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TU VAS ME MANQUER
Communiquer avec les sorciers sans avoir de hibou à disposition – Eleyna était demeurée avec les jumeaux et le hibou de Cal à Stourbridge – ni la possibilité d'utiliser la magie était particulièrement difficile. Il aurait été si simple de recourir à un peu de poudre de Cheminette dans une cheminée voisine pour contacter le Terrier ou Dumbledore ! Megan se résigna donc à employer une méthode moldue et emprunta la ligne fixe du pub pour appeler les Granger, dont elle avait gardé le numéro gribouillé dans un coin de son manuel de sortilèges. Ce fut la mère de famille qui décrocha.
- Il faut que je parle à Hermione, c'est urgent, annonça Megan de but en blanc.
- … Bonjour, qui est à l'appareil ?
- Une amie de l'école, répondit la jeune fille en baissant le ton.
Hors de question de prononcer son nom en public, ni même le nom de Poudlard, elle ne voulait pas risquer qu'un Mangemort sous couverture ou un traître dissimulé à proximité l'entende.
- C'est urgent, répéta-t-elle impatiemment.
La mère de Hermione hésita puis choisit de ne pas insister et appela sa fille. Quelques secondes plus tard, un peu essoufflée, la meilleure amie de Megan était en ligne.
- Allô ? Megan ?
- Oui, c'est moi.
- Ah ! Maman m'a dit qu'une « amie de l'école », « malpolie », voulait me parler, ça ne pouvait être que toi.
- Écoute, je ne peux pas discuter, il faut absolument que tu me rendes un service urgent. Il faut que je contacte le directeur de l'école et je n'ai pas de moyen de communication à disposition…
- Dumbledore ? l'interrompit Hermione d'un ton anxieux. Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu n'es pas avec Fred et George ?
- Je te raconterai plus tard, mentit Megan, pressante. Est-ce que tu peux lui envoyer un message tout de suite pour lui demander de me rejoindre sous le River Irwell Railway Bridge à Manchester ? C'est vraiment urgent. Et surtout, tu ne dois rien dire à personne, pas même à Ron.
- Manchester ? répéta Hermione, inquiète. D'accord… Tu n'es pas en danger, au moins ?
- Ne t'inquiète pas pour moi. Fais ça tout de suite, d'accord ?
- Oui, je vais lui envoyer un hibou express…
- Merci.
Sans plus de détails, Megan raccrocha et rejoignit Cal qui n'avait pas bougé de son siège.
- C'est bon, j'ai passé le mot, annonça-t-elle. Ça nous laisse le temps de marcher jusqu'au point de rendez-vous. Tu es sûr que tu sais y aller ?
- Oui oui, je suis passé par là quand j'ai acheté mon arme.
Avec un grognement désapprobateur, Megan laissa sur la table de quoi payer leurs consommations en Livres sterling, puis ils quittèrent le pub. Les rues de Manchester étaient remplies de passants, d'artistes nomades, de sans-abris et de touristes en cette chaude journée de juillet, et ils n'eurent aucun mal à se fondre parmi les Moldus pour ne pas attirer l'attention. D'un œil extérieur, ils n'étaient qu'un couple d'adolescents qui traversait innocemment la ville. Pourtant, il n'y avait rien de romantique dans l'esprit de Megan. Elle était terriblement inquiète à l'idée que Cal soit de nouveau attaqué avant qu'elle l'ait remis entre les mains de Dumbledore et se flagellait de n'avoir pas pris cette décision plus tôt. L'agression des Carrow l'avait profondément perturbée et elle s'apercevait qu'elle avait égoïstement fait passer sa réputation auprès des sorciers de son entourage avant la sécurité de Cal. Il ne lui serait rien arrivé si elle avait choisi tout de suite de confier son sort à l'Ordre du Phénix, même si cela signifiait reconnaître ouvertement qu'elle se souciait de la sécurité d'un Moldu. Une crainte nouvelle était également venue s'ajouter dans son esprit : Kevan encourait-il les mêmes risques que Cal ? Ce dernier était-il une cible en raison de son appartenance à l'espèce des Moldus ou uniquement du fait de sa relation avec Megan ? Les deux, probablement. La jeune fille tentait de se persuader que Kevan, lui, était un sorcier et savait se défendre, mais elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'Amelia Bones, aussi bonne sorcière soit-elle, ne s'en était pas sortie. Pire encore, il commençait une carrière au sein du ministère de la magie. Allait-elle devoir le faire protéger lui aussi ? Elle savait qu'il ne l'accepterait jamais. Elle se promit cependant de lui envoyer un hibou dès que possible pour prendre de ses nouvelles et s'assurer qu'il avait mis en place toutes les mesures de sécurité possibles.
