Fuir. C'était tout ce qu'il avait trouvé à faire pour ne pas péter un câble au milieu de tout le monde. Mais avant cela, Stiles avait dû se rhabiller et cela n'avait pas été chose facile… D'une part parce qu'il ne savait pas où se trouvait ses vêtements et d'autre part parce qu'une fois ceux-ci retrouvés, il avait eu un mal fou à les enfiler. Le fait de trembler comme un malade tout du long n'avait pas rendu la chose facile. Sentir une douleur aussi claire que cuisante parcourir le bas de son dos non plus.
Et cette douleur, elle voulait tout dire. Si Stiles ne s'était pas souvenu de ce qu'il s'était passé la veille, il aurait compris. Manque de chance pour lui, il se souvenait de tout. Tout. Et pour n'affronter aucun regard, il s'en était allé le plus vite possible, profitant du sommeil de sa meute pour s'en aller en douce.
Sa conduite on ne peut plus nerveuse – qui lui avait presque fait provoquer un accident – avait attiré les regards de quelques passants, mais Stiles avait eu la joie d'arriver plutôt rapidement dans son quartier. Ensuite, il s'était engouffré dans sa maison.
Et le voilà roulé en boule sur son lit depuis plus d'une heure. A ne pas savoir quoi faire. Quoi penser. A se remémorer cette nuit qu'il ne comprenait pas. A se souvenir. A faire tourner chaque détail de cette soirée en boucle dans sa tête. A essayer de trouver une logique à tout cela.
Qu'est-ce qu'il en avait retenu ? Pas grand-chose, à part des images plus que dégradantes. Stiles était du genre pudique et dire qu'il avait peu confiance en lui était un euphémisme.
Ce qu'il s'était passé acheva de briser le peu d'estime de soi qu'il avait réussi à grapiller.
Techniquement, un être humain se retrouvait en état de sidération au moment où l'évènement qui le causait se passait. Stiles, lui, connut cette sidération après coup, dans son lit. A ne pas pouvoir bouger et à se rendre compte qu'il vivait un cauchemar sans nom. Car s'il avait pris un plaisir monstre cette nuit, c'était son contrecoup qui le paralysait.
Parce qu'il s'était littéralement offert à… Toute la meute. La quasi-entièreté de ladite meute lui était passée dessus.
Et c'était extrêmement difficile à avaler.
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- Stiles, je te conseille de ne pas me mentir, le prévint Noah. Passe-moi ce thermomètre !
Au lieu d'attendre que l'hyperactif s'exécute, il le lui prit des mains et laissa son regard perçant passer sur le petit écran affichant la température. Température qu'il prit le temps de bien regarder et presque d'analyser, avant de relever les yeux vers son fils. Il était vrai qu'il n'avait pas l'air en forme. Qu'il ne l'était pas. Et ça faisait trois jours. Le premier, Noah n'avait rien dit. Le second, non plus. Mais là, il avait quelques doutes.
Parce que Stiles s'était déjà fait passer pour malade par le passé, histoire de manquer les cours. Il faisait surtout ça à l'école primaire et au collège. Pas au lycée. Néanmoins, Noah se méfiait et c'était pour cela qu'il avait choisi de ne pas complètement faire confiance à son fils et de faire en sorte qu'il lui donne une « preuve » de son état.
La température qu'il avait n'était pas extrême, mais suffisante pour justifier une nouvelle absence.
Noah soupira, ne s'imaginant pas que Stiles avait pu faire en sorte de trouver un stratagème pour la trafiquer.
- Pour ce midi, il y a des restes d'hier. Quand je rentrerai, je te ferai un bouillon, d'accord ? Recouche-toi, fils.
Parce qu'il lui faisait quand même de la peine. Stiles avait réellement mauvaise mine et des cernes qui ne faisaient que mettre en lumière son manque de sommeil évident. D'ailleurs, il avait vomi pas plus tard qu'au milieu de la nuit – Noah l'avait entendu.
