Le visage d'Erwan s'illumina lorsqu'il vit sa fille se diriger énergiquement vers lui. Il avait déjà croisé Derek et commençait à s'inquiéter de ne pas l'avoir vue dans son sillage.
- Rose !
Il ouvrit spontanément les bras et put la serrer brièvement contre lui. Elle se dégagea rapidement et haussa un sourcil.
- Qu'est-ce que tu fais là ?
Impossible de manquer le battement de cœur affolé qui tambourinait en elle. Elle pensa immédiatement à Olivia, mais il sembla comprendre son trouble et expliqua :
- Je suis arrivé ce matin à Londres. Je voulais te faire la surprise.
Comme souvent, elle nota son hésitation, alors elle lui fit un large sourire pour le rassurer.
- C'est gentil. Tu as vu Derek ?
- Oui, il est là-bas, dit-il en pointant vers le grand blond, envahi par ses petites sœurs qui se cramponnaient à lui. Je discutais avec Mary avant que le train arrive.
Rose remarqua enfin le regard en coin que son père jetait derrière l'épaule de sa fille et elle se retourna.
- Père, tu te souviens de William ? Vous vous êtes vus à l'infirmerie…
- Oui, oui, bien sûr. Bonjour William, salua son père en lui serrant la main.
- Bonjour Monsieur Wayne.
Ils échangèrent un sourire aimable, puis William se tourna vers Rose.
- Tiens, ton sac. Tu as oublié de le reprendre après… notre descente du train.
- Oh, merci…
- Vous faites partie de la troupe qui vient chez nous fin août ? demanda Erwan, curieux.
- Oui Monsieur, un parmi onze… ça ne vous dérange vraiment pas qu'on vienne tous ?
Rose était très amusée par l'attitude de William, qui se tenait très droit et paraissait plus grand que d'habitude, très posé et mature, sans aucune trace de son humour habituel dans les yeux. Elle se mordilla la lèvre pour réprimer un sourire.
- Absolument pas voyons ! ça met de l'animation dans le Manoir…
- Et ça occupe le personnel.
- Rose, enfin… protesta son père avant de lui renvoyer son sourire. Devrait-on rejoindre le reste de vos amis ?
Il pointait vers le groupe de Serdaigles, tous mélangés avec leurs familles et discutant avec animation. Lisa fit un signe aux trois retardataires.
- Viens Père, il faut te présenter.
Elle passa son bras sous celui de son paternel après un petit clin d'œil à William et le dirigea vers le grand groupe pour faire les présentations. Les parents se saluèrent et Rose nota avec amusement que certaines mères prenaient une position plus avantageuse ou rougissaient un peu lorsqu'Erwan leur parlait. Puis elle commença à désigner ses amis.
- Non attends, laisse-moi deviner, fit son père, joueur. Anthony… Lisa… Mandy… Padma… Michael… Marc… Terry…
À chaque personne il lançait un sourire charmant et disait un mot, une phrase qui montrait qu'il avait très bien retenu tout ce que Rose lui avait raconté. Il eut un instant d'hésitation en regardant Nassim et Idriss, qui se ressemblaient beaucoup. Rose lui souffla :
- Idriss joue au Quidditch.
- Ah, alors, enchanté Idriss, fit-il avec un sourire à la bonne personne. Nassim, c'est un plaisir.
- Mais ça veut dire quoi ça ! protesta enfin Nassim en regardant Rose.
Elle pouffa et laissa son père terminer.
- Excusez-moi jeune homme mais je n'ai aucune idée de qui vous êtes, dit calmement Erwan.
Derek éclata aussitôt de rire, imité par tout le monde. Ils se serrèrent affectueusement la main et William reçut un autre sourire. Rose se tourna vers son ami.
- Tes parents ?
- En retard, comme souvent, s'amusa William.
- Père, on attend avec lui.
Ce n'était pas vraiment une question et William afficha un sourire malicieux au ton autoritaire de Rose. Son père répondit quand même.
- Évidemment. On devrait sortir du quai. Rose, où est ton petit…
- Kietel, termina Rose. Euh… Idriss ?
- Non, il m'a quitté dans le train, dit-il tristement.
Les deux s'adoraient et Idriss était toujours dramatique quand Kietel l'abandonnait pour vaquer à d'autres occupations.
- Il est là ! s'exclama Lisa en regardant dans le panier de Duke. Va voir Rose ! Vous rentrez à la maison.
- Kietel, viens, lança Rose en s'accroupissant.
Elle sortit ce qui semblait être un morceau de bois de la poche de son sac et l'agita devant elle. Le Boursouf bondit aussitôt près d'elle pour avaler la friandise et Mandy poussa un cri d'écœurement, comprenant soudainement.
- Et c'est quoi ça ?
- Une araignée séchée. Mais quoi… c'est sa nourriture préférée… expliqua Rose à ses amis qui faisaient tous des grimaces.
William éclata de rire et secoua la tête.
- Et t'en as combien là-dedans ? demanda-t-il en pointant le sac.
- Un sachet, mais il est presque vide. Benson me l'a envoyé en mars.
- Crade, qualifia Michael.
- Mais non, protesta Rose.
- Les écoute pas, petite patate poilue. Ils sont jaloux, ajouta William, provoquant un rire de Rose.
Erwan suivait leurs échanges, visiblement amusé.
- Nous devrions passer la barrière du quai avant qu'elle ne se referme, n'est-ce pas ? suggéra-t-il au grand groupe qui suivit aussitôt son mouvement.
Ils débarquèrent du côté moldu en essayant de paraitre naturel, avec leurs grosses valises et les animaux en cage. L'une après l'autre, les familles quittèrent la gare, après s'être fait de nouveaux adieux. Bientôt il ne resta plus que les Dent, les deux Wayne et William qui discutaient.
- Mary, vraiment, venez au Manoir cet été, insistait Erwan. Au moins pour quelques jours. Je suis sûr que les filles seraient ravies de s'amuser dans le parc.
- Vraiment, tu es sûr ? hésitait la mère de famille. Nous ne voulons pas nous imposer…
- Si c'est Père qui invite ! ajouta Rose pour le soutenir. Et puis c'est pas comme si on manquait de place…
Derek et Rose lançaient des regards plein d'espoir à Mary.
- Très bien, très bien, céda-t-elle sous leurs sourires ravis. J'en parlerai à Stan.
- Je suis sûr qu'il sera d'accord ! s'enthousiasma Derek.
Les deux parents se sourirent, sachant qu'il était inutile d'essayer de maintenir leurs deux enfants séparés trop longtemps. William jouait avec deux des sœurs de Derek qui lui avaient grimpé dessus sans trop lui demander son avis et qui poussaient des cris de joie dès qu'il les soulevait. Erwan le considéra un instant, puis lança un regard interrogateur à sa fille. Elle haussa un sourcil, ne comprenant pas ce qu'il tentait de lui dire.
- On attend ses parents ? répéta Rose.
Son père haussa un sourcil à son tour, et William s'interrompit pour les observer tour à tour, un sourire s'étalant sur son visage devant la parfaite symétrie de leur expression. Derek mit une tape derrière la tête de Rose.
- Ton père veut savoir si tu veux aussi inviter William cet été, avant fin aout, clarifia le grand blond en marmonnant.
- Oh, euh… il va sûrement voyager tout l'été avec ses parents, répondit-elle tout bas.
- Vous voyagez beaucoup ? interrogea Erwan à voix haute en se tournant vers William, qui reposa la cadette Dent et la renvoya gentiment vers son frère.
- Saute sur Derek, je suis sûr qu'il n'attend que ça. Oui Monsieur, mes parents ont de la famille dans d'autres pays, et on va souvent leur rendre visite pendant les vacances.
- Où ça ?
- Père !
- Mais quoi, ça m'intéresse, gronda le patriarche, attendant une réponse.
William répondit après une mimique amusée vers Rose.
- Ma mère est à moitié espagnole et galloise. Mon père est né aux Pays-Bas. On passe notre temps à aller voir les uns ou les autres, sourit-il. Rose nous a dit que vous aussi vous voyagiez beaucoup, Monsieur ?
- Ah, tu parles de moi à tes amis ? taquina-t-il, l'air satisfait alors que sa fille marmonnait dans sa barbe. Oui, je voyage beaucoup, mais pour le travail uniquement, principalement en Amérique du Nord et en Asie.
Ils discutèrent de voyages quelques minutes, alors que Derek et Rose se regardaient dans les yeux, très concentrés.
- Ton père l'aime bien, se moqua Derek.
- Pff… et alors ?
- Rien, rien… je peux savoir pourquoi vous êtes arrivés tous les deux en dernier, l'air trop innocent pour être honnête ?
- Tu m'agaces.
- C'est pas ma faute, j'ai un don.
- On s'est embrassés. Sur le quai.
- Ça fait deux fois depuis…
- Oui, ça va, je sais compter.
Le rire de Derek éclata dans la tête de Rose et elle sourit.
- Blaise va bien ? demanda-t-il innocemment.
Elle ne répondit pas et croisa les bras.
- Flûte. Je ne l'ai même pas vu dans le train.
- Tu ne l'as pas revu depuis jeudi.
Elle ne s'en rendait compte que maintenant. La voix de Mary leur parvint au loin.
- On en reparlera plus tard d'accord ?
- Quand vous viendrez au Manoir.
Ils rompirent leur échange et se sourirent avant de s'étreindre longuement.
- Sois sage mon chat.
- Toi-même. Profite bien de ta famille.
- Toi aussi, lui souffla-t-il à l'oreille. Tiens-moi au courant.
- Qu'est-ce que ça va être le jour où vous serez séparés plus d'un mois, taquina William derrière eux.
Ils lui jetèrent un regard perdu.
- Plus d'un mois ?
- Pour quoi faire ?
Mary et Erwan échangèrent un soupir blasé et les Dent quittèrent la gare à leur tour. Rose nota que son père avait la conversation très facile – trop facile – et interrogeait de nouveau William.
- Vous allez entrer en septième l'année prochaine ?
- Oui Monsieur, confirma William.
Sans savoir pourquoi, Rose commençait à rougir de plus en plus en les voyant discuter si naturellement.
- Ah, l'année des ASPIC… Vous avez gardé quelles matières ?
- Potions, Défense contre les forces du mal, Métamorphoses, Sortilèges, Botanique, Soin aux Créatures Magiques, Arithmancie, énuméra William en comptant sur ses doigts.
- Ça fait beaucoup, commenta Erwan. Enfin, peut-être pas pour des Serdaigles.
Rose lui lança un regard amusé.
- Vous n'étiez pas à Serdaigle, Monsieur ?
- Gryffondor. Vous êtes majeur ?
- Père, lui reprocha Rose à voix basse.
- Ça ne me dérange pas, intervint William, qui avait bien évidemment le contact facile.
- Oui, j'ai eu dix-sept ans en octobre dernier.
- Vous avez passé votre permis de Transplanage cette année ?
- Oui Monsieur, répondit-il avec un sourire.
- C'est bien, c'est plus pratique que la Poudre de Cheminette pour voyager.
Il réfléchit un instant.
- Cependant, je crains que vous deviez utiliser une cheminée pour venir au Manoir pour la première fois.
William confirma et l'appela de nouveau « Monsieur ».
- Je vous en prie, appelez-moi Erwan, pas Monsieur, finit-il par protester.
Rose suivait leur échange et esquissa un sourire à cette dernière phrase. Puis elle se tourna vers William.
- Il y a des gens qui arrivent derrière toi.
- Mes parents, devina-t-il en se retournant.
Une petite femme aux cheveux bruns fondit sur William et l'étreignit aussitôt qu'elle fut à sa hauteur. Elle parut toute petite dans les bras de son fils.
- William !
- Bonjour Maman.
Son père, un grand homme aux yeux bleus, le serra à son tour dans ses bras. Ils échangèrent quelques phrases et Rose regarda son père, soudainement troublée par leur effusion de sentiments.
