— Partir ?
Clarke Griffin baissa le nez et hocha la tête.
— Comprenez-moi, dit-elle en les regardant. J'ai... fais les comptes et je... Je n'arrive pas à croire que par ma faute, par mes actes, près d'un millier de personnes a péri.
— Chérie, tu n'y es pour rien voyons, c'était la guerre, ce sont des dommages collatéraux, tu ne... tenta Abigail Griffin.
Clarke secoua la tête et renifla. Deux larmes glissèrent sur ses joues pâles et elle ferma les yeux. Elle sentit alors une main sur son épaule et elle regarda Bellamy.
— Vas-y, dit-il doucement. Si tu en ressens le besoin, alors pars, Princesse, nous serons là quand tu reviendras, ne t'en fais pas...
Il lui caressa la joue et Clarke eut un hoquet. Le jeune homme la prit alors dans ses bras et regarda Abby et Kane. Un mois s'était écoulé depuis la fin de ALIE, cette entité informatique démoniaque persuadée que pour le bien de l'Humanité, elle devait éradiquer tous les vivants de la Terre et leur offrir une place dans un monde virtuel.
Avec un hochement de tête, Kane fit signe à Bellamy de quitter la Chancellerie et le jeune homme emmena Clarke avec lui. Quand la porte se referma, Abby se tourna vers son compagnon.
— Marcus, je t'en prie, ne la laisse pas partir...
— Je n'ai pas non plus le droit de l'obliger à rester, répondit le Chancelier en secouant la tête. Abby, ta fille a fait énormément pour nous, et ce depuis son arrivée sur Terre... La Guerre est terminée, maintenant, et nous allons tâcher de nous reconstruire comme nous le pourrons, avec l'aide des Terriens, que nous le voulions ou non.
— Tu sais parfaitement ce que pensent certains des nôtres de tout ça, dit la femme médecin en fronçant les sourcils.
— Quand bien même, c'est moi le Chancelier, répliqua Kane en s'éloignant. C'est moi qui décide.
Abby serra les lèvres.
— Oui, mais de là à laisser des Terriens camper en dehors d'Arkadia ?
— Heda l'a décidé ainsi, je dois me plier à ses décisions, Abby, répondit Kane en fronçant les sourcils. C'est terminé le temps où nous faisions comme nous voulions, aujourd'hui, nous faisons partie de la Coalition, nous les Skaikrus, nous sommes un clan de Terriens comme les autres, nous devons obéir à Heda. Et ceux à qui cela ne plaît pas, qu'ils prennent la porte, je ne retiens personne !
Il indiqua la porte de la main et Abby rentra le menton. Elle hocha lentement la tête puis souffla par le nez et annonça qu'elle retournait à l'Infirmerie.
Kane serra les mâchoires. La fin de la guerre datait d'un mois seulement, un tout petit mois, et déjà, un nouveau chef était monté sur le trône des Terriens, prenant officiellement la place de Roan d'Azgeda. Ce jeune homme de treize ans, un Natblida, avait été intronisé presque en catastrophe, moins de trois semaines en arrière, et ses premiers ordres venaient d'arriver dans les clans les plus proches de Polis.
Le Chancelier retourna alors à son bureau et observa le parchemin qu'un coursier avait apporté la veille. Il avait accepté un peu d'eau puis était reparti aussitôt pour les autres clans. Sur le parchemin, écrit en anglais, s'étalaient plusieurs demandes de Heda et de ses Conseillers, notamment sur le fait que les Skaikrus, dernier peuple en date de la Coalition, allaient bénéficier de toute l'aide nécessaire pour leur installation définitive sur la terre de leurs ancêtres.
— Heda envoie aux Skaikrus une troupe de cent bâtisseurs, artisants et chasseurs Terriens qui devront dresser un camp à l'extérieur d'Arkadia, lut Kane. Ils aideront à construire maisons et dépendances pour le Peuple du Ciel, et demeureront sur place aussi longtemps que nécessaire. Un refus ne sera pas toléré.
