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La tension est à son comble. Chaque année j'me dis que j'ai jamais été aussi excité d'toute ma vie, mais j'sais que c'était pire quand j'étais petit. Là, j'arrive à me retenir de pas hurler et de pas courir dans tous les sens en attendant que les paquets que j'veux tellement déchirer en lambeaux finissent entre mes mains.
- Luffy, doucement ! me rabroue Jiji direct. Tu attends Ace et vous les ouvrez en même temps !
J'gonfle des joues d'agacement : pourquoi il tue toujours tout le fun avec ses idées chiantes, celui-là ?!
- Pourquoi j'l'attendrais ?! Il est super lent à chaque fois !
- Je savoure le moment, moi, au moins, répond-il justement à côté d'moi avec un sourire canaille. Mais 'scuse moi Petit frère : j'avais oublié que tu ne connaissais pas la définition de ce mot.
- Savou-quoi ? s'esclaffe Shanks en se marrant comme un phoque. Inconnu au bataillon-Luffy, ça !
- Ça s'mange ? laché-je à mon tour en tirant la langue, et le poing de l'amour s'abat aussi vicieusement que douloureusement sur mon pauvre crâne. AAAAAAAÏÏÏÏÏEUH ! ZUT HEIN !
- Tu as de la chance que ce soit Noël... ronchonne-t-il dans sa barbe avant d'envoyer un signe de tête à Ace.
Oh mon dieu mon dieu mon dieu, c'est l'moment.
Ace se baisse pour observer les quelques cadeaux qui trônent au pied d'notre sapin et en choisit un qu'il m'envoie et que j'réceptionne avec plaisir. J'm'apprête à me jeter dessus, mais j'entends le grognement réprobateur de Jiji derrière moi.
Sale ruineur d'ambiance.
- Non attends Ace, ne prends pas celui-là ! lui demande-t-il en le voyant se choisir un paquet. Ces deux-là sont de moi et je préférerais que vous les ouvriez en même temps !
Son sourire est bizarrement fier et j'le sens moyen. Les cadeaux de Jiji sont souvent catastrophiques de toute façon. J'ai pas trop hâte de voir c'qu'il nous a réservé c't'année.
Ace hausse des épaules en reposant le paquet et en prend un autre. Vu le papier cadeau, ce sont sûrement ceux d'oncle Shanks. J'trépigne tellement mon dieu.
- Allez, dépêche-toi de t'asseoir pour l'ouvrir ! le poussé-je en sautillant sur place.
Il se tourne vers moi pour me dévisager longuement, puis fait un demi-tour vers la table du salon pour récupérer son verre. Et tout ça avec une lenteur juste HORRIBLE.
- AAAAAAAAAAAAAAACEUH !
- Quoi ? J'ai soif.
- Bois de l'eau au lieu du vin, marmonne Jiji. Tu crois que je ne te vois pas faire un concours avec ton crétin d'oncle, depuis tout à l'heure ?
Y'a un furtif échange de regard entre Shanks et mon frère et l'instant d'après, il envoie au vieux l'un des sourires les plus charmeurs et moqueurs que j'ai pu lui voir.
... Erf. Encore en plein dans ma libido en feu en c'moment, c'ui-là.
- Faut bien que j'me rince le gosier pour supporter de t'entendre radoter une soirée entière, raille-t-il en venant reprendre sa place à côté d'moi sur le canapé alors que Jiji hurle au scandale et à la menace du poing d'l'amour.
Mais j'l'ignore complètement, quand bien même c'est sur mon épaule qu'il s'acharne à défaut de pouvoir cogner Ace. J'ai les yeux fixés sur l'paquet entre les mains d'mon frère, plus concentré qu'jamais sur le start-up tant attendu. Mes années de Mario Kart vont payer là, j'le sens.
Il me jette un coup d'œil en coin et j'lui réponds avec une expression super fermée, plus déterminé qu'jamais.
- ... T'es vraiment qu'un gami-
- TU VAS L'OUVRIR TON PAQUET OUI OU NON ?! beuglé-je alors qu'Ace et Shanks explosent de rire et que j'me prends encore un coup du vieux.
Pire Noël de ma vie.
Finalement, le frangin s'attaque ENFIN à son paquet et le mien vole en moins d'temps qu'il faut pour l'dire.
Et mes yeux s'illuminent en voyant cette figurine magnifique de Link de The Legend of Zelda, autant dire l'un de mes personnages de jeux-vidéos préféré de toute ma vie !
