Hello !
Bienvenue dans ce nouveau chapitre, où les choses sérieuses commencent vraiment. N'hésitez pas à me dire si je vais trop vite sur certaines choses ou si vous voyez des incohérences, je fais de mon mieux pour que ce ne soit pas le cas, mais entre le format feuilleton, le fait que personne ne me relise et que c'est la première fois que j'écris ce genre d'histoire, j'ai toujours des doutes !
En tout cas on avance dans l'enquête et il y a pas mal d'infos dans ce chapitre, même s'il n'y en aura probablement pas assez à votre goût, évidemment, je ménage mon suspense, et ce n'est pas non plus une histoire simple, les histoires de disparition le sont rarement !
Bon, j'espère juste que j'ai rien oublié d'important dans ce que je voulais dire dans ce chapitre, mais j'ai pas envie de le laisser traîner trop longtemps sinon je vais me poser trop de questions :D
Un petit disclaimer : arrêtez de lire mes fics en pleine nuit :D Ou en tout cas si vous le faites, je me dédouane de toute responsabilité pour le manque de sommeil !
Shadow : merci beaucoup pour tes reviews, et merci pour le gentil mot pour mon anniversaire ! Hâte de voir si tu trouves que tes hypothèses se confirment ou non dans ce chapitre.
Fealina07 : Merci beaucoup ! Je pense effectivement que tu pourras y voir plus clair dans ce chapitre… en un sens, car des réponses apportent de nouvelles questions :D Merci pour ta lecture, j'espère que la suite te plaira !
CHAPITRE QUATRE
I
Aomine et Kagami partirent le lendemain matin, après avoir fait leurs valises à la hâte. Kagami prit son pick-up pour les emmener à l'aéroport de Knoxville, où ils avaient réservé un vol pour L.A à midi.
Après les formalités, ils se retrouvèrent lâchés dans les vastes halls, avec rien d'autre à faire qu'attendre. Ils rejoignirent les rangées de sièges les plus proches de leur terminal et se laissèrent tomber sur les assises en plastique devant la grande baie vitrée, balayant du regard le tarmac où déambulaient de gros avions patauds. Tous les deux gardaient le silence, spéculant sur ce qui les attendait à L.A. Ils craignaient de voir surgir plus de questions que de réponses, mais quoi qu'il arrive, ils ne pouvaient pas rester les bras croisés.
Devoir rester assis dans ce fichu hall ne faisait rien pour arranger ses fourmillements dans les jambes. Kagami se sentait impuissant et une part de lui regrettait déjà le parc naturel des Smokies, dont les grandes étendues parvenaient toujours à atténuer sa colère ou ses doutes. Il n'y avait qu'un vague espoir auquel s'accrocher tandis que les minutes s'égrenaient avec une lenteur insupportable sur l'horloge murale à laquelle son regard ne cessait de revenir. Il se força à l'oublier quelques instants pour observer plus attentivement son environnement. La foule déambulait, les voyageurs cachaient derrière des visages et des bagages fermés leurs propres secrets, chacun tâchant de s'isoler vainement dans cet espace public dont le bruit ambiant et les allées venues incessantes interdisaient tout repos. Les aéroports sont remplis d'espoir et d'attente, hantés d'angoisse et d'anticipation. L'anxiété collective s'y condense, et Kagami pouvait sentir ce poids sur sa poitrine, cette brume épaisse qui semblait même déformer les silhouettes traversant, floutées, son champ de vision.
Il déglutit, crispant et décrispant le poing. Il n'aimait pas cette nervosité qui saturait son système, comme une myriade de minuscules impulsions électriques taquinant ses nerfs et ses muscles, l'empêchant d'atteindre un véritable calme, plus profond que celui qu'il maintenait en surface.
Quand il était plus jeune, Kagami était susceptible et prompt à la colère, même si le plus souvent, il le cachait bien. Quand il avait rencontré Aomine, il avait vu en lui un écho, et c'était ça qui l'avait attiré. Aomine, lui, ne cachait rien, sauf sa tristesse. Kagami avait aimé son intransigeance, qui l'avait poussé à donner le meilleur de lui-même. Mais les années avaient passé et aujourd'hui, le tigre avait appris à réfléchir avant d'agir, à faire preuve de patience, et surtout, de prudence. Son métier l'exigeait. Rien de pire qu'un secouriste qui perd son sang-froid, pas vrai ? C'était pareil à Los Angeles, où il s'était endurci et avait beaucoup mûri. Mais il n'y avait pas que de bons souvenirs, et y revenir provoquait des sentiments mitigés.
