Participants : 23 – Equipe en tête : Aigles de Jais

05 : 45 : 02

J'avais tant de copies à corriger que j'ignorais si je pourrais finir ce soir, ni quand j'allais finir tout court. Je sentais la fatigue ravager mon corps et ma tête malgré ma tasse de café que je ne cessais de remplir et qui avait laissé un cercle d'humidité foncée imprimé sur la table en verre. Le tas de feuilles semblait interminable, pire encore, c'était comme s'il ne cessait de prendre de l'épaisseur. Lorsque j'en terminais une, deux apparaissaient. Et puis, vint le tour de la copie d'Annette Fantine Dominic. Une gamine douce au passé douloureux – qui n'en avait pas ? – puisqu'abandonnée par son père, m'avait raconté Hanneman, le responsable de la promo des Lions. Une brûlure naquit sur mon doigt lorsque j'ouvris la double page avec maladresse, qui tomba sur le sol à mes pieds devant le canapé, puis un gout ferreux envahit ma bouche quand je portai la coupure à mes lèvres. Le nom d'Annette se teinta de vermeille lorsqu'une goute de sang imbiba le papier, suivit bientôt d'une autre. Chose étonnante puisque le liquide s'écoulait pourtant dans ma gorge. Gorge qui s'enflamma douloureusement quand mon cœur sembla s'arrêter devant mes yeux grands ouverts. La copie de la lionne se tâcha de plus en plus et bientôt, une flaque s'élargie sur le parquet flottant de mon salon me projetant dans un des films bien connus de King. Je me levai mais mon corps s'échoua sur mon canapé qui lui-même se mit à dériver comme pris dans une grosse houle. Les vagues de sang étaient de plus en plus hautes, de plus en plus féroces, et l'une s'éleva devant mon corps tétanisé prête à m'emporter avec elle.

—Byleth !

La douleur parcouru mon corps à hauteur de ma clavicule et se diffusa dans ma poitrine quand j'ouvrai enfin les yeux en tentant de prendre une bouffée d'oxygène désespérée mais vitale. Le plafond ne ressemblait guère à celui de mon appartement et l'obscurité à laquelle mon regard s'était habitué occultait encore cet environnement peu familier. Mes jambes et bras se contractaient et remuaient dans tous les sens mais l'emprise sur moi était de plus en plus ferme. Mes coudes ne cessaient de se heurter à la surface dure du sol sur lequel je reposais, loin des coussins du divan de mon salon.

—Calme toi ! Byleth !

—Lâchez-moi ! hurlai-je à pleins poumons en me débattant et tortillant jusqu'à en perdre haleine.

—C'est moi ! C'est Edelgard !

Mes yeux s'ouvraient pour se fermer, avant de se rouvrir encore, comme si j'étais piégée dans un tourbillon sombre et vermeil dans lequel je disparaissais peu à peu. Jusqu'à sentir la chaleur des mains d'Edelgard sur mes joues. Mon rythme cardiaque se coordonna lentement sur la respiration de la blanche dont les mèches caressaient mon visage, et mes yeux s'amarrèrent enfin à ses prunelles parme comme un bateau à son ponton afin de ne pas être emporté par la tempête et sa houle au travers de la nuit.

—E… Edelgard… Je… Haaaa ! Ca fait mal !

—Essaie de ne pas t'agiter, Byleth, ta plaie est assez profonde.

—Ma plaie ? Qu'est-ce…

Mais la douleur diffuse raviva des souvenirs qui avaient disparus quelques minutes. Combien ? Je n'en avais aucune idée. Au moins autant de secondes que j'avais de questions multipliées par le nombre d'évènements tous plus horribles qui s'étaient succédés cette nuit.

—Annette ! Où est Annette ?!

Le visage de ma camarade de cauchemar se ferma et mes yeux décrochèrent des siens pour enfin remarquer que Lysithea et Ingrid tenaient encore fermement mes jambes et mes bras. Par-dessus l'épaule de la blonde, j'aperçus également l'inquiétude déstructurer l'expression habituellement joyeuse de Dorothea qui se tenait le bras.

—Lâchez-moi ! pestai-je en me relevant malgré le désaccord évident sur les visages de mes étudiantes.

Je comprimai par automatisme la plaie près de ma clavicule qui avait été recouverte d'un linge déjà imbibé de sang. Mes mains en étaient recouvertes également et je savais pertinemment qu'il ne s'agissait pas seulement du mien. Je n'eus qu'à regarder autour de moi pour trouver la masse recouverte d'un vieux rideau mauve, et les traces encore humides dans lesquels j'avais perdu l'équilibre plus tôt. On discernait la trace de plusieurs paires de pompes. Je m'étais sûrement cogné la tête très fort.

Tout m'était revenu en mémoire. Le bahut, Raphaël, Bernadetta, et maintenant Annette. Ce foutu téléphone qui vibrait. Cette angoisse oppressante que j'avais crû imaginer en corrigeant mes copies. Les suppositions bancales que j'avais formulées, les explications encore plus douteuses de Lysithea, l'expression d'Edelgard qui renfilait ses gants plus tout à fait immaculés… Et cette conversation qu'elle n'avait jamais pu finir. Comme le glas d'une cloche qui tinterait en échos.