- Père… on devrait y aller non ?
- Bien sûr…
- Tu dois être Rose ! s'exclama alors la mère de William en lâchant son fils.
Rose hésita une seconde, perplexe, et lui sourit finalement poliment.
- Oui, c'est moi. Bonjour Madame.
Elle lui tendit la main mais la mère l'ignora et serra Rose brièvement dans ses bras.
- Je suis ravie de te rencontrer !
- Merci, moi aussi Madame…
- Inés ! Ne m'appelle pas Madame, j'ai l'impression que tu parles à ma mère, s'esclaffa-t-elle.
Rose lui sourit, plus détendue. Elle avait vu William commencer à lever la main pour arrêter sa mère avant qu'elle ne prenne Rose dans ses bras, mais il n'avait pas eu le temps de parler que c'était trop tard. Il lui présenta son père, qui avait l'air très gentil, puis les trois adultes se présentèrent mutuellement et se mirent à parler, faisant connaissance. William s'approcha de Rose.
- Je suis vraiment désolé pour ma mère. Elle est toujours très amicale, voire un peu envahissante, marmonna-t-il.
Rose pouffa et lui frôla la main.
- Elle est charmante, le rassura-t-elle.
Puis, ne résistant pas :
- Et donc, elle sait qui je suis ?
William commença à bafouiller avant de lancer son sourire charmeur à Rose. Ils se faisaient face, leurs parents étaient plongés dans une conversation sur l'été espagnol et ne regardaient pas leurs enfants, alors il prit la main de Rose dans la sienne et caressa légèrement ses doigts.
- Arrête, souffla-t-elle sans chercher à se dégager.
Il secoua la tête et n'arrêta pas son mouvement. Sa franchise parla plus vite que lui.
- J'ai tellement envie de t'embrasser encore, susurra-t-il.
- Devant nos parents ? s'amusa Rose, tentant d'ignorer la faiblesse dans ses genoux et le nœud dans son ventre.
- J'en ai rien à faire, déclara-t-il calmement.
Il avala sa salive et Rose regarda sa pomme d'Adam monter et descendre. Elle avait envie de poser ses lèvres dessus et de lécher son cou, peut-être de le mordiller aussi…
- Rose, appela-t-il doucement.
Ses yeux se posèrent sur le visage de William et elle soupira. D'envie, de frustration, d'agacement. Il lui sourit et sembla s'empêcher de rajouter quelque chose. Rose réprima un petit rire.
- Tu te retiens de dire quelque chose de pas très poétique ?
Il eut un rire discret et secoua la tête.
- Ça allait être très poétique, au contraire. Mais je ne suis pas sûr…
Ses yeux se durcirent un peu et ce changement déstabilisa Rose qui pencha la tête sur le côté.
- Que Zabini soit très d'accord, termina-t-il.
Ah, oui, Blaise. Elle l'avait encore oublié un instant. Elle hocha la tête sans répondre – qu'aurait-elle bien pu dire ? Elle pensa vaguement au fait qu'Alicia Spinnet non plus ne serait probablement pas d'accord, mais William était assez grand pour se débrouiller tout seul avec ça. Elle esquissa un pas en arrière, leur proximité devenant dangereuse, et leurs mains se séparèrent une nouvelle fois.
- Merci d'accueillir notre William à la fin aout, disait le père alors que les deux Serdaigles leur prêtaient à nouveau attention.
- Mais c'est avec plaisir, au contraire.
- J'espère qu'il ne vous causera pas de souci, avertit Inés en jetant un œil sévère à son fils.
- Maman ! protesta William en se pinçant l'arête du nez.
Elle le regarda avec amour alors que Rose retenait un rire, puis déclara qu'il fallait qu'ils y aillent car ils étaient attendus par les sœurs de William, installées pour quelques jours dans la maison familiale. Rose et William échangèrent un long regard avant qu'il ne s'éloigne.
- William, pour le sac, sur le quai… merci, dit Rose, un sourire joueur sur les lèvres.
- Merci ?! s'indigna-t-il alors qu'elle se mordait la lèvre pour ne pas rire.
Rose lui fit un clin d'œil qui n'était certainement pas aussi envoutant que ceux de William, mais il y répondit par un large sourire charmeur.
- Allez, Rose, incita Erwan. Ted nous attend.
Ils se dirent au revoir et chaque famille partit finalement de son côté. Erwan poussait le chariot chargé de Rose et semblait concentré sur ses gestes.
- Je suis désolée, lança Rose d'un coup.
- Pour ?
- Que ça ait pris autant de temps pour sortir de la gare.
Il haussa un sourcil.
- C'était très bien de rencontrer tes amis, et leurs parents. Après tout, ils vont venir chez nous… c'est bien qu'ils puissent mettre un visage sur mon nom avant de m'envoyer leurs enfants, s'amusa-t-il.
- Monsieur ! s'exclama une voix pressée. Enfin, Monsieur…
Ted venait de les rattraper et se saisit du chariot de Rose pour le pousser. Erwan sembla soulagé et le remercia. Le chauffeur rangea les valises dans le coffre après avoir ouvert la porte arrière pour que les Wayne s'installent. Ils bouclèrent leurs ceintures en silence et en quelques minutes, le paysage londonien disparaissait pour rejoindre la campagne du parc national du Lake District. Rose regardait les reliefs familiers quand son père se racla la gorge.
- William… c'est ton petit ami ? demanda-t-il finalement en choisissant de regarder devant lui.
- Toujours pas, non, marmonna Rose, gênée.
- Toujours pas ? Parce que c'est…
- Tu m'as déjà posé la question à Noël, coupa-t-elle, regardant ses orteils.
Elle se tourna subitement vers lui.
- C'est pour ça que tu lui as demandé s'il était majeur ? s'exclama-t-elle, à moitié outrée.
- Hé bien, je… un peu, avoua-t-il.
Il osa finalement la regarder et vit qu'elle esquissait un sourire en secouant la tête.
- Tu as oublié de lui demander ce que faisaient ses parents et quels étaient ses plans de carrière, pouffa-t-elle enfin.
Il s'esclaffa à son tour.
- Oh mais je compte bien lui demander en aout, annonça-t-il, ce qui coupa la parole à sa fille.
- Non mais vraiment, ronchonna-t-elle finalement.
Elle changea de sujet et lui parla de ses BUSE et de son impatience à recevoir ses résultats.
- Alors, Sortilèges, DCFM, Métamorphoses ?
- J'espère bien, fit-elle, la voix tendue.
- Quoi d'autre ?
- Je ne pense pas avoir un Optimal en Potions… c'est dommage, sinon j'aurais continué.
- Il est sévère, ce prof.
- Horrible, surtout. Je garderai les Runes Anciennes aussi, j'aime bien… et peut-être, Étude des Moldus. Je suis pas encore décidée.
- Ah bon ? Je croyais que tu n'aimais pas trop ?
Elle haussa les épaules.
- Je verrai selon ma note, de toute façon. J'abandonne la Botanique et l'Astronomie. Et probablement l'Histoire de la Magie, c'est trop ennuyeux…
Il eut un rire bref alors que la voiture se garait dans l'allée devant le Manoir. Il tint la porte ouverte à sa fille et lui tendit la main pour qu'elle descende. Le reste du personnel les attendait sur le perron, comme toujours. Ils saluèrent leurs domestiques avec chaleur et les laissèrent se charger des bagages, pénétrant dans la fraicheur de leur demeure. Kietel se laissa aussitôt glisser de l'épaule de Rose et partit en chantonnant pour fureter dans les couloirs.
- N'oublie pas de rentrer dans ma chambre ce soir ! Il a disparu pendant trois jours, juste avant les BUSE, j'étais tellement inquiète… expliqua-t-elle à son père qui fronçait les sourcils à son avertissement. On l'a cherché dans toute la Salle Commune, pour le retrouver planqué en haut d'un lit.
- Il est mignon.
- Adorable. Mais il parle beaucoup. Comme William.
Elle se mordit la lèvre, regrettant immédiatement sa phrase, mais son père ne fit aucun commentaire malgré son sourire amusé. Rose regarda en haut des escaliers, à nouveau sérieuse.
- Viens, intima son père. On monte la voir.
Elle le suivit et entra dans la chambre juste après lui. Elle ne ressentit pas le choc auquel elle s'attendait. Olivia avait à peine changé, en tout cas pas aussi dramatiquement qu'elle ne l'avait imaginé. Sa peau était cireuse, elle était très maigre et bien sûr, allongée et semblait sans vie. Ses genoux la lâchèrent tout de même, mais son père la retenait déjà contre lui, le bras autour de sa taille. Il lui murmura quelques paroles qu'elle n'enregistra pas tout en la dirigeant vers une des chaises où il la fit s'asseoir. Pas un instant il ne lâcha sa main pendant que Rose était près de sa gouvernante. Elle ne parla pas à voix haute, comme en avril, car elle se savait incapable de s'exprimer sans pleurer, mais resta longtemps sans bouger, ses yeux rivés sur le visage d'Olivia, ses doigts sur le bras qui semblait si fragile. Son regard plein de larmes qui se posa finalement sur lui déchira le cœur de son père et il l'attira contre lui pour la serrer.
- Y'a rien à faire, n'est-ce pas ? hoqueta-t-elle, pleurant enfin.
À quoi bon lui mentir ?
- Non, répondit Erwan d'une voix douce.
Rose opina et enfouit son visage contre son père qui raffermit son étreinte. Il la berça longuement, les yeux fermés, luttant contre ses propres larmes.
Ils dinèrent rapidement, parlant peu. Rose savait qu'une conversation très sérieuse concernant Olivia serait inévitable mais elle n'avait pas encore le courage de l'avoir, ce que son père sembla comprendre. Elle lui souhaita bonne nuit après l'avoir remercié d'être venu la chercher à la gare. En retrouvant sa chambre, elle passa machinalement le bout des doigts sur le bureau, se jeta un bref regard dans le miroir. La douche fraiche lui fit du bien après le long voyage en train et elle en profita, les yeux fermés, concentrée sur l'eau cascadant sur ses épaules. Ses affaires avaient été montées, ses vêtements rangés, les livres ordonnés dans la bibliothèque et le reste de ses affaires personnelles posées sur la commode. Elle rangea quelques objets, enroulée dans une serviette. Puis elle entrouvrit la fenêtre pour laisser l'air circuler et s'étala sur son lit, sans prendre la peine de mettre un pyjama ni de se couvrir d'un drap. Kietel était monté en couinant pour se blottir dans le creux de son épaule et elle lui parla, souriant de l'entendre répondre de sa petite voix aigüe, comme s'il comprenait tout ce qu'elle lui disait. Ils s'endormirent lorsqu'une panthère prit la place de Rose sur le lit.
La première semaine de juillet fut éprouvante. Rose et son père ne sortirent pas beaucoup, mais virent de nombreuses personnes, principalement des Guérisseurs. Ils parlèrent avec les spécialistes d'Olivia de sa maladie maintenant sans issue. Ils mentionnèrent les traitements qui ne fonctionneraient plus, le coma qui était trop avancé pour espérer le retour de sa gouvernante. Les termes techniques entraient l'esprit de Rose pour aussitôt le quitter, même si elle en saisissait l'information principale : Olivia n'était plus, et ne serait plus, vraiment en vie. Son père restait toujours avec elle et ne sembla pas beaucoup travailler cette semaine-là, ce dont elle lui était très reconnaissante. Le Manoir était plus morne que d'habitude, même occupé par les deux Wayne, car tous ses habitants savaient quelle décision était en train d'être prise. Ils eurent encore des rendez-vous, et une ultime discussion, tous les deux, dans le bureau d'Erwan, dont ils sortirent en larmes, leurs mains étroitement serrées. Rose était complètement dans le brouillard, tout en se sentant soulagée, ce qui la faisait encore plus pleurer. Son père avait tenté de la rassurer, de lui faire comprendre que c'était normal, car ils allaient enfin laisser Olivia partir, après des années de souffrance et des mois d'inconscience. Ils savaient tous les deux que c'était ce qu'elle voulait, grâce à des documents qu'elle avait rédigés lorsque sa maladie avait empiré mais qu'elle était encore capable de se débrouiller seule. Le notaire de la famille avait authentifié l'écrit et confirmé que la volonté d'Olivia était qu'on la laisse partir si aucune autre solution n'était possible.
