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HÉMOCATHARISTE

- Ils parlent de toi, là-dedans.

Le projectile nonchalamment lancé par Cal manqua de heurter Megan en plein visage. La jeune fille eut l'heureux réflexe de lever la main à temps pour l'intercepter. Fusillant le garçon du regard en réponse à son attitude désinvolte alors qu'elle venait à peine de se réveiller dans une position fort inconfortable sur son fauteuil, Megan déplia le rouleau imprimé.

- La Gazette du Sorcier ? s'étonna-t-elle en reconnaissant le journal. Je croyais qu'aucun hibou n'entrait ici ?

- Tu crois qu'Aegidius ne se tiendrait pas informé de ce qu'il se passe dans le pays ? répliqua Cal en se détournant pour prendre la tasse de café fumante que lui tendait Mickey.

- Ses Illuminés lui servent d'informateurs, qu'est-ce que j'en sais ? grogna Megan avant de s'intéresser à la une.

Les visages mauvais et furieux de Lucius, Avery, Crabbe, Dolohov, Mulciber, Macnair, Nott, Rookwood et des frères Lestrange jetèrent des regards noirs à la jeune fille depuis l'immense photo qui s'étalait en travers de la page. Les Mangemorts qu'elle avait affrontés une semaine plus tôt avaient enfin été officiellement jugés et condamnés pour effraction et tentative de vol au ministère de la magie, bien qu'ils soient détenus à Azkaban depuis la bataille. Megan observa longuement le visage de Lucius, ce père de substitution qui l'avait trahie et semblait plus furieux que tous ses autres camarades réunis, et se retint de lui cracher au visage – à quoi bon baver sur un journal ? Elle aurait l'occasion de le confronter en personne et de lui faire regretter d'avoir piétiné le peu d'affection dont elle était capable.

D'un geste inutilement violent, elle tourna la page pour lire l'article qui accompagnait la désagréable illustration. Les faits demeuraient flous, le « procès » s'étant tenu à huis clos et aucun journaliste n'ayant été autorisé à assister à la séance – qui n'avait duré que 20 minutes et dont la plus longue partie avait été l'énonciation des noms de tous les prévenus. Officiellement, onze Mangemorts s'étaient infiltrés au sein du ministère sous l'égide de Voldemort, mais seule une d'entre eux était parvenue à s'échapper – Bellatrix. Sept adolescents les auraient poursuivis, guidés par le célèbre Harry Potter, rapidement épaulés par des Aurors – il n'était bien sûr fait mention nulle part de l'Ordre du Phénix – et le tout aussi célèbre Dumbledore. À la suite de ces événements, Cornelius Fudge avait déclaré reconnaître le retour du mage noir, corroborant ainsi les propos qu'avaient vigoureusement tenus Megan, Potter et Dumbledore depuis un an malgré de nombreuses railleries et accusations. Les journalistes de la Gazette du Sorcier ne se contentaient cependant pas de cette version des faits lacunaire et élaboraient dans les paragraphes suivants une théorie selon laquelle la légendaire salle des Prophéties serait impliquée dans la bataille qui s'était déroulée au ministère. De toute évidence, des informations avaient fuité : Megan ne voyait pas comment de simples journalistes, d'habitude si doués pour nier la vérité, pouvaient être tombés aussi juste au sujet de la triste aventure des membres de l'Armée de Dumbledore.

- Tu as affronté Voldemort ?

Cal touillait son café avec plus d'énergie et de bruit que nécessaire, détournant ostensiblement le regard, mais il était de toute évidence très attentif à la réaction de Megan face au journal qu'il lui avait lancé.

- Je n'ai pas vraiment eu ce plaisir, non, répondit la jeune fille sans le regarder.

Il était étonnamment agréable de pouvoir parler avec quelqu'un capable de prononcer le nom de Voldemort sans crise d'apoplexie.

- Dans l'article, ils disent qu'un groupe d'élèves de Poudlard se sont battus contre lui, au ministère de la magie, insista Cal, toujours sans regarder Megan.

- Ne te fie pas à tout ce que tu lis dans les journaux, je te l'ai déjà dit. J'étais au ministère, avec d'autres élèves, oui, mais ce sont ses Mangemorts qu'on a affrontés. Lui n'est arrivé qu'à la fin, et je n'étais pas vraiment disponible pour me battre avec lui. C'est Dumbledore qui s'est lancé dans un duel, et puis Voldemort s'est enfui.

