Désormais, Lavender Brown considérait chaque instant où elle n'embrassait pas Ron comme un instant perdu, et Ron et Hermione ne s'adressaient plus la parole cette dernière l'évitait même : elle refusait de s'asseoir dans la salle commune s'il s'y trouvait, ne mangeait plus qu'à au moins cinq places de lui dans la Grande Salle, et consacrait la quasi-totalité de son temps libre à des études à la bibliothèque. La situation était d'autant plus délicate que Hermione et Brown dormaient dans le même dortoir – la tension était palpable lorsque les deux jeunes femmes se retrouvaient le soir, chacune ignorant ostensiblement l'autre, laissant leurs meilleures amies (Megan et Parvati) se charger de jeter les regards noirs.
Ron, dont les mains et les bras portaient encore des marques et des égratignures dues à l'attaque des oiseaux d'Hermione, adoptait un ton défensif et amer à ce sujet :
- Elle ne peut pas se plaindre. Elle a embrassé Krum et maintenant, elle se rend compte que quelqu'un a envie de m'embrasser aussi. On est libres, non ? Je n'ai rien fait de mal. Je n'ai jamais rien promis à Hermione. Bon, d'accord, je devais aller à la soirée de Slughorn avec elle mais elle n'a jamais dit… c'était simplement en amis… Je suis libre, je n'ai pas de contrat…
- Il a parfaitement le droit d'embrasser qui il veut, affirmait pour sa part Hermione. Je m'en fiche complètement.
Il devenait évident que Ron n'avait jeté son dévolu sur Brown que pour rendre Hermione aussi jalouse qu'il l'était de Krum. Tous deux étaient profondément idiots, et Megan avait juré de ne rien dire. Aussi, elle se mit à les éviter, ne les fréquentant plus que pendant les cours. De cette façon, elle n'était pas tentée de leur cracher la vérité à la figure. Cette situation eut toutefois pour effet de laisser Megan plus seule que jamais. Elle avait souvent passé du temps sans Ron et Hermione à Poudlard, mais ce n'était le plus souvent que pour être avec les jumeaux, Lee, Chad, Danny et Kevan. Megan n'était pas d'un naturel sociable, la solitude lui convenait, mais seulement lorsqu'elle était choisie. Or, désormais, elle avait plutôt le sentiment de subir la situation.
Ses déambulations solitaires à travers le château lui permirent de constater que Derek Barrish, dont elle avait assassiné les parents dans le plus grand secret pour gagner la confiance de Voldemort, n'était désormais plus harcelé par Alaric Codex, Astoria Greengrass et Eloi Downhill. Il semblait que les cours de l'A.D. que Megan l'avait enjoint à suivre l'année précédente aient porté leurs fruits et qu'il ait gagné en confiance. Il y avait toujours quelque chose de triste au fond de ses yeux, qui ne le quitterait probablement jamais, mais malgré les menaces qui pesaient sur le monde magique, il semblait reprendre goût à la vie – lui au moins n'avait plus à s'inquiéter que sa famille soit tuée, c'était chose faite. Les catastrophes continuaient en effet à se succéder, bien que les Aurors semblaient être plus efficaces sous la direction de Rufus Scrimgeour. Il y avait encore eu une demi-douzaine de morts dans la communauté magique, et une explosion avait balayé une école moldue dans le nord du pays, mais plusieurs sympathisants de Voldemort avaient été tués, des attentats avaient été déjoués, et Mrs Derrick avait été emprisonnée, mettant un terme à son activité de blanchissement d'argent – merci l'Ordre du Phénix merci Megan.
Les semaines passaient, le mois de novembre touchait à sa fin, et Megan était de plus en plus morose. Son attitude semblait s'équilibrer avec celle de Ron : maintenant que celui-ci n'était plus amer, agressif et désagréable, c'était à son tour de le devenir. Frustrée d'être esseulée et inutile à la résistance, elle suivit ses propres pas un samedi soir jusqu'à la tapisserie de Barnabas le Follet tentant d'enseigner la dance à des trolls, au septième étage. Machinalement, elle passa trois fois devant, perdue dans ses pensées, jusqu'à ce que la porte apparaisse sur le mur. Elle entra alors dans la Salle sur Demande.