- Je t'enverrai de l'argent, dit Megan d'un ton distrait tandis que son cerveau continuait de ressasser ses inquiétudes. Tu as perdu toutes tes économies dans l'incendie.
- Je me débrouillerai, répondit Cal, qui ne souhaitait pas l'aumône. Je suis tellement désolé pour Aegidius…
- Ça va, c'est rien, je suis sûre qu'il a déjà remis la maison en état. Ce n'était pas un feu magique, les effets ne sont pas irréversibles. Il doit probablement être plus embêté de se retrouver avec toutes tes peintures sur les bras.
- Tu es sûre ? s'exclama Cal, sans réagir à la provocation. Il peut tout récupérer ? Tout ce qui a brûlé ?
- Oui oui, donc pas la peine de te faire un sang d'encre. Et puis ce n'est qu'une maison !
- Ce n'est pas qu'une maison. Il a habité là toute sa vie. C'était la maison de ses parents, il a vécu là-bas avec eux jusqu'à leur mort, pour s'occuper d'eux, et c'est là qu'il a élevé sa fille.
- Sa fille ? répéta Megan. Byrne a une fille ?
Au milieu de la rue bondée, ils pouvaient parler sans craindre d'être entendus. Il y avait une longue marche jusqu'au pont où ils avaient rendez-vous avec Dumbledore, et un peu de généalogie leur occuperait une partie du trajet. Il était si frustrant de ne pas pouvoir transplaner !
- Avait, corrigea Cal. Adela est morte pendant la première guerre. C'est Mickey qui m'en a parlé, Aegidius ne prononce jamais son nom. C'est dans sa chambre que tu as dormi… C'est pour ça que j'étais aussi étonné ! Il a jeté toutes ses affaires et il gardait toujours la chambre fermée à clefs.
- Elle est morte dans la chambre ? s'enquit Megan, qui n'avait aucune envie d'apprendre qu'elle avait partagé une nuit de sommeil avec le souvenir prégnant d'une fille morte.
- Non, elle… Aegidius serait furieux s'il savait que je te raconte tout ça. Lui et sa femme se sont séparés quand Adela était ado, et elle a très mal vécu le divorce, surtout que sa mère n'a même pas demandé qu'elle vienne vivre avec elle, elle s'est juste barrée à l'autre bout de l'Europe pour refaire sa vie. Du coup, c'était souvent la crise à la maison entre lui et sa fille, et c'était à l'époque de la première guerre des sorciers. Aegidius est un type foncièrement bon, il n'est pas du genre à aller se battre au front comme l'Ordre du Phénix, mais il était résolument opposé aux idées de Voldemort, alors par pur esprit de contradiction, Adela a commencé à adhérer aux idées des Mangemorts. Il paraît qu'elle disait des choses horribles sur les Moldus et qu'elle vouait une admiration malsaine à Voldemort… On ne se serait pas très bien entendus, je pense.
- La fille de Byrne est devenue une Mangemort ?
- Non, d'après ce que j'ai compris, les Mangemorts sont un cercle très fermé, elle n'a jamais rejoint leurs rangs mais elle était une grande sympathisante. Sauf que ce n'était qu'une ado en crise avec son père, et évidemment ils n'en avaient rien à faire d'elle : ils étaient toujours contents de s'entendre dire qu'ils défendaient la bonne cause et que les sorciers devraient être au pouvoir et écraser les Moldus, tout ça, mais ils n'ont jamais vraiment fait attention à elle, c'était un peu une fan perdue dans la foule, tu vois ce que je veux dire ? Sauf qu'elle avait vraiment besoin d'attention, alors elle a commencé à suivre à la trace les Mangemorts qu'elle connaissait, en espérant pouvoir les « aider » à commettre leurs meurtres et autres actes ignobles, et qu'ils finiraient par la remarquer et la reconnaître comme l'une des leurs, sauf que ça n'a évidemment jamais marché. Un matin, un groupe de Mangemorts est allé attaquer une famille de Mutmags, qui bien sûr s'est défendue, et dans la pagaille ils ne se sont pas du tout rendu compte que Adela, qui les avait suivis, était dans leur « camp », et ils l'ont tuée avec les autres membres de la famille. C'était une victime collatérale, quoi.
