Note de la traductrice : Exceptionnellement, il n'y aura pas de nouveau chapitre dimanche prochain (je ne serai pas là). Je vous retrouve donc dans deux semaines. Bonne lecture !


Chapitre 3

Un mois

Meri savait que ce serait dur de s'aventurer dans son passé. Rien ne pourrait changer ça, quel que soit le temps qu'elle attendait, qu'elle sépare ou non l'expérience en plusieurs petites séances qui viendraient vriller son âme les unes après les autres comme des milliers de petits explosifs.

D'un seul coup. C'était le seul moyen. Il fallait arracher le pansement.

Elle le regretta presque aussitôt.

Le premier souvenir qui l'engloutit était plutôt anodin : c'était la première fois que sa mère l'avait laissée au volant de leur navire, dans un coin tranquille de l'espace où elle ne pourrait ni s'écraser sur une planète, un astéroïde ou un autre voyageur, ni risquer de s'approcher d'une étoile ou d'un trou noir. Le terrain d'entraînement parfait pour une petite fille prépubère qui dépassait à peine la colonne de direction, mais Meri était alors trop jeune pour s'en soucier, remplie de joie et de fierté.

Quand elle émergea de ce souvenir, éviscérée et noyée par le chagrin, elle sut qu'elle avait commis une erreur. Tous ceux qu'elle voyait dans ces souvenirs, tous ceux qu'elle avait connus durant la majorité de sa vie, étaient morts. Ils avaient perdu la vie pendant la guerre ou lors de la chute d'Altéa ; ils avaient trouvé la mort lors de la chasse lancée par Zarkon ou étaient restés cachés jusqu'à la fin dans les siècles suivants.

Ils avaient vécu l'esprit assailli par la peur, la perte et des questions sans réponses, jusqu'à leur mort. Alfor avait-il informé son peuple de quoi que ce soit avant son sacrifice ? En avait-il eu le temps ? Ou est-ce que les survivants d'Altéa avaient été aussi ignorants que Meri sur la raison de cette guerre ?

Avaient-ils cru que les paladins les avaient trahis ? Ou qu'ils s'étaient enfuis comme des lâches quand l'univers avait eu besoin d'eux ?

Les heures passèrent et Meri ne put rien faire pour retenir le flot de visages des défunts qui plantaient en elle de nouvelles flèches accusatrices à chaque sourire, chaque jeu, chaque célébration à la suite d'un échange réussi, d'une bataille victorieuse, d'une compétition amicale.

Ce n'était rien. Ce n'était pas pour elle qu'elle faisait ça. C'était pour Allura, Coran, Lance, Val et Nyma. Meri n'était pas naïve. Elle savait très bien qu'elle pourrait mourir en espionnant Haggar. Le moins qu'elle pouvait faire était de laisser une trace ; et ils méritaient de l'avoir entièrement, pas seulement les petits bouts qui ne faisaient pas mal.

Coran l'avait suppliée de ne pas y aller, d'abord dans la salle de conférence sécurisée après l'annonce de son plan, puis une nouvelle fois dans le hangar avant son départ, sans prononcer la moindre parole. Elle ne savait pas s'il avait craint que l'espion ne l'entende ou s'il n'avait simplement pas eu la force de parler, mais en tout cas, son message était clair.

Il pensait qu'elle ne reviendrait pas.

Allura avait réagi quasiment de la même manière quand Meri eut rassemblé assez de courage pour lui annoncer la nouvelle. (Elle avait repoussé ce moment pendant plus d'une semaine, se disant que son hésitation était justifiée par l'inquiétude que l'espion découvre ses plans, même si les vaisseaux d'Allura et de Meri avaient tous les deux reçu le feu vert de Pidge et de Hunk.)

