Toute son existence, la seule information concernant les anges qu'avait reçu Dionysos était le fait qu'ils étaient des monstruosités interdimensionnelles, et qu'il valait mieux éviter de croiser leur chemin.

« Mais c'est qui, le poussin ? Hm ? C'est à qui, les ailes ? Oui, c'est toi. Oui, c'est toi, le bébé oiseau tout beau tout chaud... »

Dans ses bras, bébé Ariane s'avérait une monstruosité adorable au point d'en être dévastatrice, même si elle s'efforçait de lui tripoter l'intérieur des narines. Intérieurement, il savait qu'il lui mangeait déjà dans la main et priait pour que Hela ne refuse pas de se montrer la partenaire autoritaire, parce que son propre cas était perdu d'avance.

En parlant de Hela, celle-ci venait d'entrer dans la pièce. Et elle arborait l'expression de qui a envie de faire sauter la planète pour cause de perte totale de foi en la justice. Et de se faire sauter avec, pour faire bonne mesure.

Quand elle vint s'asseoir à côté de lui sur le sofa, ce fut plus pour s'appuyer contre lui qu'autre chose. Ariane se désintéressa illico du nez de Dionysos pour tendre des mains avides vers les pâles mèches blond platiné de la déesse Norroise, laquelle lui offrit son index à triturer à la place.

« … Tu sais, je me demande s'il existe un seul panthéon dont les membres n'ont pas été complètement foutu en l'air » finit par lâcher la jeune femme.

« En tant que représentant Grec et donc témoin direct, j'en doute franchement, kukla. Remarque, je pourrais être partial, on est tellement dingues que c'est sa propre forme de normalité. Juste… une que la morale humaine réprouve totalement ? » hasarda son congénère.

Hela eut un petit rire désabusé.

« Faudra introduire les célestes à ta famille, et peut-être la mienne aussi. On a une putain de concurrence, je te raconterais ce que Papa vient de me dire et tu serais dégoûté. »

« Faudra voir » nuança le jeune homme en faisant rebondir gentiment le bébé sur son genou. « Les Grecs sont tout de même bien arrangés, et je te rappelle que mon domaine inclut la folie. »

« Oui, en effet. Tu te rends compte de l'avenir qui t'attends, mon bijou ? » soupira la déesse à l'attention de la bambine. « Apparentée à trois panthéons plus cinglés les uns que les autres. Hein que c'est fatiguant ? Hein ? »

Ariane souffla une bulle de salive et les flammèches constituant ses ailes frémirent. Sous le coup d'un réflexe qu'elle ignorait posséder, Hela tendit la partie aérienne et soyeuse de son essence vers celle de l'enfant.

Ce n'était pas tout à fait comme recueillir une bulle de savon au creux de sa main, c'était infiniment plus délicat et pourtant tellement moins fragile. C'était encore informe, encore dépourvu de complexité. C'était la simplicité d'un ciel d'été sans nuages.

À côté, l'essence d'Hela était un net foutoir. Entre la grâce plumeuse et la compacte divinité ancrée dans la mort, il y avait un sacré décalage. Sans parler de l'âme humaine héritée de sa sorcière de mère, qui débordait sur les deux sans s'y mélanger. Ouaip, beau désordre qu'elle était.

Dionysos n'était pas reluisant non plus. Mine de rien, deux millénaires à s'accrocher fermement à ses origines humaines tout en méprisant son aura divine, ça engendrait une certaine dissonance assez peu agréable à contempler.

Et pourtant… pourtant, elle pouvait le sentir, à cet instant même, ces trois essences dissemblables voulaient chanter ensemble. Malgré les accrocs, malgré l'emboîtage compliqué. Juste, être ensemble.

« Tu sais quoi, poussin… ? Je crois que ça pourrait marcher. »

Et elle le pensait.