Chapitre 2

Une semaine

Une semaine s'était écoulée et ils étaient presque prêts pour la dernière étape.

— Stressé ? demanda Lance, observant le profil de Keith tandis qu'ils s'enfonçaient dans la foule du port spatial ; dernière zone civilisée avant d'entrer dans la zone aérienne de la planète mère.

Keith haussa les épaules d'un geste brusque qui ne répondait pas à la question. Cependant, avec sa manière de surveiller la foule, la main posée sur la garde de la dague de sa mère, Lance pouvait se passer de mots. Quelques jours plus tôt, ce genre d'excursion aurait détendu Keith rien qu'en lui permettant de s'éloigner un peu de Thace.

Mais pas cette fois.

L'Empire n'était pas très présent ici : quelques soldats en uniforme tenaient les postes de douane, deux-trois sentinelles montaient la garde au bord de la route. Thace avait dit que le port était géré par un officier de bas rang, mais son poste de commande se trouvait à l'opposé et ils pourraient éviter d'être détectés assez facilement.

Mais présence militaire ou non, cela restait un territoire impérial. Il y avait une poignée de marchands unilus à quatre bras dans la foule, ainsi que deux Velksans bien costauds qui portaient des armes assez voyantes pour qu'on sache que c'était des mercenaires. Presque tous les autres étaient Galras ou mi-Galras. Ils avaient trouvé de la teinture pour cheveux indigo et de la peinture de peau violette sur une lune commerciale cinq jours plus tôt et, grâce à ça, Lance pouvait passer pour un métis, du moins au premier regard. Ses yeux le trahissaient et tous ceux qui s'y connaissaient reconnaîtraient immédiatement ses traits humains, mais la foule était assez variée pour que Thace, au moins, ne s'en inquiète pas.

Tant mieux pour Thace. Ce n'était pas lui qui allait devoir faire face aux conséquences si son déguisement tombait à l'eau.

Keith prit la main de Lance. Ses doigts et sa paume étaient calleux, mais l'espace entre ses doigts, entrelacés avec ceux de Lance, était doux comme de la soie. Lance tourna la tête, mais Keith regardait droit devant lui, seul le frémissement de ses oreilles indiquant qu'il avait conscience de son geste. Lance lui serra la main et les lèvres de Keith s'ourlèrent d'un sourire.

Et quiznak, ce sourire. Il l'emplissait d'une douce chaleur, étourdissante et vertigineuse. La semaine passée avait été une véritable aventure de bien des façons, depuis leur conversation gênée le soir de sa discussion avec Val (durant laquelle ils avaient eu du mal à trouver leur langue et avaient fini par s'embrasser une nouvelle fois sans vraiment se dire grand-chose) au message enregistré qui l'attendait le lendemain matin. (Je tiens à toi, avait dit Keith. Vraiment beaucoup. Je ne veux pas tout gâcher.)

Ils avaient vite retrouvé leur capacité à se regarder sans jeter toute pensée par la fenêtre (ne serait-ce parce que Thace les poussait sans cesse à se concentrer sur l'affaire en cours) et, jour après jour, ils avaient fini par trouver leurs marques… quelles qu'elles soient.

Il y avait toujours des moments où Lance était frappé par le fait, encore une fois, que c'était vraiment en train d'arriver. Il avait vraiment embrassé Keith, Keith l'avait embrassé, et ils se retrouvaient là, à flâner dans une station spatiale ennemie, main dans la main.

Pour un premier rendez-vous, ça battait tous les records en termes d'originalité.

— Je ne suis pas stressé, dit Keith à voix basse.

Le service de navettes qu'ils étaient venus inspecter les attendait droit devant, la file d'attente faisant tout le tour du bâtiment. Des familles se pressaient les unes contre les autres, de petits sacs serrés dans leurs bras. Des voyageurs solitaires en vêtements élimés, couteaux tirés, pistolets laser à la taille, œillaient nerveusement la foule qui les entourait.

— Mais je… Je n'aime pas être de retour ici.

Le cœur de Lance se serra. Il ne fit pas remarquer que Keith n'avait jamais vécu sur la planète mère, alors il ne pouvait pas vraiment être « de retour ». Il comprenait ce qu'il voulait dire.

— Mais tu es là quand même.

— Ouais.

Keith plissa les lèvres, regardant la queue un moment avant de guider Lance par la main vers l'arrière du bâtiment.

— Le peuple de la planète mère souffre. Ce n'est pas juste et… tu sais ce que le reste de l'univers pense de nous. Qui d'autre irait les aider ? C'est quelque chose que je dois faire.