Megan marqua une pause, les sourcils froncés, les yeux rivés sur le portrait de Bellatrix qui figurait sur la seconde page, relatant sa présence au sein du ministère puis son évasion en compagnie de son maître, ainsi que la liste de ses méfaits connus. Megan n'avait que très peu repensé à ce qu'il s'était passé ce soir-là. La douleur, le sang, la paralysie, la sensation de quitter lentement son corps. Puis l'intervention de Voldemort et la vie qui était revenue petit à petit en elle. Et enfin le transplanage forcé, l'épuisement de ses dernières ressources. Elle n'avait certainement pas brillé lors de cette entrevue – elle, la sorcière la plus puissante de son époque, incapable de canaliser correctement sa magie. La honte la fit frissonner et elle referma le journal d'un coup sec. Cal lui jeta un coup d'œil dérobé qu'elle ne manqua pas de remarquer.

- Tu me détestes, je te rappelle, concentre-toi là-dessus, grogna-t-elle.

- Je ne te déteste pas, s'agaça Cal.

Il choisit cependant de ne pas développer. Megan se leva du fauteuil dans lequel elle était affalée depuis la veille au soir, étira son corps douloureux et gravit les escaliers pour aller se jeter dans le lit de Cal à l'étage, à la recherche d'un endroit confortable où finir sa nuit. Il y avait probablement une pièce voisine réservée aux invités où l'attendait un lit fait par l'elfe, mais l'odeur familière de Cal dans les draps était réconfortante. En outre, Byrne et sa paranoïa ne devaient pas recevoir beaucoup d'hôtes, aussi la seule autre chambre de la maison devait probablement être la chambre de Vanilla, et Megan n'avait aucune envie de s'y trouver. Elle était toujours en colère contre la sorcière qui avait abandonné Cal à son sort, mais lorsque son regard se posa sur le croquis représentant la blonde sur la table de chevet, elle ne put nier qu'il y avait probablement d'autres raisons à sa colère.

Finalement incapable de se rendormir, Megan s'assit en tailleurs sur le lit et détailla les dessins et peintures répandus à travers la pièce. Bien qu'elle ait grandi dans une famille intégrée dans le monde moldu, la magie avait toujours été présente dans sa vie : elle était habituée à ce que toutes les illustrations soient douées de mouvement, aussi il était perturbant d'être entourée de toutes ces images inanimées. Pourtant il n'y avait rien de mort ou de figé dans les travaux de Cal. Les écailles des dragons étincelaient, les yeux des personnages suivaient les rayons du soleil qui traversaient la pièce, les paysages semblaient si réels qu'ils poussaient à traverser la toile pour les parcourir. Lentement, Megan détailla chaque surface noircie au crayon ou noyée de couleurs, jusqu'à qu'il n'y ait plus un seul des essais de Cal qui lui soit inconnu. Ce fut cependant le dernier qu'elle découvrit qui l'absorba le plus. Posée sur le chevalet, recouverte d'un chiffon jeté à la va-vite pour dissimuler le travail inachevé, une toile la représentait – ou une version idéalisée d'elle-même : ses cheveux n'étaient probablement pas aussi lisses et brillants, son visage n'était pas aussi finement ciselé et son regard n'était certainement pas aussi doux. Megan ne se souvenait pas avoir jamais souri tel qu'elle était ici peinte, si apaisée, calme et insouciante. Il manquait quelque chose à ce portrait pour qu'il soit vraiment le sien quelque chose de froid et de venimeux.

- Oh, c'est pas vrai, je savais que je n'aurais jamais dû le laisser là.

L'irruption de Cal dans la chambre ne la surprit pas, elle avait entendu ses pas dans l'escalier. Megan tourna vers lui un regard inquisiteur.

- Comme si tu ne l'avais pas volontairement laissé là pour que je le trouve, répliqua-t-elle tranquillement en reposant le tableau sur le chevalet. Ce n'est pas comme si j'étais arrivée depuis plus de douze heures et que je tu avais eu toute une nuit pour décider quoi en faire.

- J'ai peut-être inconsciemment voulu le laisser là, marmonna Cal en insistant bien sur l'adverbe tout en se penchant pour jeter à nouveau le chiffon en travers du portrait.

Puis il se tint juste devant Megan, les bras ballants, les cheveux en bataille et les yeux brillants. Ils étaient si proches l'un de l'autre.