- WOOOOOOOOOOOOOH ! IL EST TROP COOOOOOOOOOOL ! COMMENT TU SAVAIS QUE J'ADORE CE JEU, SHANKS ?!
- Tu plaisantes ou quoi ? Tu ne te rappelles pas que c'est moi qui t'ai fait découvrir ces jeux avec mes vieilles cartouches sur Game boy ?
Une vague de souvenirs plus anciens que Jiji affluent en moi et maintenant qu'il l'dit, j'me revois très bien le nez scotché sur une vieille console rétro devant Link's Awakening à taper des cocottes, effectivement. Mais...
- ... J'étais persuadé qu'c'était la console de Maman... marmonné-je les sourcils froncés en essayant de mettre de l'ordre dans mes souvenirs d'enfance.
- Non, c'était la mienne, continue Shanks avec un sourire nostalgique. Makino ne jouait pas beaucoup aux jeux-vidéos quand elle était petite, même si elle aimait bien ça.
J'lève le nez en l'air pour réfléchir, perturbé par cette confusion dans ma tête. J'suis encore jeune pourtant. Si j'perds déjà la mémoire...
- Héhéhé... ricane soudainement Ace à mes côtés et j'reviens à lui et à son propre cadeau. Bien joué Shanks, j'pense que tu pouvais pas taper plus juste !
Je pousse un petit sifflement impressionné comme pour valider les paroles d'mon frangin : un nouveau Zippo tout beau tout neuf, sûrement pour remplacer celui qu'il a perdu le mois dernier. J'lâche un sourire satisfait à mon oncle, parce que c'est vraiment le meilleur.
- Merci Shanks ! m'exclamé-je, aussitôt imité par Ace qui lui demande même un petit check.
- Un briquet... Bonne initiative pour qu'il arrête de fumer ça, tiens... grommelle encore Jiji dans son coin.
- Un commentaire à faire, Monsieur Monkey D. Rabat-joie ? plaisante Shanks et j'peux pas m'empêcher de pouffer de rire.
- Vous me fatiguez ! Ouvrez les cadeaux que je vous ai offert, allez !
- Impatient qu'on soit déçus ? s'amuse encore Ace et j'me reprends un coup gratuit dans l'épaule.
- Nan mais ça va ouais ! lui craché-je avant de revenir à mon frangin. Ace, change de place avec moi ! J'en ai marre d'me prendre des coups à ta place !
- Aloooors, les cadeaux de Jiji... Chantonne-t-il en m'ignorant.
- Aaaaaaace !
Il revient à moi en me lâchant un nouveau sourire à tomber par terre et me tend mon paquet avant d'se rasseoir loin du vieux. Gros relou.
Bon on s'en fout : le cadeau de Jiji. J'avale ma salive malgré moi, redoutant le pire. Ace paraît plus serein, mais j'le soupçonne d'être un peu bourré, aussi. Ça doit aider.
On arrache le papier cadeau ensemble et j'pense qu'on doit à peu près tirer la même tronche quand on découvre le cadeau incroyable d'notre grand-père...
- ... C'est quoi ? réussit à articuler le frangin alors que je bug complètement de déception d'mon côté.
- Ce sont des goodies et des livrets spéciaux sur la fabuleuse carrière de policier ! s'extasie Jiji à ma gauche et j'crois que j'vais lui vomir dessus de dépit.
Shanks explose de rire à s'en rouler par terre tandis qu'Ace sort les différents trucs nazes de la grosse boîte colorée aux couleurs de la police, tirant un porte clé en forme de voiture de flics, un faux carnet pour mettre des PV et... oh.
- Ooooh, un faux flingue et de fausses menottes ! commente-t-il à côté d'moi. T'as pas peur que j'détourne ça d'une autre manière, le vieux ?
Le sourire vicieux qu'il lui fait me met limite mal à l'aise, m'envoyant des images qui n'ont clairement pas leur place dans ma tête à cet instant précis, alors que Jiji commence à lui gueuler dessus bien comme il faut.
Wah, mon innocence vient d'se prendre un coup dans les dents, là. C'est la première fois que j'me mets à penser au sexe pendant un moment aussi niais que l'déballage des cadeaux d'Noël. J'me sens un peu con, surtout à m'imaginer encore des trucs sales qui mettent Ace en scène...
