Chapitre 42 : Projet Évolution
Sur la route, Blue Cove Delaware
Les premières lueurs de l'aube commençaient à teinter le ciel de la ville de Blue Cove, Jarod, le caméléon était déjà reparti. Esseulée, Mlle Parker, sans se hâter, avait quitté son domicile pour se rendre dans l'endroit le plus sombre du monde. Le seul endroit où elle aurait ne jamais souhaité y mettre les pieds. Le moteur de sa berline noire ronronnait doucement alors qu'elle s'engageait dans les rues calmes, laissant derrière elle le quartier résidentiel encore endormi. Dans l'habitacle, une mélodie envoûtante se mêlait joyeusement à l'atmosphère matinale. Peu à peu, la jeune femme succombait à la mélancolie, celle-ci semblait être en parfaite harmonie avec ses tourments amoureux. Chaque petite note de musique résonnait en elle, éveillant de merveilleux souvenirs, de moments agréables et inoubliables passés en compagnie de son amant. La chanson était comme une consonance poignante de leurs sentiments mutuels, rappelant la légèreté de leur relation, de leur proximité, de leur complicité. Et malgré tout, elle redoutait d'être abandonnée, rejetée par lui. Cela arriverait forcément. La jeune Miss n'avait jamais pu garder un homme plus de quelques mois. Elle finissait soit par les quitter de peur de trop s'y attacher soit par mourir. Mais Jarod ? Qu'en était-il ? Elle avait dérivé vers ses pensées, le regard perdu au loin, Mlle Parker ne réalisa pas tout de suite qu'une voiture surgissait, là juste devant elle. Le klaxon strident d'un conducteur énervé voire très en colère la tira brutalement de sa rêverie par des injures vulgaires. Ses réflexes s'activèrent instinctivement, parvenant ainsi à tourner le volant à la dernière seconde, évitant de ce fait une collision frontale. Son cœur manqua de s'arrêter, sa respiration était saccadée, son corps vibrait tant l'émotion et la frayeur était forte. Elle aurait dû conduire un peu plus prudemment.
Par mesure de sécurité, elle gara sa voiture sur le bas-côté de la route, les mains encore toutes tremblantes. Assise sur son siège, elle réfléchissait à la perspective d'une autre vie. Une autre vie avec Jarod et son fils. Elle était déchirée entre son devoir envers le Centre et ses propres aspirations. Prise au piège par le tourbillon de l'amour, elle était dans un état de pleine satisfaction. Alors qu'elle tentait de reprendre ses esprits, une autre chanson commençait à jouer à la radio, la plongeant dans un univers utopique, là où tout paraissait être absolument parfait. Sa tête reposée sur l'anneau circulaire de sa berline, décontracté et les paupières closes, elle s'abandonna littéralement à ses fantasmes encore interdits, imaginant une scène idyllique où elle, Jarod et le bébé Parker formeraient une vraie famille. Un parc fleurissant, dans un immense champ de verdure, sous un ciel bleuté et sans nuage. Le cadre idéal ! Les deux cœurs seraient amusés et charmés par le doux rire du petit garçon, par l'innocence qui brillerait dans l'éclat de ses yeux, par son sourire que l'on pourrait comparer à un arc-en-ciel après la pluie et par sa gestuelle d'une grâce inouïe. Les jeunes amoureux se regarderaient, se souriraient, s'embrasseraient jouant avec le petit caméléon, insouciant et radieux, nourrissant ensemble les canards sur le bord de l'étang. Le Centre, Raines et Lyle n'étaient plus que de lointain souvenir et tous les trois seraient enfermés, épanouis dans leur petite bulle de bonheur. Elle sentait déjà les lèvres de son amant jouer avec les siennes, l'odeur de l'émancipation, la chaleur du soleil brûler sa peau tandis qu'elle se voyait vivre cette entente parfaite en famille, se projetant dans une tout autre existence où ils pourraient être enfin eux-mêmes, heureux, libres et amoureux, aussi loin que possible des manipulations, des mensonges et des complots. Serait-elle, un jour, prête à décider de son propre avenir où allait-elle laisser le Centre décider de son propre sort ? Pour l'instant, elle n'était pas dans la capacité de faire un choix quel qu'il soit ! Elle soupira, secouant lentement la tête, faisant virevolter autour d'elle ses cheveux noirs. Malheureusement pour la jeune femme, ce songe bien qu'éphémère, mais néanmoins extraordinaires fut brusquement interrompu lorsque son téléphone portable se mit à sonner soudainement. Le bruit tonnant la ramena tristement et brutalement à la réalité. Elle ouvrit les yeux, essuya une larme qui venait mouiller sa joue, puis attrapa son appareil pour répondre. C'était Broots.