- Tu me montres ma chambre ? proposa Megan en agitant la tête, agissant avec toute la confiance nécessaire pour ne pas laisser subsister la moindre ambiguïté entre eux. J'aimerais bien ne pas dormir une nuit de plus dans cet affreux fauteuil. Je crois qu'un des ressorts est encore imprimé dans mon dos.

- Ta chambre ? répéta bêtement Cal. Il n'y a pas vraiment… Enfin, je veux dire, il y a la chambre d'Aegidius, il y a la mienne, et puis il y a celle –

- De Vanilla ?

Il n'avait pas été facile de prononcer son nom sans toute l'amertume du chocolat noir.

- Vanilla ? Ah non, c'est sa chambre ici. On dormait ensemble avant qu'elle s'en aille…

Cal était parfaitement mal à l'aise, à présent. Megan lui tapota le torse d'un air amical.

- Tant mieux ! Je n'ai vraiment pas envie de dormir dans ses draps.

- J'ai changé les draps depuis que –

- Du coup, il y a une chambre où je peux m'installer ou non ? poursuivit Megan sans prêter attention aux marmonnements de son ami. Je ne vais pas rester longtemps, comme je te l'ai dit, il faut que tu t'en ailles rapidement mais je n'ai pas encore trouvé la planque idéale pour toi, donc j'aurai besoin d'un lit pour ce soir, au moins.

- Je pensais…

Il se passa la main dans les cheveux, évitant le regard de Megan. Insensible à son malaise, la jeune fille sortit de la chambre et ouvrit la porte voisine. Une grande pièce sombre où flottait une forte odeur d'encens l'accueillit.

- C'est la chambre d'Aegidius ! s'exclama Cal en se précipitant à sa suite.

Sans un mot, Megan referma la porte et en ouvrit une seconde. Une baignoire sur pieds, deux lavabos, un grand miroir et deux étagères. Cette pièce au moins lui serait utile.

- C'est la salle de bain, indiqua inutilement Cal tandis qu'elle fermait la porte et poursuivait son inspection de l'étage.

Un cagibi. Une buanderie. Un dressing rempli de vieilles robes de sorcier violettes. Puis enfin une chambre. Le lit à baldaquins était fait, des serviettes de bain propres et pliées étaient posées sur un petit bureau en orme et la fenêtre était ouverte. Une pièce accueillante et impersonnelle comme une chambre d'hôtel.

- Eh bien voilà, ce sera parfait, se réjouit faussement Megan en se laissant tomber sur le matelas moelleux.

- Je ne sais pas si c'est une bonne chose que tu dormes ici.

L'air toujours contrit, Cal était demeuré sur le pas de la porte et fouillait la chambre du regard comme s'il s'attendait à voir surgir un Mangemort.

- Pourquoi ? Ce n'est que pour une nuit, je promets de ne rien déranger, répondit Megan en levant les yeux au ciel. Byrne est si maniaque que ça ? Ce n'est pas l'impression que donne ta chambre.

- Non, c'est juste… Normalement, cette chambre est toujours fermée à clefs. Je ne sais pas pourquoi elle n'est pas verrouillée, et puis Mickey a fait le lit et aéré, je ne comprends pas pourquoi Aegidius lui aurait demandé de faire ça.

- Parce que je suis là, et qu'aussi peu accueillant soit-il, il n'allait pas me faire dormir dans la buanderie ? suggéra Megan.

- Je pensais qu'il aurait pensé que tu – enfin, non, c'est bête, il est l'oncle de Vani, il ne serait probablement pas favorable à ce qu'on…

Megan fronça les sourcils en observant Cal se passer la main dans les cheveux à de trop nombreuses reprises, le teint plus soutenu que d'ordinaire, l'air idiot.

- Tu pensais qu'on dormirait ensemble ?

Il y eut un temps de silence gêné avant que Cal n'émette un son à mi-chemin entre l'acquiescement et la dénégation. Megan secoua la tête, effarée.

- D'accord, c'était peut-être un peu prématuré, tu es arrivée hier, marmonna Cal en regardant partout sauf en direction de la jeune fille.

- Et je repartirai presque aussi vite, je ne viens pas passer l'été ici !

- Oui, j'ai bien compris, c'est pour ça que je me disais qu'on n'a que peu de temps à passer ensemble, alors même si j'étais en colère après toi et ton attitude méprisante…

- Réaliste, le corrigea Megan.

- … je pensais qu'on devrait profiter, poursuivit Cal en élevant le ton pour couvrir la voix de Megan.