J'me plonge dans l'exploration des différents goodies pour me changer vite fait les idées, esquivant comme j'peux les objets que balance Jiji sur Ace qui se fend la poire. J'finis par trouver des liasses de feuilles et j'fronce les sourcils.
- C'est quoi ça Jiji ?
- Oooh, les formulaires ! s'exclame-t-il, passant du tout au tout en un instant. C'est au cas où vous êtes tentés de vous lancer dans une formation, mais il y a même des demandes de stages, si vous voulez juste découvrir comme ça !
- Vous les lâcherez pas jusqu'au bout, hein... ? l'interroge Shanks avec un sourire fatigué en coin.
- Le métier de policier est l'un des plus honorables qui soit ! se lance Jiji et j'sais d'avance qu'on l'a perdu. Nous sommes au service de la personne, nous veillons à la sécurité d'autrui, nou-
- Ils, le vieux. Toi t'es à la retraite j'te rappelle, le coupe Ace et j'ricane.
Ils repartent dans une phase lancé-esquive et j'préfère pas m'demander plus longtemps d'où est-ce qu'il sort toutes ses armes improvisées. J'dégage son cadeau empoisonné pour en tendre un à l'oncle Shanks, histoire qu'y'ait pas que nous qui profitions, quand même !
- Bonne idée Luffy ! me lance le frangin en renvoyant un coussin dans la tête de Jiji. Tiens le vieux, ouvre un peu les tiens, ça te fera moins radoter !
Il lui envoie un paquet à son tour, avant d'me donner un autre paquet que j'devine venir aussi de Jiji.
- J'suis vraiment obligé d'l'ouvrir... ? demandé-je à voix basse à Ace d'un air penaud, ce qui l'fait rire.
- Garde toi le meilleur pour la fin, me conseille-t-il avec un clin d'œil.
J'lui envoie un petit sourire. J'le trouve super serein ce soir, ça m'fait plaisir. Même si on est une famille de timbrés, ça doit lui faire du bien de se retrouver un peu entre nous, entouré de gens qui comptent vraiment et qui seront toujours là pour nous. Le voir s'marrer avec Shanks me rappelle que j'suis pas le seul qui adore notre oncle à presque vénérer son flegme incroyable. Et que notre grand-père a beau avoir un caractère insupportable, on s'amuse quand même bien avec lui.
J'le vois d'ailleurs enfiler fièrement le béret qu'Ace et moi on lui a dégoté et j'peux pas m'empêcher de sourire comme un idiot en m'disant que j'suis content de mon idée et de mon choix.
Impatient, j'm'attelle à ouvrir le nouveau cadeau de Jiji et j'suis dépité de trouver... Des chaussettes.
- Hahahaha, toi aussi il essaie de t'rhabiller, frangin ?! me claque Ace en me montrant des t-shirt et des chemises d'un goût douteux.
- Je ne sais pas d'où vous tenez vos manies d'exhibitionnistes mais il serait temps de vous couvrir un peu, mes garçons !
- Hey ! Ace j'veux bien, c'est carrément un fétichiste des tétons, mais moi j'm'habille normalement !
- De quoi ?! s'étrangle mon frère.
- Et quand tu te balades en tongs en plein hiver alors que les températures sont négatives ?! insiste Jiji.
J'l'affronte du regard un instant, mauvais, avant d'me mettre à bouder.
- J'fais c'que j'veux d'abord.
- Quand vous nous attraperez une pneumonie, vous ne direz plus ça ! me rabroue le vieux en essayant d'me cogner encore.
- Arrête de m'frappeeeeer ! couiné-je en mettant un bras en protection devant moi. Et tu t'dis flic ?! J'vais appeler tes collègues pour qu'ils t'embarquent, vieux fou !
- Hey Lu', tu veux ouvrir le gros qui est pour toi ou quoi ? me demande mon frère, certainement pour faire cesser la nouvelle bagarre qui commence.
J'me tourne vers lui et zieute les cadeaux restants en repérant le seul vraiment gros. Et mes yeux s'écarquillent : genre il est pour moi ?
Ace me l'passe avec une expression enthousiaste et j'devine que c'est l'sien. Oh. J'me demande ce qu'il a bien pu m'trouver comme idée.
J'arrache le paquet de toute ma hargne et j'me retrouve bloqué entre une excitation sans nom et une certaine perplexité.
- ... Un skateboard... ?