Alors qu'elle avait toujours connu cette pièce vaste et remplie de livres et d'objets dédiés à la Défense contre les forces du Mal, Megan la trouva cette fois plus petite, presque intime, avec un grand canapé moelleux, un bar rempli de bouteilles de Whisky Pur Feu, une cheminée allumée projetant une lumière chaleureuse, et de bons livres sur une table basse. L'endroit parfait pour une soirée calme avec soi-même, se satisfit Megan en refermant la porte derrière elle. Elle se servit un verre de whisky, s'allongea confortablement sur le canapé, et se plongea dans la lecture de la biographique de Dai Llewellyn (dit « Le Dangereux ») par Kennilworthy Whip, Il volait comme un fou. Le patronyme lui était familier : la salle où Arthur Weasley avait été hospitalisé à Ste Mangouste, réservée aux morsures magiques, lui devait son nom. Ce célèbre joueur de l'équipe de Quidditch des Catapultes de Caerphilly, dont le style de jeu était connu comme osé et téméraire, avait en effet été dévoré par une chimère lors de vacances à Mykonos. En hommage, un jour de deuil fut instauré pour les sorciers du Pays de Galles, et une médaille portant son nom fut créée et était décernée chaque année au joueur de la Ligue britannique et irlandaise de Quidditch ayant pris le plus de risques.
Le temps passa sans que Megan s'en aperçoive, happée par sa lecture et apaisée par la douce brûlure du whisky. Il lui fallut un long moment avant de s'apercevoir que la porte de la salle s'était ouverte et que Draco était entré. Lorsque son regard se posa sur lui, elle tressaillit à peine. Son uniforme était porté de manière plus négligée que d'habitude et ses cheveux, d'ordinaire soigneusement coiffés en arrière, étaient en bataille.
- Qu'est-ce que tu fais chez moi ? lança-t-il, aussi surpris qu'elle.
- Chez toi ? De mieux en mieux le sentiment de supériorité. Poudlard est à tout le monde, Malfoy.
Elle tourna la page de son livre d'un geste plus vif que nécessaire et reprit sa lecture avec l'assurance stupide que donne l'alcool. Draco, qui avait refermé la porte, se dirigea vers le centre de la pièce et souleva la bouteille qui était posée sur la table basse.
- Et tu bois mon whisky, ajouta-t-il sur un ton de reproches.
- C'est la Salle sur Demande, pas le manoir de tes parents, répliqua Megan sans lever les yeux.
- Mais c'est ma pièce sur demande, s'agaça Draco. C'est là que je viens quand j'ai envie d'être tout seul, alors sors de là.
- Ce soir, c'est moi qui ai envie d'être toute seule. Merci de mettre une autre bûche dans le feu avant de sortir, sinon il va s'éteindre.
Draco attrapa un morceau de bois dans la niche creusée à droite de la cheminée et le jeta dans l'âtre, raviva les flammes à l'aide d'un tisonnier, puis s'assit sur le bras du canapé qui faisait face à Megan au lieu de s'en aller.
- Qu'est-ce que tu fais ici sans tes amis ? lança-t-il.
- Ron et Hermione m'agacent, répondit Megan, toujours concentrée sur sa lecture.
- Et Potter ?
- Potter n'a jamais été mon ami. Contrairement à toi.
- Ah oui, bien sûr, on était amis. Je ne savais pas qu'on agressait ses amis.
Megan referma le livre dans un claquement sec et se redressa en dardant un regard venimeux sur Draco.
- Je ne savais pas qu'on laissait tomber ses amis du jour au lendemain s'ils se retrouvaient dans une autre maison ! s'écria-t-elle d'une voix plus aigüe que d'ordinaire. Je ne savais pas qu'on se servait de ses amis pour obtenir les faveurs de Voldemort ! Je ne savais pas qu'on envoyait ses amis droit dans un piège !
- Je ne savais pas ce qui allait se passer, d'accord ? répliqua furieusement le jeune homme. Encore une fois, c'était un piège tendu à Potter, tu n'étais pas supposée y aller aussi !
- Comme si Voldemort ne comptait pas justement sur moi pour suivre Potter et pouvoir me récupérer aussi !
