7
DERNIÈRE ESCAPADE
Les jumeaux se relayèrent toute l'après-midi pour jeter des coups d'œil accusateurs à Megan. Aussi débordés qu'ils étaient, il ne leur avait pas échappé que la jeune fille n'avait pas ramené de fournitures scolaires lorsqu'elle était revenue de son escapade hors des murs du numéro 93.
- Sans moi tu n'aurais plus de dentifrice, fit-elle cependant remarquer à George.
Son hygiène dentaire semblait cependant moins lui importer que le fait qu'il avait à nouveau laissé l'adolescente la plus recherchée du Royaume-Uni lui échapper.
- Moi, ce qui m'intrigue, ce n'est pas de savoir où tu étais partie traîner voir je ne sais quel petit ami secret, dit Charlie en se laissant nonchalamment tomber sur le canapé en début de soirée, c'est plutôt de savoir pourquoi tu n'as pas acheté tes bouquins et le reste de ta liste juste avant de revenir, pour noyer le poisson ?
- Parce que je ne vais pas acheter de fournitures cette année, répondit tranquillement Megan, adossée contre le mur du salon, les bras croisés sur la poitrine.
- Tu fais la grève du matériel scolaire, maintenant ? railla Fred sans joie, installé avec son jumeau sur la table à manger.
- Je ne vais pas retourner à Poudlard.
Charlie haussa un sourcil, et Fred et George interrompirent leurs comptes pour l'observer d'un œil méfiant.
- Ah ben v'là autre chose.
- Ça ne servirait à rien. Je vais rejoindre l'Ordre et me rendre utile.
- Ah oui, une mineure qui ne peut pas se servir de sa baguette, c'est très utile, commenta Charlie.
Megan le fusilla du regard. Sa tendance à la traiter comme une petite sœur commençait à furieusement l'énerver.
- Dans à peine quelques mois –
- Et pendant ces quelques mois, qu'est-ce que tu vas faire, hein ? lança Fred.
Nouvelle fusillade. Les jumeaux étaient les seuls à connaître la date d'anniversaire de Megan, et ils savaient pertinemment qu'il allait s'écouler dix longs mois avant qu'elle soit majeure.
- Je vois mal ce que vous allez pouvoir y faire, de toute façon, lança-t-elle sur un ton de défi.
- Te mettre dehors, pour commencer, suggéra George. Ta petite rébellion sera beaucoup moins impressionnante quand tu seras la première mendiante du Chemin de Traverse.
- Comme si je n'avais nulle part où aller.
Elle avait affirmé cela avec aplomb, mais en réalité, elle n'avait nulle part où aller. La maison des Boyd était un piège à ciel ouvert, le manoir Malfoy lui était plus que jamais hostile, le Square Grimmaurd était la nouvelle résidence secondaire de Potter, le Terrier était bondé de gens qui s'évertueraient à la faire changer d'avis, l'appartement de Stourbridge était compromis, tout comme la maison de Byrne. Sans la possibilité d'utiliser la magie, elle pouvait tout aussi bien attendre patiemment que des Mangemorts viennent la cueillir dans une chambre d'hôtel bon marché.
- Tout le monde au lit, lança soudainement Charlie en claquant des mains. On y verra plus clair demain matin, j'en suis sûr.
Megan aurait dû voir venir le piège dans son attitude particulièrement nonchalante. Le lendemain matin, elle fut tirée du lit par une Beuglante généreusement envoyée par Molly, qui avait été informée aux premières lueurs du jour des nouveaux projets de Megan par son traître de deuxième fils. Tout en tentant d'ignorer les hurlements perçants de la mère des Weasley lui reprochant son inconscience et sa naïveté, elle s'efforça de saisir la lettre ensorcelée et de la jeter dans la cheminée pour qu'elle s'y consume et se taise. Qui eut cru qu'un morceau de parchemin pouvait se tortiller avec une telle force ?
- Toi ! s'exclama-t-elle en pointant un doigt accusateur vers Charlie, qui avait repris sa place habituelle dans le canapé et l'observait avec innocence.
Elle n'eut pas le loisir de développer tout ce qu'elle pensait du Dragonologiste, puisqu'un phénix argenté traversa la fenêtre du salon comme s'il s'était agi d'un simple filet d'eau et fondit sur elle.
- Je n'ai pas été suffisamment clair, Meganna ? tonna la voix profonde et froide de Dumbledore.
Puis le phénix disparut dans des ondulations bleutées. Megan poussa un profond soupir en croisant les bras sur sa poitrine, furieuse de la résistance qui lui était opposée.
- Tu as écrit à l'Ordre du Phénix au complet ? s'exclama-t-elle furieusement.
- Moi, je n'ai prévenu que ma mère, répondit Charlie en levant les mains comme pour prouver son innocence. Après, elle a pu en parler à –
Un grondement dans la cheminée les surprit tous deux. Il y eut une gerbe de flammes vertes puis Remus Lupin, Alastor Maugrey, Nymphadora Tonks et Bill Weasley surgirent tour à tour de l'âtre en secouant leurs robes de sorcier pour en chasser la cendre, qui se répandit sur le tapis des jumeaux. Charlie leva un sourcil.
- Tiens, salut, frangin.
- Charlie, le salua Bill avec un sourire avant de se retourner vers Megan. Alors comme ça tu désertes l'école ?
- Bonjour, Megan, lança Tonks en donnant un coup de coude à Bill pour manifester son mécontentement face à son manque de politesse. Ça fait plaisir de te voir !
La jeune femme semblait pourtant tout sauf contente. Ses cheveux d'ordinaire rose bonbon étaient gris souris, ses traits tirés et des cernes bordaient ses yeux. Remus lui aussi semblait épuisé, et ses vêtements étaient toujours aussi élimés. Entre leur apparence terne et l'habituelle ribambelle d'horribles cicatrices de Fol Œil, le séduisant Bill rayonnait.
- Je rêve, c'est Molly qui vous envoie, vous aussi ? s'exclama Megan, exaspérée.
- En fait, c'est Arthur qui a sagement suggéré que l'on vienne discuter avec toi, sourit Remus. Et Hermione nous a suppliés de te faire entendre raison.
- Elle était horrifiée que tu envisages de ne pas finir tes études, renchérit Tonks.
- Sauf que je n'ai pas envie de discuter avec vous, objecta Megan. Ma décision est prise. L'école ne me sert plus à rien, sans vouloir me vanter…
- Ce n'est pas dans tes habitudes, acquiesça Remus.
- … je me débrouille mieux que la plupart des élèves de septième année, voire que certains professeurs, compléta Megan en ignorant la remarque.