Le sourire en coin qu'il m'envoie est juste magnifique et j'me souviens soudain de l'époque où il en faisait lui-même avec ses potes, quand il avait genre 13/14 ans. J'me souviens d'à quel point j'les enviais quand j'les regardais s'éclater tous ensemble par la fenêtre au pied de l'immeuble pendant que moi j'devais rester tout seul à la maison à m'ennuyer comme un rat mort parce que j'étais « trop petit » pour aller jouer dehors. L'une des plus grosses injustices de ma vie, j'crois.
À cette époque, j'voulais tellement apprendre à faire du skate avec Ace. Mais sa planche était trop grande pour moi et j'me cassais toujours la figure. Au troisième genou en sang, Papa nous avait interdit que j'm'approche de nouveau d'une planche jusqu'à c'que j'sois un peu plus grand pour gérer.
Ça me touche qu'il s'en soit rappelé. Son expression est tellement attendrissante, avec ce p'tit mélange de nervosité et d'impatience. J'ai juste envie de lui sauter dans les bras.
En fait, j'vois pas pourquoi j'me priverai.
J'lui étouffe la tête dans mes bras la seconde d'après, câlin qu'il me rend avec plaisir. Pour la première fois depuis une trop longue semaine, ce câlin-là n'est pas bizarre ni tendu. Et ça m'fait vraiment du bien de le sentir comme ça contre moi.
J'lui murmure un petit « merci », vraiment touché de ce cadeau génial, et il me tarde déjà d'être demain pour aller l'essayer ! J'espère qu'il me donnera des leçons particulières ! On risque de s'éclater comme jamais !
L'ouverture des cadeaux continue jusqu'à ce que Jiji ferme le bal avec une bouteille d'un scotch apparemment hors de prix offert par Shanks. Et sa réaction est aussi chiante que mignonne, vu comme il hésite à s'énerver contre lui ou à juste le remercier.
Finalement, il demande à notre oncle de venir à lui pour le prendre dans ses bras et j'crois qu'Ace est aussi ému que moi face à cette scène. Ils sont mignons, ces deux vieux débiles.
On retourne au dessert, mais c'est le moment que choisit Shanks pour s'enjailler pour de bon, visiblement : il allume la vieille chaîne hifi des parents et commence à nous mettre de la musique et à se dandiner dessus. Et voilà qu'd'affreux souvenirs de soirées qui s'étaient terminées en festival de tubes kitsches des années 80 me reviennent en mémoire et j'crains un max pour la suite. Surtout s'il se met à chanter.
Jiji et moi on essaie de l'ignorer pendant qu'il s'amuse tout seul, le vieux me racontant comme il s'ennuie à la maison de repos. J'veux bien le croire, c'est p't'être d'ailleurs à force de côtoyer d'autres vieux aigris qu'il devient de plus en plus chiant, ces derniers temps. Mais ça fait du bien de parler un peu tranquillement avec lui, pour une fois. Même si ça dure pas longtemps puisqu'Ace débarque dans le salon à son tour en chantant aussi faux qu'fort, rejoignant Shanks juste après avoir déposé les bûches glacées sur la table.
J'crois qu'on les a perdu pour de bon quand ils commencent s'prendre tous les deux pour des rockstars en chantant à donf sur The Final Countdown.
On les observe tous les deux, dépités, et v'là que Jiji se met encore à ronchonner sur l'alcoolisme de Shanks. J'soupire et nous serre rapidement la bûche dans l'espoir d'le faire taire.
- Ton frère file pareil s'il trouve ça intelligent de se mettre une murge le soir de Noël... marmonne-t-il en ne lâchant pas Ace des yeux.
- C'est bon Jiji, il a même pas bu trois verres ! Pi c'est la fête, là ! On est tous ensemble et tout, c'normal qu'il profite un peu !
- Il profite un peu trop à mon goût. Tu crois que je ne suis pas au courant de toutes les fois où il est revenu chez vous en rampant par terre tellement il était soûl ?!
Rien qu'le fait qu'il utilise le mot « soûl » me fatigue. Vieux machin.
- Je m'inquiète pour vous deux aussi à cause de ça tu sais, Luffy...
J'lui envoie un regard interrogateur, me demandant bien c'qui lui prend d'un seul coup d'arborer un air si sérieux. Il lâche enfin Ace du regard pour me faire face, me fixant gravement.
- Ton frère a toujours eu une sacrée tendance à l'autodestruction. Il n'a pas fait toutes ces années avec des psychiatres pour rien... Si ç'avait été moi, jamais je ne lui aurais permis d'arrêter les séances. Il en a besoin pour se stabiliser.