Megan hocha la tête. Elle n'aurait pas suspecté une telle histoire, mais elle n'était pas aussi émue que semblait l'être Cal. A l'âge où elle se battait pour empêcher le retour de Voldemort, Adela Byrne essayait de provoquer son père en participant à des meurtres, elle n'avait eu que ce qu'elle méritait.
Ils continuèrent de marcher en silence. Il faisait chaud et le soleil brillait dans un ciel sans nuage. C'était une belle journée d'été et autour d'eux tout le monde savourait ce premier lundi des vacances dans l'ignorance la plus totale de la menace qui planait au-dessus de leurs têtes. Megan ne s'était jamais sentie aussi éloignée des Moldus qu'en cet instant où elle se trouvait au milieu d'eux tout en ayant le sentiment de se trouver sur une autre planète.
- Où est-ce que tu vas aller, toi, maintenant ? s'enquit Cal tandis que le pont vers lequel ils se dirigeaient se dessinait devant eux, à quelques centaines de mètres.
- Je ne te le dirai pas, pour ta protection et pour la mienne. Moins tu en sais, mieux tu te portes.
- Super.
Un nouveau silence. Il y avait du monde sur les quais, mais la population se raréfia tandis qu'ils approchaient du River Irwell Railway Bridge. Lorsqu'ils parvinrent à l'ombre de ce dernier, ils étaient seuls.
- Il doit nous retrouver ici ? demanda Cal. Par quel moyen est-ce qu'il va arriver ?
- En transplanant, répondit Megan tout en jetant des regards méfiants autour d'elle pour s'assurer que personne ne pourrait les prendre par surprise.
Elle avait sa baguette à portée de main dans son sac, prête à défier les règles du ministère de la magie pour parer à une nouvelle attaque de Mangemorts.
- Dans combien de temps ?
- Aucune idée. Il faut le temps que le hibou de mon amie lui parvienne. Il ne devrait plus tarder.
Dumbledore se fit cependant attendre. Lassé de danser d'un pied sur l'autre en regardant autour de lui, Cal alla s'asseoir par terre un peu plus loin. À l'ombre du pont, Megan ne le distinguait plus dans l'obscurité. Elle demeura à la même place, toujours alerte. Hermione avait-elle pu trouver un hibou express ? Le hibou avait-il déjà atteint Dumbledore ? Et s'il avait été intercepté en vol et que le message ne parvenait jamais au vieux sorcier ? Cal ne pouvait demeurer à découvert trop longtemps, ce n'était qu'une question de temps avant que Voldemort diligente une nouvelle attaque à son encontre, et elle ne souhaitait pas attirer l'attention du ministère en faisant usage de la magie en plein cœur d'une ville moldue. Et si Dumbledore avait bien reçu son message, qu'attendait-il pour les rejoindre ? Avait-il décidé de lui tourner le dos ? Après tout, il ne se souciait pas de Cal puisqu'il n'avait proposé aucune mesure pour le mettre en sécurité alors même qu'il savait pertinemment qu'elle l'avait mis en danger. Allait-il ignorer son appel à l'aide et la laisser se débrouiller seule ? Elle ignorait où vivaient les membres de l'Ordre, hormis les Weasley, mais le Terrier était à l'autre bout du pays. Il serait beaucoup trop risqué de voyager à l'aide de moyens moldus et Cal ne pouvait prendre le Magicobus. Elle ne pouvait transplaner ou créer un Portoloin à cause de la Trace. Les Moldus pouvaient-ils utiliser la Poudre de Cheminette ?