Erwan convoqua d'abord le jardinier, Alfonso, pour lui annoncer ce qu'ils envisageaient de faire. Rose resta auprès de son père et ils regardaient avec tristesse le frère d'Olivia, qui les avait rejoints en tant qu'employé quelques six ans auparavant, pleurer à son tour. Il ne cessait de s'excuser pour ses larmes et leur assura qu'il était d'accord avec eux. Finalement, il les aida à contacter leurs parents, qui habitaient en Espagne. Rose ne les avait rencontrés que deux fois dans sa vie, avant d'entrer à Poudlard. Elle savait qu'ils n'avaient jamais vraiment compris la décision d'Olivia d'entrer au service d'une riche famille anglaise. À leur grande surprise, ils parvinrent à les faire venir au Manoir. Ils arrivèrent un lundi en début d'après-midi, par Poudre de Cheminette. Ils rendirent visite à leur fille – Rose avait finalement appris qu'ils venaient de temps à autre, et que c'était toujours tombé pendant ses semestres à Poudlard. Puis leur entretien avec Erwan, auquel Rose assista également, dura des heures. Alfonso les aida à traduire les paroles des uns et des autres et Rose le trouva très digne et très capable dans ce rôle de médiateur malgré lui. Les parents d'Olivia étaient dévastés, bien sûr, et elle admira le sang-froid de son père lorsqu'ils lui dirent qu'il aurait dû prendre cette décision plus tôt, pour préserver la dignité de leur fille. L'échange fut houleux quelques minutes avant de se calmer de lui-même et Rose sentit son père se détendre. La conclusion des parents de sa gouvernante fut la même que celle des Wayne, et ils acceptèrent de laisser leur fille rester à Whitehaven pour ses derniers instants. Tous leurs accords furent officiellement consignés par le notaire des Wayne, qui resta très discret et fit signer beaucoup de papiers aux personnes majeures de la pièce. Rose restait relativement détachée de tout, même si elle écoutait attentivement. Les parents d'Olivia quittèrent le Manoir en début de soirée.
Voilà, c'était acté. Olivia allait mourir.
Rose traversa les jours suivants sans les voir. Il restait encore beaucoup de détails à régler, dont son père se chargea pendant qu'elle passait le plus clair de son temps avec Olivia, dans la chambre sans vie. Elle fit machinalement du rangement, mit des fleurs dans un vase, ouvrit grand les fenêtres, tout en étant consciente que rien ne changerait pour le mieux. Ils découvrirent, grâce au notaire, qu'Olivia avait déjà pris toutes les dispositions nécessaires au cas où elle ne s'en sortirait pas, notamment son testament dont le bureau d'études conservait la copie. Ses appartements avaient été mis en ordre, par elle ou par Amalie, ses vêtements, affaires, tout était déjà emballé et préparé pour quitter le Manoir. Rose ne compta même plus les fois où elle finit déchirée par les sanglots en réalisant tout ce qu'Olivia avait fait quand elle avait compris que sa vie serait bientôt terminée.
Quelques jours après la visite des parents d'Olivia, Rose s'assit à son bureau et rédigea une lettre pour Derek, qui n'était pas la première depuis leur retour chez leurs parents. Puis elle expira longuement et en écrivit une seconde.
« Mes chers amis,
Je commence cette lettre par vous demander de m'excuser de n'écrire qu'une seule fois ce que je m'apprête à vous dire et de faire dupliquer ce courrier par Benson. Je n'aurai pas le courage d'écrire dix fois la même chose, aussi je vous demande toute votre indulgence.
Vous n'êtes pas sans savoir que l'état de santé d'Olivia, ma gouvernante, s'est dégradé depuis le mois de novembre. Malheureusement, son état ne peut pas et ne pourra plus s'améliorer. Cela fait quelques temps que nous le savons, et nous sommes enfin prêts à faire ce qui doit être fait. Père et moi avons pris la décision la plus difficile qui soit, mais aussi la plus juste. En accord avec sa famille, nous allons laisser Olivia partir dans quelques jours. Elle passera ses dernières minutes au Manoir, entourée par les gens qui l'aiment depuis des années, voire depuis toujours.
J'aurais aimé que cette lettre soit plus joyeuse et je m'en veux de vous apporter une telle nouvelle au milieu de vos vacances, mais j'ai estimé normal de vous en informer dès que possible.
Toutes les dispositions nécessaires ont déjà été prises, et l'enterrement d'Olivia aura lieu le samedi 20 juillet, dans la chapelle de Whitehaven. Elle sera inhumée dans le caveau de la famille Wayne par la suite.
Je voudrais vous demander, si vous le pouvez, d'honorer la mémoire d'Olivia en ce samedi 20 : s'il vous plait, dites à vos proches que vous les aimez. Vos parents, vos frères et sœurs, vos amis, toutes les personnes auxquelles vous tenez. C'est le plus bel hommage qu'on puisse rendre à la femme qui m'a aimée toute ma vie même si je ne suis pas sa fille de sang, à la femme qui a toujours eu le cœur sur la main et aimait sans compter.
Je termine cette lettre par vous remercier, d'avoir été auprès de moi pour les instants les plus difficiles de ma vie depuis le début de la maladie d'Olivia, de m'avoir apporté votre soutien et votre amitié sans jamais faiblir. Je vous en suis éternellement reconnaissante, plus que vous ne pouvez l'imaginer.
Nous nous retrouverons bientôt dans des circonstances plus joyeuses, je vous le promets. D'ici là, merci à vous tous d'être vous-même. Je suis très chanceuse de faire partie de chacune de vos vies. Et bien sûr : je vous aime.
Avec toute mon amitié,
Rose A. Wayne »
Elle souffla en voyant son écriture un peu tremblante mais balaya l'idée de recommencer l'écriture de sa lettre. Il ne lui resta que celle pour Blaise, qu'elle ne parvint à faire que le lendemain, de nouvelles larmes ayant déjà trop brouillé sa vision pour qu'elle puisse continuer à écrire.
Rose était figée depuis un temps qu'elle n'avait pas compté. Elle avait senti la vie quitter le corps d'Olivia et son esprit s'était déconnecté depuis. Elle n'entendait pas les pleurs des parents de sa gouvernante, ni les reniflements discrets des membres du personnel du Manoir au fond de la pièce, ni les quelques mots du Guérisseur au notaire qui écrivait tout. Elle ne sentait pas la main de son père sur son épaule, ni le bras raide d'être resté des mois immobile d'Olivia, qu'elle tenait depuis le début. Tout s'était tu en elle et rien ne lui parvenait. Elle ne pleurait même plus, ayant la sensation d'avoir déjà versé toutes les larmes que son corps contenait.
Elle n'eut pas de réaction lorsque le Guérisseur éteignit toutes les machines qui les entouraient. Un silence profond emplit la pièce en même temps qu'un drap blanc était déployé sur Olivia, la faisant disparaitre aux yeux de tous. Erwan aida Rose à desserrer sa prise sur le bras de sa gouvernante. Elle tourna la tête vers lui, l'air complètement perdu. Il lui caressa tendrement le visage.
- C'est fini Rose, murmura-t-il.
Elle hocha à peine la tête et fut terrassée par ses propres pleurs. Elle avait l'impression que ça ne s'arrêterait jamais et se laissa aller contre son père. Il finit par se redresser et une nouvelle main lui effleura l'épaule. Elle regarda la mère d'Olivia se pencher vers elle, un sourire triste aux lèvres. Elle chuchota une phrase qu'Alfonso traduisit rapidement :
- Elle parlait toujours de toi, même dans ses lettres. Tu es la fille qu'elle n'a jamais mise au monde.
La mère d'Olivia hocha la tête et chassa les larmes du visage de Rose, puis l'étreignit longuement sans plus rien dire.
Elle et son mari passèrent les jours précédant l'enterrement au Manoir, en compagnie d'Alfonso à qui Erwan avait donné des jours de congé. Mais Rose le remarqua à peine, toujours enfoncée dans son chagrin. Son père la laissa gérer son deuil comme elle le souhaitait, tout en restant toujours à proximité, prêt à la rattraper à tout moment. Elle sortit de sa torpeur le vendredi alors que les derniers préparatifs s'organisaient pour le lendemain.
- Non, pas ce morceau… dit à voix basse Rose. Olivia ne l'aimait pas beaucoup. Elle préférait Chopin.
Son père fit aussitôt changer la musique qui accompagnerait la cérémonie.
- Que penses-tu de ses Nocturnes ? proposa Erwan, content d'entendre sa voix.
- C'est très bien.
Il l'observa jusqu'à ce qu'elle relève la tête et le regarde. Ses yeux étaient encore lointains, mais ils commençaient à retrouver leur éclat. Il l'encouragea d'un signe de tête, et elle donna encore son avis sur quelques détails concernant la cérémonie, qu'ils prirent en compte. La mère d'Olivia, très perspicace, parvint à attirer de nouveau l'attention de Rose au diner en partageant des anecdotes de la jeunesse de la gouvernante. Rose se surprit à sourire à plusieurs reprises. Son air coupable fut balayé par la joie des parents de parler de leur fille expatriée. Alfonso expliqua que sa famille préférait célébrer la vie qu'une personne avait eu le jour où elle mourait plutôt que de se morfondre dans la tristesse de sa mort. Rose lui sourit, sentant les nœuds dans son ventre se dénouer petit à petit. Alors elle parla à son tour de sa vie au Manoir, de leurs aventures et de sa façon d'éduquer Rose.
Elle constata qu'elle avait le cœur un peu plus léger en allant se coucher, même si son ventre s'était renoué quand elle avait aperçu sa robe noire qui l'attendait, pendue à l'armoire. Kietel avait ronronné sa petite mélodie, comme tous les soirs depuis qu'Olivia était partie. Elle lui répondit avec douceur, pour l'apaiser à son tour.
Amalie l'aida à fermer sa longue robe noire dans le dos et à se coiffer. Elle tremblait trop pour le faire elle-même et la femme de chambre était venue à sa rescousse.
- Merci Amalie.
- Je vous en prie, Miss.
Les deux femmes se regardèrent longuement à travers le miroir de la coiffeuse, puis Rose hocha la tête.
- Descendons. Derek et sa famille ne devraient plus tarder.
Elle avait à peine atteint les dernières marches que Benson apparaissait pour annoncer les Dent. Rose prit le bras que lui tendait son père pour le rejoindre dans le hall d'entrée accueillir leurs invités. Les parents de Derek entrèrent en premier et ils prirent Rose dans leurs bras, puis Erwan. Elle atteignit la première Derek qui sortait de la cheminée et leur étreinte fut longue et entrecoupée de murmures qui ne regardaient qu'eux. Puis il l'éloigna de lui et se posta à ses côtés alors que Benson ouvrait de nouveau la porte de l'office.
- Monsieur Terry Boot, annonça le majordome.
Rose eut à peine le temps de manifester sa surprise et de le serrer dans ses bras.
- Miss Lisa Turpin et Monsieur Anthony Goldstein.
Et Lisa et Anthony apparurent à la suite de Terry. Rose avait les larmes aux yeux de voir ses quatre amis ici et en avait perdu la parole. Bientôt le feu magique rugissait de nouveau.
- Messieurs Nassim El-Hashem et Idriss Qadir.