Sans un mot, Stiles se rallongea mollement dans son lit et rabattit la couette, qu'il remonta jusqu'à son menton. Le shérif, en uniforme, posa une dernière fois ses yeux sur lui.
- Si ça continue encore deux ou trois jours, je ferai venir Melissa ou le père de ton ami Liam. En attendant, repose-toi fiston.
Stiles hocha doucement la tête et d'un filet de voix, lui souhaita de passer une bonne journée au poste. Noah esquissa un faible sourire et s'en alla. Ce ne fut qu'une fois son père parti que l'hyperactif s'autorisa à souffler. S'enroula dans sa couette, défaisant totalement son lit – qu'il referait plus tard, si l'envie lui prenait. Même ça, ce n'était pas certain.
Stiles n'était pas malade pour un sou, mais il avait trouvé le moyen de tromper le thermomètre et la vigilance de son père. S'il restait méfiant – Stiles le savait –, il était du genre à croire ce qu'il voyait. En l'occurrence, la température affichée indiquait qu'il avait de la fièvre, alors ce devait être vrai. Du reste, Noah n'avait pas le temps d'insister, tant la journée promettait d'être longue de son côté.
Il était bien loin d'imaginer à quel point c'était encore plus vrai concernant Stiles.
Il pensait, sans arrêt. Se souvenait. Se demandait comment diable il avait pu… Et pourquoi tout le monde… Ce genre de choses. Cette soirée sur le thème de la luxure pure et dure le hantait jour et nuit. Le jour, il y repensait et la nuit… Il en faisait des cauchemars. Et puis il avait mal en bas du dos. Toujours. Enfin techniquement, les signaux douloureux avaient disparu, mais il les ressentait encore. C'était comme s'il devait se souvenir de ce qu'il s'était passé, ne pas oublier ce qu'il avait fait. Et même si c'était involontaire, ça s'était passé. Son corps avait agi, réagi, aimé. Stiles avait enchaîné les membres de la meute – et ceux qui ne l'avaient pas pris avaient reçu une gâterie.
Et ça, Stiles n'était pas sûr de pouvoir s'en remettre. Il en tremblait. Comment avait-il pu se laisser aller de la sorte ? Il avait littéralement sauté sur tout ce qui bougeait ! Avait laissé n'importe qui le prendre comme s'il n'avait aucune autre valeur que celle d'un trou que l'on utilisait seulement pour se vider. A chaque fois que les images de la soirée lui martelaient l'esprit, Stiles se faisait l'impression de s'être lui-même considéré comme un objet. De ne pas s'être accordé quelque valeur que ce soit.
Et la seule fois où il avait réussi à omettre une objection… On ne l'avait pas écouté. Scott ne l'avait pas écouté.
Ce moment-là était peut-être le pire de toute cette soirée. Pour être honnête, Stiles peinait à comprendre ce qu'il s'était passé, pourquoi Scott… Pourquoi il avait été si différent des autres dans son comportement. Pourquoi il avait eu l'air en parfaite possession de ses moyens, contrairement aux autres, pourquoi… Pourquoi il avait voulu… Stiles n'arrivait même pas à aller jusqu'au bout de sa pensée le concernant. Il en était incapable. Des larmes aussi discrètes que petites vinrent humidifier sa taie d'oreiller. C'était comme ça depuis qu'il était rentré ici. Il alternait les phases de sidération, de réflexion, de pleurs en tant que telles. Stiles n'était pourtant pas du genre à craquer ou du moins, pas de cette manière. Disons que ce qu'il avait vécu mettait ses nerfs à rude épreuve. Parce qu'il passait son temps à essayer de comprendre, de se comprendre. Pas un seul instant il n'imaginait qu'on ait pu le droguer ou l'influencer de sorte à l'utiliser. Non, Stiles se voyait comme l'unique responsable de tout ce bordel. Comme celui qui avait créé, attisé, dispersé l'envie aux quatre coins du loft. Il n'avait pas entièrement tort dans les faits mais en réalité… Rien de tout cela n'était de son fait. Mais puisqu'il n'avait rien pour le lui dire ou le lui montrer… Son cerveau agissait à sa guise et le torturait sans états-d'âme. Il se revoyait sauter, embrasser, griffer, hurler le plaisir d'une envie dont il ne comprenait pas l'origine. Qu'il n'était pas sûr d'avoir réellement ressentie, au final. Après tout, il avait été dans un tel état second qu'il avait peut-être… Peut-être quoi ? Exagéré ? Il ne savait pas, ne savait plus. Tout était trop flou, incompréhensible.
