D'aucuns auraient dit que c'était une idée exécrable, mais quand on a grandi avec un Embrouilleur pour père, bien sûr qu'on avait un peu de mal à comprendre pourquoi les gens répugnaient à prendre des risques qui pouvaient vous voir démembré en quinze morceaux, votre essence pulvérisée aux quatre coins de la galaxie ou pire encore.
À titre personnel, Hel ne voyait vraiment pas pourquoi faire une crise de nerfs sur le fait qu'elle voulait toucher deux mots à son oncle. Non, pas Thor – celui-ci avait décidé de bouder de la belle manière, filant massacrer un ou deux régiments de géants de terre afin de se venger de ne pas avoir vu que Loki lui cachait des choses, comme s'il y était jamais parvenu, tiens.
Elle voulait parler de l'oncle angélique. L'Archange. Celui qui avait changé son père en fille – après un coup pareil, elle n'avait pas été franchement étonné d'apprendre qu'il était docteur.
Elle avait prétexté des courses à faire – pas tellement faux – et Dionysos l'avait laissée partir avec sa bénédiction. Alors maintenant, elle était là, dans une église – parce que s'il y avait bien un endroit où on pouvait trouver un emplumé, c'était là, non ?
« Alors, Raphaël… Oncle Ouaf ? Je peux t'appeler comme ça ? Il faut qu'on parle. Si ça pouvait être maintenant, ce serait bien, mais si tu veux plus tard, ben ça va aussi. »
Elle parvint à sentir l'espace se chiffonner, ployer sous la pression des longues ailes – une pression qui fit remonter des frissons sur ses propres ailes et mince, elle n'y croyait toujours pas.
« Oncle Ouaf ne sonne pas très distingué » fut le commentaire, et il devait forcer sur les cigarettes ou bien se gargariser avec du gravier. Pas très gentil pour le véhicule, ça.
« Tu ne m'as pas l'air très distingué » rétorqua-t-elle.
La grâce de son interlocuteur émit un bruit bizarre, un ping ou un ding, mais plus amusé qu'autre chose, et elle réprima un sourire qui menaçait de lui étirer la commissure des lèvres.
« Boon… Tu gères comment la situation au Paradis, depuis que tu as visité la casse ? »
Raphaël plissa le front.
« C'était compliqué. Ça continue à l'être, d'ailleurs. »
« Ouais, j'imagine. Si un de mes frères me faisait un coup comme ce que Papa t'a fait, je crois que j'aurais besoin de temps pour digérer. »
L'Archange arborait un air un brin coincé, le genre qui sait qu'il a été pris la main dans le sac mais refuse encore de l'admettre.
« J'ai presque dû assommer Michel pour l'empêcher de se manifester sur Terre et d'exiger des explications de Gabriel » se borna-t-il à lancer, et là Hel tiqua.
« Quoi, une attaque ? »
« Non, juste des explications. Quoique, vu le tempérament de ma fratrie et les circonstances actuelles, ça aurait probablement dégénéré en pugilat » reconnut Raphaël, les ailes s'avachissant un tout petit peu.
La déesse Néphilim grimaça franchement.
« Une réunion de famille typique, quoi. Tu sais, entre Thor et ton Michel, je ne vois pas une grande différence. »
« A ta place, j'éviterais de formuler cette suggestion, ou mon aîné le prendra mal et je devrais m'asseoir sur lui, or il constitue un siège des moins confortables. »
Mine de rien, Hel commençait à mieux cerner le personnage qu'était le médecin des Anges ; pas exactement le casse-pieds de service, mais définitivement le raisonnable dans la famille, le gars qui s'arrache les cheveux devant la bêtise des autres et jure de ne pas revenir pour le prochain rassemblement mais vient quand même, bien qu'il refuse de dire que c'est parce que ces zigues bons à enfermer tiennent une place non négligeable dans son cœur et refusent de lever le camp.
Maintenant, à son tour de l'assiéger jusqu'à ce qu'il lui fasse une place, à elle aussi.
