Bonjour !

On se retrouve pour le deuxième chapitre, qui comporte pas mal de nouvelles informations à vous mettre sous la dent.

Le début a semblé vous intrigué, j'espère que vous continuerez à accrocher.

Enjoy !


CHAPITRE DEUX

I

Aomine avait eu l'estomac noué toute la journée, depuis qu'il avait vu cet article de presse en buvant son café au bureau. Il n'avait eu le temps que de lire le titre et le chapeau de l'article quand le téléphone avait sonné, l'informant d'un accident de la route à quelques kilomètres au nord de Dandridge. Il avait pris ses affaires et rejoint Mallory dans la voiture, la tête ailleurs. Ce qu'il avait lu dans le journal ne donnait que très peu d'informations, en dehors de cette constatation glaciale : personne ne savait où était Ryota. Ni son agent, ni l'équipe avec laquelle il travaillait à Los Angeles, ni… Ses amis ? Dès qu'il avait eu une minute de libre, Aomine s'était empressé d'envoyer des messages à tous les amis qu'ils avaient en commun. Et alors qu'il inspectait son téléphone ce soir, de retour à la maison, il ne découvrait que des dénégations hébétées et des questions inquiètes. Des questions auxquelles il ne pouvait pas répondre.

L'article sur Internet leur apprit que Ryota avait été vu pour la dernière fois à une soirée arrosée, dont tous les participants avaient été interrogés. Aucune interpellation. Le lendemain, Ryota ne s'était pas présenté sur le plateau de tournage où il jouait dans le clip promotionnel d'un groupe de musique. Il s'avéra que sa chambre d'hôtel était vide, à l'exception des affaires du mannequin, qui s'y trouvaient toujours. Rien ne semblait avoir été dérangé, et apparemment, Ryota n'avait pas dormi dans son lit. On ne retrouva ni son portefeuille ni son téléphone, et on présuma qu'il les avait sur lui lors de cette soirée. Tout semblait indiquer qu'il s'était volatilisé sur le chemin entre la maison de l'hôte de la soirée et sa chambre d'hôtel, quelques jours auparavant. En effet, la disparition avait été signalée le jour même, mais l'information venait seulement de fuiter dans la presse. Et pour le moment, on n'en savait pas plus. La police n'écartait « aucune piste », mais Aomine savait que faute d'en écarter, elle en privilégiait sûrement certaines. Et il avait bien de découvrir lesquelles.

« Je vais appeler Lopez », déclara-t-il tandis que Kagami finissait de lire l'article.

Le rouge releva la tête, l'inquiétude rivée au fond de ses yeux rubis.

« Tu crois qu'elle sait un truc ? C'est pas sa juridiction…

— Même si elle sait rien, elle peut me donner de bons tuyaux », dit Aomine en se levant, tandis qu'il composait le numéro privé de son ancienne supérieure.

La voix sèche et rocailleuse de Lucinda Lopez lui répondit au bout de deux sonneries. Même s'il lui reprochait quotidiennement – autant par jeu que par réelle préoccupation – de s'enfiler deux paquets de Marlboro par jour, Aomine avait toujours trouvé rassurant le timbre grave de sa voix. Lucinda l'avait accueilli comme l'un des siens dès le premier jour, se fichant bien de son accent étranger et de son manque d'expérience. Grâce à elle, il avait rapidement trouvé ses marques au sein de la LAPD, et vite relégué au placard ses hésitations de débutant.

« Ouais, Daiki, tu veux quoi ? » demanda-t-elle avec sa brusquerie habituelle.

Il n'en prit pas ombrage, il la connaissait bien et il appréciait son côté droit au but.

« L'affaire Ryota Kise, expliqua-t-il. Tu as quelque chose là-dessus ?

— Pourquoi tu demandes ? fit-elle, son intérêt piqué.

— C'est un ami… lâcha Aomine d'une voix étouffée.

— Vraiment ? Ben ça… Je savais pas que tu connaissais des stars.

