Chapitre 12.
Snape avait reçu trois visites de Minerva, dont il avait espéré qu'elle change de peau pour faire apparaître les traits de Granger, en vain.
De facto, il avait été encore plus infect avec elle.
Quelque part, il s'en voulait, mais ça avait été plus fort que lui.
La présence de la jeune femme atténuait un peu ses douleurs, et c'était tout ce qui lui importait à l'heure actuelle. Il ne pensait même plus à Granger d'une quelconque façon que ce soit, hormis avec cette obsession folle en tête qu'elle le hantait. Il n'y avait plus de sentiments, plus de cohérence, uniquement de la douleur.
Or, il souffrait bien trop pour avoir la capacité de réfléchir au pourquoi du comment, et même bien trop pour lui en vouloir d'une quelconque façon.
Lorsque Minerva arriva dans sa chambre ce jour-là, Snape eut envie de fêter cet événement, Granger ou pas Granger. Le personnel s'était enfin décidé à le détacher, et dieu, s'il n'avait pas été si fatigué, il aurait été capable de taper un sprint dans l'hôpital tout entier tellement il en était heureux. Il en avait profité pour requérir des vêtements un peu plus dignes de ce nom, même s'il était loin de sa redingote si chaude et réconfortante.
Dire qu'il n'avait suffit que d'un t-shirt blanc et d'un pantalon noir pour se sentir de nouveau exister. Lorsque Minerva fit son entrée habituelle, la sorcière se figea devant un Snape debout, qui la dépassait d'une bonne tête. Sa posture était fière, et droite, son regard intransigeant. Le sorcier leva un sourcil dans sa direction, avant qu'elle ne se racle la gorge.
Puis, elle s'approcha doucement de son collègue qui eut un mouvement de recul réflexe.
« J'ai refais les calculs, je n'ai pu que constater que rien n'est à déplorer. »
Snape leva les sourcils, et Hermione fronça les siens.
« Quoi ? Demanda-t-elle.
_ Je crains que vous ayez omis un détail, souleva Snape en désignant maladroitement l'apparence de la sorcière devant lui. »
Hermione baissa lentement les yeux, avant de laisser trainer un « oh » et de lever le maléfice.
Snape sentit tout à coup l'air lui manquer alors que Granger était devant lui, en chair et en os.
Ses mains se mirent à trembler, et il prit place sur son lit, se voulant discret alors qu'il se sentait chamboulé.
Snape déglutit avec difficulté, une boule se formant peu à peu dans sa gorge, boule qui ne disparut qu'en sentant le matelas s'affaisser à sa gauche.
« Professeur ?
_ Désolé, balança Snape, les mains toujours aussi tremblotantes. Comprenez, cela fait plusieurs jours.
_ Voulez-vous que je parte ? »
Snape prit une inspiration difficile, avant de se secouer distraitement la tête. C'était étrange, il avait de nouveau cette impression bizarre de planer, de ne plus avoir mal nul part, en dehors du tremblement de ses membres. Malgré ses nuits blanches, il ne s'était soudain jamais senti aussi en forme, comme s'il était prêt à courir un marathon. Sa fatigue envolée, il se sentait si bien, mais aussi bien mal.
« Vos calculs ? demanda-t-il pour se concentrer sur autre chose.
_ Je les ai confié à Madame Selwyn qui m'a confirmé qu'ils étaient corrects. J'aurais aimé que ce ne soit pas le cas, puisque cela réduit les pistes menant à expliquer son dysfonctionnement.
_ Revenez aux bases. »
De nouveau, Snape sentit son coeur se faire transpercer, c'était bien trop rapide pour lui qui avait enfin sentit la douceur de ce répit au milieu de la tempête. Il porta ainsi sa main vers son coeur, avant de s'accrocher au bord du lit.
« Merde, grimaça-t-il en se pliant sur lui-même.
_ Vous devriez vous reposer, lâcha Hermione avec douceur.
_ Je dois vous aider.