—Edelgard… Ce… Ce jeu mortel… tentai-je d'articuler difficilement.

Son regard s'assombrit mais me fit face. Elle ne pouvait mentir. Je le savais. Elle le savait. Les évènements étaient beaucoup trop graves. La mort d'Annette… Causée de mes propres mains, m'avait percuté le crâne, le cœur et l'âme, et avait enclenché un mécanisme de réflexion auquel il manquait encore des engrenages jusqu'ici. Je me sentais si conne, si conne d'avoir loupé l'une des pièces majeures. J'en étais plus que certaine.

—Tu y as déjà participé, pas vrai ?

Mais ses yeux, traitres, fuirent un instant. Une seconde, une moitié de seconde même si ce n'était un quart. Chose qui n'arrivait jamais. Alors…

—J'y crois pas…

Ma respiration accéléra frénétiquement et ma cage thoracique peina à supporter les inspirations et expirations cadencées. Les battements de mon cœur se désordonnèrent et mirent mes simples fonctions vitales en difficulté. Je n'arrivais plus à respirer, ma vision se troubla et ma tête fût envahie de brume.

La main toujours posée sur ma clavicule comme si j'allais me vider de plusieurs litres de sang, je fis un pas déséquilibré en arrière, suivit bientôt d'un second, et après quelques secondes seulement je me déplaçai pour ne pas dire fuir, vers la porte qu'avait complètement défoncé Annette avant de s'enfoncer dans l'amphi. Les couloirs étaient toujours aussi sombres mais je m'en moquais, et peut-être même espérais-je moi aussi disparaitre dans cette obscurité tant je ne voulais plus être ici. Être partout ailleurs me semblait être une meilleure idée puisque dans ce décors morbide j'allais devenir folle. L'étais-je déjà ? Avais-je tout inventé ? Imaginé ? Peut-être étais-je en fait déjà pieds et poings liés dans une chambre capitonnée, assommée par une décharge de calmants et médicaments en tout genres, à recevoir de la visite tous les mardi après-midi, à me nourrir par intraveineuse au risque de m'ouvrir les veines avec une cuillère en bois ? Mes yeux s'attardèrent sur le corps de Bernadetta étalé en bas des marches dans une marre de sang qui avait du mal à sécher mais je passai à côté sans m'arrêter malgré mes jambes titubant devant la scène particulièrement effroyable.

—Byleth ! entendis-je. Reviens ! Je t'en prie !

Mais si mon cœur avait souhaité répondre à cet appel, mon cerveau m'ordonnait seulement de fuir. L'écho des bottines de ma camarade retentit dans l'étage, dans le couloir dans lequel je m'engouffrais péniblement, trop lentement, tel un animal blessé, si lentement qu'après moins d'une minute seulement mes jambes se pétrifièrent, et les échos s'effacèrent pour laisser seulement place à nos respirations saccadées.

—By… Byleth… S'il te plait…

Je déglutis aussi difficilement que je me traînais, jusque là, et me retourna avec encore plus de difficulté.

—Byleth…

—N'approche pas !

Jamais son regard n'avait été aussi pénible à supporter, et jamais je n'avais crû le voir perler ainsi.

—Tu ne dois pas rester ici, c'est dangereux. Si tu ne veux pas être avec moi alors d'accord, mais ne reste pas toute seule…

Je savais avoir visé juste. Ce jeu… Son attitude… Ses… Ses cicatrices. De combien étaient les probabilités que j'ai raison ? D'au moins autant que l'inverse de celles que tout cela soit vrai. Ce qui n'avait aucun sens. Car si l'une était vraie, l'autre l'était aussi. Et c'était impossible.

—Je veux que tu me répondes, Edelgard…

Je baissai la tête et observai ses mains, les marques qu'elle cachait derrière ses gants tous les jours de l'année, qu'il pleuve qu'il vente ou bien qu'il neige. Que le soleil rayonne ou que la pluie balaye les cieux. Ses mains qu'elle dévêtit pour les ouvrir devant moi.

—C'est exact.

—Alors, si tu es là…

—Byleth…

—Si tu as gagné, la coupai-je. Tu es… une meurtrière ?

—Penses-tu vraiment que l'on puisse gagner après cela ?

J'ignorai si la boule qui se formait dans mon estomac peu à peu était dû aux révélations que je lui arrachais ou à l'idée qu'elle ait pu me mentir. Etait-elle complice de toute cette mise en scène ? Ou bien elle-même l'instigatrice ? Comment avais-je pu être aussi idiote ?!

—Tu ne me contredis pas.

—C'est… beaucoup plus complexe que ce que tu peux penser.

—Complexe ? Ma question est pourtant simple, as-tu oui ou non toi aussi…

—Oui ! hurla-t-elle en m'ôtant la possibilité de réitérer ma question. Oui.

Une larme roula sur sa joue pour s'écraser au sol. Suite à quoi une seconde suivit la même course pour mourir elle aussi en me laissant pensive.

—Oui…

Et la troisième finit par marquer mon visage. Ainsi que le sien. Dans une douleur pire que la mort. J'imaginais puisque je respirais encore. Pour l'instant tout du moins.