— Pour moi c'est pas une star, grogna Aomine. Je le connais depuis plus de vingt ans. »

Il y eut un petit silence au bout du fil, tenant Aomine dans un suspense insoutenable tandis qu'il s'efforçait de ne pas insister. Lucinda prenait le temps qu'il lui fallait, un point c'est tout. Si vous la pressiez, ses remontrances acides étaient capables d'arracher des larmes à des gars qui s'étaient battus avec des chefs de gang ou interrompu un braquage à main armée sans sourciller. Non que Lucinda, contrairement à la plupart de ses collègues masculins, considère les pleurs comme une faiblesse. Aomine l'avait d'ailleurs déjà entendue craquer à travers la porte close de son bureau. Toujours était-il qu'il n'avait pas envie de pleurer dans l'immédiat, la situation était déjà assez dure comme ça – aussi, il patienta sagement.

« Comme tu t'en doutes, je m'occupe pas de cette affaire, déclara finalement Lucinda. Mais je connais le gars qui est dessus.

— Tu lui fais confiance ?

— Non. C'est un salaud. Mais je sais comment le prendre. »

Aomine hocha la tête, seulement à moitié rassuré. Il espéra que le « salaud » était au moins compétent.

« Je te rappelle dès que j'en sais plus, ok ? » reprit Lucinda.

Aomine la remercia, et raccrocha. Il se tourna vers Kagami, qui attendait dans le canapé en le regardant d'un air interrogateur.

« Elle sait rien pour l'instant, mais elle va se renseigner », expliqua le brun en se rasseyant, attrapant son sandwich pour le mâchonner mécaniquement.

Kagami garda le silence quelques instants, sourcils froncés dans la réflexion, avant de demander :

« Y a peu d'éléments, mais là tout de suite, toi, tu penses à quoi ? »

Aomine reposa son sandwich et fit passer ce qu'il venait d'avaler avec une gorgée de bière. Il avait faim sans avoir faim, car la journée avait été longue et énergivore, mais l'inquiétude lui faisait des nœuds à l'estomac.

Depuis le début, Kagami et lui s'étaient parlé ouvertement de leur travail respectif. Ils savaient qu'ils auraient besoin de relâcher la pression, et communiquer verbalement sur ce sujet en faisait partie. Et comme ils travaillaient dans des branches qui comportaient un certain nombre de points communs, quand ils en discutaient, ils n'omettaient pas nécessairement les détails qu'ils auraient tus devant leurs proches.

« Je pense… soit à une agression, pour le fric par exemple, soit… un enlèvement, pour la même raison, probablement. Un accident… L'article ne dit pas comment Ryota est rentré chez lui, mais il précise que la soirée était alcoolisée. Voire plus…. J'en sais rien. Tu sais comme moi que si jamais ça impliquait de la drogue… Bref. Ça reste à voir. Mais bon, ce qui me gêne avec la piste accidentelle, évidemment, c'est qu'on aurait retrouvé quelque chose… Là, y a rien. Officiellement, en tout cas. »

Aomine se passa une main sur le visage. Un sentiment familier avait commencé à remplacer les nœuds à l'estomac. C'était comme une palpitation dans ses entrailles, un poids sur la poitrine.

La peur.

« Ok… Autre chose ? » demanda Kagami doucement, le tirant du maëlstrom d'émotions qui commençait à le tirer là en bas, dans le noir… Aomine se ressaisit et répondit sans regarder son compagnon :

« Tu sais comment c'est dans ces cas-là. Peut-être qu'il a disparu de son propre chef, peut-être… qu'il a mis fin à ses jours… »

Quelque chose d'autre s'ajouta à la peur, tordant son ventre et affolant son cœur.

La culpabilité.

D'habitude, même avec peu d'éléments, Aomine avait toujours une sorte d'instinct qui le poussait à explorer en priorité une ou plusieurs pistes. Son flair de flic, comme disait Kagami. Seulement, dans le cas présent, son esprit tournait à vide, rempli de points d'interrogations. Il n'avait eu que peu de contacts avec Kise depuis quelques années, et de ce fait, il ne savait pas vraiment ce qui se passait dans la vie de son ami, ni même… s'il allait bien. D'où cette culpabilité qui montait comme la nuit dans les montagnes, en partant des racines pour remonter jusqu'aux sommets.