Avant d'avoir pu réfléchir à la réponse à cette question, l'attention de Megan fut détournée par une voix qui la hélait. Ce n'était pas celle de Dumbledore. Prête à tuer l'intrus, elle fit volte-face pour ne voir finalement approcher qu'un homme d'une cinquantaine d'années visiblement saoul.
- Ooh eh bonjour mad'moiselle ! s'exclama l'homme en approchant d'une démarche mal assurée, exhalant une forte odeur d'alcool rance et de transpiration. Dis-moi, t'aurais pas une p'tite pièce ?
- Non.
- Oh, et un billet ?
- Non plus. Dégage.
- Eh, c'est pas très gentil de dire ça !
Megan fusilla l'homme du regard, mais celui-ci n'en parut pas impressionné.
- Tu peux p'tet aller m'acheter une bière, dis ? insista-t-il. J'ai soif ! On boira ensemble !
Avant qu'elle ait pu lui expliquer le fond de sa pensée, l'homme tendit une main vers sa poitrine. La claque sonore qu'il reçut en réponse ne sembla pas l'arrêter, mais Cal bondit du coin où il s'était assis, attrapa l'homme par le col de sa chemise sale et, de l'autre main, lui décocha un violent coup de poing au visage.
- Elle t'a dit de dégager, sale pervers ! cracha-t-il, furieux.
L'homme, qui avait heurté le sol sous la force du coup, dû s'y reprendre à deux fois pour se remettre sur ses pieds, puis s'empressa de s'éloigner en déversant un flot d'insultes dont Megan ne comprit pas la majorité.
- Ça va ? s'enquit Cal en se retournant vers Megan.
- Évidemment. Vraiment charmante, ton espèce.
- Comme s'il n'y avait pas de sorciers alcooliques, répliqua Cal, piqué au vif.
Il secouait la main en serrant les dents. L'ivrogne n'était visiblement pas le seul à avoir souffert du coup de poing. Megan plongea le bras dans son sac, fouilla quelques secondes, puis en tira un flacon contenant une pâte de couleur orange.
- Mets ça, dit-elle sans cérémonie.
Cal obéit sans discuter.
- Tu as tiré sur un type et collé une droite à un autre, c'est une grosse journée pour toi, commenta Megan, arrachant un petit rire au jeune homme.
- C'est tout le temps comme ça dans ta vie ? Ce n'est pas l'impression que j'avais, à Stourbridge, mais je crois que ce n'était pas fidèle à ton quotidien.
- C'est souvent agité, oui. Mais en général ce ne sont pas les Moldus qui me posent problèmes. Si seulement j'avais pu utiliser la magie contre ce rat crevé…
- Comme quoi, ce n'est pas si mal d'avoir avec soi un Moldu capable de se débrouiller sans baguette, non ?
Megan se contenta de hausser les épaules. Elle était relativement satisfaite d'avoir vu Cal « affronter » quelqu'un sans son aide, même si elle était consciente que l'ivrogne n'était rien comparé aux véritables menaces qui le guettaient. Pour une fois, c'était lui qui l'avait tirée d'un mauvais pas et non l'inverse.
Un craquement sonore détourna leur attention, faisant sursauter Cal. Un vieil homme grand et mince, aux longs cheveux argentés et aux yeux bleus brillant derrière des lunettes en demi-lune sur un nez aquilin déformé venait de se matérialiser à quelques mètres. Il était vêtu d'une longue robe de sorcier grise et tenait à la main une cocotte-minute.
- Vous avez pris votre temps ! s'exclama Megan avec humeur.
- Bonjour, Meganna. Je suis au regret de devoir te rappeler que les affaires urgentes sont mon quotidien, tout particulièrement depuis que le retour de Voldemort est une vérité officielle. Bonjour, Mr Davison, ajouta-t-il en hochant la tête en direction de Cal.
- Bonjour, Monsieur.
À côté de l'arrogance de Megan, il était le parfait gendre poli.
- Miss Granger m'a indiqué que tu étais dans une situation délicate ? reprit Dumbledore à l'attention de son élève.
