEUX NAZES ! ET CHANGE DE DISQUE, JIJI ! T'ES MÉGA LOUUUUUUURD !

- Dans tous les sens du terme ? demande tranquillement Ace avec un nouveau sourire vicieux.

J'me sens partir violemment sur ma gauche alors que j'devine que Jiji a essayé de le frapper, mais le v'là qui manque de s'étaler le nez par terre. Emporté par son élan, j'm'écroule sur le côté en m'étranglant autant de douleur que de soulagement mais me redresse hyper vite pour vérifier qu'il a rien.

Ace a des bons réflexes, tout va bien. Même si Jiji profite qu'il l'ait rattrapé par les bras pour le cogner avec plaisir.

- PUTAIN DE VIEUX TARÉ, J'VAIS TE LÂCHER J'TE PRÉVIENS ! hurle-t-il à son tour et ça m'fait bien marrer, tiens.

- Essaie et tu es un homme mort ! le menace le vieux fou. Repose-moi dans mon fichu fauteuil !

Shanks l'aide dans cette tâche et j'constate que Jiji bougonne encore, le visage super fermé. Ouais, ça doit vraiment le saouler de s'retrouver dans cet état... C'est pas parce qu'il me laisse l'attaquer là-dessus sans trop m'tuer qu'il le vit bien. J'gonfle les joues de dépit, aussi désolé pour lui qu'épuisé de ma punition horrible qui m'vrille les abdos, les jambes et les bras. J'vais m'en rappeler dans les jours qui viennent, de celle-là. J'ai toujours les fesses vissées par terre, j'sens que j'vais jamais pouvoir me relever.

- Bon, sinon rassurez-vous, on s'en sort pas trop mal ! annonce joyeusement Shanks. Ça ne sera pas le grand luxe, mais j'ai lancé du poulet pour remplacer ce pauvre rôti parti trop tôt. Et je ne pense pas qu'il y ait besoin de refaire de purée, ce qu'il reste suffira largement pour nous trois.

- Sérieux ? s'enquit Ace, visiblement rassuré. C'est cool, merci Sha-

- HEY COMMENT ÇA, POUR « NOUS TROIS » ?! atterris-je d'un seul coup, me sentant parfaitement visé. VOUS ALLEZ PAS ME PRIVER DE REPAS QUAND MÊME ?!

- Après ce que tu as fait, ça ne serait que justice pourtant ! me répond Jiji en me fusillant du regard.

- MAIS NON ! VOUS POUVEZ PAS M'FAIRE ÇA ! m'insurgé-je, autant révolté que suppliant. J'AI DÉJÀ EU UNE PUNITION LÀ EN PLUS !

- T'as pas tenu les quinze minutes, note platement Ace en m'offrant la même expression de reproche que l'vieux.

- C'EST LA FAUTE DE JIJI ! ET PUIS MÊME : C'EST NOËL ! VOUS POUVEZ PAS M'FAIRE ÇA !

Ils échangent un regard silencieux et j'leur lâche ma plus belle expression de chiot battu. Ils vont pas vraiment m'faire ça, hein ? J'sais que c'est des traîtres, mais quand même ! J'suis leur petit Luffy tout mignon ! Ils peuvent pas me laisser mourir de faim le jour de Noël !

- ... Je ne sais pas si tu le mérites, Luffy... finit par lâcher Shanks d'un ton désolé et j'me sens trahi comme jamais.

Poignardé en plein cœur, même ! Mon propre oncle ! Mon propre frère adoré et mon crétin de vieux grand-père chiant mais qu'j'aime quand même et qui me refuse pourtant rien, d'habitude !

Mes lèvres commencent à trembler malgré moi, et j'sens mon monde entier qui s'effondre. La crise de panique est pas loin, j'la sens arriver à trois kilomètres.

- T'as bouffé la moitié du rôti ! s'exclame Ace, probablement agacé par ma réaction. Et t'auras quand même tes cadeaux, alors arrête de tirer cette tronche !

- ... J'm'en fiche des cadeaux...

J'ai du mal à retenir mes larmes. Que j'sois obligé de passer Noël en m'faisant engueuler par le vieux, ça passe encore, c'est pas comme si j'avais carrément l'habitude. Mais me priver de manger... ?

J'les entends marmonner entre eux mais j'arrive plus à m'concentrer sur rien.

- Maman me manque... couiné-je malgré moi. Elle vous aurait jamais laissé faire ça, elle au moins...

Un silence de mort tombe, mais j'm'en fiche. J'réponds plus de rien. C'est soit ça ou soit j'pète un câble, de toute manière. Et j'ai pas envie d'me battre avec eux. Ils méritent pas mes coups d'poing. J'devrais juste aller m'réfugier au Sunny pour rejoindre Zoro, Franky, Brook et Robin. Eux au moins, ils me nourriraient !

- Lu'... C'est bon, te mets pas dans cet état-là... On plaisante, bien sûr qu'on va pas te priver de manger...

J'relève la tête sur Ace qui s'est baissé à ma hauteur et me regarde, les yeux bouffés d'inquiétude.

- C-c'est vrai... ? articulé-je, méfiant.

- Mais bien sûr, idiot. Tu as le droit de finir le rôti si tu veux.

- De toute façon il y a sa bave partout dessus, je n'y touche pas personnellement, ricane Shanks derrière.

- Tout le rôti pour moi ? redemandé-je encore, histoire d'être sûr.

- Oui ! s'impatiente Jiji, agacé à son tour. On ne va pas le jeter, alors autant que tu le finisses, sale petit morfale !

J'explose de joie et me relève d'un bond sur mes jambes.

- TROP BIEEEEEEEEEEN ! QU'EST-CE QU'ON ATTEND, ALORS ? ALLEZ À TABLE !

La seconde d'après j'suis sur ma chaise et prépare ma serviette pour c'qui va suivre, bavant déjà sur ce rôti trop bon qui attend qu'moi. Mais j'remarque qu'ils me suivent pas et, qu'au contraire, ils ont pas bougé de leur place et me fusillent encore du regard.

- Bah quoi ? Qu'est-ce que j'ai encore fait ?!

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- Hoobastank - Santa's Coming -

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Ace avait bien prévenu que ça serait un Noël mémorable... Bon sang, quelle famille de timbrés...