Il sursauta presque lorsque la main de Kagami se posa sur son épaule.

« Attendons que Lopez te rappelle. Pour l'instant, on est dans le noir. »

Dans le noir… Aomine ferma les yeux quelques instants, et déglutit, reprenant ensuite une longue inspiration maîtrisée, avant d'expirer peu à peu. Ce n'était pas le moment de vriller.

« Je vais découvrir ce qui lui est arrivé, affirma-t-il dans un murmure, avec plus d'assurance qu'il n'en éprouvait vraiment.

On va découvrir ce qui lui est arrivé », le corrigea Kagami.

Aomine rouvrit les yeux et regarda son compagnon, la lumière retrouvant son chemin et dissipant la noirceur en lui. Un faible sourire se peignit sur ses lèvres, et il hocha la tête. Ensemble. Comme toujours.

II

Plus tard dans la soirée, Aomine sirotait un verre de bourbon sur la terrasse couverte à l'arrière de la maison, qui donnait sur le jardin descendant en pente douce vers le lac. Il contemplait les lumières de la ville et de la lune mêler leurs reflets sur les eaux placides, tremblant à peine à présent que le vent était tombé. Dans les ténèbres, les hiboux se lançaient de mystérieux appels, tandis que les grillons stridulaient dans une sereine monotonie. Au-delà du lac, les montagnes se dressaient, noires, menaçantes, mangeant une partie des étoiles dans le ciel. Aomine se balançait légèrement sur son rocking chair, plongé dans ses pensées.

Il ne cessait de retourner dans sa tête le peu d'information dont il disposait sur la… disparition de Ryota. Il avait encore du mal à appréhender la réalité de ces mots. À Los Angeles, il avait eu son lot d'enquêtes sur des disparitions, et il avait déjà imaginé ce qui se produirait si ça arrivait à Kagami, mais c'était comme un fantasme morbide, une rêverie éveillée, un jeu de l'esprit auquel on se prête sans réellement l'envisager. Mais à présent, il devait affronter cette réalité, et au-delà de la peur, de la culpabilité, il éprouvait le besoin viscéral de savoir. Il était encore tôt dans l'enquête, alors il essayait de se convaincre que les chances de retrouver Kise en vie étaient bonnes… Mais la réalité, c'était qu'il n'en savait rien du tout. Il avait l'impression de s'enfoncer doucement dans un cauchemar dont il se réveillerait bientôt. Ça paraissait juste… trop gros pour être vrai. Tout ça était un malentendu malheureux, sûrement.

Mais la sonnerie de son portable lui rappela qu'il n'en était rien. Il se raidit en voyant le nom de Lopez s'afficher sur l'écran, et décrocha sans attendre.

« Salut. T'as quelque chose ?

— J'ai eu Brownson au téléphone. Je suis désolée, Daiki… Ils ont pas grand-chose. Pour l'instant, ils privilégient la piste criminelle. Quelqu'un en voudrait à son argent, ou… il pourrait s'agir d'un fan un peu trop inconditionnel. »

Un frisson parcourut l'échine du brun à ces mots.

« Ils ont des indices dans ce sens, ou ?...

— Pas pour l'instant. Ils creusent cette piste, c'est tout. Ils pensent qu'un acte malveillant pour des motifs pécuniers est plus crédible, parce qu'a priori, rien n'indique dans les prémices de l'enquête que ton ami avait des ennuis. Officiellement, c'est une enquête pour enlèvement et séquestration. »

Cette déclaration fit hausser un sourcil à Aomine. Généralement, on menait une enquête sous cette dénomination quand…

« Quelqu'un a porté plainte ? demanda-t-il.