_ Je le fais très bien toute seule. »
Snape sentit son coeur se calmer peu à peu et leva la tête vers le plafond, le front transpirant par ces minutes qui lui paraissaient si longues. Sa respiration devenait de nouveau erratique, et Hermione sentit son coeur à elle se briser à son tour.
Elle se sentait si fautive de son mal. Snape paraissait aller pourtant mieux, mais il y avait encore du chemin à faire.
« Quels sont vos symptômes, en dehors de la douleur ?
_ Je dors mal, je continue de rêver de vous chaque nuit, ça m'empêche d'avoir un sommeil réparateur. Et j'ai l'impression d'être fiévreux à longueur de temps. »
Hermione soupira.
Snape grinça de nouveau des dents, et elle osa poser sa main sur sa tête, ce qui sembla l'apaiser, un peu.
« Bien, venez ici.
_ Qu'est-ce que vous racontez ?
_ Faites ce que je vous dis. »
Usé par ces jours et ces nuits à être pétri par la souffrance et le manque, le sorcier se laissa allonger sur le lit, sa tête reposant sur les genoux de Granger qui passa machinalement sa main dans ses cheveux. Ainsi, le maître des potions se permit enfin de fermer les paupières.
« C'est mieux ?
_ Etrangement, oui. »
Hermione eut un petit rictus de soulagement. Cet aparté lui faisait du bien, à elle aussi, car ses cris de douleurs lui avaient donné d'horribles cauchemars. Elle avait essayé de revenir le plus vite possible, mais Minerva était assez impliquée dans ses visites pour lui faire manquer de moultes opportunités de prendre sa place.
C'est ainsi qu'Hermione commença à parler, encore et encore, seule mais cela lui importait peu. Elle expliqua à quel point ses recherches stagnaient, le comportement je m'en foutiste de ses amis, Selwyn qui avait passé un cran supérieur en matière de pression et Minerva qui la fuyait comme la peste. Snape n'étant plus bercé que par le son de sa voix, il avait l'impression de se sentir enfin en paix.
Son esprit sans cesse en ébullition se calmait enfin. Cela faisait tant d'années qu'il ne s'était pas senti ainsi, flottant entre deux eaux, comme dans un demi sommeil, si apaisant.
Hermione baissa les yeux vers Snape qui semblait ailleurs, silencieux et plus reposé qu'il ne l'était à son arrivée. Leur position actuelle était bien compromettante, bien étrange aussi, mais elle n'avait trouvé que ça pour l'apaiser.
Tout ce que Snape décrivait ressemblait à son état lorsqu'elle avait une grippe, et à l'époque de son enfance, l'étreinte de sa mère qui la veillait de la même façon soulageait toujours ses maux. Alors, elle n'avait pas vraiment réfléchi. Maintenant, elle songeait que sortir de cette situation s'avérerait encore plus compliqué qu'avant.
« Et qu'en est-il de vos sentiments ? balança Hermione, sans prévenir, d'une voix assez murmurante.
_ Mes quoi ?
_ Votre état émotionnel.
_ Oh. Eh bien, en dehors du fait que l'isolement me fait yoyoter de la cafetière, rien qui diffère de d'habitude en toute franchise. Ayant retrouvé un semblant de dignité, étrangement, quelques infirmières n'osent plus m'importuner, quel dommage ne trouvez-vous pas ? »
Hermione pouffa un peu, avant de se secouer la tête.
« En ce qui vous concerne, votre présence, dois-je l'admettre, apaise mes tensions Miss Granger. »
La jeune femme afficha une mine préoccupée, puis un peu triste en laissant ses doigts mollement triturer une mèche de ses cheveux noirs qui étaient bien loin d'être graisseux, à son étonnement.
Snape semblait distant avec elle, enfin… Il ne déclamait plus ces belles paroles habituelles. Mais peut-être se faisait-elle des idées.
« Professeur, est-ce que vous m'en voulez ?
_ Je vous ai déjà dis que non. »
En guise de réponse, la jeune femme se contenta d'émettre un grognement approximatif.