Je hausse les épaules en avalant une bouchée qui m'gèle agréablement le cerveau.
- J'comprends pas trop tous les tenants et ébouriffements de tous ces trucs, moi. Et Ace veut pas qu'on en parle, donc bon...
- Ça ne m'étonne pas. Il est aussi buté qu'un véritable Monkey... grince Jiji en revenant à lui. Tout ce que je veux dire Luffy, c'est que si un jour le comportement d'Ace t'inquiète, il ne faut surtout pas que tu hésites à m'en parler ! Il pourrait t'emporter avec lui dans sa part d'ombre s'il se laissait de nouveau engloutir par elle...
J'fronce les sourcils, largué pour de bon cette fois. J'sais qu'Ace a des côtés bizarres des fois, qu'il cache plein de trucs et qu'il se sent p't'être pas super bien dans sa peau tout le temps, mais au point de parler d'un truc aussi flippant que de « part d'ombre »... ?
Toujours dans l'abus, ce vieux fou.
- Tu flippes juste parce que tu lui fais pas confiance pour prendre soin d'moi, craché-je, à moitié moqueur. Si c'est un plan pour que j'vienne vivre avec toi dès qu'tu sors de la maison de repos, tu t'fourres le doigt dans l'œil jusqu'à l'orteil, vieux machin !
Et bim, un autre poing d'l'amour pour ma tronche.
- Luffy ! Viens danser avec nous ! m'appelle Ace en tendant les bras vers moi.
Et il me met encore un peu K.O. avec son sourire. Sérieux, j'comprends pas c'qu'il se passe ce soir avec ça : c'est moi qui tue les gens avec mes sourires canons d'habitude, pas l'contraire !
J'lui souris en retour, jette un œil à Jiji qui roule des yeux et donne un mouvement de menton dans sa direction comme pour m'inviter à l'abandonner pour y aller. L'instant d'après, j'attrape les mains d'mon frère et on se met à danser stupidement ensemble en s'marrant.
O.K. : il commence à être un peu bourré. Mais j'aime bien l'voir comme ça. Il a l'air plus heureux que jamais, son sourire rayonnant illumine la pièce pour me mettre plein d'étoiles dans les yeux.
Il est plus beau qu'jamais comme ça. Et ça ruine pas mal mes plans qui consistaient à essayer de pas trop l'mater, de pas trop me rappeler comme j'ai du mal à pas le regarder d'une manière que je devrais pas depuis cette fameuse nuit où on a joué d'un peu trop près au collé-serré comme des abrutis.
J'finis par déglutir bruyamment, mal à l'aise à l'idée de galérer à détacher mes yeux de son visage hypnotisant. Alors j'l'attrape contre moi pour enfouir ma tête dans son cou et il m'enlace comme jamais alors que le rythme de notre danse improvisée ralenti d'un coup. Ça a pas l'air de lui déplaire, au contraire. J'le sens me respirer les cheveux, comme d'habitude et j'me surprends à fermer les yeux de bien-être en humant son odeur, en m'imprégnant d'sa chaleur, en sentant son cœur pulser beaucoup trop vite dans sa poitrine.
Et j'ai encore cette pensée vicieuse que dans ces moments-là, j'aimerais qu'il soit pas mon frère.
Rien que pour pouvoir relever les yeux sur lui et pour l'embrasser comme j'ai jamais embrassé personne.
Si ça s'trouve, c'est cette idée que j'ai eu ce soir-là, où j'étais complètement défoncé. La drogue m'a fait brièvement oublier qu'il était mon frère et mon désir de lui a juste pris le dessus.
Parce que ouais... J'le désire. J'suis toujours un peu dans le déni, mais c'est un fichu fait.
J'le désire comme j'ai jamais désiré personne, j'crois...
- Vous êtes mignons comme ça, on croirait presque des petits amoureux ! commente l'oncle à côté alors que j'devine qu'il a mis une grande tape dans l'épaule d'Ace, vu le coup que j'me prends en ricochet.
Et j'suis dégagé de son étreinte dans la foulée, attrapant de peu les yeux noirs un peu paniqués de mon frère qui se tourne vers Shanks.
- N'importe quoi ! C'est un câlin fraternel !
- Bah je sais ! continue-t-il à s'amuser. Je t'accuse de rien mon grand, pourquoi tu t'inquiètes ?!
J'me sens rougir de la tête aux pieds comme un crétin.