- Profiter de quoi ? Cal, on n'est pas…

Megan poussa un profond soupir, agacée de se retrouver dans cette position gênante et d'avoir à mettre des mots sur ses relations aux autres.

- Je suis avec quelqu'un d'autre, se contenta-t-elle d'expliquer.

Aussitôt, l'attitude Cal changea. Il posa enfin les yeux sur Megan et cessa de passer sa main dans ses cheveux, se tenant plus droit – raide.

- Avec un sorcier, dit-il d'une voix froide.

La jeune fille écarquilla les yeux en percevant la jalousie et l'humiliation dans la voix de son ami. Elle ignorait comment elle avait pu se retrouver dans une situation aussi désagréable. Sa relation avec Cal avait toujours été un refuge, un havre de paix, pas le théâtre de toute la frustration du jeune moldu.

- Oui, un sorcier ! s'agaça-t-elle en ouvrant son sac d'un geste rageur.

Elle y enfonça le bras jusqu'à l'épaule pour tâtonner à la recherche de vêtements propres. Cal, qui n'avait jamais vu Megan utiliser sa sacoche magiquement modifiée, ne réagit même pas.

- Forcément, gronda-t-il.

- Tu crois que ça a un rapport avec le fait que ce ne soit pas un Moldu ? répliqua Megan, qui touchait du bout des doigts un morceau de tissu mais ne parvenait pas à l'attraper. Tu crois que c'est un critère pour moi ?

- Après tout ce que je t'ai entendue dire sur les Moldus, je crois bien que oui !

- Eh bien tu crois mal !

Elle extirpa enfin de son sac un jean gris et un débardeur blanc bordé de dentelle qu'elle balança sur le lit avec humeur avant d'y replonger le bras.

- Parce que tu es sortie avec beaucoup de Moldus, peut-être ?

- Je ne connais pas beaucoup de Moldus !

- Parce que tu nous méprises ! Tu nous penses inférieurs !

- C'est un fait, Callaghan Davison, vous n'êtes pas doués de magie, vous êtes faibles et sans défense, vous êtes nécessairement inférieurs aux sorciers ! s'exclama Megan en secouant avec véhémence les sous-vêtements qu'elle venait d'extirper de sa besace.

Furieux, Cal tourna les talons et claqua derrière lui la porte de la chambre, laissant la jeune fille seule dans la pièce impersonnelle. Elle attrapa une des serviettes soigneusement pliées posées sur le lit et s'accorda une longue douche chaude pour se laver de cette nouvelle dispute.

Sa relation avec Cal n'avait jamais été sérieuse, ils n'avaient été « ensemble » que deux semaines l'été précédent, deux jeunes adultes aux vies instables qui avaient brièvement trouvé du réconfort l'un dans les bras de l'autre, sans se poser de question ni regarder en arrière lorsqu'elle avait quitté Stourbridge pour rejoindre le Square Grimmaurd. Mais peut-être les choses avaient-elles changé depuis. Son histoire avec Kevan n'avait rien de simple et ne menait nulle part. L'histoire de Cal et Vanilla s'était rapidement finie. Megan s'était avouée à demi-mot ressentir de la jalousie envers la sorcière. Cal était ouvertement jaloux de Kevan. Tous deux avaient changé depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Cal avait été arraché à sa nouvelle vie pour se terrer chez un sorcier paranoïaque et s'était retrouvé seul. Megan avait perdu Sirius.

Brutalement, elle fit basculer le mitigeur vers la gauche et lutta de longues secondes contre la brûlure de l'eau sur sa peau, le temps que cette douleur surpasse et fasse taire celle qui venait d'éclater en elle. Elle ne pouvait plus se permettre de se recroqueviller sur elle-même et d'écouter sa souffrance, elle devait la garder à bonne distance, sans jamais la perdre de vue, se prendre en main et se dresser contre les obstacles qui avaient été mis sur son chemin toute sa vie. Elle s'était fixée pour mission de protéger Cal, aussi tendues soient leurs relations pour le moment, et elle ne laisserait rien la détourner de cette tâche. Elle ne subirait plus les décisions qui étaient prises pour elle depuis toujours, désormais elle était aux commandes.

- J'ai préparé à manger.