Ils se hurlaient dessus à présent. Heureusement, leurs voix ne pouvaient pas être entendues hors de la Salle sur Demande.
- Je te l'aurais dit si j'avais su que tu étais en danger ! tempêtait Draco. Mais c'est toi qui m'as attaqué, pas le contraire !
- Et je m'en veux autant que je te déteste de m'avoir laissée tomber !
- Moi aussi, je me déteste !
Le silence retomba. Tous deux étaient hors d'haleine.
- Je n'ai rien dit à personne, finit par dire Draco. Quand Snape m'a trouvé avec un bras cassé, une épaule déboitée et un traumatisme crânien, je ne lui ai pas dit que c'était toi.
- Parce que tu savais que tu l'avais mérité.
- Parce que je ne voulais pas te causer plus de problèmes, corrigea Draco avec colère. Oh mais ne t'inquiètes pas, Snape sait très bien que c'était toi ! Qui d'autre ! Alors que mon père t'avait protégée toute l'année-
- Protégée ? s'écria Megan. Lucius n'a rien fait pour moi ! Depuis six ans que j'ai été envoyée de force à Gryffondor par Dumbledore, il n'a jamais rien fait d'autre que me mépriser !
- Ah oui, et pourquoi est-ce que tu crois qu'Umbridge ne t'a jamais rien fait hein ? Alors que je savais très bien que c'était toi qui la harcelais ! Parce que mon père lui avait dit qu'on était intouchables, toi et moi !
Megan ouvrit la bouche la referma. Elle avait effectivement remarqué, comme tous les autres, qu'elle était la seule à pouvoir s'en prendre ouvertement à la Grande Inquisitrice sans jamais avoir à souffrir de conséquences directes. Potter avait enchainé les retenues, à taillader sa propre chair en copiant des lignes avec son sang, et elle n'avait jamais eu ne serait-ce qu'un devoir supplémentaire à rendre. Lucius avait-il voulu veiller sur elle, de loin, par amour paternel ? L'esprit embrumé par l'alcool de Megan était toutefois empli de colère depuis trop longtemps pour y croire.
- Évidemment, gronda-t-elle. Umbridge pouvait amputer Potter d'un bras si elle le voulait, tant qu'il était capable d'aller récupérer la prophétie, puisqu'il ne veut que le tuer. Moi… Voldemort veut m'utiliser, il n'a pas renoncé à son projet de me soumettre à ses ordres pour que je lui ouvre la voie vers le pouvoir. Si Lucius voulait me couvrir et que Bellatrix ne voulait pas me tuer, c'était pour pouvoir m'offrir sur plateau à Voldemort ensuite ! Parce qu'ils estiment que j'appartiens à Voldemort ! Tu n'as toujours pas compris que c'est tout ce que je suis pour lui ? Pour tes parents ?
- Ne dis pas ça, marmonna Draco.
Il se laissa glisser sur le canapé, à quelques centimètres de Megan qui replia aussitôt ses jambes contre elle pour s'éloigner de lui autant que le canapé le permettait, et se servit un verre de whisky qu'il avala d'une traite. Il s'en servit un deuxième.
- Les choses ne devaient pas se passer comme ça, dit-il d'une voix rauque sans la regarder.
- Sans blague, répondit amèrement Megan. On devait aller tous les deux à Serpentard et laisser Quirrell récupérer la Pierre Philosophale. Ouvrir la Chambre des Secrets et débarrasser l'école des Sangs-de-Bourbe. Laisser les Détraqueurs tuer Sirius. Mettre le nom de Potter dans la Coupe de feu pour qu'il remporte les Hungers Games magiques parce que Dumbledore était incapable de se rendre compte qu'il avait embauché un Mangemort. Aller ensemble au bal de Noël. Le forcer à prendre la prophétie et la donner à Voldemort. Rejoindre les Mangemorts et devenir des nobles du nouvel ordre mondial, craints et respectés, assis à la droite du Seigneur des Ténèbres. C'est ce que je voulais, avoua-t-elle sans ciller.
Sans répondre, le regard toujours fixé devant lui, Draco hocha la tête et avala un nouveau verre.