— Et c'est bien pour ça que tu ne seras jamais comme les acolytes de Zarkon.

Lance se pencha pour déposer un baiser sur la joue de Keith. Keith se figea jusque dans sa respiration et Lance lui sourit.

— Tu t'inquiètes trop. Tu fais ce qui est juste même quand ça fait mal. Alors qu'eux, ils ne se soucient que de leur petite vie et de comment la rendre plus facile.

Les oreilles de Keith s'aplatirent, puis se redressèrent et il plissa le nez.

— Tais-toi.

Il accéléra le pas en direction de la porte à l'arrière du bâtiment.

— Mmm, nan.

Lance tira sur la main de Keith pour l'arrêter et le contourna pour lui faire face.

— Tu ne comprends pas à quel point tu es génial. Il faut bien que je te le rappelle de temps en temps.

Lance reconnut l'expression de Keith (yeux écarquillés, oreilles frémissantes, petite moue) comme un rougissement et compta ça comme une petite victoire, souriant tandis que Keith passait devant lui en marmonnant qu'ils avaient une mission à accomplir, des informations à rassembler.

L'arrière-salle du bâtiment de service de navettes était vide, sans surprise. Des navettes arrivaient de la planète mère toutes les heures, transportant généralement de nouvelles recrues pour l'armée de Zarkon, qui étaient aussitôt dirigées vers des vaisseaux impériaux. Les navettes qui allaient sur la planète étaient beaucoup plus rares et, comme ils l'avaient observé ces trois derniers jours, les dernières heures avant le départ étaient très agitées, les passagers et les employés de la navette cherchant à mettre tous leurs documents en ordre. Avec autant d'activité, il n'y avait personne pour surveiller la porte arrière, qui s'ouvrait sur la salle de repos des employés, reliée par un petit couloir à une salle informatique.

Lance avait été surpris, au début, par le nombre de personnes qui se rendaient sur la planète Galra. Keith et Thace ne l'avaient pas dépeinte comme un super endroit où vivre.

Mais c'était également le lieu parfait pour se faire discret, car Zarkon ne s'en occupait que pour ses besoins de recrutement. Beaucoup de personnes dans l'Empire voulaient disparaître, semblait-il, et la planète mère était l'un des seuls endroits où les Galras pouvaient se rendre pour éviter à la fois l'Empire et la haine qu'il inspirait.

Lance monta la garde tandis que Keith insérait la puce de données fournie par Thace pour accéder au système informatique. Tout ce qu'ils avaient à faire était de trouver les vecteurs et les codes d'autorisation utilisés par ce genre d'entreprise pour entrer dans le périmètre impérial. Thace, quant à lui, avait décidé de s'infiltrer dans la cabine militaire de contrôle aérien pour déterminer à quel moment le lion rouge pourrait approcher sans se faire remarquer par les vaisseaux impériaux.

— Tu sais, je pourrais dire la même chose de toi.

Lance jeta un regard à Keith, qui lui tournait le dos.

— Quoi ?

Les mains de Keith s'immobilisèrent un instant, mais il se remit rapidement à la tâche, baissant la tête.

— J'ai dit que je pourrais dire la même chose de toi. Tu ne vois pas à quel point tu es génial.

La chaleur envahit le visage de Lance et il pivota, fixant attentivement le bout de couloir vide visible derrière la porte.

— De quoi est-ce que tu parles ? Je sais très bien que je suis incroyable. Tu m'as bien regardé ?

— Ouais, dit Keith, la voix bouleversante de tendresse. C'est juste que… Tu n'étais pas obligé de venir. Tu n'es pas obligé de te soucier de moi, ou de mes problèmes, mais c'est le cas, et tu es là, et je–

Il souffla, frappant une touche dans un craquement sec. Il apparut quelques secondes plus tard à côté de Lance, rangeant la puce de données dans la ceinture de sa combinaison brune.

— Je suis content que tu sois là. Alors… merci. Pour… pour tout. Pour être toi.

Dieu merci pour la drôle de teinture de peau violette de Thace, parce que Lance devait être tout à fait cramoisi, désormais. Avant qu'il ne puisse formuler une réplique intelligente, Keith le prit par le poignet et le tira sur le chemin du retour, si bien que Lance fut réduit à sourire à son stupide mulet extraterrestre et se complaire dans la sensation pétillante et chaleureuse qui s'était installée dans son estomac.

Il allait devoir se rappeler de remercier Nyma de lui avoir donné un bon coup de pied au cul quand il le fallait, parce qu'il ne pouvait s'imaginer nulle part ailleurs que main dans la main avec Keith, sur le point de prendre d'assaut le cœur même de l'empire de Zarkon.