« Mais peut-être le voudriez-vous, dans le fond, chuchota le maître des potions, pensif.
_ Comment ça ? demanda soudain la jeune femme.
_ Cela fait plusieurs fois que vous me posez la question. Et je pense qu'en réalité, c'est vous qui vous en voulez, d'être tombée ce soir-là avec cette potion entre les mains ayant altéré mon jugement. »
Hermione s'arrêta soudain dans ses mouvements, ne sachant que penser de tout cela. Bien évidemment, elle aurait préféré qu'une chose pareille n'arrive jamais.
« Mais en même temps, peut-être vous sentez-vous coupable de ne pas le regretter aussi fort que vous le devriez.
_ Quoi ? Mais vous ne pouvez pas dire ça enfin ! s'insurgea-t-elle.
_ Cette potion a donné l'illusion que je vous aimais sincèrement, chose qui n'a jamais été le cas, trancha-t-il. »
Cette fois, la jeune femme sentit les craquements de son coeur et de son âme s'effriter au fil des secondes.
« D'autant que maintenant, nous ne parlons plus d'amour, mais bel et bien de dépendance, les deux étant dans le fond intrinsèquement liées.
_ Je ne suis pas d'accord avec vous.
_ Et comment ne pouvez-vous pas l'être ? Quand on aime, on ne vit qu'au travers du regard de l'autre, on pourrait crever pour l'autre, tout abandonner pour l'autre. Quand on n'aime, il nous demeure plus difficile d'avancer sans tourner la tête et espérer sentir cette compagnie qui nous est devenu indispensable à nos côtés, rester seul devient un supplice. Si elle n'est plus là, c'est le vide. Plus rien n'a de saveur sans elle, plus rien ne vaut le coup d'être vécu sans elle. La où, auparavant, vous vous complétiez vous même, vous avez soudain l'impression de n'être qu'une part éternellement manquante de quelqu'un d'autre. »
Hermione fronça les sourcils au fil de son récit, avant de définitivement ôter ses mains de sa tête.
Ce que Snape décrivait n'avait rien à voir avec un sentiment amoureux quelconque, si ce n'est un attachement bien trop nocif.
« Est-ce cela que vous ressentiez avec moi ?
_ J'ai l'impression que je ne peux pas vivre sans vous.
_ Mais encore ?
_ Il n'y a rien d'autre, cela me paraît clair pourtant, et bien suffisant de surcroit. »
Hermione afficha à son tour, un air morne. Ses sourcils tombèrent et l'abattement alourdit son visage. Le regard désormais voilé, ce n'est que lorsqu'elle sentit son nez a chatouiller qu'elle fit tout pour reprendre ses esprits.
Elle n'allait quand même pas se mettre à pleurer comme une enfant, si ?!
Comme pour reprendre un peu contenance, elle releva la tête bien haute, et posa plus fermement sa main sur l'épaule de son professeur.
« Il me faut des pistes pour la suite, dit-elle froidement. Avez-vous des marques sur le corps ? »
Snape serra les poings, et se redressa un peu, le regard fuyant.
« Non.
_ Vous avez pourtant gravé mon prénom sur votre bras durant une de vos crises.
_ C'est possible.
_ Pourquoi ?
_ Je l'ignore.
_ Vous pouvez me le montrer ?
_ Non. »
Hermione lui jeta un regard lourd de sens, assez pour que Snape finisse par se redresser, soupirant de lassitude et arborant un masque pour prendre davantage de distance.
« Je ne vois pas l'interêt de faire une telle chose.
_ C'est le symptôme d'un mal, lié à cet antidote, enfin, ce qu'il aurait du être. Pour rectifier cela, je dois en connaître tous les détails.
_ Vous êtes dans un apprentissage pour devenir maître en potions, pas magicomage, balança Snape.
_ Ne voulez-vous donc pas comprendre ?
_ Je veux guérir, trancha-t-il. »
Cette fois, Hermione se leva d'un bond, et ses gestes étaient aussi désordonnés qu'habités par un sentiment qu'elle peinait elle-même à saisir.