- Mais ça ne se serait pas passé comme ça. Même si Dumbledore n'était pas intervenu… Tu aurais été tué dans un des combats de Voldemort, comme la chair à canon que sont ses fidèles, et il m'aurait éliminée dès qu'il n'aurait plus eu besoin de moi. Je suis une menace pour lui, et il se fout de toi, que tu vives ou que tu meures. Il n'y a que lui qui compte. Rien ne se serait passé comme on le voulait, Drake.
Il y eut un nouveau silence, qui s'éternisa. Megan finit par tendre son verre, et le garçon le remplit. Comme s'ils ne se détestaient pas, ils trinquèrent et burent ensemble, sans un mot.
- Tu sais que c'est moi qui ai écrit les paroles de « Weasley est notre roi » ? dit-il après de longues minutes passées à écouter le crépitement du feu dans la cheminée.
Il ne la regardait de nouveau plus, les yeux plongés dans les flammes, les avant-bras appuyés sur ses genoux, son verre à la main.
- J'ai demandé à Daphne de trouver un air, je les ai distribuées un soir dans la salle commune, et je les ai fait répéter. À part Theo, ils étaient nuls. Goyle n'était pas dans le ton. Zabini n'y mettait pas assez du sien. Pansy ressemblait à une baleine mourante, j'aurais préféré qu'elle ne chante pas du tout.
Un éclat de rire leur échappa à tous les deux.
- Je la déteste, murmura Megan.
- Je sais. Je déteste Garrow.
C'était tellement simple et évident qu'ils n'eurent pas besoin de le dire. Ils se regardèrent enfin, et ils s'embrassèrent doucement, puis désespérément. C'était comme avoir passé de longues minutes sous l'eau, forcé de retenir son souffle, puis enfin émerger à la surface et respirer l'air à pleins poumons.
La vision de Megan était floue, mais elle n'avait pas besoin ses yeux car tout était instinctif, naturel, facile. Leurs corps s'accordaient parfaitement, sans un mot. Ce n'était pas comme avec Kevan ou Cal, c'était plus. Plus intense, plus fort, parfait. Mais lorsque Megan se réveilla le lendemain matin, elle était seule dans la Salle sur Demande, et il n'y avait qu'un seul verre sur la table.
Le cœur au bord des lèvres, la tête douloureuse et la bouche sèche, Megan s'empressa de rassembler ses affaires et de s'en aller. Elle avait envie de pleurer. Elle s'était endormie en lisant le livre et, enivrée par ses verres de whisky, avait fait un rêve des plus réalistes. Elle aurait tellement voulu que ce soit réel. Elle avait tellement l'impression que c'était réel. Pourtant, lorsqu'elle arriva dans la Grande Salle pour le petit-déjeuner, Draco était bien là, avec ses amis, Pansy Parkinson collée à lui, et il n'accorda pas un seul regard, même dérobé, à Megan. Tout ça ne s'était produit que dans sa tête, et elle aurait voulu que ce rêve ne s'arrête pas.
- Où est-ce que tu étais ? s'étonna Hermione en voyant sa meilleure amie s'asseoir à côté d'elle. Tu n'étais pas là quand je suis allée me coucher hier, ni quand je me suis réveillée ce matin ! Tu n'as pas dormi dans le dortoir ?
- J'avais besoin d'un moment de calme, marmonna Megan.
Un somptueux repas s'offrait à elle, mais elle n'avait pas faim. Elle se contenta de boire de l'eau pour réhydrater son cerveau douloureux, s'absorbant dans les bribes de souvenirs que lui avait laissé sa nuit. Des scènes défilaient devant ses yeux comme par flashes, faisant fleurir une fleur de plaisir dans son ventre, mais celle-ci flétrissait dès que Megan se rappelait que rien de tout ça n'était réel, et que Draco avait probablement passé la nuit, comme les précédentes, dans le lit de Parkinson au lieu du sien. Sa mauvaise humeur n'en fut que renforcée pour les semaines à venir.