Les premières années aux USA avaient été dures. Aomine et lui étaient de jeunes adultes tentant de s'adapter à leur nouvelle vie, et chacun avait choisi un métier qui confronte très vite à des réalités difficiles, parfois insupportables. Tous les deux en avaient été atteints plus qu'ils n'avaient bien voulu l'admettre au début, et encore aujourd'hui, Kagami savait qu'ils étaient loin d'avoir fait le tour de leurs hantises. Ils en cachaient encore beaucoup dans ces recoins sombres de l'esprit, ceux qui semblent trop éloignés pour représenter une quelconque menace à l'équilibre global. Cependant, Kagami savait à quel point ça pouvait être faux. Il avait vu trop de gens craquer pour penser que lui s'en tirerait automatiquement à bon compte. Et ça valait aussi pour Aomine, qui avait gardé l'habitude de cacher derrière l'opacité orageuse de ses yeux ce qu'il trouvait trop difficile à partager. Kagami ne l'en blâmait pas : avant Aomine, l'intimité émotionnelle lui était un concept étranger, et tout au long de leur relation, ils l'avaient recherchée, et trouvée, mais surtout, Kagami avait découvert que cette intimité se cultive. Il n'y avait pas plus fragile que cette connivence d'âme et de sentiment. Et c'était peut-être aussi ce qu'il y avait de plus précieux au sein d'un couple qui traverse ensemble les années. Alors il en prenait soin, et au fond de lui se tapissait l'angoisse sourde que cet ouragan qui balayait actuellement leurs vies leur arracherait ça aussi.
Évidemment, il ne blâmait pas Kise. Il s'inquiétait pour lui, tellement que ça lui faisait mal au ventre. Assis, hébété sur son siège en plastique d'aéroport, il essaya de se rappeler la dernière fois qu'il l'avait vu. Ce fut plus facile qu'il ne l'avait cru, et les souvenirs se mirent à défiler devant ses yeux, oblitérant la baie vitrée et son ballet incessant de passagers.
Ça faisait environ trois ans de ça. C'était à L.A., justement. Un début de soirée lumineux, le soleil qui commence à baisser projetant une lumière oblique aveuglante. Il avance avec Aomine dans la rue, peut-être pour se rendre dans un bar ? En contre-jour apparaît Kise, avec un sourire éblouissant qui parvient même à se détacher de la lumière qui inonde sa silhouette. Il porte une veste asymétrique, – étrangement ce détail lui revient. Le genre de truc que seuls prisent et osent porter les mannequins ou les gens du showbiz. Ça lui va bien, cela dit. Il est beau, et même sexy, comme toujours. Kagami se laisse surprendre chaque fois. Aomine et lui suivent Kise… Ils passent dans un endroit plus sombre. Un bar, c'est bien ça. Intimiste, mais le genre de bar qui a une grosse sécurité, des videurs à l'entrée. Kise est juste trop connu pour être 'normal'. Est-ce que ça l'affectait à l'époque ? Est-ce que ça l'affecte toujours ? Bref, ils s'installent. Que leur disait Kise déjà ?
Kagami fronça les sourcils, plongé profondément dans son souvenir, mais brusquement déconnecté en réalisant qu'il ne se rappelait rien d'autre. Il n'avait aucune idée de ce que Kise leur avait raconté ce soir-là. Et il avait la sourde intuition que c'était parce qu'il n'y avait rien de particulier. Rien de faux… Rien de vrai non plus. Juste une conversation banale qui tourne en rond sur elle-même. Inoffensive, cohérente, policée, vite oubliée.
Et si c'était ça, le problème ? Et si ça l'avait été depuis le début ? Tout à propos de Kise était trop normal, en dépit de sa carrière et de son physique qui ne l'étaient pas. Depuis qu'il avait fait sa connaissance, Kagami avait été frappé par l'aspect accommodant du caractère du blond. Certes, il l'avait déjà vu en colère et faire preuve d'arrogance… Mais ça passait comme un rayon de lumière est englouti par un nuage. Kise s'était montré un ami fidèle, mais au fond… que Kagami connaissait-il vraiment de lui ?
La pensée le fit frissonner – pas le genre de sensation qui donne la chair de poule, mais plutôt un frémissement qui rentre dans le cœur et l'estomac, laissant une sensation de malaise et de vide. Il se radossa au fond de son siège en poussant un soupir. Il ne savait rien, et c'était terriblement frustrant.