- Mais… protesta Rose, ébahie.
Les deux cousins présentèrent leurs condoléances à Rose, lui serrant la main avec force.
- Miss Mandy Brocklehurst.
Rose luttait contre les larmes, submergée par l'émotion. Benson ne lui laissa pas le temps de parler à la blonde qui avait un air inhabituellement sérieux, mais dont l'accolade fut aussi douce que d'habitude.
- Monsieur Marc Dunne.
Et il enchaina alors que Rose relâchait Marc de son étreinte.
- Miss Padma Patil.
Elle essuya une larme qui s'était finalement échappée et se laissa enlacer par Padma, qui lui murmura quelques mots qui la firent opiner.
- Monsieur Michael Corner.
Elle l'accueillit à son tour, la gorge serrée, et jeta un œil à son père, qui restait impassible, puis un à Derek qui lui mit un petit coup de coude en indiquant l'office.
- Monsieur William Van Alten.
Le bruit du feu vert mourut alors que le dernier arrivant entrait dans le hall où se pressait le groupe de Serdaigles et les trois adultes derrière eux. Rose glissa du bras de Derek auquel elle s'était appuyée et avança pour faire face à William. Il se tenait très droit, habillé tout en noir comme les autres. Il esquissa un sourire un peu triste et décoinça d'un geste rapide la lèvre que Rose mordait. Incapable de parler, elle enroula ses doigts autour de son poignet et vint enlacer William, comme elle l'avait fait avec les autres.
- Je suis tellement désolé, ma Rose, souffla-t-il à son oreille, ses bras refermés autour d'elle dans un geste qui l'apaisa un peu.
- Merci.
C'était tout ce qu'elle était en mesure de dire sans éclater en sanglots dans un étrange mélange de tristesse et de joie à la vue de tous ses amis, là pour elle. Elle recula finalement pour regarder ses amis tour à tour. Elle se racla la gorge et attrapa le mouchoir qu'Amalie lui tendit.
- Merci Amalie.
Elle s'essuya les yeux et le nez.
- Vous êtes incroyables, finit-elle par dire. Merci d'être là.
Elle leur sourit, d'un sourire qu'elle n'avait pas eu depuis plusieurs jours.
- J'arrive pas à y croire, ajouta-t-elle. C'est toi j'imagine ?
Derek eut une mine coupable qui déclencha quelques sourires.
- Merci, répéta-t-elle en penchant la tête sur le côté. Père…
- Nous pouvons nous mettre en route, lança son père, reprenant le contrôle de la situation. Benson va vous guider vers les véhicules.
Rose regarda ses onze amis et les parents de Derek suivre le majordome à l'extérieur. Elle se tourna vers son père.
- Ne me regarde pas comme ça, c'est Derek qui a tout organisé.
Un nouveau sourire réchauffa le cœur d'Erwan.
- Merci d'avoir accepté.
- C'est normal, ma chérie.
Il la tint contre lui et posa un baiser très paternel sur son front.
- Allons-y.
Une trentaine de personnes habillées de noir prirent place dans la chapelle. Tout le monde présenta ses hommages et condoléances aux Wayne, installés au premier rang. Rose reconnut certains Moldus qu'elle avait rencontrés dans Whitehaven, des années auparavant, avec qui Olivia était amie, ou une simple connaissance. Il n'y eut pas de messe, pas de grand discours, mais plutôt un recueillement collectif au son de Chopin qui résonnait dans le bâtiment. Rose s'exprima devant tout le monde pour rappeler la vitalité et la joie d'Olivia et souligner les valeurs de tolérance et d'amour qu'elle lui avait inculquées. Puis ils suivirent le cercueil jusqu'au cimetière, où le caveau Wayne avait été ouvert pour la première fois depuis de nombreuses années. Rose fut la première à déposer un œillet rose sur le bois verni. Bientôt tout le monde l'imita et des œillets de toutes les couleurs recouvraient le cercueil.
Rose ne se rendait même plus compte qu'elle pleurait, seulement que son père et Derek restaient à ses côtés et qu'un mouchoir apparaissait de temps à autre devant elle. Elle resta longuement à contempler la scène, hermétique à ce qui se passait autour d'elle et ne se réveilla que lorsque son père l'appela. Il fit un signe à Derek et laissa les Serdaigles seuls le temps que toutes les personnes présentes rejoignent leurs véhicules pour se diriger vers le Manoir, où la réception des funérailles se tiendrait. Ils marchèrent tous les douze, dans un silence que Rose finit par briser, d'une voix relativement posée.
- Merci de votre présence. Vous ne pouvez pas imaginer combien ça me fait plaisir que vous soyez là.
Mandy s'accrocha à son bras et le pressa avec affection.
- J'espère que vos vacances ne sont pas trop gâchées…
- Mais non Rose, voyons, protesta gentiment Terry.
- On est là pour toi, comme tu es là pour nous, rappela Padma.
Rose lui sourit et considéra les autres, heureuse de les avoir près d'elle en ce jour si particulier. De nouvelles larmes lui montèrent aux yeux, et Anthony chuchota :
- Bon, apparemment il va encore falloir que je me dévoue pour être méchant avec toi…
- Anthony ! réprimanda Lisa.
Mais Rose eut un petit rire, très discret, fugace, qui la soulagea d'un coup.
- Donne le pire de toi-même, approuva-t-elle en le regardant.
Il gonfla les joues.
- Tu sais à quel point tu as raté ton examen d'Étude des Moldus ou pas encore ?
- Peut mieux faire, encouragea Rose en lui adressant un petit sourire, malgré son contentement d'avoir une interaction presque normale.
- Désolé…
- Que de beaux discours alors ? taquina Nassim.
Et enfin, ils se sourirent tous mutuellement. Rose regarda les garçons, très beaux dans leurs costumes noirs, cependant elle ne pouvait penser qu'à une seule chose :
- Vous me donnez tellement chaud avec vos vestes noires et vos cols de chemise fermés…
- Écoute Rose, on sait que tu as ce persistant fantasme de nous avoir tous les huit nus et à ta merci, mais honnêtement, je pense que le moment est mal choisi.
Idriss affichait sa mine angélique de beau garçon et adressa un large sourire à Rose, qui venait de s'esclaffer un peu plus fort. Elle porta la main à sa bouche, surprise par elle-même. Puis un nouveau sourire éclaira son visage et elle secoua la tête.
- Vraiment, si vous voulez enlever vos vestes – et uniquement vos vestes, ajouta-t-elle en regardant Idriss avec sévérité – ne vous privez pas.
- Si nous avons la bénédiction de l'héritière Wayne… commença Michael.
Il fit glisser sa veste de ses épaules et déboutonna les deux premiers boutons de sa chemise.
- Mais oui, allez-y, encouragea Rose en constatant que les autres hésitaient.
Ils ne se firent plus prier et poussèrent quelques grognements satisfaits en se délestant de la couche de tissu bien inconfortable pour ce mois de juillet.
- Les filles, à vous, osa lancer Nassim.
Lisa leva les yeux au ciel et Mandy rétorqua :
- Dans tes rêves…
- Oui, dans mes rêves, mais en vrai ce serait mieux !
Un rire partagé les parcourut, puis ils se séparèrent le temps de faire le trajet en voiture jusqu'au Manoir. Rose reprit place près de son père après un dernier regard vers le cimetière et ils furent les premiers à arriver, pour pouvoir guider leurs invités vers le grand salon, qui servait de salle de réception pour la soirée.
Benson accueillit tout le monde formellement et indiqua que la terrasse était également à leur disposition. Rose se plia à ses devoirs d'hôtesse et discuta un peu avec tout le monde, recevant une nouvelle fois leurs respects et leurs condoléances. Elle avait aimé la tradition de la famille d'Olivia et s'efforçait de ne parler que de la vie de sa gouvernante, s'autorisant plusieurs sourires attendris ou nostalgiques. Rose entendit une conversation qu'Erwan avait avec Alfonso et s'approcha.
- Alfonso, je vous assure, je ne vous rendrai pas la vie plus difficile.
- Mais enfin Monsieur, jamais…
Le jardinier avait l'air choqué et Rose ne put s'empêcher d'intervenir.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- J'ai proposé à Alfonso de quitter le Manoir pour retourner en Espagne, lui dit son père.
- Vous voulez partir ? lui demanda Rose, étonnée.
- Absolument pas, nia Alfonso. C'est Monsieur votre père qui se fait des idées !
Rose réprima un sourire et se tourna vers l'intéressé.
- Je pensais vraiment que vous voudriez rejoindre votre famille, expliqua Erwan avec douceur.
- Le Manoir Wayne est aussi ma famille, rétorqua fièrement le jardinier.
- Votre loyauté nous est infiniment précieuse, confia Erwan en serrant la main du jardinier avec chaleur. Bien sûr que vous faites partie de la famille. Est-ce que je peux vous proposer tout de même des jours de congé supplémentaires si vous souhaitez passer du temps avec vos parents, en Espagne ou ailleurs ?
Alfonso regarda ses parents qui partageaient une assiette au buffet dressé, puis sourit.
- C'est une offre très généreuse Monsieur, et je l'accepte bien volontiers.
- C'est entendu alors. Prenez tout le temps que vous le souhaiterez.
- Merci Monsieur.
Le jardinier inclina humblement la tête et rejoignit ses parents pour leur murmurer quelques mots.
- Nous passer d'Alfonso, quelle idée, maugréa Rose. Entre tes talents horticoles et les miens, autant abandonner le domaine et emménager dans un appartement.
Son père s'esclaffa discrètement et termina son verre. Rose navigua encore parmi les invités, avec toujours un mot gentil à partager, ou une oreille attentive à prêter à ceux qui voulaient parler. Pour la première fois depuis début juillet, elle ne se sentait pas pleine de désespoir et de tristesse, mais au contraire légère, comme portée par l'amour maternel qu'Olivia avait pour elle et que tout le monde louait ce soir-là. Elle écouta les récits du début des vacances de ses amis et Nassim chassa très vite la culpabilité qui s'était réveillée en elle quand elle avait compris qu'ils avaient quitté le Maroc et leur famille pour venir au Manoir en lançant quelques plaisanteries qui tombèrent à pic et les firent rire. Lorsque les amis moldus d'Olivia s'en allèrent petit à petit, raccompagnés par Ted vers Whitehaven, le groupe de sorciers se détendit visiblement, en particulier les Wayne bien sûr, mais aussi tous ceux qui ne comptaient pas de Moldus parmi leurs proches.
Rose entendit la mère d'Olivia qui discutait avec quelqu'un et elle s'approcha, trop curieuse : Alfonso n'était pas à ses côtés et elle se demandait comment elle allait pouvoir communiquer. La voix chaude et amicale lui parvint et lui provoqua un léger frisson.
- Su hija Olivia ha criado a una hija maravillosa, disait William avec un de ses sourires charmants sur le visage.
Lisa se faufila près d'elle.
- Il parle espagnol ? s'étonna-t-elle à voix basse.
- Apparemment…
- Il est plein de surprises, commenta Mandy en se glissant contre Lisa.
- Qu'est-ce qu'il lui raconte à votre avis ? s'interrogea Padma en complétant le quatuor.
- Aucune idée… répondit Rose en haussant les épaules.
- Ça a l'air d'être quelque chose de gentil, regardez comme la mère d'Olivia est émue.
- Elle n'arrête pas de lui sourire.
- Elle aussi, elle est sous le charme…
- Comment ça, elle aussi ? ronchonna doucement Rose.
Trois rires très discrets tintèrent dans ses oreilles et elle sourit à ses amies. Puis Rose les laissa pour rejoindre son père, une idée lui tournant dans la tête.
- Père, il commence à se faire tard. Peut-être qu'il faudrait renvoyer tout le monde chez soi ? chuchota-t-elle à son attention. Les parents de mes amis vont sûrement s'inquiéter…
- Derek ne t'a pas dit ? questionna son père.