La neige tourbillonnait à nouveau contre les fenêtres couvertes de givre et le mois de novembre tirait à sa fin. Hagrid avait déjà apporté à lui tout seul les douze sapins de Noël destinés comme d'habitude à la Grande Salle. Des branches de houx en festons et des guirlandes argentées s'entrelaçaient autour des rampes d'escalier. Des chandelles éternelles éclairaient de l'intérieur les heaumes des armures et de grosses touffes de gui avaient été suspendues à intervalles réguliers le long des couloirs. Chaque fois que Potter approchait, des filles convergeaient par groupes entiers pour se placer sous le gui, ce qui provoquait des encombrements dans les couloirs, le contraignant à recourir aux passages secrets du château pour se déplacer entre les cours. Megan trouvait la situation absolument ridicule et Ron, qui aurait pu voir auparavant dans la nécessité de ces détours une cause de jalousie, ne cessait de rire aux éclats. Sa liesse ne faisait toutefois qu'alimenter la colère de Hermione, qui se plongea plus que jamais dans les révisions. À ce rythme, elle serait prête pour les ASPIC avant la fin de l'année civile.
Il y avait une autre personne dont l'état se détériorait à l'approche des fêtes. Depuis son rêve saisissant, Megan était plus que jamais obsédée par Draco – plus encore, peut-être, que Potter. Jusqu'alors, jamais elle n'avait envisagé leur relation sous cet œil, mais maintenant qu'elle avait laissé court à son imagination, elle ne parvenait plus à s'en détacher, et elle ne cessait de le guetter entre les cours et dans la Grande Salle, observant d'un regard nouveau le jeune homme qu'il était devenu. A contrario, ce dernier attirait de moins en moins l'attention. Celui qui avait passé les cinq dernières années à se pavaner dans les couloirs de Poudlard d'un air suffisant et railler les autres, entouré d'un éternel groupe d'admirateurs méprisants, était devenu beaucoup plus discret et solitaire. À mesure que les jours et les semaines passaient, son teint pâle devenait grisâtre, des cernes sombres se creusaient profondément sous ses yeux, et il semblait plus mince. Il avait l'air malade. Megan tenta de se convaincre qu'il était probablement affecté par l'arrestation de son père, mais une autre idée, plus effrayante, se fraya lentement un passage en elle : avait-il été mordu par Greyback en représailles de l'échec de Lucius l'année passée ? Ce ne serait pas la première fois que Voldemort utiliserait son loup-garou de serviteur de cette manière. Il y avait en effet des similarités entre la nouvelle allure de Draco et celle de Remus à l'approche de la pleine lune. Cette idée était effrayante, mais la réalité rattrapa rapidement Megan : Draco avait choisi son camp, avait participé à la mort de Sirius, et ne ressentait rien pour elle. Il ne méritait pas son inquiétude. Tant pis pour lui. Peut-être irait-il, comme Lupin une génération plus tôt, passer une nuit par mois dans la Cabane Hurlante, à jouer du piano en attendant ses transformations, et s'amuserait-il de la terreur qu'inspirerait, les soirs de pleine lune, ces sons discordants suivis de hurlements. Ce ne serait pas le problème de Megan. Ils appartenaient désormais résolument à deux camps opposés.
- Tu ne vas pas croire que ce que j'ai entendu dans les toilettes des filles tout à l'heure, s'exclama Hermione en retrouvant Megan dans leur dortoir un jeudi soir mi-décembre. Un groupe de filles cherchait un moyen de faire boire un philtre d'amour à Harry !
- Ça alors, commenta Megan sans intérêt.
- Je ne ferais pas autant la maline si j'étais toi ! insista Hermione. Ces filles ont acheté les philtres chez Fred et George, et tu les as aidés à les préparer !
- Oui, je sais. Où est le problème, Hermione ? Ce n'est pas illégal, la loi n'interdit que d'y recourir aux fins de corruption, de conclure des engagements ou de concevoir des enfants. Les philtres d'amour n'appartiennent pas à la magie noire et ne sont pas dangereux. On a tout à fait le droit d'en vendre, et si des gamines veulent s'en servir pour arranger les choses entre elles et l'Élu, ce n'est pas franchement mon problème.
- Les philtres d'amour, comme tous les produits de Fred et George, sont interdits à Poudlard ! Et tu sais très bien qu'ils les envoient sous forme de parfums ou de potions contre la toux pour contourner le contrôle des hiboux, c'est toi qui me l'as dit.
- Donc j'imagine que tu as confisqué les bouteilles en question, et qu'on n'en parle plus ?
