Très franchement, Hela devrait être traumatisée. Elle l'était un peu, comment pouvait-elle ne pas l'être après la perte de plusieurs membres de son équipe de sauvetage, il faudra qu'elle trouve un beau cadeau pour dédommager Freya de la perte de plusieurs Valkyries, la confrontation avec l'Astre déchu qui continuait à la perturber tant son essence avait été corrompue et déformée, et n'oublions pas son ascension irréversible au rang d'Archange qui avait définitivement été remarquée par le reste de l'Univers.
Et pourtant, quand elle baissait les yeux sur le fardeau de ses bras, c'était comme si rien ne s'était produit, comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Elle avait récupéré Ariane, l'angelot roucoulant contre sa poitrine et ses petites ailes s'agitant comiquement tandis que sa grâce étincelait à la manière de la lumière qui passe à travers l'eau et donne l'impression que la rivière se couvrait de diamants.
Hela n'avait pas réalisé combien l'absence du bébé lui pesait. Probablement un de ces trucs qui venaient avec les ailes, les emplumés semblaient constamment les uns sur les autres, à se parler, à se toucher de la grâce ou des plumes ou même avec leurs véhicules.
En tout cas, Rachel lui avait adressé un sourire plein de compréhension quand la déesse qui n'en était plus vraiment une pur jus avait couru se réfugier dans le bunker de Bobby une fois leur bande durement éprouvée revenue à la casse du chasseur âgé. Le bunker où patientait Dionysos, et était-ce normal de vouloir se fourrer sous les couettes avec lui et Ariane et de ne pas en émerger pendant un siècle ?
« C'est la tactique du hérisson » décréta Dionysos quand elle eut confessé ce désir pour le moins lâche. « Tu te sens menacée par le reste du monde, alors tu te blottis dans ton trou et te roule en boule. »
« Ce serait pas plus adapté d'appeler ça la tactique de l'autruche ? »
« Les hérissons sont plus élégants, et en passant, il faut que je te prête ce livre. Rien de tel que les français pour disserter sur le beau, mais quand c'est le pays de la haute couture et de la haute gastronomie et autres fanfreluches de luxe, il faut s'y attendre un peu... »
« Ouais, c'est le pays préféré de ta tante Perséphone » ricana Hela sans méchanceté.
Allongée entre ses parents adoptifs, Ariane gloussait alors qu'elle secouait une balle en mousse bleue parsemée de pois rouges et oranges. Les mômes, rien ne pouvait les abattre longtemps, fussent-ils humains, angéliques ou divins.
Hela pressentait que ce moment de paix ne durerait pas, que leur petite famille se trouvait dans l'œil du cyclone, qu'il leur faudrait émerger afin d'affronter une bonne fois pour toutes le Serpent et pourquoi pas le Commandant de la Milice Céleste par-dessus le marché, mais pour l'instant…
Pour l'instant, la déesse païenne dotée d'une âme humaine et d'ailes angéliques s'autorisait à fermer les yeux et à se concentrer sur les deux présences à côté d'elle, au chaud et en sécurité, comme si les heures chaotiques depuis l'enlèvement d'Ariane et l'agression de Dionysos n'avaient été qu'un horrible cauchemar chassé par la lumière du jour.
Comme si le monde ne s'était jamais arrêté de tourner.