« Alors c'est ça, hein, lâcha-t-elle avec nervosité, votre affection n'est qu'un symptôme parmi tant d'autres ? Je ne suis qu'un mal dont vous vous soignez ?
_ Nous ne parlons pas de votre personne, mais bel et bien d'une forme d'obsession lié à un philtre d'amour mal ajusté. C'est factuel.
_ Mais j'emmerde les faits ! finit-elle par crier, essoufflée. »
Snape fronça soudain les sourcils, avant de fixer le mur en face de lui.
« Je vous ai vexé, constata-t-il. Mais j'ignore pour quelle raison.
_ Mettez-vous à ma place quelques secondes, finit-elle par soupirer. Je sais que j'ai fais tombé une potion sur vous, inutile de le rappeler, mais est-ce si aberrant d'y avoir mis un peu de coeur à mon tour ?
_ Voulez-vous dire que vous n'arrivez plus à me considérer comme votre professeur ?
_ Bien évidemment que non, balança Hermione avec évidence.
_ Oh. »
Hermione se frotta les yeux avec fatigue. Elle ne comprenait pas pourquoi Severus Snape ne comprenait rien à une situation qui lui paraissait pourtant évidente. Elle se secoua la tête, et décida que ce devait encore être l'effet de la potion, cette foutue potion, même si dans le fond, il avait peut-être toujours eu cette part en lui qui ne saisissait rien des rapports humains. Après tout, son histoire personnelle lui avait prouvé que bien qu'il soit un sorcier brillant et talentueux, Snape était le cas le plus désespéré qu'elle n'ait jamais rencontré concernant le reste accessible aux communs des mortels.
« Montrez-moi votre bras, finit-elle par reprendre, choisissant de cesser toute cette élucubration. »
Snape marmonna son désaccord, en regardant ailleurs. Il finit par grogner, et à soulever timidement sa manche, toujours en évitant de la fixer vraiment.
Hermione s'accroupit ainsi prés du lit, et parcourut des yeux l'état de sa peau. Elle tentait de garder un regard détaché, neutre, mais c'était bien difficile.
Quel carnage, cette vision était bien douloureuse à supporter.
La marque des ténèbres n'avait jamais totalement été effacée, il en résultait une sorte de tache noire informe, vague mais qui ne donnait tout de même guère place à l'imagination concernant ce qu'elle devait représenter, avant. Mais cette fois, cette masse était ponctuée par deux petites taches rondes qui avaient décoloré sa peau, les traces de l'Amortentia sans doute. Par dessus tout cela, elle percevait une écriture maladroite d'où on pouvait distinguer son prénom. Hermione n'osa dire quoique ce soit, sentant sa propre cicatrice la démanger à son tour.
Snape remonta maladroitement, mais bien vite aussi sa manche en évitant toujours autant de la regarder. Hermione avait le sentiment d'avoir ce « crime » inscrit à jamais dans sa peau. Parfois, elle se disait qu'elle n'avait fait que tomber sur lui, et que les conséquences étaient juste démesurées. Bien sûr, elle savait que tout avait un prix, en particulier dans le monde magique, mais pas à ce point. Courir avec une potion dans les mains était une erreur, bien sûr, mais de là à détruire sa vie, détruire la sienne ?
Cela remettait plus bien de choses en perspective qu'elle ne le pensait. Auparavant, les choses étaient simples, et claires.
Il y avaient les sorciers faisant de mauvais choix, les mauvais, et les bons qui agissaient convenablement selon les règles, tant que ces dernières demeuraient pertinentes. Mais quand elle voyait ce qu'un simple accident pouvait avoir comme conséquence, ce genre de catégorisation brisaient en mille éclats sa vision du monde. Et si certaines choses abominables n'étaient elles aussi, parties que d'un accident ayant le même effet qu'un domino en faisant tomber irrémédiablement d'autres ?