- Elles ne les avaient pas avec elles…, grommela la préfète. Je n'ai fait que les rappeler à l'ordre, mais elles ont prétendu qu'elles n'avaient rien amené à Poudlard et que ce n'était que des plaisanteries… tu parles ! Quand on est entrés dans la salle commune avec Harry, Romilda Vane s'est précipitée vers lui pour lui proposer un verre d'eau giroflée puis lui a « offert » une boîte de chocolats.
- Qu'est-ce que tu veux que je fasse, Hermione ? Que j'aille retourner leurs dortoirs pour leur confisquer leurs bouteilles ? Je m'en fiche pas mal que Potter se retrouve amouraché d'une collégienne dont il ne connaît même pas le prénom-
- Est-ce que tu pourrais aller à la soirée de Slughorn avec lui ? l'interrompit Hermione.
Autant demander à Megan de s'amputer d'une main. Elle leva des yeux ronds vers sa meilleure amie.
- J'ai dû très mal t'entendre parce que j'ai cru que tu me demandais d'aller à la soirée de Slughorn avec Potter.
- Écoute c'est juste à cause de ça qu'elles essaient de lui faire avaler un philtre ! S'il invite quelqu'un elles renonceront… C'est demain soir, et puis ce serait chouette que tu sois là !
- Je préférerais préparer les repas avec les elfes de maison, décréta Megan.
Fort heureusement, Hermione n'insista pas. Megan s'étonnait encore que sa meilleure amie puisse caresser l'idée d'une relation ne serait-ce qu'amicale entre elle et Potter. Tous deux n'avaient jamais caché l'aversion qu'ils se portaient au cours des six dernières années. Il était déjà suffisamment désagréable que le garçon soit aussi présent dans sa vie grâce à leurs meilleurs amis communs et la promesse qu'elle avait faite à Dumbledore de le garder en vie, il n'était pas question d'être sa cavalière au moindre événement, et encore moins à l'une des soirées du pitoyable Slug.
Désormais, en cours de Botanique, Megan et Hermione faisaient équipe avec Neville et Kevin Entwhistle, laissant Ron et Potter travailler avec Brown et Parvati Patil. Cette répartition ne pourrait qu'améliorer les notes des deux jeunes filles : Neville était une véritable mine d'information aussi bien théoriques que pratiques en Botanique, et les cours étaient bien plus faciles dans ces conditions, d'autant que Hermione était trop heureuse de progresser pour se soucier du comportement grotesque de Ron et Brown qui estimaient que la présence d'une Tentacula Vénéneuse n'était pas un obstacle à de longs et langoureux baisers dans le dos du professeur Chourave et sous les regards consternés de Potter et Patil. Cette attitude n'aurait toutefois pas été tolérée par le professeur McGonagall, qui les faisait de toute manière étudier un sujet trop complexe pour prêter à la distraction : la métamorphose humaine. Travaillant face à des miroirs, ils étaient censés modifier la couleur de leurs sourcils. Hermione éclata d'un rire peu charitable en voyant la première tentative désastreuse de Ron qui s'arrangea pour se faire pousser une spectaculaire moustache en guidon de vélo. Ron répliqua par une imitation cruelle mais fidèle d'Hermione sautant sur sa chaise chaque fois que le professeur McGonagall posait une question. Brown et Patil s'amusèrent beaucoup mais Hermione était au bord des larmes. Dès que la cloche eut retenti, elle se rua hors de la salle en laissant derrière elle la moitié de ses affaires. Potter ramassa les livres qu'elle avait oubliés et la suivit. Megan estima que la situation était suffisamment sous contrôle, aussi elle se contenta d'une claque derrière la tête de Ron avant de se rendre en cours d'Arithmancie où elle attendit devant la porte de la salle de classe que Hermione, les yeux rouges, la rejoigne.
- Vous ne voudriez pas arrêter un peu votre cirque ? lui suggéra Megan tandis qu'elles prenaient place sous le regard désagréable de Mandy Brocklehurst. Franchement, ignorez-vous complétement ou avouez-vous ce que vous ressentez vraiment, mais là c'est insupportable votre comportement, franchement.
- Tu n'as qu'à dire ça à Ron, s'offusqua Hermione. Ce n'est pas moi qui mets ma langue dans la gorge de Lavender Brown au lieu d'apprendre à me servir de ma baguette.