- Quoi ?
- Ils dorment tous ici. J'en ai parlé avec leurs parents quand Derek a lancé l'idée, ils étaient d'accord, bien évidemment.
- Oh…
Rose se retourna et considéra ses amis, qui discutaient avec animation sur la terrasse.
- J'espère juste… qu'ils ne vont pas se sentir mal à l'aise. Nous ne sommes pas exactement la famille la plus joyeuse du monde en ce moment…
- C'était leur volonté à tous apparemment. C'est qu'ils se sentent à l'aise, non ?
Rose eut un petit hochement de tête et s'excusa de tout le trouble qu'elle apportait, via ses amis, à la maison. Son père balaya ses excuses d'un geste de la main, puis ils échangèrent un sourire. Erwan caressa la joue de sa fille, et il n'eut pas besoin de mot pour qu'elle sente l'amour qu'il lui portait à cet instant précis. Il laissa sa main retomber lorsqu'il vit la haute silhouette de Derek s'approcher avec ses parents.
- Nous allons rentrer, si vous le permettez, annonça Stan.
Ses yeux bleu transparent se posèrent sur Rose et il esquissa un sourire, celui dont Derek avait hérité.
- Merci de nous avoir permis d'être avec vous aujourd'hui, continua Mary.
- C'est normal, murmura Rose, émue.
- On vous laisse notre fils, termina Stan en pressant l'épaule de Derek.
Ils serrèrent la main d'Erwan et prirent Rose une dernière fois dans leurs bras, puis Benson les raccompagna à la sortie du Manoir avec Ted afin qu'ils puissent transplaner chez eux. Rose tira Derek par le bras et rejoignit les Serdaigles sur la terrasse. Elle lança sur un ton anodin :
- Je me répète, mais merci de votre présence pour aujourd'hui. Benson est prêt à vous raccompagner à la cheminée de transport pour que vous rentriez chez vous rapidement. Je pense que je vais aller me coucher dès que vous serez partis.
Son air très sérieux et son petit geste vers l'intérieur firent instantanément hésiter Mandy et Lisa, Marc et Terry eurent l'air gêné. Le seul qui osa s'exprimer fut Derek, évidemment. Il avait déjà un sourire en coin.
- Je le savais que ton père vendrait la mèche.
Elle lui mit une tape joueuse sur le bras.
- Je viens juste d'apprendre que vous passiez la nuit ici, clarifia-t-elle pour ses amis qui semblèrent soulagés.
Nassim poussa un long soupir.
- Par Merlin, j'ai cru que tu ne voulais plus de nous.
- J'ose même pas imaginer la crise de nos mères si on était rentrés maintenant.
- « Qu'est-ce que vous avez encore fait tous les deux ? »
- « On peut pas vous laisser cinq minutes tout seuls ! »
- « Mais qu'est-ce qu'on a fait pour avoir des enfants pareils ?! » terminèrent-ils en chœur, sous les rires de leurs amis.
- Tu es sûre que ça ne dérange pas ? demanda tout de même Padma à Rose.
- Bien sûr que non ! C'est pour vous, j'espère que ça vous convient…
- Évidemment. Sinon on n'aurait pas dit oui, conclut sagement William.
Une vague d'affection submergea Rose alors qu'elle souriait à ses amis.
- Comme ça on a le temps de choisir nos chambres pour fin aout, ajouta à voix basse Marc avant d'adresser un clin d'œil amusé à Rose.
Elle se pinça les lèvres pour ne pas éclater de rire. Puis elle redevint sérieuse.
- Pour fin août…
- Tu préfères qu'on annule ? demanda doucement Terry.
- On ne veut pas être un poids, alors il ne faut pas hésiter, d'accord ? appuya Idriss.
Dix autres têtes opinèrent vigoureusement.
- Non, non, justement ! Je voulais vous dire, je n'ai pas l'intention d'annuler. Mais c'est pareil que ce soir, je ne veux forcer la main à personne…
Les mêmes protestations s'élevèrent et bientôt ils en conclurent qu'aucun d'entre eux n'avait envie d'annuler leur semaine de vacances chez Rose, au grand soulagement de cette dernière. Amalie vint chercher Rose pour annoncer que les parents d'Olivia partaient dans quelques minutes, pour retrouver l'Espagne. Elle alla les saluer et se retrouva vite bloquée par la barrière de la langue, car elle n'avait pas trouvé le jardinier.
- William ? appela-t-elle doucement.
Il apparut sur le seuil et elle lui fit signe de les rejoindre.
- William, excuse-moi, mais j'ai cru comprendre que tu parlais espagnol ? Je voudrais seulement remercier les parents d'Olivia pour leur présence depuis quelques jours, de leur aide pour aujourd'hui et leur souhaiter une bonne nuit. Tu voudrais bien traduire pour moi s'il te plait ?
- Bien sûr.
Ses yeux bleus se firent sérieux et un sourire charmant se dessina sur ses lèvres.
- Señora y señor, Rose los agradece su presencia en la Mansión Wayne durante los últimos días, y toda la ayuda que han prestado hoy.
Rose se concentra sur les expressions des parents d'Olivia, qui lui firent un grand sourire.
- ¡Por supuesto, Rose! Os damos las gracias a ti y a tu padre por todo lo que habéis hecho por Olivia durante estos años.
- Ils te remercient pour tout ce que toi et ton père avez fait pour Olivia pendant toutes ces années, chuchota William après un instant de réflexion.
- Muchas gracias, répondit doucement Rose, les yeux brillants. Dis-leur que je leur souhaite un bon retour chez eux et que j'espère les voir bientôt.
William s'exécuta, et continua :
- Les desea un buen viaje a casa y espera verles pronto.
- Buena suerte Rose. Nos vemos pronto.
- Ils te souhaitent bon courage et confirment qu'ils te verront bientôt.
La mère d'Olivia attira Rose contre elle et la serra dans ses bras.
- Tú y William hacéis una pareja preciosa, enhorabuena.
Rose ouvrit de grands yeux vers William et attendit. Il adressa son plus beau sourire au couple devant lui et glissa sa main dans le bas du dos de Rose qui se raidit légèrement.
- Muchas gracias, Señora. Les deseo una buena noche.
Ils échangèrent encore quelques formules de politesse et Benson les accompagna vers le Hall de l'entrée. Alfonso vint présenter ses respects à Rose avant de quitter le Manoir pour quelques jours.
- Ne nous oubliez pas trop vite, taquina Rose.
- Aucun risque, Miss, sourit-il.
Erwan les accompagna et bientôt, seuls William et Rose se trouvaient dans le grand salon, qui parut enfin silencieux. Rose jeta un œil à son ami et haussa un sourcil dans sa direction.
- Oui ? demanda-t-il innocemment.
- Ta main, pour commencer, souffla-t-elle.
Il ne la retira qu'après un nouveau haussement de sourcil et l'enfonça dans sa poche.
- Ensuite, depuis quand tu parles espagnol ?
- Depuis au moins quatre ans, révéla-t-il.
- Tu ne l'avais jamais mentionné.
- Jamais eu l'occasion, fit-il en haussant les épaules.
- Tu l'as appris pour séduire les jolies Espagnoles dont Idriss rêve tant ?
- Pour ça, confirma-t-il avec un sourire, provoquant un indésirable pincement au ventre de Rose, et aussi pour impressionner les riches héritières anglaises. Ça a marché ?
- Absolument.
Son sourire se fit plus charmeur que jamais.
- Et finalement, qu'a dit la mère d'Olivia à la fin et que tu n'as pas pris la peine de me traduire ?
- Ah ça, ma petite Rose… taquina-t-il. C'est entre elle et moi.
- C'est à moi qu'elle s'adressait, grommela Rose.
- Prends des cours d'espagnol et tu le sauras, lança-t-il avec un sourire joueur.
Elle soupira et abandonna, amusée malgré tout.
- Tu es impossible.
Il eut un petit rire et regarda la pièce vide.
- J'ai hâte de découvrir le reste de votre demeure, ma chère aristocrate. J'espère que je ne me perdrai pas…
- Peu de risques qu'on te perde, tu es facile à trouver.
- Parce que ? demanda-t-il, le regard de nouveau charmeur.
- Parce que tu parles tout le temps, alors il suffira de te suivre à la voix.
Rose lui adressa un clin d'œil et le planta au milieu de la pièce pour retrouver les autres qui étaient toujours sur la terrasse.
- Je vous propose qu'on monte ? Je commence à être vraiment épuisée, leur annonça Rose d'une voix fatiguée.
Elle les mena jusqu'en bas des escaliers.
- Derek, tu peux les amener aux chambres s'il te plait ? Je vais dire bonsoir à mon père.
Elle se mit à sa recherche au rez-de-chaussée, pour le retrouver sur le perron de l'entrée principale, un cigare allumé à la main.
- Rose ! s'exclama-t-il en la voyant.
Il tenta vainement de cacher son cigare mais l'éclat de rire de sa fille l'arrêta dans son geste.
- On va se coucher. Merci pour tout ce que tu as fait.
- Merci d'avoir été si forte, rétorqua-t-il en la serrant contre lui, son cigare finalement éteint et posé sur une marche. Rose, ma chérie, je te promets que ça deviendra plus facile avec le temps.
Il repoussa une mèche de son visage et lui sourit tendrement. Elle poussa un tout petit soupir.
- J'ai l'impression… d'être trop joyeuse pour les circonstances. Je culpabilise de rire.
- C'est normal. Moi aussi c'était la même chose, quand mes parents sont décédés. J'étais persuadé que je n'avais plus le droit d'être heureux. Mais c'est faux. On peut, on doit être à nouveau heureux. Ça peut paraitre impossible, ou mal, mais ça ne l'est absolument pas. C'est normal.
Un silence confortable s'installa entre eux alors qu'ils regardaient le ciel.
- Je serai toujours là pour toi, tu le sais n'est-ce pas ? murmura enfin Erwan. J'ai commis des erreurs dans notre passé. Je ne pourrai jamais les effacer, mais ce qui est certain, c'est que je ne les referai pas dans notre futur.
- Je sais Père, souffla Rose, émue à nouveau.
Il l'embrassa sur le front.
- Allez, va rejoindre tes amis. Les chambres ont été préparées comme la dernière fois, avec quatre supplémentaires. Je vous laisse vous débrouiller d'accord ?
- Merci. Bonne nuit.
- Bonne nuit ma chérie.
Elle le regarda reprendre son cigare et lui adresser une mimique un peu coupable auquel elle répondit par un sourire amusé, puis elle rentra dans le Manoir.
- Mais… qu'est-ce que c'est que ce bordel ?! s'exclama Rose en entrant dans sa chambre.
- Ah, te voilà ! s'écria Michael.
- On a tout installé en t'attendant ! déclara fièrement Terry.
- Encore une noble qui ne fait rien de ses dix doigts quoi… geignit Mandy.
- Elle peut pas, elle sait rien faire ! termina Idriss.
Rose leva les mains pour les faire taire et désigna la capharnaüm qui régnait dans sa chambre, puis sembla se résigner.
- J'en déduis que tout le monde dort dans ma chambre ?
- Elle ne sait rien faire, mais heureusement : elle comprend vite, s'amusa Padma.
- Très drôle, maugréa l'intéressée en enjambant un matelas.
Elle compta donc six matelas disposés sans ordre ni logique sur le parquet de la chambre et sourit.
- Qui dort avec qui ? s'enquit-elle finalement. Lisa avec Anthony… Derek avec Terry…
- Mandy avec Padma, dit Nassim en poussant un soupir dramatique. Moi qui avais tant espéré…
Les deux filles levèrent les yeux au ciel.
- Nassim et moi, donc, sourit Idriss. William et Marc…
- Et moi je suis tout seul ! se plaignit Michael. Sauf si Rose me laisse la rejoindre dans son lit.