- Comme vous le savez très bien, Cal est en danger parce qu'il me connaît, lui rappela Megan sur un ton de reproches. Il était caché ici depuis plusieurs mois, mais des Mangemorts ont découvert où il se trouvait et nous ont attaqués ce matin. Ils ont déjà dû être arrêtés par les Aurors, maintenant.
- Tu as donc quelque chose à voir avec la capture d'Amycus et Alecto Carrow ? Je croyais qu'ils avaient attaqué la maison d'un homme qui vivait seul, Aegidius Byrne ?
- C'est chez lui que je me trouvais, monsieur, répondit Cal à la place de Megan. Il n'a rien dit au ministère pour nous couvrir, mais il n'était pas sur place quand les Mangemorts sont arrivés. C'est grâce à Megan que je m'en suis tiré en vie.
Dumbledore hocha la tête en observant les deux jeunes l'un après l'autre.
- Voldemort les avait envoyés le chercher, insista Megan. Il va continuer à le traquer, pour m'atteindre. Il faut le mettre en sécurité.
- Et que préconises-tu ?
Le calme et le manque d'initiatives du vieux directeur de Poudlard firent monter la colère en Megan.
- De faire appel à l'Ordre ! s'exclama-t-elle en baissant le ton tout en jetant autour d'elle des coups d'œil méfiants. Il faut le confier à quelqu'un qui pourra veiller sur lui, et où les Mangemorts ne pourront pas le trouver.
Une nouvelle fois, Dumbledore hocha la tête.
- Je me demandais quand tu allais enfin me le demander.
- Vous ne pouviez pas le décider tout seul, peut-être ? s'énerva Megan.
- Je n'aurais pas voulu révéler aux membres de l'Ordre ton secret sans ton accord, voyons. Bien, j'ai justement emmené de quoi fabriquer un Portoloin…
La jeune fille leva les yeux au ciel, consternée par l'attitude de Dumbledore. Il savait pertinemment que Cal n'était pas en sécurité et que c'était pour cette raison qu'elle avait fait appel à lui aujourd'hui, mais il avait agi comme si de rien n'était, bien content d'entendre Megan lui réclamer son aide et de révéler enfin aux membres de l'Ordre qu'elle accordait de l'importance à la vie d'un Moldu, elle l'hémocathariste notoire, fière et mystérieuse.
- Où est-ce que vous allez l'envoyer ?
- Je suis parfaitement conscient que tu es une Occlumens hors pair, Meganna, cependant il ne serait pas prudent de révéler sa cachette, répondit tranquillement Dumbledore en tapotant du bout de sa baguette la cocotte-minute qu'il avait posée à ses pieds.
La vieille casserole rouillée se mit à luire d'une couleur argentée, puis s'éteignit.
- Départ prévu dans trois minutes, annonça joyeusement le vieux sorcier. C'est le moment de vous dire au revoir, ajouta-t-il avant de leur tourner le dos, comme pour leur accorder un semblant d'intimité.
S'attendait-il à ce qu'ils se tombent dans les bras et échangent un long baiser d'adieu ? Ce serait bien mal connaître Megan. La jeune fille se tourna vers Cal et planta un index dans sa poitrine.
- Peu importe là où tu vas, écoute toutes les consignes qu'on te donnera et, cette fois-ci, respecte-les, lui ordonna-t-elle. N'essaie pas de jouer les héros, et n'essaie pas de me contacter, ni de contacter ta famille, Byrne ou l'autre potiche. Tant que je ne viens pas te chercher, tu restes où tu es, même s'il doit s'écouler des années, c'est compris ? Tu as bien vu aujourd'hui que je te dis ça pour te sauver la vie. Et ne crois personne sur parole s'ils te disent venir de ma part, je viendrai en personne. Et même si tu vois quelqu'un qui me ressemble et dit être moi, vérifie d'abord que c'est vraiment moi, comme Byrne te l'a appris. Est-ce que c'est clair ?
- Tu vas me manquer, Demi, dit seulement Cal avant de la serrer dans ses bras.