II
Ce matin-là, quand il eut terminé de se préparer, Akashi se décida à appeler Brownson. Il n'aimait pas cet homme faussement accommodant, à la compassion aussi authentique que des mac'n'cheese en boîte, et qui jugeait les étrangers avec un racisme aussi ordinaire qu'agaçant. Le quinquagénaire à la moustache fournie, cependant, n'eut rien à lui apprendre de nouveau. Au fond de lui, Akashi le soupçonnait de lui cacher certaines informations, ce qui n'aurait malheureusement rien d'étonnant ou d'anormal. Les proches de disparus sont rarement informés en totalité des découvertes de la police. Pour éviter des fuites dans la presse, de faux espoirs, ou… de trop à en dire à des personnes potentiellement impliquées. Akashi avait eu beau se trouver à l'autre bout du monde au moment des faits, il ne pouvait pas, en l'occurrence, tenir rigueur au moustachu de sa prudence toute professionnelle. En tout cas, des agents avaient été dépêchés pour suivre la piste de la carte bancaire, utilisée la veille, le 13 juin, dans la bourgade de Julian, à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Los Angeles, aux portes du parc national d'Anza-Borrego. La région en elle-même était plutôt sauvage, on se trouvait entre désert et montagne, mais l'ancienne ville de Julian prisée des chercheurs d'or de la fin du dix-neuvième siècle était aujourd'hui un lieu de passage, très touristique, d'où partaient tous les ans des milliers de randonneurs pour visiter les montagnes Cuyamaca. Aucun témoignage utile n'avait été encore recueilli là-bas, mais on attendait dans la journée la bande de vidéosurveillance du distributeur où le retrait avait été effectué : si c'était bien Kise qu'on allait y découvrir, ça serait une avancée capitale pour l'enquête. De plus, la machine avait été lancée pour obtenir les informations concernant le bornage du téléphone de Ryota. Akashi n'y croyait pas trop, mais ça pourrait donner des indices sur la localisation du mannequin, ou à tout le moins, renseigner son parcours. Akashi aurait voulu que ce soit fait immédiatement, mais les policiers s'étaient montrés réticents à employer les grands moyens dès le départ. D'une part, il avait fallu attendre qu'il porte plainte pour donner un coup de fouet à l'enquête, de deux, lors des premiers jours, la police avait plutôt pensé à une grosse soirée suivie d'une monumentale gueule de bois. Et Akashi savait pourquoi : ce n'était pas connu de la presse ou du grand public, mais Ryota avait déjà suivi une cure de désintoxication par le passé. Les flics sont habitués à certains types d'affaire impliquant certains types de profil, et le plus souvent, ils ont raison. Le problème, bien entendu, c'était qu'Akashi était persuadé que cette fois, ils se trompaient. Du moins, en partie.
Cette après-midi-là, il décida de retracer une nouvelle fois l'itinéraire de Ryota, de la fête à Beverly Hills à son hôtel, comme si de nouveaux indices allaient surgir. Car Akashi en était certain : tous les détails de cette soirée n'étaient pas exacts, ou alors, il en manquait. Par exemple, personne ne savait à quelle heure était parti le mannequin, et soi-disant, personne ne l'avait vu quitter les lieux. Comme s'il s'était évaporé au beau milieu de la nuit, et au beau milieu de tout un groupe de personnes. Et au fond de lui, Akashi était persuadé que quelqu'un en savait plus qu'il ne voulait bien le dire. N'était-ce pas toujours le cas ? Chacun garde ses secrets derrière ses portes closes ou derrière ses sourires et propos anodins. D'ailleurs, lui-même était passé expert en la matière. Il n'avait pas menti à Aomine sur le déroulé global des événements et sur son emploi du temps… Mais il ne lui avait pas dit tout ce qu'il savait.