Les rires des autres à son clin d'œil faussement suggestif couvrirent un « non » grogné pas loin de Rose.
- Vous n'étiez pas obligés de vous mettre par deux, contra Rose, les joues colorées. Il y avait la place pour plus de couchages…
- Tu as vu la taille de ces matelas ? J'ai peur de perdre Marc cette nuit et de ne jamais le retrouver !
Rose se mit à rire.
- Les garçons, est-ce que je peux vous demander d'utiliser les salles de bains qui avaient été prévues pour vous s'il vous plait ?
- Évidemment, les filles ont la meilleure salle de bains…
- Elle est où ? s'enquit William en fronçant les sourcils.
- La nôtre, ici, dit Rose en pointant la porte la plus proche de la fenêtre. Les vôtres, dans les chambres d'amis. Suis les autres, ils connaissent le chemin.
La chambre se vida de ses occupants masculins et les quatre filles passèrent tour à tour dans la grande salle de bains pour se préparer pour la nuit. Lorsqu'elles furent prêtes, Rose entrouvrit la porte de la chambre et laissa les garçons rentrer. Elle s'installa en tailleur sur son lit, couvrant ses jambes de son drap et secoua la tête en regardant ses amis se répartir sur les matelas à ses pieds. Puis elle lança un clin d'œil à Idriss.
- Première étape de mon plan pour vous avoir nus et à ma merci validée.
- J'en étais sûr ! s'écria-t-il en se laissant tomber contre le matelas. Nassim, protège-moi cette nuit.
- De Rose ? Certainement pas, débrouille-toi tout seul.
- Et pourquoi pas ?
- Trop féroce, conclut son cousin en s'allongeant à son tour.
- Idriss, tiens. Un visiteur, s'amusa Rose.
Kietel sautilla de matelas en matelas pour se poser sur le torse de son ami, qui se mit aussitôt à jouer avec lui. Puis Idriss jeta un coup d'œil soupçonneux à Rose.
- Il fait partie de ton plan n'est-ce pas ?
- Je ne vois absolument pas de quoi tu veux parler, se défendit Rose.
- Fourbe, marmonna-t-il tout en jouant avec le Boursouf.
Ils avaient à peine éteint les lumières après plusieurs minutes à discuter qu'une silhouette familière grimpa sur le lit de Rose, assez discrètement vu son gabarit. Rose se blottit contre lui et ils parlèrent à voix très basse, se berçant mutuellement jusqu'à s'endormir.
Les douze adolescents dormaient encore quand Amalie frappa nerveusement à la porte du bureau de son patron.
- Entrez, Amalie.
- Monsieur, je suis vraiment désolée…
Son air affolé fit hausser le sourcil du patriarche.
- Les chambres d'amis sont vides, souffla-t-elle.
- Et celle de Rose ? demanda-t-il en contournant aussitôt son bureau.
- Je n'ai pas vérifié, Monsieur, j'ai…
- Suivez-moi.
Il sortit à la hâte de son bureau, sa baguette à la main, et monta au deuxième étage à toute vitesse. Il ne prit pas la peine de toquer à la porte et ouvrit brutalement, pointant sa baguette vers le plafond. La lumière qui se diffusa dans la pièce lui fit pousser un soupir soulagé.
- Ils sont tous là, dit-il calmement. Et Rose…
Il recompta rapidement et arriva à onze humains avant de voir une longue forme allongée au pied du lit de Rose, qui releva la tête en entendant sa voix. Onze humains et une panthère, donc. Il secoua la tête et s'autorisa un petit sourire alors que l'animal se laissait tomber du lit en souplesse avant de s'étirer et de le rejoindre sur le seuil. Amusée autant que son père, la panthère s'assit et regarda le spectacle qui s'étalait devant ses yeux. Tout le monde ou presque avait bougé pendant la nuit et la chambre était sens dessus dessous. Si Lisa et Anthony étaient sagement enlacés là où ils s'étaient endormis, Derek et Terry étaient eux dans le lit de Rose ; Michael bénéficiait toujours de son propre matelas, tout comme Padma… les yeux verts trouvèrent Mandy installée entre Nassim et Idriss, qui lui débordait sur un second matelas qu'ils avaient collé au premier. Marc se trouvait de l'autre côté, presque sur le parquet, si loin d'Idriss qu'on aurait pu y mettre une troisième personne. William était seul également.
- Vous en avez mis un bazar, résuma son père en passant ses doigts sur la tête velue de sa fille, qui ronronna brièvement. Allez Amalie, laissons-les pour le moment.
Il referma la porte derrière lui après un sourire à la panthère qui remua les moustaches. Si elle ne savait pas à quel moment Mandy avait changé de matelas, elle se souvenait d'avoir senti Terry grimper sur le lit. Puis la chaleur qu'ils créaient tous les trois l'avait étouffée et elle s'était doucement levée pour aller ouvrir la grande fenêtre. Malgré sa discrétion, quelqu'un s'était retourné sur son matelas et avait murmuré :
- Rose…
Elle lui avait lancé un regard pénétrant sans être sûre qu'il l'ait vu. Bientôt une silhouette s'était levée et avait enjambé ses camarades pour la rejoindre près de la fenêtre, dont elle avait repoussé les rideaux pour profiter de l'air frais. Cette fois il avait été plus facile de distinguer ses traits, sur lesquels elle avait lu de l'inquiétude.
- Ça va ?
- Mais oui, avait-t-elle répliqué sur le même ton très bas. J'ai super chaud, c'est tout.
- Moi aussi. Marc bouge trop en plus, ça m'empêche de dormir.
- Même si le matelas est immense ?
Il avait eu un petit sourire et opiné. Rose avait pointé le matelas abandonné par Derek et Terry, plus près de la fenêtre.
- Mets-toi là, avait-elle proposé. Tu bénéficieras du courant d'air en plus.
- Riche idée, avait-il baillé.
Rose lui avait souri puis avait considéré son propre lit en penchant la tête sur le côté. Il avait souri en voyant le couple installé dedans.
- Virée de ton propre lit, s'était-t-il désolé avec humour.
- Virée ? Mais non. C'est pas la première fois que ça nous arrive…
- De dormir tous les trois ?
Elle avait confirmé d'un hochement de tête, amusée par sa perplexité.
- Ah mais oui, s'était-il rappelé soudainement. Le lendemain de mon anniversaire, vous étiez empilés sur un canapé.
- Entre autres, lui sourit-elle.
Puis elle s'était étirée, avait fait un clin d'œil dans sa direction, et un plop avait retenti dans la pièce silencieuse. La panthère avait bondi sur le lit, pour s'installer à son pied, étalée de tout son long. Un petit rire lui était parvenu et ses yeux verts avaient observé quelques instants William s'allonger à son tour.
- La logique voudrait qu'on reste deux par lit, mais bon… avait-il osé murmurer.
La tête de la panthère avait recompté les matelas et leurs occupants, puis désigné celui où se trouvait Michael, profondément endormi. Il avait soupiré et lui avait accordé cette victoire, sans la quitter des yeux. Ni l'un ni l'autre n'avait semblé prêt à se rendormir et ils s'étaient observés en silence. Puis Derek avait bougé et poussé l'animal du pied, sans le vouloir, ce qui lui avait fait tourner la tête avant de se décaler pour éviter de reprendre un nouveau coup.
- Tu vois, avait-il ronchonné doucement.
La panthère avait poussé un petit grognement bas, puis elle s'était laissé glisser du lit à baldaquin. Ses pas l'avaient menée au bord du matelas où il était allongé. Elle avait hésité un instant, penché la tête sur le côté, puis avait posé une patte vers lui. Il s'était décalé pour lui laisser plus de place, muet, ses yeux bleus rivés sur elle. Et l'animal s'était finalement couché à ses côtés.
William lui avait lancé un grand sourire, à la fois charmeur et satisfait et avait posé sa main sur elle. Sa longue queue avait fouetté l'air une fois, il s'était aussitôt reculé. Un nouveau grondement bas et la panthère s'était rapprochée lentement, pour se coller contre lui. Le souffle de William lui avait agréablement chatouillé la tête, qu'elle avait posée sur son épaule. Cette fois, elle n'avait pas protesté quand les doigts s'étaient perdus dans sa fourrure. Ils avaient fermé les yeux quasiment en même temps, bercés par son ronronnement instinctif.
Juste quelques minutes.
Lorsque la panthère s'était réveillée, il faisait presque jour. Elle avait mis quelques instants à se souvenir où elle était couchée, puis à se rendre compte que le torse sur lequel sa tête reposait n'était pas celui de Derek. William était couché en travers du matelas, son bras refermé autour d'elle, profondément endormi. Elle s'était doucement dégagée, sans le déranger, puis était remontée sur son lit, où elle s'était roulée en boule, tournée vers Derek et Terry.
La panthère revint au présent et se leva, bien décidée à réveiller gentiment tout le monde. Elle se mit à trottiner dans la pièce, marchant sans gêne sur les matelas pour les secouer, poussant une jambe, un bras. Elle fit rouler Kietel du bout de la patte pour l'inciter à l'aider, ce qu'il fit avec une joie évidente, sautant de visage en visage en couinant. Le félin alla frotter son museau contre le visage de Derek, qui finit par maugréer :
- Oui, oui, mon chat, j'arrive.
- Mais quelle emm…
La phrase de Nassim fut interrompue par Mandy qui lui mit un petit coup de pied.
- Aucune loyauté, protesta-t-il.
La blonde se leva la première et rejoignit très naturellement Padma alors que le reste de leurs amis étaient encore embrumés par le sommeil. Elle jeta un œil à la panthère qui la regardait faire et lui fit un petit sourire embarrassé. Elle tourna la tête, comme si de rien n'était, puis passa à côté de William sans s'arrêter. Enfin, ça, c'était son intention, qui vola en éclats lorsqu'une main s'enroula autour de sa patte arrière et l'empêcha de s'éloigner. Il tira dessus et elle fit un mouvement pour se dégager qu'elle arrêta bien vite. Elle n'avait pas envie de lui faire mal et elle préféra se tourner vers William et plonger ses yeux dans les siens.
- Où tu vas comme ça, marmonna-t-il, encore à moitié endormi. Reste encore.
Les yeux verts s'étaient agrandis et elle avait secoué la tête pour qu'il se taise. Faites qu'il se taise. À son grand soulagement, il sembla comprendre le message et sa voix mourut sans que les autres n'aient entendu. William sembla se réveiller complètement lorsque Marc l'interpella :
- Ben alors, tu découches ?!
Tout le monde se mit à rire, puis s'étira, bailla, se levant petit à petit. William s'assit tranquillement, relâchant la patte de l'animal qui recula rapidement.
- Tu gigotes trop mon gars ! Pour ma survie, j'ai été obligé de quitter le matelas conjugal !
- Je sais pas qui a ouvert la fenêtre cette nuit, mais c'était une idée de génie, félicita Anthony.
- C'est moi, répondit doucement Rose en ouvrant la porte de la salle de bains. Prenez votre temps pour vous préparer, le petit-déjeuner sera servi dans la salle à manger je pense. Ou dehors si vous préférez, il suffira de demander.
Elle s'isola dans la salle d'eau et ouvrit le robinet de la douche. Son pyjama termina en boule dans le panier à linge et elle laissa l'eau la mouiller complètement avant de se décider à se savonner. Son cerveau s'était soudainement vidé pour se remplir d'une seule information : Olivia était morte. Elle l'avait enterrée hier.
Des larmes coulèrent sur son visage et disparurent sous le jet tiède. Elle laissa sa crise de larmes passer et ne sortit de la douche qu'une fois suffisamment calmée. Elle se sécha et passa la tête par la porte. Il y avait encore presque tout le monde.
- Les filles, j'ai fini si vous voulez. Je vais dans le dressing, vous pouvez investir la salle de bains.