Lorsque Megan redescendit au rez-de-chaussée, lavée et changée, la peau toujours aussi blême malgré l'eau brûlante, Cal sortait de la cuisine avec une poêle à la main. Une délicieuse odeur de ratatouille l'accompagnait. Megan acquiesça avec un sourire. Un bon repas était parfaitement susceptible de ramener la paix entre eux.

- Tu as vu ma sœur, récemment ? s'enquit Cal alors qu'ils commençaient à manger, agissant comme s'ils ne s'étaient pas hurlé dessus une demi-heure plus tôt.

- Hier, dans le Poudlard Express, répondit tranquillement Megan. Mais elle ne sait pas que je suis Demi, alors garde ça pour toi.

- Ce n'est pas comme si je pouvais lui parler.

Un silence tomba dans le salon, uniquement rompu par le crépitement du feu qui brûlait toujours dans la cheminée et le tintement des couverts dans les assiettes. De toute évidence, il était difficile pour Cal d'être ainsi coupé de sa famille, et notamment de sa cadette.

- Cathy va bien, affirma Megan d'un ton badin en se resservant une cuillerée de riz. Elle a de bons résultats, beaucoup d'amis et elle fait partie d'un club de défense contre les forces du mal pour apprendre à se protéger contre les Mangemorts.

- Sérieusement ? hoqueta Cal.

- Oui. J'en fais partie aussi. C'est moi qui l'ai invitée. On ne sait jamais. Il ne fait pas bon être un Sang-de-bourbe en ce moment, et ça ne va pas s'arranger.

- Ne dis pas ça !

De toute évidence, il était bien pire aux yeux de Cal de prononcer le mot « Sang-de-bourbe » que le nom maudit de Voldemort.

- Je sais très bien que c'est une insulte, poursuivit Cal, les sourcils froncés.

- C'est juste une façon comme une autre de parler des nés-moldus, répondit Megan en haussant les épaules.

- Quand on est bien élevé, on dit « Mutmag », espèce d'hémocathariste, insista Cal. Tu parles de ma petite sœur, je te rappelle.

Megan leva les yeux au ciel.

- Quoi qu'il en soit, tu n'as pas de souci à te faire pour elle. D'après ce que j'ai vu, elle a des chances de survivre.

Cal posa sa fourchette pleine sur le bord de son assiette, l'air écœuré.

- Je n'ai plus faim.

- Écoute, je sais que c'est désagréable à entendre, mais c'est comme ça, on est aux portes de la deuxième guerre des sorciers et des gens vont mourir, beaucoup de gens, et inévitablement des gens que tu connais de près ou de loin. Je vais essayer de faire en sorte que ta sœur n'en fasse pas partie, mais je suis sorcière, pas déesse, je ne peux pas te garantir qu'elle va survivre, ou que tu vas survivre, ou que je vais survivre. Il faut juste te faire à cette idée.

Le jeune homme laissa éclater un rire sans joie.

- Tu parles de ça comme si c'était un problème passager, comme si c'était normal. Ça l'est peut-être dans un film de fantasy adolescent, c'est peut-être quelque chose de commun pour les sorciers, mais les gens que je connais qui meurent, ce n'est pas dans mes habitudes, non, ça n'arrive pas dans ma vie ! Je suis pas le héros d'un roman ou d'une série, j'ai des parents normaux que j'aime, des amis normaux auxquels je tiens, je viens d'un bled en Irlande et je ne me suis quasiment jamais préoccupé de rien d'autre que de mes notes au lycée, de ce que pensaient les filles de ma classe de moi et de toutes ces fois où mes parents m'ont empêché de sortir parce que j'étais « trop jeune » ou puni, est-ce que tu comprends ce que je veux te dire ?

- Je comprends que quand je t'ai rencontré dans ton bled en Irlande, tu m'as décrit à quel point ta vie était ennuyeuse et combien tu rêvais de pouvoir toucher du bout des doigts le monde magique auquel ta sœur appartenait, asséna Megan. Tu m'as presque suppliée de te faire partager un peu de mon univers, eh bien voilà, maintenant tu baignes dedans ! Mon univers est magique mais aussi dangereux et cruel, mais tu as eu ce que tu voulais, non ?

De nouveau, un long silence. Cal regardait Megan droit dans les yeux désormais, les sourcils froncés, le regard pénétrant. Il réfléchissait.