Oh y'a rien à s'inquiéter Shanks, t'en fais pas... Juste du fait qu'on a failli se grimper d'ssus y'a même pas une semaine, j'suppose... ?
J'préfère fuir pour revenir aux côtés de Jiji.
Fuir très loin. Très loin d'Ace et des idées tordues qui m'viennent à l'esprit dès que ça l'concerne de trop près.
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- Tu ne vas pas conduire dans cet état ! s'étrangle Jiji en fusillant le frangin du regard.
- Ça fait plus de deux heures que j'ai plus rien bu ! T'inquiète pas, j'suis bien !
- Même, tu as encore de l'alcool dans le sang ! Il est hors de question que tu prennes le volant dans cet état ! Et si tu perdais ton permis ?! Ils contrôlent souvent le soir de Noël, tu devrais le savoir !
- Donc, tu comptes dormir ici ? répond mon frère en croisant les bras, presque autoritaire. Où ça ? Dans mon lit une place ? Dans le lit de feu ton pauvre fils ? Sur le vieux canapé qui est clairement pas assez large pour toi ?
- Mais... ! Je ne sais pas ! Oui, dans le lit de vos parents pourquoi p-...
Il se coupe tout seul à sa phrase, et j'avoue que même moi, l'idée m'donne des sueurs froides.
J'ai pas envie d'voir la moindre personne dormir dans ce lit. Même pas Jiji. Ça m'ferait beaucoup trop bizarre j'crois.
- Voiiiilà, claque Ace. Tu seras mille fois mieux dans ton lit adapté à la maison de repos. En plus, ils vont flipper s'ils te voient pas revenir comme prévu. On est déjà super en retard sur l'horaire...
- Ils ont l'habitude pendant les fêtes... marmonne le vieux.
- Là n'est pas la question. J'rassemble tes affaires...
- Attends ! Il doit y avoir un alcootest dans les coffrets découverte que je vous ai donné ! Je ne pars pas d'ici sans que tu n'ais soufflé dedans.
J'vois Ace rouler des yeux avec lassitude et soupirer bruyamment.
- Si y'a que ça pour te faire plaisir...
D'mon côté, j'soulève la mèche de cheveux rousse de Shanks qui lui recouvre le visage. Il dort comme un bébé dans l'canapé, ronflant comme un moteur à réaction la bouche grande ouverte. En même temps, si Ace garantit qu'il a bu que l'équivalent d'une demi-bouteille de vin maxi, ça veut dire que l'oncle a plus de trois litres d'alcool dans le sang, ce débile.
Ça m'déprime malgré moi, tiens.
- Et lui ? On l'laisse là ? demandé-je.
- Bonne question... Essaie de le réveiller, voir ?
J'le regarde encore dormir quelques instants avant de lui mettre un doigt dans l'nez, juste pour voir si ça fait quelque chose. J'entends Jiji hurler au scandale derrière moi pendant qu'Ace explose de rire, mais la réaction de Shanks est immédiate : il sursaute et se redresse en gémissant, complètement désorienté.
- Yo Sac à vin, se marre encore mon frère. J'te ramène à la maison ou tu préfères pieuter ici ?
- Nan naaaan, c'est bon... marmonne-t-il en essayant de se rasseoir correctement. J'vais r'prendre la bagnole...
- HORS DE QUESTION ! hurle Jiji en nous faisant tous sursauter comme des malades. Tu laisses la voiture ici, Shanks !
Ace ricane de nouveau alors que l'oncle se remet sur ses jambes, titube, rit comme un crétin en voyant mon frère souffler dans l'alcootest et titube de nouveau pour retomber lourdement dans le canapé.
Quelle catastrophe.
- Ooooh, 0,5 tout pile ! s'exclame fièrement Ace en zieutant le résultat entre ses doigts. Magnifique ça.
- Donne-moi ça ! s'étrangle Jiji en lui arrachant des mains.
- Sérieusement ? Tu m'crois même capable de mentir sur un putain de résultat ?
Le vieux observe le petit appareil de long en large d'un œil suspicieux.
- ... Il est cassé, ce machin...
- Ou alors j'ai largement eu le temps de décuver, aussi ?! râle mon frère.
- Avec tout ce que tu t'es bu, je n'y crois pas !
- Je tourne à l'eau depuis deux heures, putain ! Me soule pas alors que t'étais juste trop concentré à insulter Shanks !