« Quoi, Broots ?
- Oui, Mlle Parker, c'est bien moi. J'ai trouvé les informations sur le projet "Évolution" comme vous me l'aviez demandé.
- Et bien, ne me faites pas attendre.
- Voilà, d'après ce que j'ai sous les yeux, il semblerait que le projet "Évolution" soit une branche du projet Genius axée sur la création et la manipulation génétique d'enfants dotés de capacités exceptionnelles.
- Jusque-là, vous ne m'apprenez rien, Broots.
- Oui, mais il y a plus. Le Centre a mené des essais sur la création d'embryons modifiés génétiquement et sur la manipulation de certains sujets pour développer des aptitudes spécifiques. Il y a des références à des tests, des évaluations et d'autres expérimentations.
- Des tests et des évaluations sur quels sujets, exactement ?
- Sur des enfants, sur de jeunes nourrissons. Il est mentionné que ces essais ont été menés sur des individus sélectionnés pour leurs caractéristiques génétiques particulières.
- Des individus sélectionnés... Ça semble familier. De quoi parle-t-on ? Quelles sont ces autres expérimentations ?
- C'est inimaginable. Vous ne comprenez pas, Mlle Parker. Bon sang ! Ils créent des bébés qu'ils modifient ensuite à leur convenance afin de les faire évoluer. Ce qu'ils veulent, ce sont des individus avec des capacités hors du commun, et ce, dans différents domaines. La manipulation mentale, la psychokinésie, la maîtrise des langues, la mémoire eidétique, et bien plus encore. Je… Je pense que le Centre cherche à créer des… Des surhumains. Ils ont peut-être vu cela comme une opportunité d'étendre leur pouvoir et leur contrôle sur des sujets qui pourraient être manipulés à leur guise. Mlle Parker, les conséquences sont très graves. Ils faut les arrêter !
- Et ces enfants... Qu'est-il advenu d'eux ? elle serra le volant dans sa main craignant la réponse qu'elle soupçonnait déjà de connaître.
- Certains d'entre eux sont toujours sous le joug de Raines. Ce sont des cobayes. D'autres ont été exploités pour leurs dons, sans égard pour leur bien-être. Mais le plus horrible, ce sont les bébés. Des bébés. De l'âge du petit Parker. Eux, ils n'ont pas survécu aux essais.
- Je veux que vous continuiez à creuser, Broots. Trouvez-moi tout ce que vous pouvez sur le projet "Évolution".
- D'accord, je vais continuer à chercher. Mais vous, faites attention, Mlle Parker. Je sens que vous vous approchez de quelque chose de dangereux.
- Et moi, je sens que le fils de Jarod court un grand danger. Je suis sur la route, j'arrive ! »
Maison Bellcrest, Avon, Ohio 36772
Dans la chaleureuse maison familiale, située dans l'Ohio, on pouvait sentir comme un air d'excitation envahir les différents esprits qui habitaient ces lieux. Sa présence ici était l'occasion pour le jeune homme de se réunir avec sa famille. Il avait une révélation d'une grande importance à faire. Tout le monde s'était rassemblé dans le salon. Un espace élégant et accueillant, décoré dans un style colonial classique. Pour une légère touche d'élégance et de raffinement, les murs avaient été peints dans une teinte apaisante, peut-être un beige ou un crème, mettant en valeur les boiseries délicatement sculptées encadrant les fenêtres et les portes. Le sol était recouvert d'un magnifique parquet en bois sombre avec des motifs géométriques. Quant aux mobiliers du salon, eux, avaient été choisis avec soin. Un grand canapé rembourré et des fauteuils moelleux et assortis étaient disposés autour d'un tapis persan aux couleurs riches et aux motifs traditionnels, invitant les membres de la famille à y prendre place. Une bibliothèque en bois massif remplie de nouveaux livres occupait tout un pan de mur. Et là, au-dessus de la cheminée en pierre, un miroir bordé de bois attirait le regard, le rebord, lui, était agrémenté du peu de photos de famille que chacun avait pu conserver ainsi que des petits bibelots alors que des tableaux en tout genre étaient accrochés dans les quatre coins de la maison. Tout avait été décoré avec beaucoup de goût afin de rendre la pièce plus vivable. Jarod était assis au milieu du canapé, ses parents à ses côtés, Émily et Ethan, en face de lui, et J.C adossé contre une porte, observant la scène. Le jeune caméléon prit enfin la parole :
« Si je suis venu aujourd'hui, c'est parce qu'il s'est passé quelque chose de très important.