- Je ne regrette rien de ce qu'il s'est passé depuis que tu es sortie de la cheminée de mes parents pour me dire qu'on s'était déjà rencontrés et que tu avais effacé ma mémoire mais que tu allais me confier une librairie magique en Angleterre, dit-il enfin. Je suis vraiment content que tu ne m'aies pas laissé moisir à Killiney Hill. Et puis… de toute façon, que je sache ce qu'il se passe ou non, ça va se passer, pas vrai ? Les gens vont mourir, alors autant que je comprenne pourquoi.

Megan acquiesça. C'était pour cette capacité qu'avait Cal à appréhender tout le flot d'informations surnaturelles qu'elle déversait sur lui qu'elle l'admirait au fond d'elle-même. Il avait en lui une force qu'il ne soupçonnait pas et qu'elle n'aurait pas imaginé trouver chez un Moldu.

- Mais tu dis que Cathy se débrouille bien, pas vrai ? Ce club de défense, ça va l'aider ?

- Oui ! Elle y a appris un tas de trucs qu'elle n'aurait pas vus en cours avant des années, et surtout elle sait à peu près à quoi s'attendre. Bien sûr, les entraînements au chaud à Poudlard avec d'autres élèves ne sont rien comparés à un affrontement avec un Mangemort qui cherche à te blesser ou à te tuer, mais c'est mieux que de se croire à l'abri et de n'avoir aucune idée de ce qui se prépare dehors.

- Merci. De l'avoir invitée dans ce club.

- Oh là là, de rien, répondit la jeune fille d'un ton léger en se levant pour débarrasser la table afin d'éviter que Cal ne se répande en remerciements reconnaissants embarrassants.

Il était évident qu'il était toujours blessé par les propos de Megan au sujet de son espèce et l'existence d'un autre petit ami, mais il prit sur lui de n'en plus parler et tous deux purent consacrer leur après-midi à chercher un refuge satisfaisant pour le jeune homme.

- Où en sont tes économies ? s'enquit Megan après plusieurs heures de réflexion non-aboutie. Tu avais mis de l'argent de côté quand tu travaillais à la librairie, n'est-ce pas ?

- Ouais, et il m'en reste encore pas mal, moldu et sorcier – Vanilla était allée échanger une partie de l'argent à Gringotts. Aegidius ne m'a pas demandé de loyer, ni même de participer aux courses, alors que je le lui ai proposé plusieurs fois…

- Le vieux fou n'a pas l'air très près de ses sous, acquiesça Megan, mais c'est tant mieux. Il va te falloir un peu d'autonomie financière si tu dois te cacher longtemps.

- On parle de combien de temps, exactement ? s'enquit Cal en croisant les bas sur sa poitrine.

- Des mois, des années, je n'en sais rien. Aussi longtemps que Voldemort –

- Des années ? hoqueta Cal. Tu crois vraiment que je vais rester planqué Dieu sait où sans donner de nouvelles à ma famille pendant des années ?

- C'est toujours mieux que d'être mort, asséna Megan. Parce que ça, figure-toi que ce serait beaucoup plus long.

- Des années, ça n'est pas envisageable, répliqua Cal d'un ton sans appel.

- Écoute, inutile de me prendre le chaudron avec ça, de toute façon on ne sait même pas encore où tu vas aller, alors un problème à la fois, d'accord ?

Tous deux baissèrent les yeux sur le parchemin où ils avaient jeté leurs idées et leurs critères pêle-mêle. Rien n'en était ressorti. Megan ne savait toujours pas comment protéger Cal de manière efficace et elle craignait de ne pas trouver de solution à temps. Tous deux ne pouvaient pas rester indéfiniment cachés chez Byrne, ils étaient un peu plus en danger à chaque heure qui s'écoulait.

- Votre quartier général a été compromis, c'est bien ça ? dit Cal après plusieurs minutes de réflexion silencieuse.

- Oui, il a été évacué il y a quelques jours.

- Où est-ce que vous allez vous réunir, maintenant ?

- Je n'en sais rien, Dumbledore ne m'a rien dit. On n'est même pas encore sûrs de ce que va devenir la maison de… du Square Grimmaurd. Je ne pense pas que l'Ordre se soit à nouveau réuni, ils doivent seulement communiquer individuellement pour l'instant.

- Et les membres de l'Ordre, leurs maisons sont sécurisées, non ? Je veux dire, plus sécurisées que la moyenne, puisqu'ils sont des cibles potentielles, n'est-ce pas ?

- Je vois où tu veux en venir, mais c'est non. Je ne t'enverrai pas là-bas.