Prise de court, la jeune fille ne le repoussa pas. Elle savoura une dernière fois son étreinte familière et réconfortante, et son odeur qui la ramenait en des temps meilleurs où ils vivaient dans une bulle paisible à Stourbridge, se reprocha intérieurement de n'avoir pas passé plus de temps avec lui, de n'avoir pas été moins dure, regretta de l'avoir mis en danger et de l'avoir séparé de sa famille, se promit d'être à la hauteur de sa force et de sa résilience lorsque la guerre serait enfin finie, si elle avait survécu et qu'elle le revoyait un jour, déposa un baiser dans son cou puis recula.
- Il faut que tu poses la main sur le Portoloin, indiqua-t-elle en désignant la cocotte-minute. Ça va te faire une sensation désagréable dans le ventre et tu vas te vautrer à l'atterrissage, mais ça ne dure que quelques secondes.
- Le départ est imminent ! lança joyeusement Dumbledore en se retournant vers eux tandis que Cal s'accroupissait pour toucher le Portoloin. Ne vous inquiétez pas, Mr Davison, vous serez entre de bonnes mains. Bon vent !
Alors qu'il levait une dernière fois ses yeux bleus et brillants vers Megan, il y eut comme une grande aspiration et il disparut sans un bruit.
Dans un craquement sonore, les deux sorciers apparurent dans une grande salle où s'alignaient des chaises et des tables vides face à un comptoir poussiéreux où un sorcier desséché et édenté essuyait des verres d'un air morne. Jamais Megan n'avait vu le Chaudron Baveur complètement désert.
- Dumbledore, Miss Buckley, lança le vieux patron d'une voix éteinte.
- Bonjour, Tom. Je vous remercie de nous laisser utiliser votre salle comme piste d'atterrissage, répondit aimablement le vieux directeur. Bien sûr, vous ne nous avez jamais vus.
Tom haussa les épaules sans émoi et continua d'essuyer ses verres. Soucieuse de mettre de la distance entre elle et Dumbledore, Megan se dirigea vers l'arrière de l'établissement et sortit dans la petite cour glacée qui servait de local poubelle. Bien entendu, le vieil homme la suivit.
- Je comprends ton souhait de ne pas te rendre immédiatement au Terrier, dit-il sérieusement après avoir refermé derrière lui la porte du bar.
- C'est non négociable, de toute manière, trancha Megan. Inutile d'essayer de me faire changer d'avis.
- Je n'ai pas l'intention de perdre mon temps de cette manière, acquiesça Dumbledore. Il est cependant nécessaire que tu t'y rendes dans les prochaines semaines, lorsque tu te sentiras prête. Le Chemin de Traverse n'est pas un endroit sûr, comme tu pourras le constater. Aussi je consens à te laisser rester ici quelques temps…
Megan laissa échapper un grognement désapprobateur : que Dumbledore consente ou non, elle ne lui laissait pas le choix !
- … mais je te demanderai de respecter quelques mesures de sécurité élémentaire, poursuivit le vieil homme sans tenir compte de ses bougonnements. Ne quitte le numéro 93 sous aucun prétexte, ne laisse pas entrer qui que ce soit dans l'appartement sans vérifier préalablement qu'il est bien celui qu'il dit être et que son comportement n'est pas inhabituel – d'ailleurs, je te demanderai de n'être en contact seule à seul qu'avec un nombre de restreint de personnes. Dans la boutique, dissimule ta véritable identité – je sais que messieurs Weasley auront tout le matériel nécessaire pour cela – et tâche de ne pas attirer l'attention. Et, bien entendu : pas de magie. Le ministère a suffisamment à faire pour le moment pour ne pas s'embarrasser d'un nouvel usage abusif de la magie par une sorcière de premier cycle, et moi aussi.
- Comme si ce n'était pas aberrant de continuer à surveiller la Trace alors qu'on est tous susceptibles de se faire attaquer ! protesta Megan. Les Mangemorts sévissent partout et les sorciers mineurs sont aussi bien pris pour cibles que les autres !
- Ce n'est pas le moment de débattre de la politique du gouvernement sur le Secret Magique, répliqua Dumbledore. Consens-tu à respecter ces quelques règles ?
- Je ne suis pas stupide, je comptais appliquer tout ça de toute façon.
- Bien, se réjouit Dumbledore. Je peux donc te laisser rejoindre tes amis, qui seront plus que ravis de te retrouver. Nous nous reverrons à Poudlard en septembre.