Son ton clôtura la conversation, et elles ne parlèrent plus que de chiffres et de projections jusqu'à la fin du cours. Il semblait que la haine de Brocklehurst envers Megan n'avait pas faibli avec le temps, et la jeune fille constata avec un vague intérêt que sa camarade tentait de contester tous ses calculs en soulignant régulièrement que certains points essentiels à la bonne compréhension du cours avaient été abordés au cours des deux dernières années (au cours desquelles Megan ne suivait pas cette matière). L'Arithmancie n'était pas le domaine dans lequel Megan excellait le plus, mais cette petite compétition eut le mérite de la pousser à travailler plus dur pour clouer le bec de son adversaire.
- Au moins, maintenant je pourrai vraiment compter sur toi pour m'accompagner à la bibliothèque pour ces devoirs, fit remarquer Hermione d'un air satisfait.
- Tu parles, pendant que je vais travailler ce soir, tu seras à la fête de Slughorn, répliqua Megan.
- Ah oui, la fête…
Le regard de Hermione se brouilla, puis elle se figea soudain.
- Tiens-moi ça.
Elle fourra son sac dans les bras de Megan et se rua dans le couloir. Un groupe d'élèves de Poufsouffle passa devant elle, la dissimulant à la vue de sa meilleure amie quelques instants, puis révéla un spectacle auquel Megan ne pensait pas assister : Hermione était accrochée au bras de Cormac McLaggen et lui accordait un très large sourire que démentait son regard. L'instant d'après, elle avait rejoint Megan et l'entraînait vers le cours de potions.
- Hermione Jean Granger, s'il te plaît, dis-moi que tu ne viens pas d'inviter McLaggen à la fête de Slughorn.
L'intéressée lui adressa un clin d'œil satisfait et lui fit signe de ne rien dire. Hermione n'était pas la seule à avoir fait des choix consternants pour l'événement prévu le soir-même : à l'heure du dîner, toute l'école avait entendu Peeves raconter partout que « Potty » avait invité « Loony » à être sa cavalière.
- Sans rire, qu'est-ce que vous avez, tous les deux ? grommela Megan en prenant place dans la Grande Salle. Le Baron Sanglant et Mimi Geignarde n'étaient pas disponibles ?
- Luna est une fille super, objecta Hermione, et elle était avec nous au ministère l'année dernière, tu pourrais lui accorder un peu plus de crédit.
Il fallait reconnaître que le combat mené en juin dernier contre les Mangemorts aux côtés de Ginny, Neville et Luna Lovegood avait renforcé les liens qu'ils entretenaient avec Megan, Ron, Hermione et Potter. Pour autant, Megan ne comptait pas Loony Lovegood parmi ses amis et ne s'attendait pas à ce que Potter la considère comme une petite amie potentielle.
Hermione semblait toujours affectée par son altercation avec Ron en cours de métamorphose, et jouait avec son ragoût du bout de sa fourchette. Lorsque Brown et Patil arrivèrent, elle se dérida toutefois, visiblement décidée à ne pas montrer au jeune homme à quel point sa nouvelle relation l'affectait.
- Salut, disait Potter à Patil, qui semblait elle aussi lassée et gênée de la conduite de Ron et Brown qui avaient recommencé à s'embrasser. comment ça va ? Finalement, tu restes à Poudlard ? J'ai entendu dire que tes parents voulaient que tu t'en ailles.
- J'ai réussi à les en dissuader pour l'instant. L'histoire de Katie les a mis dans tous leurs états mais comme il ne s'est plus rien passé depuis… Ah, salut, Hermione !
Elle adressa un sourire radieux à sa camarade de dortoir, regrettant visiblement de s'être moquée d'elle un peu plus tôt dans la journée. Hermione lui rendit un sourire encore plus éclatant si cela était possible, bien contente de se montrer sous son meilleur jour.
- Salut, Parvati, se réjouit Hermione sans accorder la moindre attention à Ron et à Brown. Tu vas à la fête de Slughorn, ce soir ?
- Je ne suis pas invitée, répondit Parvati d'un air mélancolique. Mais je serais enchantée d'y aller, ce sera sûrement très bien… Tu y vas, toi, non ?