- Personne n'en doute, Buckley, grogna Fol Œil. Mais ça ne veut pas dire que tu n'as plus rien à apprendre. Et on l'a déjà dit, l'Ordre du Phénix ne recrute que des sorciers majeurs. Et tu nous seras beaucoup plus utile quand tu seras diplômée et que tu auras terminé une formation d'Auror.
- Je n'ai pas l'intention d'être un pion du ministère, cracha Megan.
Tonks et Fol Œil haussèrent les sourcils et Bill et Remus retinrent un rire discret.
- Quelqu'un veut quelque chose à boire ? lança joyeusement Charlie en se dirigeant vers la cuisine.
- Je crois que Megan envisageait plutôt la carrière de Briseuse de sort, indiqua Bill avec une once de fierté. Une formation qui nous sera tout aussi utile, crois-moi.
- Auror, Briseuse de sort ou strip-teaseuse, tu nous seras surtout utile en vie, intervint Tonks. Et si on oublie le chien à trois têtes, les araignées géantes, le Basilic et les Mangemorts qui se prennent pour le professeur Maugrey (l'intéressé braqua sur elle son œil magique), Poudlard est l'endroit le plus sûr du Royaume-Uni en ce moment. Dumbledore a renforcé les mesures de sécurité en collaboration avec le ministère de la magie. Des Aurors vont surveiller l'école vingt-quatre heures sur vingt-quatre. On sera tous rassurés que tu y sois, la dernière chose dont a besoin, c'est que Tu-Sais-Qui mette à nouveau la main sur toi.
- Il a déjà essayé deux fois, et il n'a pas réussi, se vanta Megan. Au diable vos histoires de sécurité, je n'ai jamais failli mourir aussi souvent qu'à Poudlard !
- Certes, acquiesça Remus. Mais cette année est différente. La guerre a commencé. Je ne te demande pas de te concentrer sur tes études, bien sûr qu'il se passe des choses bien plus inquiétantes hors des murs de l'école, je te demande seulement d'attendre encore un an à l'abri des murs du château. L'année prochaine, tu seras majeure et les choses auront évolué. On n'aura sûrement besoin de toi à ce moment-là. En attendant…
- En attendant, on a besoin de quelqu'un sur qui compter à l'intérieur de Poudlard, compléta Bill. Tu sais que j'ai confiance en Ron et en Ginny, et je ne doute pas non plus de Harry ni de Hermione, mais je pense que tu seras la mieux placée pour nous tenir informée de tout ce qu'il se passe dans le château. On sait tous que tu gardes l'œil ouvert.
- Vous avez déjà McGonagall et Snape, pour ça, non ?
Megan n'avait pas l'intention de se laisser embobiner par une confiance feinte. Elle n'était pas une enfant qu'on apaisait en faisant semblant de lui confier une tâche importante.
- Ils ne voient pas la même chose que les élèves. Et personne n'est aussi méfiant que toi.
- Un an, Megan, répéta Remus. C'est tout ce qu'on te demande.
La jeune fille poussa un profond soupir en observant attentivement les quatre sorciers qui lui faisaient face, puis jeta un coup d'œil à Charlie qui sirotait un jus de tomates à la paille dans la cuisine en les observant tranquillement. Elle n'arriverait jamais à convaincre les Weasley et leurs proches de la pertinence de son projet, et sans eux elle n'avait aucun endroit où vivre. Elle était prise au piège.
- Il faut que j'aille acheter des fournitures scolaires, du coup.
Elle avait surtout besoin de s'éloigner de l'appartement bondé pour pouvoir bouder en paix.
- Eh bien, c'était une visite rapide, commenta joyeusement Bill. J'espère te voir très vite au Terrier, Megan ! Ça m'a fait plaisir, Chuck, ajouta-t-il avec un sourire à l'attention de son frère. Viens plus souvent à la maison.
- Viens plutôt me voir en Roumanie !
- Dès que possible, frangin.
L'aîné des Weasley, dont rien ne semblait pouvoir ébranler l'enthousiasme (la perspective d'épouser une Vélane ?), saisit une poignée de poudre dans le pot qui trônait sur le manteau de la cheminée, s'avança dans les flammes et, sur un sourire, disparut dans une gerbe d'étincelles vertes. Megan observa les trois autres l'imiter après les avoir salués, et en quelques secondes l'appartement retrouva son calme habituel.
- Je dois encore attendre beaucoup de gens ou le défilé est terminé ? lança la jeune fille à Charlie, qui sirotait toujours son jus.
- Je pense que ce sera tout, sourit le jeune homme sous ses innombrables taches de rousseur. Tu veux qu'on aille faire tes courses avant ou après le déjeuner ?
- « On » ?
- Tu ne crois quand même pas que je vais te laisser filer une nouvelle fois ?
- Je ne suis pas un animal de compagnie fugueur, j'ai déjà fait ce que j'avais à faire en dehors du Chemin de Traverse, répliqua Megan, piquée au vif.
Pour toute réponse, Charlie aspira bruyamment le fond de son verre. Avec un roulement des yeux exaspéré, Megan partit chercher sa bourse, sa liste et son sac dans sa chambre. Son acolyte ne la lâcha pas d'une semelle tout au long de ses achats, mais il eut la sagesse de ne pas lui adresser la parole. Sa compagnie était désagréablement agréable.
- Aide-moi à porter mes nouvelles robes au lieu de rester planté là comme un épouvantail, lui lança-t-elle au bout d'une demi-heure en lui fourrant ses emplettes dans les bras.
Amusé, Charlie se laissa faire. Les yeux de Megan s'attardèrent sur la cicatrice brillante sur son bras musculeux avant qu'elle reporte son attention sur les chaussures que proposait Madam Malkin.
- Pas trop chiant d'être obligé de faire les boutiques ? commenta-t-elle sans le regarder tandis qu'elle comparait deux paires de bottines.
- Ce n'est pas mon premier rodéo, répondit tranquillement Charlie en adressant un clin d'œil à deux jeunes clientes qui quittèrent la boutique en pouffant bêtement de rire.
Megan adressa aux deux sorcières qui s'éloignaient un regard de dédain.
- Tu as fait du shopping avec toutes les sorcières de Roumanie ? railla-t-elle.
- Oh, des Moldues aussi, c'est encore plus drôle.
C'était une information surprenante. Megan n'imaginait pas entretenir une relation intime, même très brève, avec quelqu'un qui ignorait l'existence de la magie. Son esprit vagabonda vers Cal. Était-il toujours en sécurité ? Dumbledore le lui dirait-il s'il apprenait que quelque chose était arrivé au jeune homme ou aux Boyd, ou craindrait-il qu'elle quitte alors à nouveau Poudlard ? Il était horriblement frustrant de ne pas avoir de nouvelles de son ami. Elle ne pourrait jamais se pardonner sa mort.