— Oui. Un certain Seijuro Akashi. Encore un de tes amis ? »

Aomine déglutit. Lui non plus, il ne l'avait pas vu depuis quelques années… Mais il n'avait pas tardé à porter plainte, et probablement mis la pression aux services de police pour que la LAPD prenne ça autant au sérieux, s'agissant d'un ressortissant étranger, aussi célèbre soit-il au Japon. Il supposa donc qu'Akashi et Kise, eux, n'avaient pas perdu contact pendant ce laps de temps. Et soudain, ça le frappa : il n'avait pas encore reçu de réponse d'Akashi à son message demandant ce qu'il savait de l'affaire… Mais, fatigué et désorienté, il n'y avait pas prêté attention sur le moment. Si Akashi avait déjà porté plainte, pourquoi est-ce qu'il n'avait rien dit ?!

Lopez, qui prit son silence comme un acquiescement, ajouta :

« Alors tu devrais prendre contact avec lui. Il pourra peut-être t'éclairer sur un ou deux points. En attendant, j'ai dit à Brownson que je voulais filer un coup de main. Et que toi aussi tu pourrais aider vu que tu connais la victime. Attends-toi à recevoir un coup de fil de Brownson sous peu. »

Aomine digéra ces informations et demanda ensuite :

« Est-ce qu'ils ont écarté la piste accidentelle ?

— Non, mais le fait est qu'ils n'ont trouvé aucune carcasse de voiture qui correspondrait, et les hôpitaux n'ont rien donné non plus.

— Je vois…

— Daiki, tu ferais mieux d'aller te reposer. Il n'y a rien que tu puisses faire pour l'instant. »

Il lâcha un rire sarcastique. Combien de fois avait-il lui-même prononcé cette phrase à l'intention de proches en détresse ? Et pourtant, il savait qu'elle avait raison. Il ne pouvait rien faire. Une colère sourde se mit soudain à rougeoyer dans ses entrailles, une colère qu'il croyait avoir enfouie dans la tranquillité de la petite ville de Dandridge. Il finit son bourbon cul sec.

« Daiki ?

— Ouais… T'as raison. On se tient au courant, okay ?

— Évidemment. C'est pas parce que t'es devenu un péquenaud que je t'ai oublié, le bleu. »

Cette déclaration, cette fois, lui arracha un vrai rire.

« Merci, Lopez. Toujours un plaisir.

— La même. Allez, hasta luego.

— Hasta luego », répondit-il par automatisme.

Aomine s'empressa d'aller rapporter le contenu de la conversation à Kagami, qui tentait de s'intéresser à un film à la télévision. Il se montra tout aussi ébahi que lui par l'apparition d'Akashi dans l'histoire. Et il le pressa de l'appeler immédiatement. Ce qu'Aomine fit, en mettant le haut-parleur.

Mais ils tombèrent sur le répondeur.

« Bon sang, Akashi. Décroche, putain ! Rappelle-moi, vite. Depuis quand tu savais ?! »

Kagami fronça les sourcils, jugeant sans doute cette entrée en matière un peu trop rentre-dedans, mais il ne dit rien. Aomine raccrocha et balança son portable dans le canapé d'un geste rageur, marmonnant un « merde » entre ses dents serrées.

Kagami se leva et posa les mains sur ses épaules. Il l'attira à lui et posa son front contre le sien. Aomine se raidit, puis se laissa faire, s'apercevant tout à coup qu'il était essoufflé. Le rouge ne dit rien, mais Aomine se détendit progressivement à son contact. Quand son rythme cardiaque reprit un tempo plus posé, il invita son homme à l'accompagner sur la terrasse et à prendre place sur l'un des deux rocking chairs. Ils s'installèrent et tentèrent de s'imprégner du silence de la nuit, qui roulait dans ses brumes les parfums humides du lac, déposant des perles de rosée sur l'herbe immobile. Ils restèrent un long moment ici, à spéculer, jusqu'à ce que le caractère absurde de leurs hypothèses finisse par leur sauter aux yeux. Ils étaient fatigués, et il n'y avait plus rien à faire. Aussi, ils allèrent se coucher.