Sans un mot, Megan se tourna vers le mur de briques qui dissimulait l'entrée du Chemin du Traverse. Elle leva sa baguette puis se ravisa et se retourna vers Dumbledore, qui attendait qu'elle soit en sécurité pour quitter les lieux.
- Où est-ce que vous avez envoyé Cal ? l'interrogea-t-elle.
- Comme je te l'ai dit, il ne serait pas prudent de te révéler cette information.
- Et comment est-ce que je peux le contacter si j'en ai besoin ? répliqua Megan. Si vous êtes le seul à savoir où il se trouve et que vous vous faîtes tuer, je ne pourrai jamais le retrouver.
- Je n'ai pas l'intention de me faire tuer, lui indiqua Dumbledore en inclinant la tête. Cependant, je comprends ton inquiétude, aussi je te donnerai l'indice suivant : il se trouve auprès de Roger et Emily Boyd, qui prendront soin de lui comme ils ont pris soin de toi. Je suis sûr qu'ils seront ravis d'échanger plein de charmantes anecdotes à ton sujet.
Megan entrouvrit les lèvres, prise de court. Elle n'avait plus pensé aux Boyd depuis un long moment, eux aussi exilés hors du pays en raison de leur lien avec elle, chargés d'informer l'Ordre du Phénix sur la situation politique à l'étranger et de recruter des partisans de la lutte contre Voldemort. Ils avaient beaucoup en commun avec Cal, et celui-ci serait sûrement ravi d'entendre tout ce que les parents adoptifs de Megan pourraient avoir à dire à son sujet. Peut-être passeraient-ils les prochaines années à lui reprocher son attitude méprisante et insultante à l'égard de ceux qui, comme eux, n'étaient pas doués de magie peut-être allaient-ils tous trois la détester et lui réserver un accueil glacial lorsqu'elle viendrait les retrouver dans un lieu dont elle ne savait encore rien, lorsque la guerre aurait enfin cessé.
- Vous pensez qu'il sera en sécurité, là-bas ? Les Boyd ne sont pas capables d'utiliser la magie, comment est-ce qu'ils vont se défendre si les Mangemorts les retrouvent ?
- Emily et Roger fuient les partisans de Voldemort depuis longtemps déjà, la rassura Dumbledore. Ils sont membres de l'Ordre de longue date et savent parfaitement utiliser les moyens à leur disposition pour se protéger. Et puis ils ne sont pas seuls, des sorciers de confiance sont à leurs côtés. Je n'ai aucune inquiétude à leur sujet, et tu ne devrais pas non plus y penser. Chasse de ton esprit tout ce qui pourrait être utilisé à leur encontre, tu ne peux plus te permettre de t'inquiéter pour eux, tu as déjà bien assez de souci à te faire pour toi-même. Maintenant file, je ne veux pas te voir traîner dans les rues en ce moment.
Rassurée de savoir Cal bien protégé, Megan se retourna, leva sa baguette et tapota une brique du mur qui s'ouvrit aussitôt pour former une arcade donnant accès à une rue pavée et sinueuse. Lorsqu'elle la traversa, le mur se referma sur le regard perçant de Dumbledore.
Le Chemin de Traverse n'était plus le même. La rue d'ordinaire pleine de vie, de rires et de bavardages était presque déserte. Chacun se déplaçait en petit groupe, l'air inquiet, marchant vite d'un point à un autre, la tête baissée et les mains crispées sur ses affaires. Quelques vitrines étaient condamnées par des planches. Les autres, habituellement colorées, étincelantes, exposant grimoires, ingrédients pour potions ou chaudrons, étaient désormais masquées par de grandes affiches du ministère de la Magie qu'on avait collées par-dessus. La plupart d'entre elles, d'un violet foncé, portaient ces mots gravés :
COMMENT PROTÉGER VOTRE MAISON ET VOTRE FAMILLE CONTRE LES FORCES DU MAL
La communauté des sorciers se trouve actuellement sous la menace d'une organisation qui se fait appeler les Mangemorts. Le respect des conseils élémentaires de sécurité qui vous sont donnés ci-dessous vous aidera à vous protéger, vous, votre famille et votre maison contre d'éventuelles attaques.