Aux yeux de quelques personnes après tout, Hermione sentait qu'elle n'aurait aucun mal à pouvoir être perçu pour la vilaine ayant brisé la vie d'un homme qui passait par là, par simple bêtise, par égoïsme aussi. Après tout, il n'avait pas choisi de l'aimer et elle… Enfin, elle devait arrêter de se voiler la face : elle avait flirté avec lui ! Ça avait été plus fort qu'elle, l'affect avait pris le dessus, alors qu'elle avait le devoir d'être la plus forte des deux et de mettre le holà.
Le regard dans le vide, Hermione faisait face à ce poids des responsabilités qui lui incombait, et qu'elle trouvait pourtant d'une certaine façon, injuste qu'il repose sur ses épaules entièrement. Mais si elle n'assumait pas, qui le ferait à sa place après tout ?
« Dites quelque chose, finit par marmonner Snape.
_ Quoi ? demanda soudain Hermione en clignant des yeux, sortant de sa léthargie.
_ Je vous ai toujours connu en train de tellement blablater qu'un sort pour vous faire taire n'aurait pas suffit. Vous avez fais face à cette horreur, et vous n'avez pas sorti un mot depuis plus de trois minutes, j'aime autant vous dire qu'il y a de quoi s'inquiéter.
_ Désolée, soupira Hermione. C'est juste que, maintenant, tout est en quelque sorte gravé dans le marbre. Ce n'est pas comme si vous alliez pouvoir faire semblant que rien ne se soit passé désormais, vous voyez ? »
Hermione soupira en baissant son visage vers le bas. Snape resta hésitant, stoïque et terriblement silencieux, le genre d'attitude dont on ne pourrait finalement, pas être surpris à faire face avec lui. Elle n'en attendait après tout, ni plus, ni moins. Et pourtant, il descendit de son misérable lit, pour s'asseoir à côté d'elle, à même le sol.
« Je vous connais, commença-t-il d'une voix faible.
_ Non, vous ne me connaissez pas, contra Hermione d'un rire sans joie.
_ Bien sûr que si, cette potion m'a incité à vous observer dans le détail depuis des semaines, et à converser avec vous autrement qu'en vous en mettant plein la figure dans un cadre purement académique. Je suis observateur, Hermione, et je me darde de vous avouer une chose : je ne pense pas que vous soyez stupide. »
Hermione leva lentement son visage vers Snape, enfin, et ils retrouvèrent le regard de l'autre qui ne paraissait pas aussi dur que ce à quoi chacun d'eux s'attendait.
« Si vous le dites, finit-elle par dire, amère, faisant l'effort de se rappeler que l'Amortencia pouvait tout à fait altérer son jugement.
_ Cette potion n'a jamais eu la prétention de changer la réalité, et je peux bel et bien affirmer que j'ai toujours pensé que vous n'étiez pas idiote.
_ Où voulez-vous en venir ?
_ Que le déni est la chose la plus humaine qu'il soit et qu'il aurait été naïf de songer que les événements de ces dernières semaines puissent être effacés des mémoires en un claquement de doigts. La magie est puissante, pas pour ce genre de choses, on ne peut pas vivre de cette façon, en décidant de faire de nos vies une toile, vierge de toute erreur ou débordements. Le fait que ce soit inscrit quelque part, n'y change strictement rien.
_ Mais ce n'est pas marqué sur un vulgaire parchemin, c'est inscrit sur votre peau, insista Hermione d'une voix dure.
_ La marque des ténèbres l'était aussi. Si je ne l'avais pas prise, cela n'aurait rien changé aux faits qui se sont produits dans le passé et qui ont mit fin à d'autres choses.
_ Vous me parlez de Lily Evans ? osa demander franchement Hermione. »
Snape soupira. Il finit par hausser les épaules en se laissant plus franchement couler le dos contre le bas inconfortable de son lit d'hôpital.