Dans le dressing communiquant, elle se laissa le temps de réfléchir à quoi porter. Puis elle se décida pour une nouvelle robe longue, plus légère et moins formelle que celle de la veille, mais toujours noire. Son père lui avait dit quelques jours plus tôt qu'elle n'était pas obligée de respecter cette vieille tradition de porter du noir lorsqu'on était en deuil, mais elle en avait envie, sans trop savoir pourquoi. De toute façon, aucune couleur ne l'attirait pour le moment, alors… elle chaussa des sandales plates en cuir et repoussa une mèche de cheveux qui s'était échappée de son chignon, puis sortit du dressing. Sa chambre avait été vidée de ses occupants, sauf pour Lisa et Padma qui attendaient que Mandy termine sa douche.
- Vous pouvez utiliser les autres salles de bain si vous voulez, dit Rose avec un sourire.
- Pas de problème, on peut attendre.
Rose les écouta papoter en rangeant quelques livres qui étaient restés sur son bureau.
- Tu veux qu'on…
Lisa fit un geste équivoque vers les matelas et le désordre général, mais Rose haussa les épaules.
- Non, non, ce sera géré par Amalie.
- Dis Rose, on se demandait…
- Tu as eu des nouvelles de Blaise ?
- Aucune, répondit-elle brièvement.
Puis elle sourit à ses amies.
- C'est loin, le Mozambique, alors je ne suis pas vraiment étonnée. Je ne sais même pas s'il a reçu ma lettre pour annoncer pour Olivia, termina-t-elle, sa voix baissant à chaque nouveau mot.
Elle se racla la gorge et regarda Mandy quitter la salle de bains et Padma prendre sa place. Elles parlèrent encore de Blaise et de son silence qui ne perturbait pas Rose plus que ça. Elle aurait de ses nouvelles rapidement, elle en était sûre. La voix de Terry s'éleva de derrière la porte.
- Est-ce que je pourrais entrer ? demanda-t-il, incertain.
Rose traversa sa chambre et ouvrit la porte pour lui lancer un sourire.
- Bien sûr que tu peux. Ça va ?
- On est tous prêts, enfin presque. On se demandait… tu voudrais bien nous accompagner en bas ?
Rose haussa un sourcil.
- On n'ose pas débouler dans la salle à manger sans toi, avoua Michael, un sourire en coin.
- On peut attendre les autres peut-être ? suggéra Nassim.
- J'ai faim.
- Ça m'aurait étonné, soupira Anthony. Prends ton mal en patience, il ne manque qu'Idriss, William et…
- Padma et Lisa, termina Rose. Ça va aller vite, t'inquiète.
Derek grommela et entra d'autorité dans la chambre de Rose, l'entrainant avec lui.
- Ça va mon chat ?
Elle haussa les épaules.
- Ça peut aller, chuchota-t-elle. Ça vient par vagues, un moment ça va, l'autre pas du tout… apparemment c'est normal.
Il hocha la tête, ses yeux noirs très sérieux. Puis son regard s'intensifia quelques instants.
- Blaise ?
- Ah tu vas pas t'y mettre.
- Qui ?
- Les filles. Pas de nouvelles… mais il est loin, alors je ne suis pas inquiète… ni vexée.
- Pour le moment…
- Pour le moment !
Un doux rire lui échappa alors qu'ils rompaient leur contact visuel.
- Ben alors les inséparables ! s'exclama une voix. Moi qui pensais que vous seriez morts de faim… Aïe !
Il se frotta l'arrière de la tête et regarda William qui le considérait d'un air sévère. Puis il se retourna vers Rose, du regret et de la gêne dans les yeux.
- Rose, je suis vraiment, vraiment désolé. J'ai parlé sans réfléchir.
- Un vrai Gryffondor, soupira-t-elle en lui tendant le bras. Allez, descendons. Tiens-toi bien.
- Oui madame.
Les douze Serdaigles furent bientôt amassés dans la salle à manger, pas encore dressée.
- Miss ! Toutes mes excuses, je ne savais pas que vous étiez levés, nous n'avons pas encore mis la table !
- Aucune importance, George. Ça vous irait qu'on mange dehors ? demanda Rose autour d'elle. J'ai l'impression qu'il fait déjà assez bon pour ça.
Ils acceptèrent tous et George se précipita aussitôt pour que la table de la terrasse soit prête à les accueillir, aidé par Eulaly.
- Venez, on peut y accéder par la baie vitrée.
Derek s'avança le premier et ouvrit la fenêtre pour que tout le monde sorte, profitant du soleil qui brillait. Ils s'étalèrent autour de la grande table et se laissèrent servir, plus ou moins embarrassés de ne pas avoir à lever le petit doigt. Rose les considérait d'un air amusé.
- Il va falloir vous habituer à vous faire servir… pour fin aout, précisa-t-elle devant leurs mines interrogatives.
Ils continuèrent à manger et Rose écouta leurs conversations, profitant de leur présence auprès d'elle avant de retrouver la solitude du Manoir – même si son père était là, ce n'était pas la même chose que d'avoir ses amis les plus proches dans les parages. Et puis ils étaient tellement habitués à vivre les uns sur les autres pendant l'année scolaire qu'il lui fallait toujours deux ou trois semaines avant de se réhabituer à être seule – enfin, presque seule. Elle s'enquit finalement de savoir quand ils allaient tous partir. À part Derek qui avait prévu de rester jusqu'à la fin de la journée, les autres rentreraient chez eux en début d'après-midi.
- Ça te convient ? demanda Marc.
- Bien sûr, confirma Rose. Vous êtes les bienvenus ici, autant que vous le souhaitez.
- On peut revenir pour le petit-déjeuner, tous les jours ? interrogea Nassim, un sourire aux lèvres et l'air repu.
Des rires lui répondirent et Rose posa son menton sur sa main.
- Quand vous voulez, j'ai dit.
Ils échangèrent des sourires chaleureux et Rose sentit des doigts lui effleurer la jambe. Elle posa ses yeux sur William et lui fit un sourire supplémentaire, une douce chaleur s'épanouissant dans son ventre. Benson fit son apparition sur la terrasse. Rose tourna la tête vers lui et parla la première.
- Benson, savez-vous où est Père ?
- Dans son bureau Miss, il travaille. Il a dit qu'il pourrait vous rejoindre pour le déjeuner.
- Très bien, merci.
Elle commençait à se détourner mais son majordome continua.
- Miss, je venais vous avertir que vous avez un visiteur qui vient d'arriver par Poudre de Cheminette.
Rose haussa un sourcil surpris et se leva.
- Je reviens, glissa-t-elle à ses amis. Prenez votre temps, profitez du soleil et du petit-déjeuner.
Rose suivit Benson à l'intérieur, puis se figea. Dans l'encadrure de la porte du salon, il y avait…
- Blaise.
- Bonjour Rose.
Ils franchirent les quelques mètres qui les séparaient et il lui prit spontanément la main, puis posa un léger baiser sur sa joue.
- Je suis vraiment, vraiment désolé, murmura-t-il.
Elle hocha la tête sans rien dire. Elle n'avait pas eu la sensation de soulagement à laquelle elle se serait attendue en le voyant chez elle. À dire vrai, elle se sentit soudainement surtout… vide. Mais ce n'était certainement pas la faute de Blaise, après tout, plutôt celle à ces « désolé » que tout le monde lui répétait en boucle depuis le décès d'Olivia. Mais c'était une chose normale à dire, elle s'en rendait bien compte. Alors elle redressa la tête et lui fit un petit sourire.
- Merci d'être là.
- J'aurais aimé arriver avant, mais le temps de recevoir ton courrier…
- C'est pas grave, assura-t-elle avec sincérité.
Il eut tout de même une moue et ses yeux sombres sondèrent Rose.
- Tu aurais vraiment dû m'écrire plus tôt, reprocha-t-il de sa voix grave. Tu sais que j'étais loin et…
- Non mais t'es sérieux toi, grogna une voix près de la baie vitrée.
Blaise redressa la tête et considéra le nouveau venu avant de reposer un regard intense sur Rose.
- Qu'est-ce qu'il fiche ici ? interrogea-t-il brutalement en lâchant sa main.
- Je suis venu pour l'enterrement d'Olivia, comme le reste de ses amis, rétorqua William en faisant quelques pas dans la pièce.
Les deux garçons se fusillèrent du regard, chacun à un bout du salon.
- Et toi quand tu viens pour des funérailles, tu restes toute la nuit ? continua Blaise d'un ton acerbe.
Son regard furieux retomba sur Rose, qui expliqua d'un ton apaisant :
- Tout le monde a passé la nuit ici, Blaise.
- Vous ne savez rien faire les uns sans les autres, hein ?
- Et ça te gêne parce que ? gronda William.
- Je peux savoir exactement pourquoi tu interfères dans ma conversation avec Rose ?
- Parce que tu es un gros abruti, voilà pourquoi.
Blaise eut sa mimique la plus condescendante.
- Oh mais je t'en prie, éclaire-moi de tes lumières.
Rose serra les dents, agacée qu'ils discutent comme si elle n'était pas là. William croisa les bras.
- C'est vraiment tout ce que tu as à lui dire alors qu'elle vient de perdre sa mère ? Qu'elle aurait dû t'écrire plus tôt ? À quel point tu es égoïste au juste ?
- De quoi tu te mêles toi ? Je suis venu dès que possible, puisque ça t'intéresse.
- Pas assez rapidement apparemment, siffla William.
- Mais je vois que toi, tu accours toujours dès qu'elle claque des doigts ! Un vrai chien obéissant !
- Blaise, ça suffit !
Rose était scandalisée par son vocabulaire insultant et injuste, tout comme la soudaine haine que William manifestait envers Blaise. William poussa un nouveau grognement et s'approcha de Blaise, dépassant les canapés pour se planter devant lui.
- Tu espères toujours qu'elle te tombe dans les bras en trébuchant sur toi si tu restes dans ses pattes ? railla Blaise.
- Méfie-toi de ce que tu dis, menaça William en sortant sa baguette.
- Oh mais vas-y, rétorqua Blaise en dégainant la sienne. Tu expliqueras aux juges pourquoi tu as attaqué un mineur, on va bien se marrer.
William jeta sa baguette sur la table basse sans quitter Blaise des yeux et contracta les muscles de ses bras.
- Si tu crois que j'ai besoin de magie pour te décalquer, tu te trompes.
- William ! protesta Rose, mais autant hurler face au vent.
Ils l'ignoraient complètement.
- J'aimerais bien voir ça, cracha Blaise avec dédain.
- Arrêtez maintenant ! s'écria à nouveau Rose en se plantant à quelques centimètres d'eux, poussée à bout par leur démonstration de virilité.
Elle avisa Derek et les autres qui avaient passé la tête dans le salon, attirés par les éclats de voix. Excédée, Rose posa les mains sur leurs bras pour les inciter à s'éloigner l'un de l'autre. William esquissa un pas en arrière, alors que Blaise la repoussait d'un mouvement du bras sans la regarder.
- Te mêle pas de ça.
Il la poussa suffisamment fort pour la faire reculer. Elle n'eut pas le temps de manifester sa surprise qu'elle se prit le pied dans un meuble et trébucha, pour finalement tomber à la renverse, poussant un petit cri de stupeur.
Plusieurs choses se déroulèrent en même temps sous ses yeux hébétés : Derek fut près d'elle dans la seconde, l'air furieux ; Amalie et les deux elfes de maison l'entourèrent, faisant rempart entre elle et les deux garçons ; et surtout, un bruit sourd avait retenti dans la pièce, arrachant des cris abasourdis à tout le monde. La seconde d'après, Blaise tenait son nez qui saignait abondamment. Mais il ne parut pas perturbé et avança vers William, qui bandait de nouveau les muscles, prêt à frapper encore.
- William, non ! s'écria Rose en se remettant debout avec l'aide de Derek.