- Le Centre nous a retrouvés, c'est ça, fiston ? demanda le Major affolé prêt à plier bagage.
- Non, papa. Le Centre ne vous trouvera jamais ici. Tout est sous contrôle.
- Tu es malade Jarod ? s'inquiéta Margaret.
- Non maman. Rassure-toi, je vais très bien.
- Tu repars encore ? ironisa la cadette.
- Emily, je fais au mieux, il s'était levé.
- Jarod. Tu t'es enfin décidé ! Je suis vraiment très heureux pour vous deux, Ethan se leva à son tour et serra son frère aîné dans ses bras.
- De quoi me parles-tu ?
- Mais de tes fiançailles avec Mlle Parker. Tu l'as bien demandé en mariage, n'est-ce pas ?
- Non. Il ne s'agit pas de ça. Jarod, gêné, s'adressa à son clone. Tu as quelque chose à ajouter ?
- Tu n'as qu'à le leur dire !
- Je voudrais que vous m'écoutiez tous, s'il vous plaît, il marqua un temps d'arrêt. J'ai appris très récemment que j'avais un fils, il a environ un an, il s'arrêta de nouveau avant de reprendre. Il n'a pas été conçu d'une manière très naturelle. Cet enfant est né d'un projet. Un projet appelé Genius. Il est le produit d'une manipulation génétique. Un embryon à été créé en utilisant mes gênes combinées à ceux de la mère. C'est encore une énième expérience du Centre. Tu vois, Ethan, ça n'est pas un conte de fées. »
Les paroles qu'avait prononcées le caméléon firent tressaillir l'assemblée. Alors que Margaret, le visage impassible, ne disait nul mot, Émily et Ethan échangèrent un regard plein de compassion. Ce dernier réalisa qu'il avait commis une grossière erreur en parlant de mariage. « Non, mais quel idiot ! » Tandis que le duplicata de Jarod semblait être assez perplexe. Cette troublante révélation suscitait en lui beaucoup de questions qui nécessitait forcément d'avoir des réponses. Il essaya donc de comprendre les implications que cette expérience pourrait engendrer. Quant à Charles, lui, affichait une expression de fierté. « Jarod, mon grand ! Tu es père. Peu importe comment cela s'est produit. Ça c'est produit. Il est là. Et c'est l'un des plus beaux cadeaux que la vie puisse t'offrir. » déclara le Major. Avec un large sourire, Jarod sortit une photo du bébé de sa poche et la passa à sa mère, voulant partager son petit bonheur avec elle. Mais alors qu'elle regardait furtivement celle-ci, Margaret était tout à coup devenue préoccupée. Ses yeux fixaient étrangement l'image, c'était comme si quelque chose la perturbait. Jarod remarqua rapidement chez elle ce comportement suspect, le gyrophare au-dessus de sa tête se mit en alerte. Il se demanda ce que sa mère pouvait bien cacher. Que savait-elle sur les origines de l'enfant ? Il était évident qu'elle savait quelque chose. Et quels étaient ces secrets qu'elle gardait enfouis au fond d'elle depuis bien trop longtemps ? Chacun, à leur façon, essayait de digérer la nouvelle comme il pouvait s'extasiant sur la photo du petit garçonnet. Celle-ci montrait un adorable bébé, les yeux pétillants de malice, ses joues joufflues, un sourire éclatant. Il tenait un petit caméléon en plastique dans ses mains, ce qui fit rire tout le monde.
Le Centre Blue Cove Delaware
Mlle Parker était assise dans son fauteuil bien à son aise, le teint pâle, la mine fatiguée. Elle était vêtue d'un tailleur noir, sa tenue et sa coiffure étaient toujours impeccables comme à chaque fois. Ses yeux, d'ordinaire perçants, avaient, aujourd'hui, perdu un peu de leur clarté. C'était alors que Broots, un dossier et une photo du bébé Parker à la main, et Sydney entrèrent dans le bureau tandis que Mlle Parker souffrait de terribles migraines troublant ainsi autant sa concentration que son calme. Tout commença par un léger picotement derrière son front, une sensation diffuse qui s'intensifiait de manière insidieuse. Elle ressentait une petite pression invisible pesée sur son crâne, apparentée à un étau se resserrant tout autour de sa tête. Elle portait une main à sa tempe, afin de soulager sa douleur. Le psychiatre remarqua immédiatement son abattement et lui suggéra de rentrer. Non ! Plus tard. « Avez-vous trouvé autre chose concernant le projet Évolution ? » avait-elle demandé. L'informaticien fit signe d'un non de la tête. Ça risquait de prendre un peu plus de temps !