« Pour ce que ça change, souffla-t-il, sa tête partant en arrière pour mieux fixer le plafond. Elle est morte, non ? On ne peut pas faire plus tangible que ça. J'aurais son prénom de gravé sur le front que ça n'y changerait rien, je n'ai pas besoin de ça pour me rappeler de ce que j'ai fais ou dis. J'aurais pu demandé à ce qu'on m'oubliette, mais ce n'est pas ça, la vie. A ce train là, autant devenir des robots insensibles et automatiques, capable d'effacer la moindre connerie pour baigner dans un océan de déni en pensant sincèrement être blanc comme neige. »
De nouveau, Hermione resta muette, et c'était à Snape de ne pas savoir de quelle façon l'interpréter. Il n'aimait guère être dans cette position de faiblesse, où chaque silence n'était qu'un possible couperet de plus, telle une épée de Damoclès tanguant au dessus de sa tête.
Pour lui, c'était dans sa nature, mais pas pour elle…
Mais enfin, de quoi parlait-il ? Il agissait comme un connard, tout simplement car le silence était une arme redoutable, et il le savait très bien !
Comment faisaient-ils tous pour le supporter ?
« Dites quelque chose, marmonna-t-il de nouveau, durement, la mâchoire serrée.
_Je ne vous comprends pas, vous qui réclamez sans arrêt que je la ferme, voilà que maintenant, je me dois de rebondir à chacune de vos phrases.
_ Le moment est différent.
_ C'est vous qui vous le rendez solennel.
_ Vous me le reprochez ? Je vous signale que je n'ai même pas montré ce truc aux infirmières du service. En clair, vous êtes la seule à l'avoir vu, Minerva ne l'ayant qu'entre-aperçu pendant que je me mutilais.
_ Et elle vous a laissé faire ?! s'insurgea Hermione.
_ J'aurais pu l'envoyer valser contre un mur si elle m'en avait empêché. »
Hermione acquiesça, sans un mot. Mais Snape plissa soudain les yeux dans le vide.
Il avait raison : il aurait pu s'en prendre à sa collègue si elle était intervenue physiquement ce soir-là, et en toute franchise, Minerva et sa frêle composition ne pesait pas bien lourd face à son grand gabarit.
Soudain, l'horreur apparut aux yeux de Snape.
Depuis quelques temps, il sentait que ça allait un peu mieux, surtout dans ses « sentiments » envers Granger. Mais cela ne voulait absolument rien dire.
Une rechute était possible, alors, qui sait de quelle façon cette potion agirait ?
Hermione quant à elle, triturait le grain de beauté prés de son poignet, avant de se figer dans son mouvement. La potion… Snape répétait à tord et à travers au monde entier qu'il n'avait pas pu l'ingérer, qu'il en aurait senti le goût et l'odeur à des kilomètres à la ronde.
Et pour cause, il était une pointure dans ce domaine.
Les tâches sur son bras indiquaient que la potion l'avait touché d'une autre façon. Alors… était-il possible qu'elle puisse agir en sous cutané ? Ainsi, ce serait en quelque sorte, comme si la potion s'insinuait à légère dose régulière dans sa peau. L'antidote avait moins de chance d'agir de la sorte.
« Professeur,
_ Miss Granger, intervinrent-il d'une même voix. »
D'un geste commun, ils se tournèrent l'un vers l'autre et Snape eut un mouvement réflexe de recul tandis qu'Hermione rougit en détournant le visage.
« Dé-désolée, bégaya-t-elle, c'est juste, que…
_ Miss Granger, vous devez partir. »
La jeune femme fronça soudain les sourcils, comme si cette phrase venait de littéralement lui assener une claque en pleine figure.
« Quoi ?
_ Votre place n'est pas ici, finit-il par gronder.
_ Il en est hors de question, trancha-t-elle. Comment ne le pourrait-elle pas ? C'est moi qui vous ai envoyé dans cet hôpital.
_ Les infirmières, Minerva, tout le monde vous a refusé l'accès à cette chambre pour une excellente raison.
_ Laquelle ?