- Tes conquêtes ne te manquent pas trop ?
Elle avait jeté son dévolu sur une paire de chaussures noires en cuir de dragon et se dirigeait vers la caisse sans regarder son interlocuteur.
- Oh, si, beaucoup, rit Charlie. Du coup je vais rentrer en Roumanie ce week-end.
Megan fit volte-face.
- Tu repars ?
- Tu ne croyais quand même pas que j'allais rester ici toute l'année, si ? sourit le jeune homme en lui faisant un signe pour qu'elle tende son article à la vieille femme derrière le comptoir qui attendait patiemment qu'elle s'intéresse de nouveau à elle.
- Je pensais que tu repartirais à la fin de l'été, répondit Megan en posant ses nouvelles chaussures sur le bar en bois.
- J'ai terminé ma mission ici, et j'ai du travail qui m'attend à la réserve. Mes dragons ne vont pas s'élever tout seuls, et c'est bientôt la saison des naissances pour les Opalœils des antipodes.
- Suis-je bête.
Elle tendit à Madam Malkin la somme due puis reprit la direction du numéro 93.
- Je vais te manquer, avoue-le, se réjouit Charlie.
- Ça te plairait trop que je dise oui, répondit Megan en haussant les épaules. Mais si je dois passer une seule autre soirée avec Angelina et Alicia à la maison… Tant pis pour la Trace, je lancerai moi-même un sort d'isolation sonore sur leurs portes !
Charlie éclata de rire et Megan elle-même esquissa un sourire.
- Tu n'as qu'à aller au Terrier. Bill et Fleur sont bien plus discrets, sinon j'aurais entendu Ron s'en plaindre. Tu les as suffisamment évités, il est temps que tu rentres à la maison.
Megan se mordit la lèvre. Le Terrier était-il sa maison ? En quelques sortes, oui. Les Weasley et Hermione étaient sa famille, et elle savait qu'ils se faisaient un sang d'encre pour elle.
- Ils viennent samedi faire leurs courses, ajouta Charlie, à qui la réflexion silencieuse de Megan n'avait pas échappé. Repars avec eux.
Le samedi en question, Megan fut réveillée par un tapotement sec et régulier contre le carreau de sa fenêtre. Agacée d'être tirée de son sommeil plus tôt qu'elle ne l'avait voulu, elle laissa entrer le hibou qui dansait d'une patte sur l'autre à l'extérieur, une lettre attachée à l'une d'elles.
- C'est qui, cette fois ? grommela-t-elle en décachetant l'enveloppe tandis que l'oiseau s'envolait dans le couloir de l'appartement par la porte entrouverte de la chambre.
Elle reconnut au premier coup d'œil la police de caractère du ministère de la magie.
Miss M. Buckley,
Le Brigade de police magique vous remercie pour votre témoignage et vous indique que le dossier DJM-UMBRIDGE-034 a été clôturé. Veuillez trouver ci-dessous la conclusion du rapport :
« Infractions : Atteinte disproportionnée aux personnes – N136. Abus d'autorité – N87. Atteinte à l'intégrité corporelle d'un mineur – N142.
Dispositif : Mise à pieds (S2). Interdiction d'exercer des fonctions publiques (S15). »
Vous espérant en sécurité, veuillez agréer, Miss M. Buckley, l'expression de nos sentiments distingués.
Pour Pius Thicknesse
Directeur du Département de la Justice Magique
Ministère de la magie
PS : l'employé K. Garrow a été rappelé à l'ordre
La joie que ressentit Megan en apprenant que ses efforts à l'encontre d'Umbridge avaient porté leurs fruits ne fut que vaguement ébranlée par la découverte que la hiérarchie de Kevan était parvenue à remonter jusqu'à lui. S'il s'avérait qu'Ally Collins les avaient dénoncés, le jeune homme lui en voudrait certainement beaucoup, ce qui était plutôt réconfortant.
Ce fut finalement avec une certaine satisfaction qu'elle quitta sa chambre pour aller prendre son petit-déjeuner dans la cuisine où le hibou du ministère buvait joyeusement du lait dans le bol de Charlie, dont le regard désabusé passa plusieurs fois de Megan à l'oiseau.
- Ce n'est pas moi qui l'ai éduqué, crut-elle bon de préciser en ouvrant un yaourt.
Amadoué par le hibou, Charlie choisit de lui abandonner les restes de son petit-déjeuner tandis qu'il allait s'habiller.
- Mes parents et les autres seront là dans moins d'une heure, annonça-t-il lorsqu'il revint dans le salon vêtu d'un pantalon clair aux innombrables poches, d'une chemise en lin et d'un grand manteau de voyage brûlé par endroits. Tes affaires sont prêtes ? Je ne leur ai pas dit que tu rentrais avec eux, je veux leur laisser la surprise.
- Oui, tout est prêt, soupira Megan. Tu pourras déposer ma valise au Terrier en partant.
- Ce que je vais faire tout de suite. J'ai déjà dit au revoir aux jumeaux quand ils sont descendus travailler ce matin. Quant à toi…
Charlie passa une main moqueuse dans les cheveux de Megan, qui se déroba en grimaçant.
- Ça m'a fait plaisir de te voir. Tu seras toujours la bienvenue à la Réserve, si ça te dit un de ces jours. Je pense qu'on se reverra vite, quoi qu'il arrive.
- Si tu n'es pas tué par un de tes dragons d'ici-là, maugréa Megan, mal à l'aise avec les adieux.
- Oh, je suis un dur à cuire, indiqua le jeune homme avec un clin d'œil avant d'entrer dans la cheminée du salon avec son sac de voyage sur l'épaule et la valise de Megan à la main.
En l'espace de quelques secondes, il avait disparu à son tour. Peu désireuse de fixer l'âtre vide en regrettant son départ, Megan enfila pour la dernière fois sa perruque, passa sa besace sur son épaule, ferma la porte de sa chambre vidée et quitta l'appartement sans un regard en arrière.
- Charlie est parti, indiqua-t-elle à Fred, qu'elle trouva derrière le comptoir de la boutique plus que jamais envahie de clients en ce premier week-end suivant l'envoi de la liste des fournitures de Poudlard. Les autres doivent arriver d'un moment à l'autre, je vais aller les rejoindre.
- Tu ne veux pas plutôt les attendre ici ?