« Mlle Parker, je me demandais... Est-ce que vous avez déjà envisagé d'avoir des enfants un jour ? Vous savez, être mère ?
- Des enfants ? Eh bien, je dois avouer que je n'y ai jamais vraiment pensé sérieusement. Le Centre a toujours été ma priorité jusqu'à ces derniers mois. Sydney, vous ne dites rien ?
- Non. Je… Je préfère écouter, il s'etait tenu à distance de ses amis.
- C'est bien la première fois que vous ne participez pas à une conversation. D'habitude, vous ne ratez jamais l'occasion de jouer les psy ! Alors où en sommes-nous Scooby Doo. Cette discussion m'intéresse. Continuez !
- Oui, nous parlions de la parentalité. Je disais donc… Hum, il recula de trois pas. Comment vous sentiriez-vous par rapport à la maternité ? Est-ce que vous pensez être faite pour ça ?
- C'est difficile à dire. Vous savez, ma vie est très compliquée, et je suis souvent confrontée à des situations dangereuses et stressantes. Être mère, c'est une grande responsabilité. Ce n'est pas un jeu. Ce n'est pas une aventure dans laquelle je suis prête à me lancer. Ça mérite réflexion !
- Mais en admettant qu'un jour, vous trouviez le vrai grand amour et un véritable équilibre dans votre vie, vous vous sentirez prête à fonder une famille ? Est-ce que vous seriez prête à quitter le Centre pour fonder votre propre famille ?
- La perspective d'avoir une famille à soi et d'être aimée me paraît réconfortant. C'est ce dont rêve toutes les petites filles. Mais faut-il être faite pour ça ! Ce qui n'est pas mon cas. Pourquoi toutes ces questions ? »
Broots se tenait debout face à elle. La photo du petit Parker, entre ses doigts. Son regard inquisiteur était alternativement rivé entre le cliché et Mlle Parker, qu'il observait avec une attention quasi-obsessionnelle. Elle dégageait une beauté froide voire presque inaccessible. Toutefois, il ne pouvait s'abstenir de comparer les traits physiques du nourrisson à ceux de sa ravissante collègue. Il examina les moindres détails, tout d'abord, le joli visage de la jeune femme, dont la forme était plutôt anguleuse. La ligne et la fine épaisseur de ses sourcils ainsi que le contour de ses lèvres bien dessinées étaient similaires à ceux du garçonnet. Le nez légèrement courbé de Mlle Parker se reflétait sur le nourrisson. Mais ce qui frappa le plus Broots. C'était tout autre. Le bébé Parker semblait avoir hérité de la moue boudeuse caractéristique de la Miss, une expression qu'il avait vue à maintes reprises chez elle. Cette grimace était complétée par un sourire malin identique à celui de la jeune femme. « Est-ce là des similitudes fortuites ou y avait-il vraiment un lien génétique entre les deux ? » pensa-t-il. Fasciné par cette ressemblance, il se demandait si ces traits communs étaient le résultat surprenant de cette manipulation génétique sophistiquée ou simplement une coïncidence troublante. Il ne pouvait plus se taire. Il fallait qu'il en parle !
« Mlle Parker, il faut que je vous dise. Je suis désolé, Sydney, mais il faut qu'elle sache. Je crois que ce bébé est le vôtre ! annonça-t-il naturellement.
- Ah non ! Ça ne va pas recommencer. Non, ce n'est pas le mien !
- Comment ? Vous savez alors ?
- C'est Jarod. Il cherche à tout prix à savoir qui est la mère.
- Regardez-le bien ! il lui tendit la photo. Ne voyez-vous pas quelques similarités entre vous ? Le nez, la bouche, les sourcils…
- Son nez est parfait. Je trouve au contraire qu'il ressemble à Jarod. Ils ont les mêmes yeux bruns vifs et intelligents. Vous savez Broots, à cet âge-là, les bébés sont en plein développement. Dites-lui, Sydney.
- Il est vrai que le petit peut présenter des caractéristiques héritées de ses deux parents et qui peuvent évoluer avec le temps. Cela ne signifie pas pour autant que Mlle Parker en soit la mère.
- Merci Sydney. elle souriait.
- Oui, Sydney, merci pour le soutien !