_ Arrêtez de poser des questions et partez d'ici ! s'emporta-t-il en se levant afin de mettre de la distance. »
Hermione fut légèrement surprise par ce revirement de situation, autant qu'elle en était vexée, et tentée par simple fierté de s'exécuter. Seulement, si elle faisait une chose pareille, elle n'était guère sure de ne pas le regretter par la suite.
« Je ne partirais pas, dit-elle plus doucement. »
Etait-il possible que la potion ne fasse plus effet ? La détestait-il de nouveau à un point où même sa présence lui était devenue insupportable ?
« Je suis là pour vous aider, renchérit-elle.
_ Mais vous ne faites rien pour ça, rien ! Que croyez-vous faire au juste ? Il vous suffit de découvrir votre masque et de me sauter dans les bras, ou l'inverse peut-être ? Vous avez l'art et la manière de romantiser un contexte qui se prête plutôt à la peur.
_ La peur ?!
_ Partez, dois-je être plus menaçant ? »
Intérieurement, Snape se flagellait, cela le tuait à petit feu et son regard ne faisait que l'achever plus encore.
« De quoi avez-vous peur ? »
Le sorcier finit par soupirer bruyamment en levant les bras au ciel.
« Vous êtes une véritable tête de mule, est-ce que ça vous va ?
_ Vous voulez vraiment que je vous réponde ?
_ Non, mais partez une bonne fois pour toute. »
Hermione leva les yeux au ciel, puis finit par se lever, non pour s'en aller mais bel et bien pour lui faire face, les bras croisés sous sa poitrine.
« Je pourrais tout à fait m'en prendre à vous, finit-il par cracher. »
S'en prendre à elle ?
L'idée l'amusait quelque part, pour elle, Snape était devenu aussi inoffensif qu'un agneau. Enfin, il l'avait toujours plus ou moins était. Contrairement aux autres de ses camarades, Snape ne l'avait franchement jamais effrayé, sans compter sur le fait qu'il l'avait protégé plus d'une fois.
« Ça vous amuse on dirait, grogna Snape.
_ Non, se défendit-elle. Je trouve ça simplement absurde.
_ Absurde ? J'ai failli m'en prendre à Minerva, qui me dit que ça ne se retournera pas contre vous un jour ? »
Hermione prit une profonde inspiration, puis finit par hausser les épaules.
« Rien ne vous le garantie, finit-elle par dire.
_ Dans ce cas, je vous prierais de ne plus venir ici.
_ Vous ne me ferez aucun mal, répondit Hermione, presque défiante.
_ Ce n'est pas un jeu, Hermione, s'agaça Snape, la voix sifflante. »
La jeune femme déglutit, non de peur, plus de trouble. Malgré l'intervention de cette fichue Amortencia, il ne s'était que rarement permis de l'appeler par son prénom. Elle se secoua vite la tête, histoire de ne pas se laisser emporter par ses émotions.
« Vous vous sentez capable de me faire du mal ?
_ Non !
_ Vous pourriez me frapper, là, tout de suite ?
_ Bien sûr que non, soupira Snape.
_ Et si je vous disais que je ne vous aime pas ?
_ Ça nous ferait un point commun. »
Hermione leva les yeux au ciel, bien que sa réponse l'ait un peu amusé dans le fond.
« Je suis sérieuse. Si je vous disais que je ne vous trouve pas à mon goût.
_ Je vous comprendrais, répondit Snape d'un regard un peu plus pénétrant.
_ Très bien, dans ce cas, je pourrais vous dire des paroles bien plus blessantes, comme par exemple, que je vous hais de manière viscérale.
_ C'est vrai ce mensonge ? »
Hermione soupira et lui lança un regard plein de reproches.
« Non. Je veux dire, oui. Enfin, peut-être… Oh et puis peu importe ! finit-elle par s'embourber. Vous vous sentez capable de vous en prendre à moi ? De me pousser, de me hurler dessus, de me frapper d'une quelconque façon ?
_ Jamais je n'aurais fais ça, avec ou sans la potion.
_ Et si un loup garou débarquait là dans cette chambre, ici et maintenant, vous me protégeriez encore, quitte à vous faire éventrer ?