Leurs réactions n'étaient pas surprenantes. Meri savait très bien ce qu'Allura et Coran avaient perdu, mais ils avaient également le sens du devoir, raison pour laquelle ils ne l'avaient pas retenue. Voltron avait désespérément besoin de renseignements sur les plans d'Haggar et sur la taupe au château-vaisseau. Alors non, l'effroi de Coran et la terreur d'Allura ne la surprenaient pas. Pas plus que les adieux de Lance. Il avait été l'un des seuls à deviner qu'elle s'en irait discrètement, alors il avait été la voir dans sa chambre la veille. Il n'avait rien dit, la dévisageant un long moment avant de simplement la serrer contre lui.

— Je reviens vite, lui avait-elle murmuré, le ventre noué par la culpabilité. Je n'aurai pas le temps de te manquer.

Ce fut Thace qui la surprit vraiment.

Thace, qui avait accompagné Coran pour lui dire au revoir. Thace, qui l'avait regardée de ses yeux vieux et tristes, la fatigue lui courbant les épaules. Thace, qui lui avait tendu un paquet et lui avait demandé d'être prudente.

Elle avait attendu d'avoir un trou de ver derrière elle avant d'ouvrir le paquet, y trouvant une petite note avec une puce de données et une dague en luxite gravée du symbole galran « loyauté ».

J'aimerais pouvoir offrir une aide plus significative, disait la note. Mais j'ai coupé les ponts en quittant l'armée. J'espère que ces outils suffiront. Sur la puce de données se trouvent des programmes pour crypter vos transmissions et masquer votre présence sur les serveurs confidentiels. J'ai aussi inclus plusieurs chiffrements, si vous avez besoin de garde-fous additionnels pour les informations que vous avez rassemblées.

Je vous fais don de ma dague. Prenez-en soin ; Keena ne sait pas que je l'ai prise et risque de mal le prendre si elle apprend que je l'ai donnée à quelqu'un en dehors de sa sphère d'influence. Si vous la montrez à un de nos agents, il saura que vous êtes une alliée et vous aidera de son mieux. Sachez cependant qu'il y en a peu qui seront aussi disposés que moi à risquer leur couverture pour rectifier les méfaits de l'Empire.

Capitaine Nadezda ve Drevahl est la cheffe de la sécurité de Prorok sur la Sentinelle. Ulaz drul Erzok fait partie du corps médical impérial placé sous la supervision d'Haggar et de ses druides, mais je ne sais pas où il est actuellement. Ces deux-là comptent parmi nos meilleurs agents et je les considère comme des amis. Si vous arrivez à les trouver, dites-leur que c'est moi qui vous envoie. Je suis certain qu'ils vous seront d'une aide inestimable durant votre mission.


Infiltrer l'armée de Zarkon allait prendre du temps, surtout pour Meri qui n'avait aucune qualification ni expérience à bord de leurs vaisseaux de guerre. Elle ne pouvait pas perdre des mois à trimer en tant que nouvelle recrue et n'était pas assez compétente pour se faire embaucher comme mécanicienne ou infirmière, mais elle n'était pas non plus désespérée au point de tester si sa capacité altéenne à diriger les flux de quintessence pourrait lui obtenir un poste d'apprentie de druide sans risquer de dévoiler aussitôt son identité et de se faire tuer sur-le-champ.

Elle s'en tint donc à ce qu'elle savait faire, se servant des GAC fournis par Coran pour s'acheter une petite sélection de marchandises. Ses parents lui avaient appris à négocier et elle se fit un petit profit sur ses premières ventes. L'argent regagna son inventaire, réduit à l'essentiel et revendu avec une marge raisonnable. D'ici la fin de sa première semaine, elle pouvait passer pour une marchande respectable, bien que modeste. Après deux semaines, elle avait trouvé quelques trafiquants du marché noir qui l'avaient fournie en armes et autres marchandises de guerre.

Après trois semaines et demie, elle fit sa première vente à l'Empire dans un petit avant-poste qui avait grand besoin de ressources. Ils n'avaient pas voulu payer plein pot et, si Meri avait été une marchande ordinaire, elle aurait été outrée qu'on lui offre d'entrer en contact avec d'autres clients impériaux en guise de règlement.