Il se fit conduire jusqu'à la maison de Beverly Hills, ou plutôt quelques numéros avant : il ne tenait pas à se faire repérer et passer pour un criminel revenant sur les lieux de son forfait. Il n'allait pas s'attarder, de toute façon, mais il éprouvait comme une attraction malsaine pour cet endroit. Il contempla les façades en partie dissimulées par des jardins luxuriants, et alors que la climatisation du véhicule fonctionnait à pleine régime, il avait la sensation désagréable que ses vêtements lui collaient à la peau. La richesse ostentatoire des lieux ne lui faisait rien, il y était habitué, mais aujourd'hui elle dégageait une aura hostile, pleine de lourds secrets et de vérités aussi laides que banales, oubliées à coups d'achats compulsifs. Quand l'endroit tout entier finit par lui sembler exsuder le désespoir, il demanda à son chauffeur de le déposer à l'hôtel de Ryota. Peut-être que le blond n'avait jamais fait ce trajet, finalement. Mais Akashi s'acharnait à le reproduire comme si un indice ou une prémonition allait surgir sous ses yeux… Ou même, ainsi que voulait le croire la partie la plus irrationnelle de son esprit, qu'il allait tomber sur Ryota au bord de la route, qui lui ferait un grand sourire et se moquerait de lui pour s'être inquiété. T'as vraiment fait tout ce chemin pour moi, Seijuro ? Sans déconner ?! À cette évocation à la clarté cruelle, Akashi sentit ses yeux le piquer, et il insulta le mannequin intérieurement.
La chambre louée par Ryota n'était plus sous scellés, et l'idée folle de la prendre lui traversa l'esprit. Il tergiversa quelques instants en contemplant la façade ultra-moderne de l'hôtel, un gratte-ciel en plein centre-ville, puis renonça. Il ne voulait pas des questions que cela susciterait si quelqu'un s'en apercevait. Alors il se contenta de faire un tour dans le hall, où il prétendit attendre quelqu'un pendant une bonne demi-heure, tâchant de s'imprégner des lieux comme le ferait une sorte de médium tâchant de se connecter à un monde plus spirituel et sensé que le leur. Il continua comme ça jusqu'à ce qu'il se sente ridicule, et regagna le taxi qui l'attendait toujours.
C'était l'heure d'aller chercher Aomine et Kagami à l'aéroport. Cela faisait longtemps qu'Akashi ne les avait pas vus, et tandis que le taxi qu'il avait payé sillonnait le quadrillage dense de Los Angeles, il tâcha de se préparer mentalement. Ils n'étaient pas ses ennemis, se répéta-t-il. Et pourtant, d'une manière confuse, leur arrivée l'angoissait. Comme si, en piétinant à la recherche d'indices, ils allaient davantage effacer les traces de Ryota. Mais Aomine était un bon flic, se rappela-t-il. Trop, peut-être, y compris pour son propre bien. Cependant, s'il conservait encore une certitude, c'était bien celle-ci : Ryota avait besoin d'aide.
Alors que le taxi arrivait aux abords de l'aéroport, son téléphone se mit à vibrer. Akashi le glissa hors de sa poche intérieure et quand il découvrit le nom de l'appelant sur son écran, son teint déjà pâle vira à la craie.
III
Retrouver Akashi dans ces circonstances avait quelque chose d'étrange, quelque chose qui sonnait faux. Aomine avait imaginé que ça arriverait autour d'un barbecue dans ses montagnes d'adoption, ou bien dans un bar au Japon, mais pas à Los Angeles, sous ce soleil d'un éclat insolent, dans cette ville où migrent tant de rêveurs dont il avait fait partie il y avait quelques années. Lui aussi avait débarqué avec de l'espoir plein ses valises, prêt à conquérir la Cité des Anges. Pas pour briller à l'écran, non, plutôt pour jouer le premier rôle dans l'une de ces histoires dont on s'inspire avant de les projeter dans les salles obscures. Il avait vraiment envie de travailler dans la police, car il savait qu'il y avait les capacités de s'y rendre utile, de faire quelque chose de sa vie – quelque chose de bien. Et puis, les USA, pour lui c'était la liberté. À Los Angeles, personne ne sourcillait parce que vous viviez avec une personne de votre sexe. Personne ne vous demandait une politesse exemplaire et un respect de la hiérarchie si poussé qu'il ne pouvait s'empêcher de voir ça comme de la soumission. Il avait espéré qu'ici, il pourrait être lui-même, et trouver sa place. Et ça avait été bien le cas, finalement, mais il n'avait pas prévu comme ce serait difficile. L'herbe est toujours plus verte ailleurs, dit-on… Et il avait eu l'occasion de s'en rendre compte. La criminalité était haute à L.A., au moins, il n'avait que peu de temps pour se tourner les pouces. Mais se confronter à cette noirceur quotidienne n'est pas sans risques, aussi bien physiques que mentaux, et parfois il lui semblait que son métier contaminait son âme, ou bien l'inverse, il ne savait plus. Peignait-il le monde en noir, ou bien s'assombrissait-il à son contact ? Il se rappelait un collègue qui avait toujours le sourire. Aomine lui avait déjà demandé comment il faisait, et l'autre n'avait pas trop su quoi répondre, à part qu'il « était comme ça ». Ça avait paru trop simple à Aomine, mais il n'avait jamais vraiment pris le temps de creuser la question.