- Ooooh ! On m'insulte pas, moi ! réagit soudainement mon oncle alors que j'me suis agenouillé à ses côtés pour le surveiller. J'suis Shanks le Roux, le plus grand tenancier de bar des cinq mers !
Il se relève d'un coup en se mettant à s'étrangler de rire, fait deux pas, se prend les pieds dans le tapis et je remercie nos réflexes, à mon frère et moi, qui lui permettent de ne pas s'effondrer la tête la première dans l'sapin.
- Okay : Luffy ? me lance Ace, étrangement sérieux tout à coup.
- Euh, ouais ?
- Tu gères l'oncle. Assure-toi qu'il descende les trois étages en un seul morceau. Je te rejoins en bas avec le vieux grincheux.
Ledit vieux grincheux râle au surnom pendant que j'tire la grimace. Arf. J'avais oublié qu'on devait logiquement porter Jiji dans les escaliers. Ils l'ont fait à deux avec Shanks à l'aller, j'me demande s'il va réussir à gérer tout seul...
Mais j'lui obéis tout de même, aidant mon oncle pété à remettre ses chaussures, à enfiler son manteau et en rassemblant leurs cadeaux.
- Héhéhé, Luffy... me bafouille Shanks alors qu'on descend maladroitement les marches de l'immeuble, son bras passé autour de mes épaules pour le stabiliser. C'était un sacré Noël, hein... ?
- Ouais... C'était marrant, c'est sûr.
- J'suis content que t'ais aimé mon cadeau... J'suis franchement pas l'oncle de l'année ces derniers temps, mais au moins j'me foire pas là-d'ssus...
J'déglutis légèrement, un peu mal à l'aise qu'il me parle de ça.
- Mais non, dis pas ça... T'es toujours là pour nous, c'est tout c'qui compte.
- Tu parles... À part m'effondrer comme une merde pendant des semaines parce qu'j'me remets pas de la mort de ma p'tite Makino... Au lieu de m'occuper d'vous deux... Je... Vous en aviez besoin et je...
J'ai l'impression que mon monde s'effondre autour de moi en l'entendant commencer à pleurer.
On descend les dernières marches fébrilement et il me lâche pour s'éloigner dehors de quelques pas pressés, même s'il est toujours aussi instable. J'me mords la lèvre pour me retenir de chialer à mon tour, parce que c'est pas l'moment. J'voulais passer un Noël cool, loin de tout ça. Loin de la réalité encore trop vive dans ma tête qu'il manquait deux personnes clés ce soir. Et que mon oncle si fort et si fier devrait être la dernière personne que j'vois pleurer en ce bas monde.
J'ravale difficilement mes sanglots, passe un revers de main rageur sur mes yeux mouillés. J'entends même pas mon oncle revenir vers moi et me prendre soudainement dans ses bras, me serrant contre lui de toutes ses forces.
- Pardon Luffy, pardon... J'aurais pas dû dire ça... N'y pense pas, on devrait juste... Juste profiter les uns des autres et...
Il contient difficilement ses pleurs lui aussi, mais on est vite interrompus par Ace qui arrive avec Jiji sur le dos derrière moi. Shanks relève la tête et s'élance subitement, et j'ai à peine le temps d'me retourner que j'vois qu'il stabilise Ace qui se retient difficilement à la rampe, suant comme un bœuf.
- C'est bon c'est bon, t'inquiète je gère... !
- Je croyais que tu avais plus de muscles que ça... raille Jiji dans son dos.
- La ferme le vieux ! Tu pèses ton poids, j'te rappelle !
- J'confirme, sifflé-je en me forçant à sourire pour reprendre contenance.
Ace le dépose délicatement sur les petites marches du perron avec l'aide de Shanks. Il paraît avoir légèrement décuvé d'un coup, mais en tout cas il tire la tronche. P't'être qu'il s'en veut de ce qu'il vient d'me dire...
- J'redescends le fauteuil, j'arrive, nous signale Ace en faisant demi-tour.
On s'retrouve tous les trois dans le silence et le froid de l'hiver, ce que me fait rapidement rappeler Jiji en m'engueulant parce que j'suis en t-shirt.
- C'est booon, j'remonte juste après...
- Si tu tombes malade... me menace-t-il en levant le poing et j'm'éloigne vivement par réflexe.