_ C'est quoi cette question à la con ? Je l'ai déjà fais une fois, alors : oui.
_ Alors arrêtez de croire que vous êtes capable de vous en prendre physiquement à moi.
_ Vous croyez que c'est simple peut-être ? Je suis sous l'influence d'une potion, qui sait comment elle réagira ? Et si les médecins décident de me donner quelque chose pour que je vous déteste, et que vous débarquez ici quelques heures plus tard, la bouche en coeur ?
_ Une telle potion n'existe pas, et ce serait idiot de vous soigner de la sorte.
_ On est entouré d'idiots, soupira Snape en se rasseyant sur son matelas.
_ Moi je ne suis pas idiote, et je ne les laisserais pas faire.
_ Vous n'avez aucun pouvoir là dessus, et moi non plus. Je n'ai pas envie de vous détester, et encore moins de vous faire du mal. Pourquoi pensez-vous que je vous demande de partir alors que ça me bouffe de l'intérieur ? »
Cette dernière phrase lui fendit le coeur.
Hermione s'avança jusqu'à côté de Snape qui se tenait la tête en fixant le sol.
En silence, elle se pinça la bouche, et avança lentement sa main jusqu'à effleurer son dos. Puis, elle posa sa paume sur lui avec plus de franchise, la remontant jusqu'à son épaule.
« Vous n'aidez pas, vraiment pas, entendit-elle derrière ses mains au travers d'une voix étouffée. »
Foutue pour foutue, Hermione s'approcha de son oreille, hésitante.
« Moi aussi, ça me boufferais de ne plus vous voir.
_ Vous êtes sure de ne pas avoir été touché par cette potion, vous aussi ? demanda-t-il alors qu'il frissonnait sous son souffle.
_ Pourquoi ? Vous trouvez que j'ai l'air d'en pincer pour vous peut-être, pouffa-t-elle en s'accrochant un peu à son bras. »
Snape osa enfin diriger son regard amusé pour trouver ses yeux, rieurs eux aussi. Ils se fixèrent ainsi de longues secondes, sans qu'Hermione ne se détache de son sourire. Snape se mit à imprimer dans sa mémoire chacun des traits de son visage, sans parvenir toutefois à se détacher trop longtemps de la lueur de ses prunelles.
« En pincer pour moi, je ne pense pas, finit-il par murmurer en glissant une partie de ses cheveux derrière son oreille. »
Troublée, Hermione ne parvint à répondre par autre chose qu'un léger rictus, une fois encore.
« Mais votre comportement demeure assez interpellant.
_ Vous me demandez de rester de marbre alors que vous êtes…
_ Cynique, désagréable et moqueur ? La coupa-t-il.
_ Attentionné, gentil avec des paroles fines, rectifia-t-elle.
_ Je vois… Vous êtes définitivement atteinte vous aussi.
_ N'importe quoi, lâcha-t-elle avec toutefois, peu d'entrain à le contredire. »
Snape la laissa faire lorsqu'elle posa son menton sur son épaule. Ses cheveux lui chatouillaient la joue, et il pouvait presque sentir le bout de son nez. C'était si agréable, elle ne rendait pas les choses faciles.
« Vous devriez vous en aller… »
Hermione se détacha lentement du bras de Snape, un peu blessée. Alors il était sérieux ?
« Vous ne voulez plus que je revienne, constata-t-elle d'une voix maussade. »
Severus sentit l'air lui manquer, et une forme singulière d'anxiété lui tordre les tripes. Il cacha un poing qu'il serra dans son dos autant qu'il pouvait sentir son coeur en faire de même. La sentir s'éloigner de lui était une véritable épreuve, et il rassembla tout ce qu'il maîtrisait en occlumencie afin de cacher, cacher ses émotions, cacher cette sensation que son estomac était sur le point de rendre son déjeuner, cacher l'émotion lui serrant la poitrine et qui lui faisait un mal de chien, se cacher comme il l'avait fait devant Voldemort.
« Non. »