Alors qu'ils approchaient d'Akashi, aisément repérable à travers la foule par l'aura froide et calme émanant de lui, Aomine fut de nouveau submergé par une sensation de malaise s'accrochait à lui depuis qu'ils étaient partis ce matin. Il avait aussi l'impression persistante et désagréable d'avoir oublié quelque chose, mais il savait que ce n'était probablement dû qu'à la nervosité et à l'anxiété… Et son instinct de flic qui flairait le danger. Évidemment qu'il flairait le danger ! C'était une affaire de disparition, et celle d'un proche qui plus est… Mais il y avait autre chose. Et il n'arrivait toujours pas à mettre le doigt dessus.
Akashi avait l'air plus livide encore que d'ordinaire, son regard aiguisé trahissait la fatigue et une ombre inhabituelle. La peur ? Aomine ne sut pas le déterminer. Son métier l'avait rendu plutôt compétent pour lire les expressions faciales et le langage corporel, mais Akashi était un dissimulateur de génie, même pour qui se flattait de bien le connaître. Aomine avait cessé de trouver ça agaçant il y avait bien des années déjà, et il avait fini par l'accepter comme une part de la personnalité de l'ancien capitaine de Teiko.
« Bonjour Daiki, bonjour Taiga », fit leur hôte d'une voix calme et modulée.
Sans verser dans les formalités inutiles, il leur fit signe de le suivre et commença aussitôt à leur relater les dernières informations qu'il avait, c'est-à-dire, pas grand-chose. Mais Aomine savait par où il voulait commencer aujourd'hui : il fallait qu'il voie Lopez. Akashi proposa qu'ils aillent ensemble avec le taxi qu'il avait déjà loué, et ils acceptèrent.
Alors qu'il s'installait sur le siège avant, Aomine épongea son front en sueur, tirant sur le col de son t-shirt pour apporter un peu d'air. Sur la route devant eux, le bitume était paré d'une brume de chaleur qui mimait un peu trop bien la confusion dans sa tête. Il maudit tout ce soleil qui martelait à travers la vitre et qui semblait l'empêcher de réfléchir. Il but nerveusement à sa bouteille, écoutant les infos diffusées à la radio d'une oreille tandis qu'Akashi et Kagami murmuraient dans une conversation indistincte à l'arrière. Il avait besoin d'un dossier solide, pas des simples infos transmises par Akashi. Il voulait voir les dépositions. Éplucher les dossiers de toutes les personnes impliquées dans l'affaire… y compris ceux qui concernaient Kise. Il avait comme un mauvais pressentiment… La même chose qui le taraudait depuis ce matin, mais ça semblait enfler à mesure qu'ils approchaient du commissariat. Il leva les yeux vers le rétroviseur et examina Akashi, cherchant de nouveau à décrypter son expression. Le regard asymétrique d'Akashi croisa le sien, et un frisson coula dans son échine. Il s'empressa de détourner les yeux.
Le commissariat était tel que dans ses souvenirs. Engoncé entre une supérette et un bloc gris d'habitations, ramassé comme un gros chat surveillant la rue passante où les food trucks débordaient des trottoirs sur la route, densifiant davantage la circulation. Deux palmiers un peu rabougris en marquaient l'entrée. L'endroit ne payait pas de mine, mais pour lui, c'était devenu comme une deuxième maison. Il sauta hors du taxi, heureux de pouvoir se dégourdir les jambes et tenter de se débarrasser d'un peu de cette nervosité qui rendait pénible toute posture statique. Suivi de près par Kagami et Akashi, il monta quatre à quatre la volée de marches menant à la porte et poussa l'épais battant. À l'intérieur, il faisait un peu sombre, la faute à des fenêtres trop étroites et des néons peu coopératifs. Et il faisait chaud, une chaleur moite qui venait se coller à la peau, charriant avec elle l'odeur âcre de la boisson officielle de la police, le café bien serré en gobelets XXL. À peine eut-il fait un pas à l'intérieur qu'une voix familière l'interpela :
« Ben tiens, ça serait pas Daiki ? »
L'intéressé se tourna et découvrit son ancienne coéquipière, une petite femme aux yeux pétillants qui était bien plus méticuleuse dans son travail que son côté pile électrique ne le laissait craindre au premier abord.