- Mais pourquoi ? se lamenta Cal. On en revient toujours au même point, on ne connaît aucun endroit qui soit suffisamment sûr ! Et il faut que ce soit avec des sorciers que tu connais, puisque d'après toi je ne serai pas suffisamment en sécurité sinon.

- J'ai dit non, insista fermement Megan. Tu l'as dit, ce sont des cibles potentielles, ce serait beaucoup trop risqué de t'envoyer là-bas. Et puis personne ne te connaît, et c'est très bien comme ça !

- Tu n'as parlé de moi à aucun d'entre eux ?

De nouveau, le ton de Cal était à la fois accusateur et blessé. Megan leva les yeux au ciel, lassée de ces disputes interminables.

- Non, et c'est beaucoup plus sûr comme ça. Plus il y a de personnes qui savent qui tu es et où tu es, plus tu es en danger, ce n'est pas magique, c'est mathématique.

- Oui, bien sûr ça n'a rien à voir avec le fait que tu ne veuilles pas révéler aux autres que tu protèges un Moldu.

- Rien à voir, non, mentit Megan.

Une après-midi entière d'hypothèses, de suggestion et de paramètres incompatibles ne suffit pas à solutionner le dilemme qu'affrontaient Cal et Megan. Lassés de tourner en rond, tous deux finirent par se détourner du problème pour s'engager dans une partie d'échecs version sorcier. Pour Cal, il était absolument fabuleux de voir les pièces se déplacer d'elles-mêmes, discuter ses pauvres choix stratégiques et attaquer furieusement les pions adverses, et Megan était partagée entre la consternation et l'amusement face à ses réactions disproportionnées. Elle n'avait jamais joué une partie d'échecs moldus et ne voyait pas bien ce qu'il y avait d'extraordinaire à ce qui se déroulait sur le plateau, mais elle s'abstint de tout commentaire pour éviter une nouvelle dispute.

Mickey leur prépara un copieux dîner au cours duquel Cal détailla à Megan les six mois qu'il avait passés avec les Byrne. Vanilla, qui travaillait comme serveuse dans le seul bar magique de Stourbridge, avait pris une année sabbatique pour s'installer avec Cal chez son oncle. Le vieil homme s'était tout d'abord montré méfiant lorsque sa nièce lui avait demandé d'héberger son petit ami moldu par souci pour sa sécurité en ces temps troublés – Byrne n'avait cependant jamais douté du retour de Voldemort – mais toutes ses craintes s'étaient envolées après qu'il a eu soumis Cal à un interminable interrogatoire, à qui il avait préalablement fait ingérer du Veritaserum. Il avait dès lors montré une curiosité digne d'Arthur Weasley quant au mode de vie moldu du garçon et s'était souvent réjoui que son unique nièce ait si bien choisi son petit ami. La relation de Cal et Vanilla avait tout d'abord été renforcée par leur colocation forcée : ils ne pouvaient quitter la maison sans risquer d'attirer l'attention et avaient beaucoup apprécié passer leur temps seuls dans leur chambre, loin des yeux et des oreilles de Byrne qui n'était de toute façon pas très présent. Mais après quelques mois, la vie commune avait commencé à leur peser et les disputes s'étaient faites chaque semaine plus nombreuses. Vanilla s'ennuyait, la menace de Voldemort lui paraissait de plus en plus abstraite et ses sentiments pour Cal n'étaient pas tout à fait ceux qu'elle croyait. Le jeune homme avait honte de l'admettre, mais il avait finalement été soulagé de la voir partir et avait apprécié se retrouver seul avec lui-même et ses peintures.

- J'avais quand même hâte que tu reviennes, avoua-t-il à Megan à la fin de son récit. C'était frustrant de rester caché sans savoir ce qu'il se passait vraiment dehors. Bien sûr, quand la presse a révélé officiellement le retour de Voldemort, Aegidius m'en a tout de suite informé, mais je ne savais pas trop ce que ça allait vouloir dire pour moi.

- Tu n'as rien raconté à Byrne à mon sujet, n'est-ce pas ?

- Le strict minimum : que j'étais ici sur les conseils de mon amie Megan, qu'elle était élève à Poudlard, qu'elle viendrait me rendre visite dès que possible et qu'il fallait ne rien dire à personne à mon sujet ou au tien.

- Et il n'a pas posé de questions ?

- Si, bien sûr. Sur la nature de notre relation… Je ne lui ai rien dit, bien sûr.