Megan n'eut même pas à défendre sa décision : Verity les interrompit pour demander à « Mr Weasley » si elle devait sortir un nouveau carton de Marque des Ténèbres comestible, et le jeune homme se replongea dans ses obligations professionnelles après un dernier regard inquiet à son amie. Satisfaite d'avoir évité une nouvelle dispute potentielle, Megan se fraya un chemin à travers la foule qui avait envahi la boutique et rejoignit la rue principale du Chemin de Traverse. Celle-ci était plus animée que les jours précédents, et les vendeurs ambulants plus nombreux, mais elle n'était toujours plus que l'ombre de ce qu'elle avait été avant la guerre. Trop de choses avaient changé, y compris la relation de Megan avec les jumeaux. Oh, ils avaient vécu ensemble beaucoup de bons moments au cours de l'été, mais ils n'étaient plus le trio imperturbable et inséparable qu'ils avaient été. Elle avait entamé la confiance qu'ils lui accordaient lorsqu'elle avait fui à son retour de Poudlard sans les mettre dans la confidence, et son escapade avec Kevan n'avait fait que les éloigner un peu plus. Ils avaient peur pour elle, bien plus que ne l'avouaient. Charlie avait été bien plus habile à dissimuler ses craintes. D'un œil extérieur, rien ne semblait pouvoir ébranler le solide dresseur de dragons. Pourtant il avait passé une soirée entière à tenter subtilement de lui faire avouer ce qu'elle avait fait au cours de son évasion, et était finalement parvenu à obtenir la vérité. Il ne savait rien d'Umbridge hormis ce qu'elle lui avait raconté dans ses lettres l'année dernière, mais il avait accueilli avec satisfaction l'initiative secrète de Megan. Elle avait également lu dans son regard une forme d'admiration et de soulagement. Les choses étaient plus simples avec Charlie.
Alors qu'elle ressassait les dernières semaines passées avec les trois frères Weasley, une silhouette massive attira son attention. Un homme gigantesque à la barbe fournie, vêtu d'un long manteau en peau de castor, se dressait devant la boutique de Madam Malkin, s'attirant quelques regards obliques de la part des passants.
- Hagrid ! s'exclama joyeusement Megan en s'approchant.
Le demi-géant baissa les yeux vers elle et fronça les sourcils d'un air méfiant. Megan retira sa perruque et secoua la tête pour libérer ses longs cheveux noirs, et le regard du professeur s'éclaira aussitôt.
- Megan ! Ça alors, je ne t'avais pas reconnue !
- C'était le but de ce truc, acquiesça la jeune fille en fourrant la perruque dans sa besace. Qu'est-ce que vous faîtes ici ?
- Je suis venu en renfort, répondit fièrement Hagrid en enfonçant les pouces dans ses poches. J'accompagne Harry, Hermione et les Weasley pour leurs courses, précisa-t-il en baissant la voix.
- C'est justement eux que je cherche.
- Harry, Ron et Hermione sont à l'intérieur, indiqua Hagrid en désignant la boutique de prêt-à-porter. J'avais peur qu'on soit un peu à l'étroit si je rentrais avec eux. Tous les magasins ne sont pas adaptés à ma taille, tu vois.
- J'en toucherai un mot à Madam Malkin, ironisa Megan en poussant la porte.
Tandis qu'elle entrait, deux clients s'apprêtaient à sortir, qui se figèrent en la voyant. Il y eut un long silence au cours duquel ils se dévisagèrent. Une lutte interne longtemps endormie se réveilla en Megan. Elle n'avait plus vu le jeune homme au visage pointu et aux cheveux blonds presque blancs depuis plus d'un mois, mais il lui semblait qu'il s'était écoulé des années. Un souvenir douloureux jaillit des profondeurs de son esprit. Elle l'avait attaqué. Elle lui avait fait du mal. Elle avait sincèrement et férocement voulu le faire souffrir.
Alors qu'elle se laissait déstabiliser par une culpabilité cuisante, son regard se posa sur la femme qui l'accompagnait. Son visage pâle, lisse et arrogant rappelait tellement les traits de sa sœur. La colère rejaillit en Megan.
- Dehors, ordonna-t-elle en faisant un signe de tête en direction de la porte.
Elle fit un pas de côté pour les laisser passer, dardant sur le duo un regard dur. Draco lui retourna un œil noir.
- Tu ne perds rien pour attendre, siffla Narcissa en passant à côté d'elle.
Le regard de Megan se fit plus sombre encore. Elle n'avait plus vu sa mère d'adoption depuis deux ans, lorsque celle-ci l'avait rejetée alors qu'elle lui avait demandé son aide pour retrouver Voldemort. Elle ne s'aperçut qu'elle avait retenu sa respiration que lorsque la mère et le fils quittèrent la boutique, s'éloignant à grands pas, et qu'elle poussa un profond soupir.
- Non mais vraiment ! s'indigna la vieille Madam Malkin.
Elle se pencha pour ramasser la robe qui traînait à ses pieds et passa l'extrémité de sa baguette magique à la surface, comme un aspirateur, pour la débarrasser de sa poussière. Le regard de Megan se posa alors sur Ron, Hermione et Potter qui se dressaient face à elle, l'air mauvais. Les garçons avaient tous deux leurs baguettes à la main.
- Megan ! s'exclama Hermione avec soulagement en se précipitant vers sa meilleure amie. Ça me fait tellement plaisir de te voir ! Je pensais te trouver dans la boutique de Fred et George ?
- Je me suis dit que ce serait sympa de venir vous retrouver. J'ai croisé Hagrid, il m'a dit que vous étiez ici. Hermione, pourquoi est-ce que tu as un œil au beurre noir ? s'inquiéta Megan.
- Oh, un cadeau des jumeaux, grimaça la jeune fille. J'ai eu le malheur de toucher à un de leurs télescopes…
Megan éclata de rire, sincèrement amusée, comprenant que son amie avait été victime d'un des prototypes de farce et attrapes que Fred et George avaient laissé au Terrier.
- Rien de grave, sourit-elle. On te donnera de quoi soigner ça, à la boutique. Ça va, Ron ?
- Ouais, grogna le garçon, fixant encore d'un air mauvais la porte par laquelle les Malfoy étaient sortis. Et toi ?
- Comme un charme, se força-t-elle à sourire.
Elle n'accorda à Potter qu'un signe de tête – ils n'étaient pas amis.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? s'enquit-elle en désignant la porte derrière elle.
- Oh, Malfoy, répondit Hermione d'un ton faussement léger. Il est devenu grossier quand il a vu que j'étais là, sa mère nous a menacés… enfin, tu imagines très bien.