« Hey Kylie. Quoi de neuf ?
— C'est plutôt à moi de te demander ça ! Alors le Tennessee ? Trop plan-plan ? Tu as décidé de revenir chez nous ? »
Aomine en déduisit que Lopez ne l'avait pas informée de la situation. Il posa une main sur son épaule et lui confia d'un ton bas :
« Nan… Lopez me donne un coup de main sur… une affaire personnelle.
— Oh, je vois », fit Kylie d'un air de conspiratrice, puis, voyant son air chagriné : « Personnelle dans ce genre-là, hein ? Okay, je t'embête pas plus. Mais pense à m'appeler quand t'auras un moment, qu'on prenne un café. »
Il acquiesça, et son ex-coéquipière lui adressa un sourire, saluant Kagami avec presque la même familiarité, et Akashi plus poliment, avant de s'éclipser avec sa pile de dossiers sous le bras. Tout au long du chemin pour rejoindre Lopez, Aomine fut arrêté par des anciens collègues en majorité ravis de le revoir. Il sentit un pincement à l'estomac : il aurait aimé avoir le temps et le cœur à discuter avec eux, mais il était pressé.
Enfin, au bout d'un couloir tapissé d'un lino à la couleur impossible à identifier après tant d'années de piétinements, Aomine frappa à une porte qui portait le nom de Lopez sur plaque de bronze rectangulaire. Une voix rauque lui ordonna sèchement d'entrer. Il se tourna vers Kagami et Akashi, mais ceux-ci prenaient déjà place sur les sièges d'attente dans le couloir : ils savaient qu'il valait mieux qu'il s'occupe de ça seul. Il tourna la poignée et pénétra dans le petit bureau enfumé de Lopez. Derrière sa table de travail, les stores laissaient filtrer un soleil qui se perdait dans les volutes grises. En le voyant, son ancienne supérieure se leva et lui adressa un sourire franc qui l'émut plus qu'il ne l'aurait dû.
« Salut, le bleu. » Elle lui serra la main vigoureusement et l'invita à s'asseoir.
Lopez se dirigea vers la cafetière et lui servit le précieux breuvage dans le mug des « invités », une tasse noire arborant fièrement le logo de la LAPD. Puis, elle fit le tour du bureau et poussa vers lui une pile de dossiers :
« J'ai demandé à Brownson tout ce qu'il avait, et je t'ai tout préparé. »
Aomine haussa un sourcil :
« Plutôt coopératif, le 'salaud'…
— C'est pas lui qui a fait le boulot, évidemment. Il était juste pas contre. Je crois qu'une affaire de cette ampleur, ça lui file les jetons. »
Aomine ricana en attirant à lui la pile de dossiers.
« Okay, reprit Lopez, je vais te briefer et puis tu pourras regarder tout ça à ton aise, d'accord ? »
Aomina hocha la tête, le cœur battant. Lui aussi, il avait les jetons, mais pour rien au monde il n'allait l'avouer.
« Bien », fit Lopez d'un ton professionnel en claquant des mains, avant de s'allumer une cigarette et boire une gorgée de café. « Je résume. Dans la nuit du 5 au 6 juin, ton ami se rend à une soirée organisée par un certain Rick Bell, un producteur qui bosse à Hollywood. Il y a environ une cinquantaine de personnes rassemblées ce soir-là dans sa maison de Beverly Hills. Personne ne se rappelle avoir vu M. Kise partir, mais le lendemain il ne se présente pas à son travail. Le personnel de l'hôtel où il logeait ne l'a pas vu revenir, et la fouille de sa chambre le confirme. Pendant sept jours, on n'a aucune trace ni aucune nouvelle de M. Kise, jusqu'à hier, 13 juin, où sa carte bancaire est utilisée à Julian.
— Je veux voir les dépositions des témoins, pour cette soirée. Y avait beaucoup de monde. Quelqu'un sait forcément ce qui lui est arrivé.
— C'est mon avis aussi… » marmonna Lopez.