- Oui, j'ai rendez-vous avec Cormac à huit heures et ensuite, on ira…
Il y eut un bruit semblable à celui d'une ventouse qu'on retire d'un évier bouché et Ron refit surface. Hermione sembla n'avoir rien vu ni entendu.
- … on ira à la soirée ensemble.
- Cormac ? s'étonna Parvati. Tu veux dire Cormac McLaggen ?
- Exactement, répondit Hermione d'une voix suave. Celui qui a failli – elle appuya lourdement sur le mot – devenir le gardien de Gryffondor.
- Tu sors avec lui ? demanda Parvati, les yeux ronds.
- Oui… Tu ne savais pas ? gloussa Hermione d'une manière qui ne lui ressemblait absolument pas.
Megan leva les yeux au ciel.
- Non ! s'exclama Parvati, surexcitée par cette confidence qui avait de quoi alimenter les ragots. Toi, au moins, on peut dire que tu aimes les joueurs de Quidditch ! D'abord Krum, maintenant McLaggen…
- J'aime les joueurs de Quidditch qui sont vraiment bons, rectifia Hermione, toujours souriante. À plus tard… Il faut que je me prépare pour aller à la soirée… Tu viens, Megan ?
L'intéressée poussa un soupir exaspéré puis reposa sa fourchette. Toutes deux se levèrent et quittèrent la table, laissant Brown et Patil se pencher l'une vers l'autre pour commenter la nouvelle, récapitulant tout ce qu'elles avaient entendu dire sur McLaggen et tout ce qu'elles avaient deviné d'Hermione, et Ron et Potter plongés dans le silence.
- Tu ne vas pas vraiment sortir avec Cormac McLaggen, n'est-ce pas ? s'enquit Megan sur le chemin qui menait à la salle commune de Gryffondor.
- Je sortirai avec Zacharias Smith s'il le faut, déclara dramatiquement Hermione.
De toute évidence, elle n'avait pas l'once d'un sentiment agréable à l'endroit de McLaggen. Megan releva notamment qu'elle ne fit pas la moitié des efforts qu'elle avait déployés avant le bal de Noël où elle accompagnait Krum deux ans plus tôt : elle ne mit ni la robe bleue qu'elle avait porté ce soir‑là, ni la robe lilas qu'elle lui avait offerte à Noël l'année passée, mais une chose rose qu'elle avait, disait-elle, reçue d'une cousine éloignée pendant l'été. Megan l'observa se peigner rapidement les cheveux, attacher un collier assorti autour de son cou et enfiler ses souliers les moins ternes avant de décréter qu'elle était prête.
- Promets-moi juste de ne coucher avec personne juste pour le seul plaisir de faire chier Ron, dit la jeune fille avant qu'elle ne quitte le dortoir.
Hermione lui jeta un regard effaré.
- Pour qui est-ce que tu me prends ! s'empourpra-t-elle. Je ne… jamais… enfin… Megan !
- Mieux vaut prévenir que guérir. Aller, files, et tu me raconteras tout.
La fête aurait lieu dans le bureau de Slughorn. D'après ce que Megan avait entendu dire, le professeur de potions avait invité plusieurs anciens élèves ainsi que quelques amis à lui, dont un vampire. Hermione ne s'ennuierait certainement pas.
Ron était introuvable, à l'instar de Brown, ce qui était une bonne chose : Megan pourrait profiter de la salle commune pour réviser l'Arithmancie sans avoir à entendre des bruits de succion à intervalle régulier. Malheureusement, ses pensées dérivèrent rapidement loin de ses parchemins et manuels, et elle s'imagina se rendre à la fête au bras de Draco, superbe dans un costume neuf et parfaitement taillé, sous le regard admiratif des autres élèves. Elle se délecta de la jalousie qu'elle aurait inspiré à Pansy Parkinson. Il était évident que Slughorn les aurait invités, soucieux d'être en bons termes avec les descendants de deux des familles de sorciers les plus puissantes de leur époque. C'était un rêve stupide. Megan aurait plutôt dû rêver de s'y rendre avec Kevan. Rêver qu'il soit encore à Poudlard. Il ne lui manquait pas autant qu'il aurait dû.