1) Il est recommandé de ne pas laisser sa maison vide.
2) Des précautions particulières doivent être prises la nuit. Chaque fois que cela est possible, essayez de rentrer chez vous avant la tombée du jour.
3) Vérifiez les dispositifs de sécurité autour de votre maison en vous assurant que tous les membres de votre famille connaissent les mesures d'urgence à prendre en cas de besoin, telles que le sortilège de Désillusion, le charme du Bouclier et, si vous avez des enfants mineurs, le transplanage d'escorte.
4) Déterminez des mesures de vérification particulières avec les membres de votre famille et vos amis proches afin de détecter les Mangemorts qui tenteraient de se faire passer pour eux à l'aide de Polynectar.
5) Si vous avez l'impression qu'un membre de votre famille, un collègue, un ami ou un voisin se comporte d'une étrange manière, appelez aussitôt la Brigade de police magique. Il se peut qu'il ait été soumis au sortilège de l'Imperium.
6) Si la Marque des Ténèbres apparaît au-dessus d'une habitation ou de tout autre bâtiment, N'Y PÉNÉTREZ PAS et contactez immédiatement le Bureau des Aurors.
7) Selon certains témoignages non confirmés, des Mangemorts auraient recours à des Inferi. Si vous voyez un Inferius ou si vous vous trouvez confronté à l'un d'eux, signalez-le IMMÉDIATEMENT au ministère.
Megan secoua la tête en parcourant des yeux les consignes de sécurité futiles du gouvernement le long de la rue principale. Ce n'était pas comme cela qu'ils allaient sauver des vies.
Les autres affiches recouvrant les vitrines montraient des photos animées en noir et blanc de Mangemorts évadés. À la façade d'un apothicaire, Bellatrix Lestrange la regardait d'un air dédaigneux. Megan lui adressa un signe de la main que les rares passants qu'elle croisa approuvèrent silencieusement avant de baisser la tête et de poursuivre leur route d'un pas pressé et anxieux. La jeune fille poursuivit son chemin à travers la triste grisaille de la rue d'un air morne. Les prochaines semaines qu'elle allait passer ici risquaient d'être bien moins amusantes qu'elle ne l'avait espéré.
Ses espoirs renaquirent cependant lorsqu'elle s'arrêta au pied d'une boutique aux couleurs éclatantes, d'autant plus visible et accueillante qu'elle se trouvait nichée entre deux façades ternes. La vitrine de gauche offrait une éblouissante variété d'objets qui tournaient, éclataient, clignotaient, bondissaient, hurlaient. La vitrine de droite était recouverte d'une immense affiche, de la même couleur violette que celles du ministère mais sur laquelle scintillait en lettres jaunes :
Vous avez peur de Vous-Savez-Qui ?
Craignez plutôt POUSSE-RIKIKI le constipateur magique qui vous prend aux tripes !
Megan laissa échapper un sifflement en contemplant la boutique de Fred et George. « Weasley, Farces pour sorciers facétieux » était la seule source de joie et de vie sur le Chemin de Traverse, autant que Megan puisse en juger. La cinquantaine de clients qui se trouvait à l'intérieur avait le sourire aux lèvres et commentait avec enthousiasme la multitude de produits proposés au milieu des cartons qui s'empilaient jusqu'au plafond. Soulagée, Megan passa la porte du magasin et traversa la salle chaleureuse, bruyante et colorée sans attirer l'attention jusqu'à un comptoir où un petit bonhomme de bois montait les marches d'une potence. Au-dessous, on pouvait lire sur la boîte : « Le Pendu Réutilisable – Trouvez le bon sort ou il aura la corde au cou ! ». Derrière le comptoir, deux sorciers réjouis vêtus de robes magentas qui juraient avec leurs cheveux roux se faisaient un plaisir d'encaisser un homme mûr qui repartit avec une grande boîte sous le bras en jurant qu'il allait enfin redonner le sourire à sa femme.
- On dirait que les affaires marchent bien, commenta Megan en venant s'accouder au comptoir.
- Meggie ! s'exclamèrent les jumeaux d'une même voix.
