Chapitre 2 - Décharges


En effet, la nouvelle mit Dietz hors de lui. L'homme qu'il devait surveiller avait trouvé un moyen de lui échapper, au prix de nouveaux geôliers. Le Deusura était indemne, et il n'y avait eu aucune perte militaire dans cette intervention. Mais laisser échapper les informations que possédait Dessler était bien pire.

Quel idiot !

De son côté, Abelt avait suivi Boroze vers l'un de leurs vaisseaux. Une ride dédaigneuse barrait son nez, et il ne se dispensait pas de prendre le bolarien de haut dès qu'il en avait l'occasion. La morsure métallique à son cou avait beau être humiliante, il ne comptait pas se montrer affecté.

Le soldat lui fit signe d'entrer dans une cellule, et Abelt s'exécuta. L'autre ricana :

- Je préfère vous avertir : tentez de le retirer ou de fuir, et cet engin vous le fera regretter. Si la batterie est chargée, il administre une violente décharge ; autrement, le poison qu'il contient est un paralysant ; si j'étais vous, je ne tenterai rien de stupide.

- Vous avez l'art de recevoir les dirigeants étrangers, piqua Abelt.

Les deux hommes se toisèrent ; Boroze avait perdu son expression moqueuse. Il poussa négligemment une molette de la télécommande.

Immédiatement, un violent choc électrique secoua Abelt, qui porta ses mains à son cou. Malgré ses efforts pour rester debout, il s'effondra en retenant un râle de douleur. Le collier l'empêchait de respirer, et luttant pour trouver un peu d'air, l'ancien dictateur toussa péniblement lorsque le soldat bolarien replaça la molette à sa position initiale.

- Mais vous ne l'êtes plus, conclut froidement Boroze avant de tourner les talons.

La porte claqua derrière lui. Abelt s'appuya contre le mur, cherchant désespérément à calmer sa respiration irrégulière. Les mots du bolarien se répercutaient encore et encore dans la petite cellule ; son cœur tambourinait. Sa tête …

Boroze avait raison. Il n'était plus rien.

Chancelant, il finit par se relever, et s'assit sur la couchette. Des pensées anxieuses tourbillonnaient dans sa tête, et il ne parvenait à sortir de ces ruminations.

Depuis son retour sur Gamilas, tout s'était précipité. L'activité volcanique de sa planète, déjà la cause de ses inquiétudes, s'était emballée en accélérant l'avilissement de l'air et des eaux. Gamilas s'autodétruisait, de plus en plus acide. Le nouveau gouvernement formé en son absence s'était finalement rendu compte de ce qui clochait ; mais comme il avait fait garder tout cela secret des années durant, la fin troublée de son règne avait laissé le temps à ses hommes de détruire les études et plans d'actions.

Lorsqu'il était revenu, loin de reprendre ce qui lui appartenait, il avait dû faire face à un procès en bonne et due forme. Des représentants terrons, dont cet ingénieur du Yamato, ainsi que Yurisha avaient témoigné contre lui. Il n'avait pas revu Starsha depuis 2199. Six ans.

Depuis ce jour où il avait détruit tout ce qui avait encore de la valeur pour lui.

Au cours de son procès, Heike Bartsch, la nouvelle présidente de Gamilas, lui avait fait une proposition : devenir l'âme damnée de la démocratie gamilienne, ou passer le reste de ses jours en isolement. La perspective d'être reclus à vie dans ce petit manoir de campagne où sa mère avait vécu le tétanisait. Le choix était vite fait.

Il était désormais volontaire d'office pour toutes les opérations-suicides en politique.

Que Bolar soit au courant de sa situation laissait à penser qu'ils étaient bien renseignés … Mais dans ce cas quelle valeur pouvait-il avoir à leurs yeux ?

Pour les informations qu'il possédait, peut-être ; mais même ainsi, ils en savaient davantage sur Galman que les autorités gamiliennes. Et d'un point de vue stratégique, il n'y aurait qu'à se servir de cet avantage quand sa population s'y serait installée …


Le voyage dura deux jours. Ignorant où on l'emmenait, Abelt avait préféré ne pas s'abaisser à quémander l'information. Boroze n'attendait que ça, et paradait avec son insupportable sourire vainqueur depuis leur départ.

Puis un matin, le moteur s'arrêta enfin. Sa cellule s'ouvrit, et Boroze lui ordonna de le suivre.

Lorsqu'il descendit sur le tarmac, un courant d'air frais balaya ses cheveux. Il ferma les yeux, inspirant doucement ce vent gelé qui l'accueillait. Un sourire mauvais envahit ses traits.

Là.

Il avait vraiment tout perdu.