Megan hocha la tête. Elle était furieuse que Draco ait à nouveau tenu d'odieux propos envers Hermione, mais elle l'était encore plus d'avoir été confrontée à lui. Elle avait réussi à l'oublier, la douleur de la mort de Sirius et son inquiétude pour la sécurité de Cal ayant éclipsé tout le reste, et voilà qu'il venait de nouveau s'imposer à elle comme un traumatisme ravivé par une fragrance. Elle avait oublié que revenir à Poudlard signifiait également passer une année supplémentaire à le regarder s'auto-détruire en tentant d'emporter avec lui les quelques personnes qui comptaient pour elle.
Madam Malkin semblait plus perturbée encore et tenta de vendre à Hermione une robe de sorcier au lieu d'une robe de sorcière. La jeune fille ne s'en formalisa cependant pas, trop occupée à harceler Megan de questions au sujet de son été loin d'eux, encouragée par Ron.
- C'était loin d'être aussi incroyable que vous le pensez, les réfréna-t-elle. Vous avez pu voir que le Chemin de Traverse est devenu aussi sinistre que l'Allée des Embrumes.
- C'était quoi ce truc que tu avais à faire, dont tu as parlé après le Poudlard Express ? s'enquit Ron.
- Une histoire de famille, éluda Megan. Et puis je n'ai pas pu résister à l'envie de rester avec les jumeaux. Vous allez adorer la boutique, j'en suis sûre !
- Tu as le droit de sortir, un peu, quand même ? Papa et maman sont tellement paranoïaques, en ce moment.
- Ils n'ont pas tort, avoua Megan de mauvaise grâce. Dumbledore a fait installer tout un tas de systèmes de sécurité sur l'appartement, ajouta-t-elle après s'être assurée que ni Madam Malkin ni un autre client ne pouvait les entendre. Il m'a dit de ne pas sortir à moins d'y être obligée, mais bon (elle haussa les épaules), je ne suis pas un animal de compagnie, alors j'ai essayé de profiter un peu quand même.
- C'est sinistre, acquiesça Hermione en payant pour ses achats. Tout est tellement lugubre…
- Vous avez tout trouvé ? demanda Hagrid d'une voix joyeuse lorsqu'ils revinrent auprès de lui.
- À peu près, répondit Potter. Vous avez vu les Malfoy ?
- Oui, dit Hagrid, indifférent, mais ils n'oseraient pas tenter quelque chose en plein milieu du Chemin de Traverse, Harry, ne t'inquiète pas.
Ron, Hermione et Potter échangèrent des regards mais avant d'avoir pu tenter de détromper Hagrid de cette idée un peu trop confortable, Arthur et Molly Weasley apparurent avec Ginny, les bras chargés de lourds paquets de livres.
- Tout va bien ? demanda Arthur. Oh, Megan ! Je suis soulagé de te voir, tu vas bien ?
Pour toute réponse, la jeune fille leva le pouce avec un sourire, Molly s'étant jetée sur elle pour l'étreindre désespérément. Ginny lui adressa un salut amusé.
- Je me suis fait tellement de soucis ! déplora sa mère. Avec toutes ces histoires qu'on a lu dans les journaux, Ollivander… Florean Fortescue… Megan, ma chérie, je ne suis vraiment pas tranquille à l'idée que tu sois seule ici…
- Je ne suis pas seule, objecta la jeune fille, j'étais avec Fred, George et Charlie.
- Oui, heureusement que Charlie était là ! Mais les jumeaux travaillent tellement dur toute la journée, et puis ils sont encore tellement jeunes…
- Ce sont des adultes, ma chérie, crut bon de lui rappeler son mari.
- Inutile de continuer à vous inquiéter, Molly, je retourne au Terrier avec vous aujourd'hui, indiqua Megan avec un sourire poli.
Ron, Hermione et Ginny poussèrent des exclamations ravies, le regard d'Arthur s'illumina et Molly se jeta de nouveau au cou de Megan.
- Bon, vous avez vos robes ? lança le père de famille, peu désireux de s'éterniser sur le Chemin de Traverse. Parfait, nous passerons chez l'apothicaire et chez Eeylops, au Royaume du Hibou, en allant voir Fred et George… Restez bien groupés, maintenant…
Ron et Potter abandonnaient les cours de potions, aussi ils se contentèrent d'attendre que Hermione et Ginny aient fini de se fournir en ingrédients, mais tous deux achetèrent chez Eeylops de grandes boîtes de noix spécial hibou pour Pigwidgeon et Hedwig. Puis, tandis que Molly consultait sa montre toutes les deux minutes, ils poursuivirent leur chemin en direction de la boutique des jumeaux.
- Nous n'avons pas beaucoup de temps, prévint la mère de famille. Alors, on jette juste un coup d'œil et on revient à la voiture. Ça ne doit plus être très loin, voilà le numéro 92… 94…
- Wooah ! s'exclama Ron en se figeant sur place.
Megan se fendit d'un large sourire, emplie de fierté face à l'expression admirative des Weasley, de Hermione et de Potter devant la vitrine de la boutique. Molly poussa cependant un faible gémissement lorsque ses yeux se posèrent sur l'affiche promouvant le Pousse-Rikiki.
- Ils vont se faire tuer dans leurs lits, murmura-t-elle faiblement.
- Mais non ! dit Ron qui riait avec Potter. C'est très drôle !
Les deux garçons entrèrent les premiers dans la boutique, suivis de Megan, parfaitement à l'aise malgré cet environnement qui était tout ce qu'elle n'était pas : chaleureux, bruyant et coloré. L'endroit était encore plus bondé que lorsqu'elle l'avait quitté une demi-heure plus tôt. Profitant d'un espace qui s'ouvrait dans la foule, les adolescents suivirent Potter qui se fraya un chemin en direction du comptoir. Un groupe d'enfants de dix ans regardaient d'un air ravi le Pendu Réutilisable qui montait les marches de la potence.
- « Rêve Éveillé, sortilège breveté… »
Hermione avait réussi à se glisser jusqu'à un grand présentoir, à côté du comptoir, et lisait à haute voix ce qui était écrit sur une boîte ornée d'une image montrant un jeune homme séduisant et une jeune fille pâmée d'admiration sur le pont d'un navire de pirates.
- « Une simple incantation et vous entrerez dans un rêve éveillé de trente minutes, hautement réaliste et d'une exceptionnelle qualité, facile à utiliser dans un cours de durée moyenne et pratiquement indétectable (les effets secondaires peuvent entraîner un regard vide et une tendance à baver). Interdit à la vente aux moins de seize ans. » Tu sais, fit remarquer Hermione en levant les yeux vers Potter, c'est vraiment extraordinaire, comme magie !
- Pour avoir dit ça, lança une voix derrière eux, tu as droit à une boîte gratuite.
Fred s'était approché, la mine réjouie. Il passa un bras affectueux autour des épaules de Megan et ils échangèrent un large sourire. Depuis qu'ils savaient qu'elle allait retourner au Terrier puis à Poudlard, les jumeaux étaient bien plus agréables à vivre.