Le Chancelier soupira. Il s'assit sur la chaise derrière lui et continua de lire le parchemin qu'il connaissait presque par cœur.
À la suite du premier paragraphe s'étalait une liste de choses à respecter de la part des Skaikrus, afin de pouvoir rester dans la Coalition et ne pas risquer de sanctions, notamment le fait que tout acte de trahison envers Heda sera sévèrement puni. De même qu'une délégation de cinq à dix Skaikrus au minimum, dont un Ambassadeur, devra élire un domicile permanent entre les murs de Polis, afin que le clan soit représenté auprès de Heda.
Le texte était encore long, mais Kane rejeta la feuille sur son bureau en se passant une main sur le visage. Ses compatriotes avaient raison de ne pas être d'accord avec tout ça, mais ils n'avaient pas le choix. Les Skaikrus faisaient désormais partie intégrante des Terriens, même s'ils n'avaient pas encore assimilé la totalité de leurs valeurs. On toqua alors contre la porte et il fit entrer.
— Qu'y a-t-il ? demanda-t-il.
— Nous venons de recevoir un message de TonDC, Monsieur, dit le soldat en approchant, montrant la radio. C'est Indra.
— Que veut-elle ?
— La délégation de Polis est en route pour Arkadia, répondit le soldat. Ils viennent de quitter TonDC, ils seront là demain soir au plus tard. Elle désirait nous prévenir, afin que nous ne soyons pas surpris en les voyant sortir du bois...
— Je vois... En connait-on quelques-uns ?
Le soldat haussa les épaules. Kane lui fit signe de partir, et Bellamy apparut juste après lui alors que la porte se refermait.
— Comment va Clarke ? demanda le Chancelier.
— Je l'ai laissée dans ma cabine, elle s'est endormie, Monsieur, répondit le jeune homme. Je viens vous demander l'autorisation de l'accompagner où elle voudra.
— C'est-à-dire ? Elle ne compte pas aller quelques jours à TonDC ou Polis ?
Bellamy secoua la tête.
— Non, elle veut s'éloigner de la civilisation, et je n'aimerai pas la savoir seule dans les plaines...
— Elle a passé trois mois dans les bois, seule, tu ne crois pas qu'elle saura se gérer ?
— Si, mais j'aimerai quand même l'accompagner, ainsi, peu importe où elle décide de s'arrêter, je le saurais et je pourrais la rejoindre si jamais il arrive quelque chose.
Kane resta silencieux.
— Tu tiens à elle, je me trompe ?
Bellamy ne répondit rien et Kane soupira.
— Très bien, dit-il. Pars avec elle, mais je veux que tu reviennes, c'est compris ? Peu importe le temps que vous prendrez pour aller là où elle le désire, tu ne restes pas avec elle, tu rentres à Arkadia. J'ai besoin de toi ici, tu es le seul qui parle Trige presque couramment.
— Il y a Octavia aussi, répondit Bellamy. Elle le parle bien mieux que moi, Monsieur...
— Hmm, oui... Bon, nous verrons cela à ton retour, lâcha Kane en se levant. Quand Clarke veut-elle partir ?
— Je ne sais pas, mais bientôt, répondit le jeune homme. Nous allons planifier tout cela et tracer une route provisoire, mais je vous tiens au courant.
Kane opina et Bellamy quitta de nouveau le bureau. Cette fois-ci, la porte ne se rouvrit pas et le Chancelier décida d'en profiter pour aller parler à Abby. Il devait la convaincre à tout prix qu'il n'obéissait pas à Heda par plaisir, mais que tout ce qui allait être fait dans les prochains mois, ne serait que pur bénéfice pour les Skaikrus.
.
— Tu es vraiment sûr de vouloir m'accompagner ?
— Clarke, tu n'as aucun moyen de me laisser derrière toi, répondit Bellamy.
— Je ne te mérite pas, répondit la jeune femme en penchant la tête sur le côté.
Bellamy sourit. Octavia s'approcha alors d'eux avec deux chevaux, et Clarke posa ses mains sur les joues de son étalon blanc. L'animal lui colla sa tête contre sa poitrine et Octavia esquissa un sourire en lui tendant les rênes.