Aomine se plongea dans les procès-verbaux, les sourcils froncés, sirotant son café par automatisme tandis qu'il parcourait les dépositions. Finalement, il se racla la gorge et annonça :
« Y a un truc qui me chiffonne. J'ai l'impression que tout le monde a fini plus ou moins bourré ou défoncé donc difficile de savoir qui était où à quelle heure, j'en conviens. Mais y a ce type, David Stein… Il dit que Ryota était dans la piscine à 3h du mat. Il le sait parce qu'il a regardé sa montre à ce moment-là en pensant qu'il ferait mieux de rentrer, et quand il a aperçu Kise, il a finalement compris où est-ce qu'il l'avait déjà vu, à savoir à la Fashion Week, et que depuis le début de la soirée ça le turlupinait. C'est beaucoup de détails, tu trouves pas ? » Aomine n'attend pas la réponse avant de poursuivre, concentré sur le fil de ses idées. « À la même heure, y a une nana, Jennifer Loren, qui affirme que Ryota se trouvait dans la cuisine. Elle, elle s'en souvient parce qu'elle avait décidé de faire des pancakes et qu'il lui aurait fait une remarque comme quoi c'était une drôle d'idée en pleine nuit. Ce sont les deux seuls témoignages où les témoins sont sûrs de l'heure, parce qu'ils l'ont consultée à ce moment-là. Je sais, ça veut pas dire grand-chose, Ryota a pu être dans la piscine, puis à la cuisine quelques minutes plus tard, ou inversement… C'est maigre. Mais je veux réinterroger ces deux témoins. J'ai un sale pressentiment.
— Tu penses que l'un des deux ment ? demanda Lopez.
— Peut-être, soupira Aomine. Je veux en avoir le cœur net.
— T'as raison, d'autant plus qu'on a eu une autre info entre temps… Il a fallu du temps pour recouper les dépositions de tout le monde et la vidéosurveillance, parce que comme tu t'en doutes, y a eu pas mal d'allées et venues. Mais on a remarqué aussi cette petite dissonance dans les témoignages, et avec ça, c'est le jackpot. »
Elle fit pivoter l'écran de son ordinateur et lui montra un enregistrement de vidéosurveillance montrant la rue devant chez Rick Bell. L'horodatage indiquait 03h02. On y discernait une Audi blanche quittant la propriété. Deux personnes étaient visibles à l'avant, et aucune d'entre elles n'était Kise. Mais on pouvait distinguer une troisième personne à l'arrière… Aomine grogna.
« Elle est à qui, cette bagnole ?
— Adam Keller. Personne n'a mentionné sa présence à la soirée. Et figure-toi qu'on n'arrive pas à le contacter… En soi, ça ne prouve rien, mais deux témoignages qui se contredisent à 3h du matin, l'heure à laquelle cette voiture quitte la propriété avec potentiellement… Ton ami à son bord.
— Merde ! lâcha Aomine entre ses dents. Qu'est-ce qu'on a sur ce Keller ?
— Dealer notoire. »
Aomine ne réitéra pas son juron, mais contracta les mâchoires. Cette affaire prenait une tournure qui lui déplaisait au plus haut point.
« Alors on n'aura aucune difficulté à réinterroger les témoins, avec en priorité ceux que je t'ai cités. La plupart ont menti de toute façon en s'abstenant de mentionner Adam Keller.
— Pour ceux qui le connaissaient. Il est du genre discret vu son domaine. »
Aomine acquiesça machinalement.
« Et la vidéosurveillance à Julian ? Le bornage téléphonique ?
— J'ai reçu la vidéo de Julian juste avant que tu n'arrives. Regarde. »
Le brun plissa les yeux et se pencha en avant, les yeux rivés sur l'écran d'ordinateur. À 15h56, le 13 juin, la caméra du distributeur filma une silhouette élancée, probablement masculine, qui s'approchait la tête basse, le visage dissimulé par le rebord de sa casquette et un masque comme on en portait couramment pendant la pandémie. Il portait des vêtements larges qui le rendaient plus difficiles encore à identifier.
« Difficile de savoir si c'est lui… commenta-t-il, le cœur battant douloureusement. Et si c'est lui… De toute évidence, il se cache. »
Lopez acquiesça silencieusement. Aomine détourna le regard et se massa la nuque, une question qu'il n'avait pourtant pas envie de poser lui brûlant les lèvres. Finalement, il regarda son ancienne supérieure dans les yeux et se lança :
« On a des raisons de penser que Ryota s'embrouillerait avec un dealer ? »
Lopez soupira, et hocha la tête une nouvelle fois sans rien dire.
« Okay… Fais-moi le topo », lâcha Aomine d'une voix sombre.