- Comment vas-tu, Harry ?
Ils se serrèrent la main.
- Qu'est-ce que tu as à l'œil, Hermione ?
- Ton télescope m'a donné un coup de poing, répondit-elle d'un air piteux.
- Oh, mince, je les avais oubliés, ceux-là, dit Fred. Tiens…
Il sortit un flacon de sa poche et le lui tendit. Hermione dévissa précautionneusement le bouchon et découvrit à l'intérieur une épaisse pâte jaune.
- Tu en mets juste un peu et tu n'auras plus rien dans une heure, assura Fred. On a été obligés de trouver un bon effaceur de bleus, vu qu'on teste la plupart de nos produits nous-mêmes.
Hermione paraissait inquiète.
- C'est sans danger, hein ?
- Je l'ai approuvé, la rassura Megan avec un sourire.
- Viens, Harry, je vais te faire visiter, se réjouit Fred.
Tandis que les deux garçons s'éloignaient vers le fond du magasin, Megan prit le flacon des mains de Hermione et appliqua la pâte autour de son œil.
- Alors ça n'est pas aussi diabolique que ce que tu croyais, hein ? sourit-elle.
- Je te rappelle qu'ils testaient des produits sur des élèves de première année, maugréa Hermione. Mais tu as vérifié tout ce qu'ils vendent ici, hein ?
- Absolument tout. Mais crois-moi il n'y avait pas grand-chose à corriger, j'ai surtout cherché à améliorer l'efficacité des produits et à leur proposer de nouvelles idées. Voilà, tu ne seras bientôt plus un petit panda, affirma-t-elle en rebouchant le flacon.
- Merci. Megan, je ne voulais rien dire devant Ron et Harry, mais tu ne m'as jamais dit ce qu'il s'est passé à Manchester…
- Miss B, j'ai vu un type louche tourner autour des baguettes farceuses.
Verity avait surgi à leurs côtés, alerte, et désigna discrètement un homme d'une vingtaine d'années vêtu d'un pull noir qui observait les étagères avec un regard que Megan connaissait bien. La jeune fille saisit l'intervention salutaire de la vendeuse :
- Je m'en occupe.
Hermione haussa un sourcil tandis que Verity retournait derrière le comptoir encaisser une longue file de clients enthousiastes.
- Miss B ?
- On évite de crier mon nom sur tous les toits.
Elle s'excusa auprès de Hermione et traversa la foule de clients jusqu'au suspect. Les mains enfoncées dans les poches de son pantalon côtelé, il scrutait du regard les présentoirs où les différentes gammes de baguettes farceuses étaient proposées. Il s'intéressait tout particulièrement aux plus coûteuses, qui donnaient des coups sur la tête de l'utilisateur sans méfiance.
- Ça te plait, ce que tu vois ? lança Megan en rejetant en arrière sa cascade de cheveux avec un sourire enjôleur.
L'homme baissa les yeux sur elle et sourit à son tour.
- J'aime beaucoup, acquiesça-t-il. Tu as déjà acheté quelque chose, ici ?
- Non, c'est trop cher…
Il sourit à nouveau.
- Je peux arranger ça…
Il tendit le bras vers une des baguettes farceuses. Megan lui attrapa le poignet, tira d'un coup sec pour l'obliger à se pencher vers elle et planta ses yeux devenus noirs dans les siens.
- Vole quelque chose ici et ce sera la dernière chose que tu feras, gronda-t-elle férocement.
Les yeux de l'homme s'écarquillèrent de surprise puis de peur.
- Qu'est-ce que… ?
- Dégage.
Elle lâcha son poignet et le poussa vers la sortie. Déstabilisé, il quitta les lieux d'un pas incertain sans demander son reste. Dans la boutique bondée, personne n'avait fait attention à eux. Savourant une fois de plus d'être enfin capable de contrôler les effets de sa colère, Megan secoua la tête pour retrouver son apparence normale et constata que Fred avait entraîné Hermione et Ginny près de la vitrine, où était exposée leur sélection de philtres d'amour.
- Jusqu'à vingt-quatre heures d'affilée, selon le poids du garçon…, expliquait Fred lorsque Megan les rejoignit.
- … et la beauté de la fille, compléta-t-elle avec un sourire moqueur.
- Mais nous n'en vendons pas à notre sœur, indiqua sérieusement George en réapparaissant à leurs côtés, surtout pas quand on sait qu'elle a déjà cinq petits amis, d'après ce que nous avons…
- Tout ce que raconte Ron n'est qu'un énorme mensonge, répliqua Ginny d'un ton très calme en se penchant pour prendre un petit pot rose sur l'étagère. Qu'est-ce que c'est que ça ?
- Un Efface-Boutons dix secondes garanties, répondit Fred. Convient à tout, depuis les points noirs jusqu'aux furoncles mais n'essaye pas de changer de conversation. Est-ce que oui ou non tu sors ces temps-ci avec un garçon nommé Dean Thomas ?
- Oui, dit Ginny. Et la dernière fois que je l'ai eu devant moi, je n'ai vu qu'un seul garçon, pas cinq.
Megan haussa un sourcil. Il lui semblait que Ginny sortait avec un élève de Serdaigle, et que Dean Thomas fréquentait Seamus Finnigan dans des circonstances plus ou moins officielles. Elle n'avait cependant pas accordé beaucoup d'intérêt aux histoires de cœur de ses camarades de Poudlard récemment.
- C'est quoi, ça ? demanda Ginny, que la conversation au sujet de sa vie amoureuse n'intéressait pas.
Elle montrait des petites boules rondes et duveteuses, dont la couleur variait du rose au violet et qui roulaient sur elles-mêmes au fond d'une cage en émettant des cris aigus.
- Des Boursouflets, répondit George. En fait, ce sont des Boursoufs miniatures. Nous avons du mal à en élever suffisamment pour répondre à la demande. Et Michael Corner ?
- Je l'ai laissé tomber, c'était un mauvais joueur, dit Ginny, passant un doigt entre les barreaux de la cage et regardant les Boursouflets se précipiter tout autour. Ils sont adorables !
- C'est vrai, on a envie de les caresser, admit Fred. Mais tu ne crois pas que tu changes de petit ami un peu trop souvent ?
Ginny se tourna vers lui, les mains sur les hanches. Son regard ressemblait tellement à celui de Molly quand elle était en colère que Megan fut impressionnée de ne pas voir Fred reculer.
- Ça ne te regarde pas. Et toi, ajouta-t-elle d'un ton furieux à l'adresse de Ron qui venait d'apparaître, chargé de marchandises, au côté de George, je te serais très reconnaissante de ne pas raconter à ces deux-là des histoires qui ne concernent que moi !