— Soyez prudents, tous les deux, dit-elle. Et toi, tu rentres dès qu'elle est installée quelque part, compris ?
— Oui, Skairipa.
Octavia lui ronfla à la figure et Bellamy la prit alors dans ses bras. Clarke eut également droit à une accolade de la part de la jeune fille brune puis les deux jeunes gens grimpèrent sur leurs montures. Kane et Abby s'approchèrent à leur tour et Abby tendit un sac en peau à sa fille.
— Le minimum vital, dit-elle en répondant à la question muette de Clarke. Prends soin de toi, ma fille, et quand tu auras fait la paix avec tes démons, reviens-nous.
— Oui, maman, c'est promis. Prenez soin de vous, vous aussi, et surtout, soyez gentils avec les Terriens. Tout ce que Heda veut, c'est aider les Skaikrus à s'adapter, il n'est pas là pour être contre vous.
Kane hocha la tête. Depuis quelque temps, il avait remarqué que Clarke s'incluait rarement quand elle parlait des Skaikrus, et Octavia avait dû lui expliquer qu'en tant que Wanheda, elle n'avait pas de clan défini. Elle pouvait donc dire tout aussi bien "nous" que "vous" en parlant de son propre clan de naissance.
— Tiens-nous informés de la direction où vous allez, dit alors Kane en regardant Bellamy.
— Jusqu'à ce que nous soyons hors de portée de tour radio, comme c'était convenu, répondit celui-ci. Clarke, on est partis ? demanda-t-il ensuite.
— Oui, allons-y pendant que le gros de la troupe dort encore.
Elle intima alors à son cheval de se mettre en route, et Bellamy soupira. Octavia posa sa main sur son genou, ils échangèrent un regard, puis le jeune homme mit sa monture en marche et prit la direction du portail électrifié d'Arkadia.
— Hé... Vous comptiez pas partir comme des sauvages, quand même, si ?
Clarke arrêta son cheval à quelques mètres du portail qui s'ouvrait lentement. Murphy, Raven, Monty, Jasper et Harper, sortirent alors des ombres de la station éventrée, et la jeune blonde sourit.
— Tu vas revenir, hein ? dit Harper en posant une main sur l'épaule du cheval blanc.
— Oui, répondit Clarke. Mais j'ignore dans combien de temps... J'espère que vous comprenez que j'ai besoin de faire le vide dans ma tête...
— Ouais, on comprend, Princesse, répondit Murphy. Mais t'as pas intérêt à nous lâcher, parce que face à Heda, on n'a que toi, ok ?
Clarke se mordit la lèvre et hocha la tête. Elle jeta un regard à Bellamy qui opina. Raven tendit alors la main et Clarke la serra dans la sienne. Quand elle la récupéra, elle avait un collier entre ses doigts.
— Raven... souffla-t-elle en reconnaissant le corbeau en aluminium que Finn avait un jour fait pour son amie. C'est ton collier...
— Justement, garde-le, comme ça tu ne nous oubliera pas, répondit la brune en glissant ses mains dans les poches arrière de son pantalon.
Émue, Clarke passa le collier sur sa nuque et regarde le corbeau métallique posé sur sa poitrine. Elle sourit ensuite puis fit tourner son cheval après un dernier signe de tête pour tout le monde. Elle rejoignit alors Bellamy de l'autre côté du portail, et leurs amis les accompagnèrent jusqu'à la limite.
— Allons-y, dit alors Bellamy comme le portail se refermait.
— Oui, allons-y...
Ils tournèrent bride et partirent au trot sur le chemin en pente douce qui disparaissait dans la forêt, une centaine de mètres plus loin. Ils s'y engouffrèrent sans ralentir et prirent la direction de TonDC, pour commencer.
Clarke songea alors qu'il allait leur falloir aller très loin au nord du pays, sans doute sur les terres des Azgedas, pour ne rencontrer aucun village Terrien qui serait susceptible de lui rappeler chaque jour toutes ces âmes fauchées par sa faute...