- Écoutez Broots, je refuse de croire que cet enfant soit le mien. J'ai été élevée au sein du Centre, et je sais ce qu'ils sont capables de faire. Mais je ne suis pas comme Jarod, je ne suis pas la mère de ce bébé. Je ne vais pas me laisser emporter par des suppositions sans fondement.
- Comment faites-vous pour nier l'évidence, Mlle Parker ?
- Et vous ? Avez vous une preuve de ce que vous avancez ? Qu'est-ce qui vous fait pensez Broots que cet enfant serait le mien ? »
Maison Bellcrest, Avon, Ohio 36772
Jarod, l'expression sérieuse se tenait là droit, au centre de la pièce, captivant l'attention de l'assemblée. Avec des mots soigneusement choisis, il expliqua en détail le processus complexe qu'était la manipulation génétique qui avait conduit à la conception de son enfant, Tout en parlant, Jarod utilisa des schémas, des illustrations, des photographies qu'il avait au préalable affichés sur l'écran de son ordinateur pour rendre ses dires plus claires, veillant à ce que même les membres de sa famille qui n'étaient pas familiers avec les termes scientifiques puissent comprendre. Il évoqua les gènes modifiés, les manipulations des embryons, et les conditions artificielles de la gestation qui avaient abouti à la naissance de son fils. Emily, assise à côté de sa mère, écouta avec admiration son grand frère. Elle était à la fois fière de lui et inquiète pour ce qui faisait du bébé son neveu. Ethan, était resté en retrait, un peu perdu dans cette conversation trop savante à son goût. Il grignotait des biscuits posés sur la table basse. Pour lui, il fallait coûte que coûte récupérer le nourrisson avant qu'il ne serve de cobaye au Centre ! Quant au clone, il imaginait très bien ce que pouvait éprouver Jarod. Son existence même était le résultat d'une expérience génétique, de clonage plus exactement. Margaret et Charles, eux, ne savaient quoi dire. Le Centre ne s'arrêterait pas là, tant que personne ne l'arrêterait ! Puis vint le moment où il aborda le sujet de la mère inconnue et de la disparition du bébé. Angoissé de ce qu'il pourrait arriver à l'enfant, il implora l'aide des membres de sa famille pour le retrouver, pour découvrir l'identité de la femme qui avait été forcée, tout comme lui, à devenir une victime de cette expérience.
« C'est compliqué, vous savez. Je vous ai dit que c'était une manipulation génétique. La mère est… En quelque sorte inconnue.
- Comment ça "inconnue", Jarod ? Tu ne sais pas du tout qui est la mère de ton fils ? Tu ne peux pas avoir des informations sur elle ? Comment est-ce possible ? interrogea le père.
- C'est une longue histoire. J'ai quelques pistes, mais je n'ai pas encore pu confirmer quoi que ce soit. Pour tous vous dire, jusqu'à ces dernières semaines, on ignorait qui il était vraiment.
- "On" ? Je présume que tu parles de Mlle Parker, c'est ça ?
- Oui, Emily. Jusqu'à présent, on pensait qu'il était son petit frère.
- Oh, super, on a un bébé avec une mère fantôme. Génial ! s'exclama Emily sur un ton sarcastique.
- Comment veux-tu t'y prendre pour les retrouver tous les deux ? demanda Margaret.
- Peut-être devrions-nous éviter de lui mettre trop de pression. Il traverse déjà assez de choses en ce moment, avait dit le petit frère.
- Vous savez, je suis conçu à partir des mêmes gènes que Jarod. Peut-être que je peux aider à trouver des réponses.
- Merci, c'est gentil de ta part. Jarod, l'original le remercia par un sourire.
- Oh, attends, je sais ! Peut-être que la mère de cet adorable bébé n'est autre que cette Mlle Parker, cette femme froide et méprisable que tu as toujours dans les jambes ! Vous vous rendez compte que si c'est elle, elle fera partie de la famille. Non, je ne veux pas d'elle ici. Je ne veux pas que cette femme fasse partie de notre famille !
- Ça suffit ! était intervenue la mère. Je te demanderais de faire preuve d'un peu plus de respect envers ton frère.
- Je suis désolée, maman. C'est plus fort que moi. C'est que cette femme… Je ne supporte plus d'entendre parler d'elle.
- Emily, arrête ! gronda Ethan. Arrête tes attaques incessantes envers Mlle Parker. C'est injuste et ce n'est pas mérité. Tu ne sais rien d'elle. Elle n'y est pour rien dans ce qui est arrivé à votre famille. Tu n'as pas le droit de la juger sans la connaître. Et tu n'as pas le droit de parler d'elle comme ça en notre présence. C'est ma sœur, c'est la femme qu'il aime. C'est irrespectueux.