- Ça te fera trois Gallions, neuf Mornilles et une Noise, annonça Fred en examinant les nombreuses boîtes que Ron portait dans les bras. Allonge la monnaie.
- Je suis ton frère !
- Et ce sont nos produits que tu essayes de piquer. Trois Gallions, neuf Mornilles, je te fais grâce de la Noise.
- Je n'ai pas trois Gallions, neuf Mornilles !
- Alors, tu remets tout ça où tu l'as pris et ne te trompe pas d'étagères.
Ron laissa tomber plusieurs boîtes, poussa un juron et adressa à Fred un geste grossier de la main, malheureusement surpris par sa mère qui avait choisi ce moment pour se montrer.
- Si je te vois encore faire ça, je te jette un sort qui te collera les doigts, lança-t-elle sèchement.
- Maman, je peux avoir un Boursouflet ? demanda aussitôt Ginny.
- Un quoi ? demanda Molly, méfiante.
Profitant de la distraction, Megan fit un rapide inventaire des produits que Ron avait toujours dans les bras et mit dans la main de Fred trois Gallions.
- C'est ton frère, le morigéna-t-elle.
- Ils sont tellement mignons…
Ginny continuait d'insister auprès de sa mère pour l'amadouer. Molly fit un pas de côté pour regarder les Boursouflets, dégageant la vitrine du magasin. Megan, Ron, Hermione et Potter virent alors Draco, seul, remonter la rue d'un pas vif. Lorsqu'il passa devant les Farces pour sorciers facétieux, il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule. Quelques secondes plus tard, il était déjà loin et ils l'avaient perdu de vue.
- Je me demande où est sa mère, dit Potter, les sourcils froncés.
- Apparemment, il lui a faussé compagnie, constata Ron.
- Mais pourquoi ? s'interrogea Hermione.
- Qu'est-ce que ça peut nous faire ? lança Megan.
Potter resta silencieux. Megan était désireuse de garder ses distances avec Draco, consciente que le moment de leur prochaine confrontation à Poudlard était déjà bien trop proche. Elle regarda sans les voir Molly et Ginny, penchées sur les Boursouflets tandis que Fred et George étaient retournés à leurs clients. Elle était toujours bouleversée par sa rencontre avec les Malfoy chez Madam Malkin, qui avait ravivé en elle le souvenir de l'agression. Jusqu'alors elle n'était pas consciente d'avoir attaqué Draco. Elle avait la certitude d'avoir fait quelque chose qui avait brisé ce qui restait de leur lien, d'avoir franchi le point de non-retour, mais elle s'était refusée à revenir sur ces événements. Pouvait-elle réparer ce qu'elle avait cassé ? Le voulait-elle ? Draco avait choisi son camp, un camp qui avait déjà pris ses parents, Anita, Cedric et Sirius. Plus rien ne les liait.
- Venez vite là-dessous, chuchota la voix de Potter.
Megan tourna les yeux vers lui tandis qu'il sortait de son sac à dos sa cape d'invisibilité.
- Sérieusement ? s'agaça la jeune fille. En quoi ça vous regarde, ce qu'il est en train de faire ?
Hermione hésita, lançant un regard incertain vers Molly.
- Allez, venez ! insista Ron, aussi curieux que Potter.
Il attrapa Megan par le bras, qui se dégagea sèchement. Hermione se résolut à rejoindre les deux garçons sous la cape, mais Megan hésita. Elle n'avait aucune envie de suivre Draco, où qu'il aille, mais elle ne voulait pas laisser les trois autres le suivre seuls sans pouvoir intervenir au besoin. Avec un soupir de frustration, elle se glissa à son tour sous la cape. Personne ne les avait vus se volatiliser, tout le monde étant beaucoup trop occupé par la contemplation des étalages. Megan, Ron, Hermione et Potter se faufilèrent par la porte aussi vite que possible mais lorsqu'ils arrivèrent dans la rue, Draco avait réussi à disparaître aussi bien qu'eux.
- Et voilà, on l'a perdu, c'est dommage, dit Megan sans même feindre la déception.
- Il allait dans cette direction, murmura Potter à voix très basse pour que Hagrid, qui chantonnait à côté d'eux tandis qu'il montait la garde devant la boutique, ne puisse l'entendre. Venez.
De mauvaise grâce, Megan suivit les autres qui s'éloignèrent rapidement de la boutique, regardant à droite et à gauche, à travers les vitrines et les portes des magasins, jusqu'au moment où Hermione pointa l'index devant eux.
- C'est lui, là-bas, qui tourne à gauche, non ? chuchota-telle.
- Pas étonnant, dit Ron.
Draco avait jeté un coup d'œil alentour puis avait disparu dans l'allée des Embrumes.
- Vite ou on va le perdre, dit Potter en accélérant le pas.
- On va voir nos pieds ! s'inquiéta Hermione.
Maintenant qu'ils avaient grandi, il leur était beaucoup plus difficile de se cacher tous les quatre sous la cape qui leur battait les chevilles.
- Ça ne fait rien, répliqua Potter avec impatience.
- Oh non, pourquoi on s'inquiéterait que des gens voient passer huit pieds sur le Chemin de Traverse alors qu'il n'y a même pas la foule habituelle pour nous y fondre ? railla Megan.
- Dépêchons-nous ! insista le garçon, agacé.
Mais l'Allée des Embrumes, la rue adjacente consacrée à la magie noire, paraissait complètement déserte. Ils regardèrent à travers chaque vitrine mais aucune des boutiques devant lesquelles ils passèrent ne semblait avoir de clients. Cela n'avait rien de surprenant : en cette période de danger et de soupçons, il était trop compromettant d'acheter des objets liés aux forces du Mal – ou en tout cas d'être vu en train de les acheter.
- Aïe !
Hermione venait de pincer le bras de Potter.
- Chut ! Regarde ! Il est là ! dit-elle dans un souffle.
Ils étaient arrivés à la hauteur de Borgin and Burke, un magasin qui proposait un large choix d'articles particulièrement sinistres. Si elle n'y avait jamais mis les pieds, Megan savait que la famille Malfoy en était cliente de longue date, et avait souvent vu Mr Borgin, le propriétaire, leur rendre visite au manoir. Or, au milieu des rayons remplis de crânes et de vieux flacons, se tenait Draco, le dos tourné vers eux. À en juger par les mouvements de ses mains, il parlait avec animation. Borgin, les épaules voûtées et les cheveux huileux, lui faisait face, son visage exprimant un curieux mélange de crainte et de ressentiment.