Mais comme elle n'était pas une marchande ordinaire, elle en fut ravie et, après avoir grappillé autant d'armes uniques qu'elle le pouvait, Meri se retrouva dans le hangar d'un vaisseau impérial sous les traits d'un Unilu, le cœur dans la gorge tandis qu'une officière surveillait l'échange. Les ingénieurs se chargeaient d'inspecter les armes et de rapporter leurs trouvailles à l'officière, qui était installée sur une pile de caisses, se curant les ongles pour passer le temps.

Meri eut le plaisir de voir que son instinct ne l'avait pas trompée : les ingénieurs survolèrent une grande partie de son stock, ne sélectionnant que quelques articles standards, certainement pour changer des pièces qu'ils avaient déjà, mais une arme vers la fin souleva des murmures excités qui se turent bien vite quand les ingénieurs remarquèrent le sourire de Meri.

Quelqu'un marmonna « Q-pulseur », un autre songeait tout haut aux possibilités de contrôle des foules, et l'un d'entre eux finit par aller chercher l'officière, qui l'écouta d'un air de profond ennui avant de le congédier au beau milieu d'une phrase.

— Deux cent cinquante, dit-elle.

Meri fronça les sourcils.

— Pardon ?

— Deux cent cinquante mille GAC pour le tout, répéta-t-elle, et Meri secoua la tête.

C'était presque le double de ce que Meri aurait considéré comme un juste prix, et le triple de ce qu'elle attendait de la part d'un membre de l'Empire.

— Négocier ne m'intéresse pas. Je vous achète votre stock avec un petit bonus en prime. En échange…

Elle claqua des doigts et une sentinelle à la porte s'approcha, lui tendant une tablette holographique avec une liste d'armes et de prix.

— Signez ce contrat. Il liste ce dont j'ai besoin et le prix que je suis prête à payer. Si vous faites bien les choses, je pourrais me laisser convaincre de faire de vous mon fournisseur personnel.

Meri allait lui demander combien de temps elle avait pour rassembler tous les objets de la liste, mais son interlocutrice était déjà sur le chemin de la sortie, indiquant à ses gardes de se dépêcher d'un claquement de doigts. Les ingénieurs la regardèrent partir, renfrognés, et le contremaître paya Meri d'un mouvement brusque.

— Qu'est-ce qui lui prend ? demanda Meri à un des ingénieurs les plus jeunes tandis que les autres rassemblaient l'équipement.

Le jeune homme se débattait avec un noyau d'énergie et Meri vint à sa rescousse.

Il souffla sur une mèche de cheveux qui lui tombait sur les yeux.

— Qui, la sergente Nahra ? Elle est toujours comme ça.

— Elle a l'air…

Meri hésita, faisant mine d'ajuster sa prise sur le noyau d'énergie alors qu'une autre paire d'ingénieurs les dépassaient avec d'autres bouts de ferraille ; pas le genre de choses qui les avait vraiment intéressés.

— Elle n'a pas l'air très investie dans son travail.

— Pourquoi le serait-elle ? demanda l'ingénieur. Si ça ne tenait qu'à elle, elle ne serait plus là depuis longtemps.

— Ah oui ?

Il souffla, hissant le noyau d'énergie dans un chariot élévateur avec Meri.

— Elle vise la promotion. Et, à en croire les rumeurs, elle a, euh, négocié en coulisse pour être sûre de l'obtenir.

Meri resta de marbre en s'éloignant de l'ingénieur pour aller aider à charger le reste de l'équipement. Sergente Nahra, se dit-elle. Elle tenait peut-être quelque chose, là. Une marchande unilu ne tomberait jamais sur des informations importantes, mais une jeune officière ambitieuse sur le point d'être transférée sur un vaisseau où personne ne la connaissait ?

Tandis qu'elle décollait, Meri conjura une image de la caméra externe de son vaisseau et commença à se fabriquer l'apparence de Nahra.

L'occasion était trop belle pour la laisser passer.