- Merci Ethan. Emily, je n'ai pas envie de me disputer avec toi alors cette fois-ci, tu vas bien m'écouter…
- Je... Je ne voulais pas dire… elle leva la tête vers Jarod, le regard coupable puis baissa les yeux, honteuse de ses propos.
- C'est assez. Je t'aime Emily, mais si tu veux être proche de moi et de mon fils, un jour, tu dois arrêter ces préjugés. Je ne tolérerai plus de critiques gratuites envers Mlle Parker. Elle fait partie de ma vie, il va bien falloir que tu l'acceptes et si tu ne le peux pas cela signifiera que tu ne peux pas faire partie de ma vie de la manière dont je l'espérais. Je refuse de sacrifier ma relation avec elle pour satisfaire tes rancunes. Mon fils, Mlle Parker et moi avons droit à un avenir sans jugement de ta part et si tu ne peux pas faire partie de cet avenir sans accepter la réalité, alors peut-être que nos chemins doivent se séparer ici, il s'arrêta un bref instant et reprit tristement, je vais prendre l'air. J'ai besoin de réfléchir, il sortit de la maison, déçu.
- Tu exagères vraiment. Il a raison. Tu sais, tu devrais vraiment faire un effort pour essayer de comprendre Jarod et son monde avant de juger. Et cela inclut aussi Mlle Parker. Et que tu le veuilles ou non, elle fait déjà partie de la famille, avait rétorqué Ethan avant de partir rejoindre le caméléon.
- Hum… Hum… Qui a dit que les relations fraternelles étaient simples ? lança Charles.
- Je ne t'ai pas élevé comme ça, Emily. Je ne te reconnais pas. Toi qui es une personne pleine de gentillesse et de compassion. Hein ? Pourquoi tu agis comme ça ? Qu'est-ce qu'il se passe ma chérie ? » s'inquiéta Margaret.
Le Centre Blue Cove Delaware
Mlle Parker, visiblement impatiente d'entendre ce que Broots avait à lui dire, tapa du pied sous le bureau. L'informaticien savait que sa théorie était audacieuse et risquée néanmoins, elle était cohérente. Il craignait fortement la réaction de la jeune femme, qui pourrait le prendre pour un fou ou rejeter complètement ses idées. Selon Broots, la meilleure façon pour lui d'exposer ses pensées sans paraître trop invasif aux yeux de ses collègues était de regrouper les indices recueillis jusqu'ici. Tout d'abord, les similitudes physiques qu'il avait notées entre la Miss et le nourrisson ainsi que les informations qu'il avait accumulées sur les projets Genius et Évolution. « Comment aborder le sujet en évitant de la mettre sur la défensive ? Être aussi factuel que possible ! » Serait-elle ouverte à considérer la possibilité de ce qu'il allait lui soumettre ? Pourrait-elle voir les choses sous un nouvel angle, même si cela remettait en question ses principes ? Il n'allait certainement pas tarder à le savoir !
« J'attends votre réponse Broots ! Pourquoi ?
- Eh bien, Mlle Parker, avec tout ce que nous avons découvert récemment, et en considérant les ressemblances physiques entre vous et le bébé, je me suis posé des questions. Vous voyez, le projet Évolution avait pour objectif de créer des enfants génétiquement modifiés, avec des capacités exceptionnelles. Et là, ça a allumé une petite ampoule dans ma tête.
- Qu'est-ce qu'il vous prend ? elle eclata de rire. Vous faites de l'humour vous maintenant ? Quelle ampoule, Broots ? De quoi parlez-vous ?
- Nous savons que le Centre est capable de manipuler des gènes pour créer des embryons, n'est-ce pas ? Donc, ce que je me demande, c'est si... Si votre matériel génétique n'aurait pas été utilisé pour donner vie à ce petit être. Je sais que ça semble incroyable et absurde, mais Mlle Parker, avez-vous, ne serait-ce, un instant envisagé la possibilité que peut-être vos gènes auraient été combinés avec ceux de Jarod pour créer ce bébé... Sans que vous ne le sachiez.
- Vous pensez vraiment que le Centre irait aussi loin ? M'impliquer dans une expérience de cette envergure ?
- Votre mère, elle-même, a été une de leur victime. Pourquoi refusez-vous d'y croire ?
- Parce que mon père n'aurait jamais permis ça ! C'est impossible !
- Mlle Parker, avec tout le respect que je vous dois, votre père n'est plus de ce monde. Nous ne pouvons plus obtenir de réponses de sa part. Toutefois, il y a un moyen de découvrir la vérité...