- Si seulement on pouvait entendre ce qu'ils se racontent ! déplora Hermione.
- On peut, assura Ron d'un ton surexcité. Attendez… Ah, zut…
Il laissa tomber deux des boîtes qu'il avait gardées dans les bras en essayant d'en ouvrir une plus grande.
- Regardez, des Oreilles à rallonge !
Megan regretta aussitôt d'avoir offert ses achats à son ami.
- Fantastique ! se réjouit Hermione tandis que Ron déroulait les longues ficelles couleur chair en les dirigeant vers l'entrée de la boutique. J'espère que la porte n'a pas subi un sort d'Impassibilité…
- Non ! s'exclama Ron d'une voix enjouée. Écoute !
De mauvaise grâce, Megan pencha la tête vers l'extrémité des ficelles grâce auxquelles la voix de Draco leur parvenait, claire et forte, comme s'ils avaient allumé une radio.
- … vous savez comment la réparer ?
- Peut-être, répondit Borgin sur un ton qui laissait deviner une certaine réticence à s'engager. Il faudra que je voie ça. Pourquoi ne l'apportez-vous pas au magasin ?
- Je ne peux pas. Elle doit rester là où elle est. Je veux simplement que vous m'expliquiez comment faire.
Borgin se passa la langue sur les lèvres d'un air préoccupé.
- Si je ne la vois pas, je dois dire que ce sera très difficile, peut-être même impossible. Je ne peux rien vous garantir.
- Non ? répliqua Draco d'un ton méprisant. Dans ce cas, peut-être que ceci vous rendra plus sûr de vous.
Il s'avança vers Borgin et fut alors dissimulé par une grande armoire. Megan, Ron, Hermione et Potter se déplacèrent légèrement sur le côté pour essayer de le garder dans leur champ de vision mais ils ne voyaient que Borgin qui semblait terrorisé. Megan se mit à réfléchir à toute vitesse. Qu'est-ce que lui montrait Draco ? Contrairement à ce à quoi elle s'attendait, il n'avait visiblement pas tenté d'acheter son accord avec de l'argent.
- Si vous le dites à qui que ce soit, menaça Draco, il y aura des représailles. Vous connaissez Fenrir Greyback ? C'est un ami de ma famille, il viendra vous rendre visite de temps en temps pour vérifier que vous consacrez à la question toute l'attention qu'elle mérite.
- Il est inutile de…
- J'en jugerai moi-même, coupa Draco. Bon, il faut que j'y aille, maintenant. Et n'oubliez pas de mettre celle-ci de côté, j'en aurai besoin.
- Vous voulez peut-être l'emporter maintenant ?
- Certainement pas, petit homme stupide, de quoi aurais-je l'air si je portais ça dans la rue ? Ne la vendez pas, c'est tout.
- Bien sûr que non… monsieur.
Borgin le salua en se penchant ridiculement bas. Megan fronça les sourcils. Borgin n'avait jamais eu cette attitude servile avec Draco, il ne la réservait d'ordinaire qu'à Lucius. Son comportement avait changé depuis l'arrivée du jeune homme dans la boutique. Bon sang, qu'est-ce que Draco lui avait montré ?
- Pas un mot à quiconque, Borgin, y compris à ma mère, d'accord ?
- Naturellement, naturellement, murmura Borgin en s'inclinant à nouveau.
Un instant plus tard, la clochette au-dessus de la porte tinta avec force tandis que Draco sortait de la boutique en paraissant très content de lui. Il passa si près de Megan, Ron, Hermione et Potter qu'ils sentirent la cape onduler à nouveau autour de leurs genoux. À l'intérieur du magasin, Borgin restait figé. Son sourire onctueux avait disparu, il semblait inquiet.
- De quoi parlaient-ils ? murmura Ron en ré-enroulant les Oreilles à rallonge.
- Je l'ignore, dit lentement Potter. Il veut qu'on lui répare quelque chose… Et il veut qu'on lui mette un objet de côté dans la boutique… Tu as vu ce qu'il montrait du doigt quand il a dit « celle-ci » ?
- Non, il était derrière l'armoire…
- Restez ici, tous les trois, chuchota Hermione.
- Qu'est-ce que tu…
Mais elle s'était déjà dégagée de la cape. Elle vérifia sa coiffure dans le reflet de la vitrine puis entra dans la boutique d'un pas décidé, faisant à son tour tinter la clochette. Ron se hâta de dérouler une nouvelle fois les Oreilles à rallonge.
- Bonjour. Quel horrible temps, ce matin, n'est-ce pas ? dit Hermione d'un ton allègre à Borgin qui ne répondit pas et lui jeta un regard soupçonneux.
Chantonnant d'un air enjoué, elle s'avança parmi le bric-à-brac d'objets exposés.
- Ce collier est-il à vendre ? demanda-t-elle en s'arrêtant devant une vitrine.
- Oui, si vous disposez de mille cinq cents Gallions, répondit froidement Borgin.
- Oh… heu… non, je n'ai pas tout à fait assez, dit Hermione qui fit encore quelques pas. Et cette… charmante petite… heu… tête ?
- Seize Gallions.
- Ah, elle est donc à vendre ? Vous ne l'avez pas mise de côté pour… pour quelqu'un ?
Megan leva les yeux au ciel, exaspérée par le manque de tact de son amie – non pas qu'elle-même excelle en la matière. L'initiative de Hermione était courageuse et intéressante, mais elle n'obtiendrait rien avec une attitude aussi transparente. Borgin la regarda en plissant les paupières. Il savait exactement ce qu'Hermione avait en tête. Apparemment, elle aussi s'était sentie démasquée car elle décida soudain d'abandonner toute prudence.
- Voilà, en fait, le… heu… garçon qui vient de sortir de chez vous, Draco Malfoy, est un de mes amis et je voudrais lui acheter un cadeau pour son anniversaire, mais s'il a déjà fait mettre un objet de côté, je ne voudrais pas risquer de lui offrir la même chose, alors… heu…
Son histoire ne tenait pas debout, déplora Megan, et de toute évidence, Borgin pensait la même chose.
- Dehors, ordonna-t-il sèchement. Sortez d'ici !
Hermione ne se le fit pas répéter et se précipita vers la porte, Borgin sur ses talons. Lorsque la clochette eut à nouveau retenti, Borgin claqua la porte et accrocha une pancarte qui indiquait : « Fermé ».
- Bah, dit Ron, en recouvrant Hermione de la cape. Ça valait la peine d'essayer mais tu as peut-être été un peu trop directe…
- Eh bien, la prochaine fois, tu me montreras comment on doit s'y prendre, monsieur le maître du Mystère ! répliqua Hermione d'un ton abrupt.