Pendant ce temps, Shanks se tient quelques mètres plus loin, les mains dans les poches et les yeux fermés. Il prend de grandes inspirations concentrées, certainement pour se calmer. J'ai du mal à m'empêcher de pas l'observer. Il paraît si sage et si serein comme ça, alors que j'sais que c'est pas du tout l'cas, en réalité. Du moins, dans ces moments-là...
Au final, qu'est-ce qu'il pourrait faire de plus pour nous... ? Venir vivre avec nous ? Alcoolique ou pas, ça serait le dawa. J'suis sûr qu'il finirait par s'engueuler régulièrement avec Ace, à la longue. Et il supporterait peut-être pas de vivre dans l'appartement de sa défunte sœur...
Ace a raison : je sais pas comment j'fais pour supporter de rester dans cette appart'. Mais d'un autre côté, ça me ferait trop mal de déménager. Cette maison, c'est la mienne. C'était la nôtre, à tous les quatre. Les souvenirs qu'elle renferme me font peut-être un peu mal des fois, mais dans l'ensemble, ils me font aussi beaucoup d'bien. Ils me rappellent des souvenirs géniaux dans lesquels j'ai juste envie d'me noyer, de temps en temps. Juste pour être certain de pas oublier ces traces de Papa et Maman à jamais présents en moi.
- C'est reparti pour le tour de manège, le vieux ! s'exclame mon frère en arrivant derrière nous en déposant brusquement le fauteuil à côté de Jiji.
Cette fois, je l'aide à le remettre dedans jusqu'à sa voiture où on refait la même manipulation pour l'aider à s'installer sur le siège avant. J'suis tout de même rassuré qu'il m'ait dit que les médecins lui ont annoncé que si ça continuait comme ça, il allait bientôt pouvoir reposer la jambe et s'aider d'une simple béquille pour marcher. Que cette galère s'arrête enfin pour lui. Je sais qu'ça l'rend fou. Ça se voit dans ses yeux dès qu'on le manipule pour l'aider à bouger.
Il est comme Papa après tout : il déteste qu'on l'aide. Il déteste devoir dépendre de quelqu'un.
J'me demande comment il se retient de pas exploser... À sa place, j'serais devenu dingue depuis longtemps.
- Luffy, prends soin de toi, me lance-t-il en m'attrapant le bras pour me retenir alors que j'allais refermer la portière sur lui. N'hésite pas à m'appeler s'il y a quoi que ce soit.
J'vois ses yeux glisser furtivement sur Ace et ça m'agace malgré moi.
De quoi il a si peur, au juste... ?
- T'inquiète pas Jiji... Rentre te reposer, plutôt. Promets-moi qu'la prochaine fois qu'on s'voit, t'auras jarté c'fauteuil naze.
Il me lance un sourire carnassier avant de me taper affectueusement le bras.
- C'est promis, mon bonhomme.
J'lui renvoie son sourire avant d'aller serrer l'oncle dans mes bras à son tour. On se dit au-revoir et j'ouvre la portière du côté d'Ace, alors qu'il a déjà démarré le moteur.
- Fais attention... S'il te plaît, articulé-je d'une voix blanche.
Il me fixe un instant, l'air grave.
- ... T'inquiète pas.
Sa main chaude passe sur ma joue et il m'envoie un sourire rassurant. J'devrais pas flipper, pourtant...
Mais c'est plus fort que moi.
Toute ma famille est dans cette fichue voiture... S'ils leur arrivent quelque chose...
Ne pas penser à ça. Ne pas penser à ça.
C'est Noël, après tout...
Un Noël trop cool, en plus.
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Machine Gun Kelly, X Ambassadors & Bebe Rexha – Home
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WAH. ENFIN. Enfin ce « mini arc Noël » est fini ! \o/
J'espère qu'il vous a plu ! Il devait pas être aussi long à l'origine, mais je me suis sentie obligée de rallonger les scènes avec Garp et Shanks. Parce qu'ils sont juste trop drôles et chous tous les deux, avec les frangins. Et qu'on va peut-être pas les revoir avant un bon moment... Donc autant bien en profiter !
J'ai quand même grand hâte d'être à dans deux semaines... Et je sais que vous aussi, même si vous l'ignorez encore ! :D
Merci à Loup et Peri pour les idées cadeaux !
(Ah et petite précision : je n'y connais pas grand-chose au fonctionnement des maisons de repos, mais j'ai bien conscience que jamais ils n'accepteraient de reprendre un résident si tard le soir... ! Les joies de la fiction où on peut modifier la réalité quand ça nous arrange, je l'avoue sans honte !)
Des bisous !