- Avant d'affirmer quoi que ce soit Broots, nous devons nous assurer d'avoir des preuves solides, interrompa le psychiatre.
- C'est pourquoi j'ai pensé à un test ADN. Nous pourrions confirmer ou infirmer la paternité de Mlle Parker en comparant son ADN à celui du bébé.
- Comment obtiendrons-nous un échantillon du sang du petit garçon ? Vous avez une idée Broots ? demanda Sydney, intéressé.
- Il y a peut-être une solution. Lorsque le petit est né, le Centre a fait prélevé et conservé son sang placentaire dans leur centre de stockage de liquides organiques. Je me disais que nous pourrions peut-être en prélever un petit peu pour effectuer le test.
- Non, absolument pas ! Je refuse de me plier à cette torture mentale. C'est hors de question, Broots !
- Si vous me permettez Mlle Parker, intervena Sydney. Je crois que ce serait la meilleure solution. Si nous faisons ce test, cela pourrait répondre à toutes vos questions, à nos questions. Si vous n'êtes pas la mère, alors nous pourrons mettre fin à toutes ces spéculations. Si vous l'êtes, nous aviserons en conséquence. »
Maison Bellcrest, Avon, Ohio 36772
À Avon dans l'Ohio. De vastes étendues verdoyantes s'étendaient à perte de vue, parsemées de parterres de fleurs aux couleurs chatoyantes. Au centre du jardin, se trouvait un magnifique lac miroitant, entouré d'arbres majestueux et nobles projetant leurs ombres sur ses rives. Un petit pont en bois traversait le lac, menant vers une petite balançoire suspendue à une branche robuste, qui tanguait au gré du vent. Non loin de là, une table de pique-nique sous un parasol coloré offrait un endroit propice aux discussions et aux repas en plein air. Les mains derrière le dos, la tête vers le haut, Jarod se promenait dans ce décor presque paradisiaque, absorbé par ses propres réflexions. Il ressentait comme une légère pointe d'excitation l'envahir rien qu'à l'idée de rencontrer son fils pour la première fois, de le tenir dans ses bras, de le voir grandir. Au fur et à mesure qu'il s'enfonçait lentement dans le jardin, ses pensées se dirigèrent vers son autre source de préoccupation : Mlle Parker ! Où plutôt l'une de leurs dernières conversations. Celle où elle avait réussi à éluder sa question. Et mieux encore, elle lui avait fait promettre de ne pas fouiller dans son dossier médical. Et maintenant, le voilà coincé ! Qu'allait-il bien pouvoir faire ? « Ah, les femmes ! Impossible de leur résister. » Cependant, le fait est que la jeune femme pourrait être la mère de son fils l'enchantait au plus haut point. Ce serait inespéré pour lui. Il souriait tout en imaginant un avenir totalement différent de la réalité, où lui, Mlle Parker et « leur enfant » vivraient ensemble, tous les trois, sous le même toit. Soudain, ses pensées se transformèrent en un rêve éveillé. Mlle Parker, vêtue d'une jolie robe lavande, était assise sur la balançoire, se poussant doucement, le petit garçon, sur ses genoux, riait aux éclats, son visage angélique illuminé par le bonheur. Jarod s'approcha lentement, se joignant à eux. Plus loin, près de l'étang, le rêve se poursuivait. Un pique-nique était dressé sur une jolie couverture à carreaux, et Mlle Parker, le sourire aux lèvres, déballait un panier rempli de mets délicieux. Jarod observa la scène avec émerveillement tel un spectateur. Le bébé tendait ses douces petites mains vers lui, cherchant à être pris dans les bras, ce que fit le caméléon le serrant tout contre lui, contre son cœur gonflé par l'amour paternel. Mlle Parker et lui partagèrent un regard complice. Il inspira profondément submergé par la chaleur de cette vision, souhaitant qu'un jour, elle devienne réalité. Tandis qu'il marchait paisiblement, il entendit son frère l'appeler.
« Jarod ! Hé, Jarod, où es-tu ?
- Je suis là, petit frère. Jarod se retourna et aperçut Ethan sortir de derrière un bosquet. Il s'approcha de lui. Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Emily... Elle a vraiment eu tort de critiquer Parker de cette manière.
- Je préfère ne plus en parler, il haussa les épaules. Écoute, je sais que les autres ne peuvent pas m'aider, mais toi, Ethan, tu peux.
- Comment ? demanda le jeune frère.
- Utilise ton sixième sens.