IV
Quand Aomine jaillit du bureau de Lopez, le bleu de ses yeux indiscernables dans la noirceur colérique que les avait envahis, il fonça sur Akashi qui se leva par réflexe. L'espace d'un instant, Kagami crut que son compagnon allait le frapper, mais il se contenta de le mitrailler du regard.
« Tu savais… lâcha-t-il d'une voix étouffée. T'as pas pensé que ça serait important de me dire que Ryota s'était drogué et qu'il se droguait probablement encore ?! »
Akashi garda son calme et soutint le regard du brun sans ciller, même si le coin de ses lèvres était agité par un très léger tic nerveux, presque indiscernable.
« Je savais qu'il avait suivi une cure de désintoxication. Oui, j'ai essayé de savoir s'il y avait de la drogue à cette soirée. Non, je n'ai rien de trouvé de probant. Et on ne m'a rien dit non plus », ajouta-t-il d'un ton glacial, faisant reculer d'un pas Aomine qui sembla brusquement se calmer.
« Ça reste à confirmer, lâcha le brun, mais il est bien possible qu'il soit parti avec un dealer du nom d'Adam Keller, ce soir-là. Le nom te dit un truc ? »
Akashi se contenta de secouer la tête.
« Et je sais pas si c'était lui à Julian, sur la vidéosurveillance… J'arrive pas à le reconnaître. »
Aomine se laissa tomber sur le siège à côté de Kagami, qui posa une main sur sa cuisse.
« Si c'était lui, il tenait pas à être reconnu », conclut-il d'une voix éteinte.
Le rouge tâcha d'intégrer ces informations tandis qu'Akashi les regardait tour à tour, sans bouger, toujours debout comme s'il se tenait prêt à se défendre.
« Il est où, ce Adam Keller ? interrogea Kagami.
— Disparu dans la nature, comme par hasard. On va réinterroger les témoins. Y avait trois personnes dans la bagnole, sur la vidéosurveillance à Beverly Hills. Dont Keller, une personne non identifiée mais reconnaissable, et quelqu'un à l'arrière… qui pourrait être Ryota. »
Kagami hocha la tête, le cœur battant. Ces informations, si elles étaient confirmées, feraient faire un énorme bond en avant à l'enquête. Et pourtant, cela lui faisait également prendre une tournure plus sombre. Et ils allaient encore devoir patienter… Impossible pour Aomine de s'impliquer directement, et c'était encore plus valable pour Akashi et lui. Les trois amis restèrent silencieux un moment, plongés dans leurs propres réflexions. Puis, doucement, comme s'il craignait de dire une énorme bêtise, Kagami déclara :
« On est encore coincés à attendre. On devrait essayer de se détendre. Brasser de l'air n'aidera personne.
— Qu'est-ce que tu proposes ? » demanda Aomine en relevant les yeux vers lui.
Le rouge haussa les épaules.
« Allons faire un tour. » Il sourit à Aomine. « On pourrait aller se poser à la plage, comme au bon vieux temps… »
Le brun marmonna son accord, mais Akashi s'excusa, prétextant du travail à rattraper. Ni l'un ni l'autre ne chercha à le retenir. Le trio se sépara devant le commissariat, et chacun monta dans son propre taxi, la tête pleine d'idées noires. Mais Kagami savait que cette pause serait salutaire pour digérer les nouvelles informations, et pour se ressaisir. Ils étaient tous secoués par cette affaire, y compris Akashi, il le sentait.
Dans le taxi, il reposa sa main sur la cuisse d'Aomine, la caressant doucement.
« T'es toujours en colère ? demanda-t-il.
— Ouais… Mais je sais pas quoi penser de tout ça. Je savais qu'Akashi nous cachait un truc, et maintenant… Je me demande ce qu'il cache d'autre.
— Peut-être rien du tout, tempéra Kagami. En un sens, ce serait plus simple s'il nous cachait quelque chose, pas vrai ? Ça te ferait une bonne piste. »
C'était peut-être un peu trop direct, mais il avait besoin de dire les choses telles qu'il les pensait. Aomine et lui n'en étaient plus à enrober la vérité. Et le brun hocha la tête en grimaçant.
« C'est sûr. Et puis tu me connais, soupira-t-il. Je m'en veux de pas avoir eu cette info.
— Mais tu sais que c'est idiot, pas vrai ? C'est pas ta faute.
— Ouais… Mais quand même. Enfin bref. T'as raison. J'ai besoin de m'éclaircir les idées. »
Kagami approuva. Il en avait grand besoin lui aussi.