- Bien sûr, répéta Megan d'une voix égale, ne souhaitant pas encourager à Cal à évoquer de nouveau leur histoire de l'été passé.

- Il m'a demandé aussi qui tu étais, comment on se connaissait… Je lui ai raconté qu'on s'était rencontrés pendant les vacances d'été il y a deux ans en Irlande et que tu avais pensé à moi quand tu avais dû trouver quelqu'un pour s'occuper de la librairie de ta tante en Angleterre, et que c'était là-bas que j'avais rencontré Vani. J'ai essayé d'être au plus près de la réalité pour que ça paraisse crédible, comme tu me l'as appris.

Megan hocha la tête en signe d'approbation. Mentir avec aplomb était l'une des compétences qu'elle avait tenté d'enseigner à Cal l'année précédente, tentative désespérée pour prolonger son espérance de vie.

- Il m'a cru, poursuivit Cal, mais il n'a pas pu s'empêcher de faire ses petites recherches, parano comme il est… Il a découvert que ton nom était Buckley, et tout ce que ça implique…

La jeune fille se raidit aussitôt. Elle avait longtemps réussi à garder ce secret, mais Vanilla avait révélé sa véritable identité à Cal lorsqu'elle était venue le chercher à Noël, et ainsi fait éclater la bulle réconfortante dans laquelle Megan évoluait lorsqu'elle se trouvait avec le jeune homme, loin du poids de son nom et de son histoire. Elle se doutait qu'il en apprendrait plus à son sujet maintenant qu'il savait qui elle était réellement, mais elle avait vainement espéré qu'il n'aborderait pas le sujet. Résignée, elle préféra prendre les devants :

- Donc tu sais maintenant que mes parents étaient de fidèles Mangemorts, mais qu'ils ont trahi Voldemort, qui les a fait tuer quand j'avais six ans, dit-elle en parlant aussi vite que possible, comme si la gravité du sujet en serait amoindrie. Tu sais que j'ai été adoptée par des Cracmols, que j'ai ouvert la Chambre des secrets pour aller y chercher Ginny Weasley, qu'on m'a accusée à tort d'avoir tué Cedric Diggory alors que j'étais sous l'emprise de l'Imperium après avoir été enlevée par Voldemort, et que je me suis infiltrée au ministère de la magie avec Harry Potter la semaine dernière. Félicitations, tu as percé tous mes secrets !

- Inutile de te mettre en colère, répliqua Cal d'une voix égale. J'ai appris tout ça, oui. Et tu crois quoi, que je vais avoir une mauvaise image de toi ? Rien de tout ça ne fait de toi une mauvaise personne, et même si tu m'as menti sur ton nom pendant deux ans, tu étais quand même toi-même, et je sais que tu es quelqu'un de bizarre, secret, un peu flippant, mais quelqu'un de bien.

Megan renifla d'un air dédaigneux. La réaction de Cal était trop mielleuse et douce, et il ne connaissait tout de même qu'une infime partie d'elle. Il ne réagirait sûrement pas si bien s'il savait qu'elle avait en elle un peu de Voldemort ou qu'elle avait déjà tué deux personnes.

- Tu me trouvais tout aussi sympa quand tu m'as tiré dessus, hier ? lança-t-elle férocement.

Le teint de Cal pâlit aussitôt et il s'enfouit la tête dans les mains l'espace d'une seconde avant de planter son regard dans celui de Megan.

- Je n'arrive pas à croire que j'ai fait un truc pareil, je ne pourrai jamais me le pardonner, je ne sais pas ce qui m'a pris ! s'exclama-t-il, en détresse.

- Pas de quoi en faire toute un grimoire, balaya Megan d'un ton léger. Je t'ai provoqué exprès, et tu n'aurais jamais réussi à me blesser avec ce truc. C'était justement ce que je voulais démontrer.

- Tu pensais ce que tu as dit ?

La tirade furieuse et méprisante de Megan lui revint à l'esprit et elle secoua la tête, agacée.

- J'essayais de te mettre hors de toi, et bien sûr j'ai réussi. Si je n'en avais rien à faire de toi, je ne serais pas ici à perdre mon temps à chercher un endroit où te mettre à l'abri, si ? Quoi que je trouve ça génial d'être dans un endroit où la Trace ne peut pas me suivre, ajouta-t-elle avec un sourire satisfait en faisant voler jusqu'à elle d'un coup de baguette la carafe d'eau pour qu'elle remplisse son verre sous le regard émerveillé de Cal.