- Jarod, je ne peux pas te promettre quoi que ce soit. En ce moment, c'est assez difficile, je ne suis plus connecté à lui. Ça me frustre. Je pense que l'ambiance ici ne m'est pas très favorable. Mais sache que je ferai de mon mieux. Tu peux compter sur moi.
- Merci. C'est tout ce que je te demande.
- Et Parker ? A-t-elle pu découvrir quelque chose ? Elle doit avoir des informations ?
- Non, elle n'est pas plus avancée que moi. Toute cette histoire la bouleverse. Je crois que c'est beaucoup trop pour elle.
- Elle te manque ?
- Tu dois me prendre pour un fou. Oui, elle me manque.
- Alors qu'est-ce que tu fais là, Jarod ? Va la rejoindre.
- On a prévu de se retrouver à New-York, ce week-end. Jusqu'à là, j'avais prévu de passer un peu de temps avec ma famille.
- Eh bien, dans ce cas, Jarod... Pourquoi ne m'emmènerais-tu pas avec toi à New York ? Là-bas, je serai plus à même de t'aider, et puis j'ai hâte de revoir ma grande sœur.
- Vraiment ? Tu es sûr ?
- Oui, absolument !
- Je veux dire, tu n'as plus peur de te faire prendre ?
- Tu prends des risques alors je peux en faire tout autant. Quoiqu'il en soit, je suis certain que tous les trois, nous pourrons retrouver l'enfant sain et sauf, Jarod. Toi, moi et Parker, ensemble ! »
La conviction d'Ethan rassura le caméléon. Savoir qu'il pouvait compter sur son petit frère pour l'aider lui donna l'espoir dont il avait besoin. Sans un mot de plus, et dans un geste d'affection purement fraternelle, Jarod prit Ethan dans ses bras et l'enlaça.
Le Centre Blue Cove Delaware
Toujours dans le bureau de la jeune femme Sydney essayait désespérément de faire comprendre à Mlle Parker l'intérêt de pratiquer un test ADN. Elle était réticente. L'informaticien s'était absenté, une urgence d'après lui. La jeune femme avoua à Sydney avoir peur des résultats.
« Parker, qu'est-ce qui vous effraie ?
- Sydney, vous ne comprenez pas ! Les résultats de ce test pourraient tout changer. Si cela s'avérait exact, ça signifierait que Jarod et moi, nous serons liés d'une manière que je ne saurais l'exprimer, elle couvra son visage entre ses mains.
- Écoutez-moi, vous ne pouvez pas rester dans l'incertitude, Parker et Jarod non plus. Vous ne pouvez pas le laisser dans l'ignorance et attendre les réponses que vous pouvez lui donner, il s'approcha d'elle pour lui faire face. Il doit savoir. Il l'a le droit de savoir. Vous pouvez lui épargner des mois voire des années de recherche. Vous pouvez vous éviter cette souffrance inutile à tous les deux.
- J'ai peur, Sydney. Si je suis la mère de cet enfant, cela impliquera forcément de grands changements dans ma vie. Devrai-je quitter le Centre ? Devrai-je quitter ma maison pour aller vivre avec Jarod ? Devrai-je l'épouser ? Devrai-je élever notre fils avec lui ? Est-ce qu'on va devenir comme toutes ces personnes mariées et prisonnières de leur vie ? Est-ce que je suis prête pour cette vie-là ?
- Ce sont des questions légitimes, Parker. Prendre conscience de la paternité. Et le bien-être de l'enfant, est la seule chose qui importe.
- Et si nous n'avons aucun lien de parenté ? Et si ce n'est pas mon enfant ? Sydney, je me suis surprise à envisager la possibilité de l'être... Je me suis attachée à lui, à penser à ce que cela signifierait d'être sa mère. Si je ne le suis pas, comment vais-je supporter de le perdre à nouveau ? Le perdre une seconde fois me serait insupportable. Sydney, j'ai peur de savoir… Je ne veux pas savoir.
- Rien ne vous empêchera de tisser des liens affectifs avec lui. Ce sera à vous de décider de la suite des événements. Prenez quelques jours pour réfléchir.
- Si j'accepte de le faire. Ce sera moi et seulement moi qui annoncerai les résultats quels qu'ils soient à Jarod.
- Bien sûr. Ça paraît évident.
- D'accord… Faisons-le ! »
La décision venait d'être prise. Malgré ses peurs et ses doutes, Mlle Parker trouva le courage d'aller de l'avant avec le test ADN, sachant qu'elle pouvait toujours compter sur le soutien et l'amitié de Sydney et de Broots pour surmonter les épreuves à venir.