Forcément, Stiles avait peur de retourner au lycée. De croiser le regard de ses amis. D'y voir de la colère ou tout autre chose qui pourrait attiser sa culpabilité. Son téléphone ? Il l'avait éteint dès son retour à la maison. Il ne voulait parler à personne et s'il recevait quelque message de reproches que ce soit… Stiles n'était pas certain de la manière dont il pourrait réagir. Ce pouvait être violent. Violent parce qu'il se sentait détruit. Il n'était pas comme ça ! Pas du genre à baiser aussi sauvagement, à enchaîner les gens… Ses amis. Bordel, il s'était agi de ses amis ! C'était pire que tout… Stiles ne pourrait plus jamais les regarder dans les yeux. Il ne voulait d'ailleurs plus les voir. Il avait peur. Peur des représailles, de leurs réactions à eux. Est-ce qu'ils lui en voulaient ? Est-ce qu'il les dégoûtait ? Tous lui étaient passés dessus, ou presque. Chacun avait pris son pied à sa manière, avec lui. Et il avait aimé. Comment avait-il pu… ? Si certains devaient essayer d'oublier de leur côté, il imaginait sans mal à quel point certains devaient être en colère. Derek en particulier. Stiles l'imaginait furieux comme jamais, sans trop savoir pourquoi précisément.
Après un certain temps, Stiles se leva. La mort dans l'âme, il alla se déshabiller dans la salle de bain et fit couler une douche glacée sur son corps. Une douche qui le laissa transi de froid pendant un moment, mais qu'il s'évertua à ne pas arrêter. C'était comme si subir pouvait en quelque sorte expier ce qu'il avait fait. Et puis, pouvait-il avoir plus froid que cela ? A l'intérieur, il se sentait glacé. Complètement glacé. A l'extérieur, il tremblait. Ses larmes discrètes se mêlèrent à l'eau s'écoulant du jet. Stiles se lava, se frotta avec une force aussi inutile que démesurée. Aucune parcelle de son corps ne devait être oubliée. Il fallait qu'il passe partout. Il se lava, encore et encore, désireux de faire partir cette crasse immatérielle qui semblait lui bouffer autant la peau que l'esprit. Et alors qu'il fermait les yeux un instant, le visage de Scott se matérialisa dans sa tête. Le souffle de l'hyperactif se fit plus court qu'il ne l'était déjà et son cœur battit la chamade. S'il s'en voulait pour ce qu'il avait fait, c'était ça qui n'arrêtait pas de tourner en boucle. Ça qui se rappelait sans arrêt à lui, avec encore plus de force que le reste. C'était comme un mantra. Quelque chose qu'il ne devait pas oublier.
Qu'il ne pourrait pas oublier.
Stiles se laissa glisser contre la paroi opaque de la douche, le visage complètement détruit par tout ce qu'il ressentait. Est-ce qu'il avait le droit de se plaindre ? De hurler qu'il n'allait pas bien ? De dire qu'il ne s'était jamais senti aussi mal ? Il avait vécu tout un tas de choses difficiles dans sa vie, mais rien qui touchait de près ou de loin à l'intégrité de son corps ou de sa personne en général. Là, quelque chose en lui avait explosé et il était incapable de savoir quoi précisément.
Il savait juste qu'il ne voulait pas retourner au lycée pour le moment : il ne se sentait tout bonnement pas capable de faire face à ses amis, encore moins d'assurer sur quelque plan que ce soit. Il avait besoin d'encore un peu de temps seul.