Sa voix sembla l'atteindre car il se figea, sans se détendre toutefois.
- Tu la mérites pas, assena-t-il à Blaise avec acidité.
- Et toi, tu as perdu depuis longtemps, rétorqua-t-il, s'essuyant le nez du revers de sa manche. Il serait temps de lâcher l'affaire !
- Blaise, arrête !
Rose était de plus en plus estomaquée par leur comportement et entama un geste pour qu'Amalie et les elfes de maison se poussent de son chemin.
- Ça suffit ! tonna une voix rageuse.
Un éclair de lumière rouge s'interposa entre les deux garçons et les fit reculer, les éloignant enfin l'un de l'autre. Erwan se tenait dans l'encadrure de la porte, clairement hors de lui, la baguette levée.
- Père ! fit Rose en vain, car il ne tourna pas la tête vers elle.
Il fit quelques pas dans la direction des garçons, un feu brulant dans ses yeux marron.
- Père !
La baguette menaçait toujours Blaise et William, qui se jetaient des regards haineux tout en surveillant Erwan. Excédée, Rose fit un pas en avant et grimaça à la douleur dans sa cheville.
- Papa ! s'écria-t-elle finalement.
Il tourna la tête vers elle et la considéra. Elle avait une moue douloureuse sur le visage, était soutenue à la taille par Derek, ses yeux brillaient de colère. Le visage d'Erwan se ferma un peu plus et il se tourna de nouveau vers Blaise et William, qui se fusillaient toujours du regard. Sa voix froide et dure résonna dangereusement dans la pièce.
- Notre famille vient de perdre l'un de ses membres et aucune manifestation de ce genre ne sera tolérée ici. Ma fille vient d'enterrer la personne qui l'a élevée et aimée toute sa vie et toute personne qui se permettrait de perturber son deuil se verra contrainte de quitter le domaine dans l'instant. Est-ce que je suis clair ?
Les traits furibonds d'Erwan firent enfin baisser les yeux à tout le monde. Un geste du maitre de maison et les domestiques s'écartaient de Rose.
- À vos postes, leur indiqua calmement Erwan après un hochement de tête raide.
- Bien Monsieur.
Les elfes disparurent et Amalie recula sans quitter la pièce.
- Tu t'es fait mal, constata son père avec inquiétude.
- C'est pas grave, rassura-t-elle d'un geste de la main.
- C'est cet imbécile qui l'a…
- Tais-toi, lança sèchement Rose en le vrillant de ses yeux furibonds. Tu en as assez fait.
À son étonnement, il ferma la bouche. Une fois le choc passé, sa colère avait commencé à monter dangereusement en elle et elle serrait les poings. Elle le regarda encore durement, ses prunelles vertes étincelant de colère et fit un geste vers la baie vitrée.
- Va prendre l'air.
Son ton abrupt n'avait rien à envier à celui de son père, bien qu'elle parle moins fort. William ramassa sa baguette et lui lança un bref regard avant de disparaitre. Elle secoua la tête, ne sachant même plus quoi lui dire, puis elle se tourna vers Blaise, les yeux assombris par la fureur.
- Ne te réjouis pas trop vite, articula-t-elle, faisant disparaitre le sourire suffisant qu'il avait affiché en voyant William se faire congédier.
Elle avait envie de le gifler et serra les dents, puis fit un geste vers son nez et le sang qui avait coulé.
- Que quelqu'un s'en occupe s'il vous plait, ordonna-t-elle avec calme.
Elle attendit patiemment tout en considérant sérieusement Blaise, les bras croisés, appuyée sur sa jambe droite pour soulager sa cheville.
Toutes leurs disputes lui revinrent en tête, tous ces moments gâchés par sa jalousie à lui, son incapacité à oublier William à elle, et tout le reste. Une décision s'imposa soudainement à elle.
Cela faisait quelques semaines qu'elle aurait dû le faire, mais elle ne le voulait pas vraiment, ou tout simplement, n'en avait pas le courage. Cependant, après une telle scène, difficile d'ignorer que Blaise et elle, ce n'était plus une si bonne idée que ça. Son père avait entièrement raison sur un point : il était hors de question qu'elle tolère un homme qui se permettait de causer un tel esclandre dans son foyer, juste après le décès d'Olivia par-dessus le marché.
Et si elle était totalement honnête avec elle-même, elle n'entrevoyait pas de futur avec lui. Elle n'arrivait même pas à se projeter à la rentrée de septembre en étant toujours sa petite-amie. Pour le moment, tout ce qu'elle voulait, c'était faire le deuil de Nanny et rester entourée de ses amis. Elle n'avait ni l'envie, ni la patience pour tout le drame que son couple avec Blaise semblait être capable de générer. Elle laissa un employé manipuler délicatement sa cheville et soulager sa douleur. Lorsqu'elle put enfin poser le pied correctement, elle fit un geste à Blaise.
- Suis-moi, exigea-t-elle, se dirigeant dans le hall du rez-de-chaussée.
Elle manqua le froncement de sourcils de son père et le signe qu'il fit à Amalie. Elle ne regarda même pas si Blaise la suivait, et entra dans une pièce bien avant lui, laissant la porte entrebâillée.
- Laisse ouvert. Amalie est derrière toi.
- Pardonnez-moi, Miss.
Rose haussa les épaules, pas perturbée par sa présence. Elle ferma la porte et fit un geste vers les rideaux, que la femme de chambre s'empressa d'ouvrir. La lumière inonda la pièce, révélant une grande salle de jeux pour enfant. Rose y jeta un œil, ignorant le pincement de nostalgie en voyant le petit coin réservé aux classes qu'elle prenait avec des professeurs particuliers, ou encore celui avec un petit lit, où elle faisait la sieste quand elle était enfant. Elle ne proposa pas à Blaise de s'asseoir et se contenta de lui faire face, notant qu'Amalie se trouvait dans un coin, se faisant discrète, sa baguette à la main.
- Rose, pardonne-moi de t'avoir…
- Je te remercie d'être venu pour Olivia, coupa-t-elle d'une voix formelle. Je ne t'en veux absolument pas d'être arrivé après l'enterrement, je suis bien consciente que mon courrier a dû mettre plus de temps à arriver au Mozambique qu'à Londres.
Il commença à ouvrir la bouche mais fut interrompu par un doigt qui se levait.
- Ceci dit, je suis d'accord avec mon père. Ta scène avec William était ridicule et n'avait pas sa place chez moi. Ce n'est pas l'endroit, et certainement pas le moment, de faire des démonstrations de virilité.
- Rose, je suis désolé, vraiment… de le voir ici, je sais pas ce qui m'a pris…
- Garde tes excuses, rétorqua-t-elle sèchement. C'est un peu tard pour ça maintenant que tu as troublé le calme et le deuil de ma demeure.
Rose voyait l'agacement grandissant dans les traits de Blaise, mais elle l'ignora.
- Si au début je trouvais tes réactions de jalousie envers William assez amusantes, depuis plusieurs semaines, ça ne m'amuse plus du tout. Elles sont excessives et injustifiées. Et je ne te parle même pas des fois où tu m'as demandé de couper les ponts avec lui parce que tu n'as pas confiance. Je n'ai toujours pas entièrement compris pourquoi d'ailleurs, mais ça n'a aucune importance.
- Peut-être laisse-moi parler ?
Son ton assez peu aimable la força à réprimer un grognement irrité, et son deuxième battement de cœur faillit écraser le premier. Elle serra un peu plus les poings, respira lentement.
- Je t'écoute.
- C'est pas en toi que j'ai pas confiance. C'est en lui. Je sais qu'il te tourne constamment autour et qu'il n'attend qu'une chose.
- Qui est ? demanda Rose froidement.
- Que tu tombes dans ses filets.
- Ses filets, vraiment ? Tu me prends pour quoi, un Boullu ?
Il haussa les épaules avec humeur.
- Ou alors pour une fille parfaitement niaise, incapable de faire la part de choses. Tu crois vraiment que je ne sais pas que je plais à William ?
- Donc tu le savais.
- Évidemment, il me l'a dit l'an dernier. Comme toi tu l'as fait, au bal du Tournoi.
- Mais tu m'as choisi, bougonna Blaise.
Rose fronça les sourcils, faisant une fois de plus l'impasse sur la vérité.
- Oui, justement. Ça devrait te suffire. Ça aurait dû te suffire, corrigea-t-elle en baissant la voix.
- Ça aurait dû ? répéta-t-il.
- Parce que ce n'est pas le cas, n'est-ce pas ? C'est même à cause de ça qu'on passe la moitié de notre temps à se prendre la tête.
Elle eut une moue avant de poursuivre.
- Même si l'autre moitié est très agréable… ça ne me convient plus, assena-t-elle.
Blaise analysa son visage quelques secondes.
- Moi non plus je n'aime pas quand on se dispute. Je préfère quand on…
- Et ce sont les deux seules possibilités ? Les engueulades ou le sexe ?
- Non, mais…
- Mais c'est tout ce qu'on fait, depuis février, acheva-t-elle à sa place.
- Qu'est-ce que tu essaies de me dire ? questionna-t-il finalement en croisant les bras.
- Qu'il faut qu'on arrête.
- De s'engueuler, oui, on va…
- Non. Qu'on arrête, nous deux.
Oh c'est horrible de faire ça à quelqu'un. Comment William a pu me faire ça en février ?!
- Tu veux encore faire une pause ?
- Tu le fais exprès ? demanda sincèrement Rose en levant un sourcil. Je veux qu'on arrête définitivement.
Il eut un mouvement de recul, marquant sa surprise.
- Tu es… en train de rompre avec moi ?
- Je crois, oui, confirma-t-elle en contrôlant sa voix pour ne pas être trop sèche.
Il y eut un silence qu'ils laissèrent s'étirer, sans se quitter des yeux. Puis…
- C'est à cause de lui, c'est ça ?
- Oh par Merlin, tu m'exaspères ! s'écria Rose. C'est pas possible d'être borné à ce point !
- Non, ok, c'est pas à cause de lui…
- Si, dans le fond, si.
Il s'immobilisa.
- Puisque tu n'arrives pas à passer à autre chose et que tu es convaincu que je vais lui tomber dans les bras d'un moment à l'autre, ça a partiellement tout gâché, articula lentement Rose.
Blaise eut une grimace courroucée, sa mâchoire se contracta pour la vingtième fois au moins. Rose se rendit compte que ce mouvement ne lui faisait plus du tout le même effet qu'avant. Là, elle avait juste envie de lui sauter à la gorge, comme le lui soufflait son côté animal qui n'attendait que de faire une apparition. Elle se racla la gorge et plongea ses yeux dans les siens.
- Tu n'as rien à dire ?
- Je sais pas quoi te dire, Rose. Je pensais qu'après notre après-midi à Poudlard, tout allait bien…
La sensation étrange qui l'avait étreinte ce jour-là refit une apparition. Elle mit enfin le doigt sur ce qui n'allait pas.
- Moi aussi. Mais je me rends compte maintenant du problème. Au lieu de parler de notre dispute et de notre décision de faire une pause, on s'est jetés l'un sur l'autre.
- Et ? Je pensais que c'était notre réconciliation.
- Je ne vois pas comment ça aurait pu fonctionner sur le long terme, cette technique, pesta Rose. Très agréable, certes, mais pas viable dans le temps.
- Et pourquoi pas ?
- Mais Blaise, on ne règle pas ses problèmes de couple avec du sexe ! protesta-t-elle. Surtout pas pour régler une altercation comme celle de l'autre fois !
Il maugréa sans vraiment répondre et regarda le haut plafond et ses moulures avant de revenir sur Rose.
- Qu'est-ce que tu dis ?
- Que tu en avais autant envie que moi.
- Bien sûr, je ne le nie pas. Mais je voulais aussi qu'on échange pour dénouer nos problèmes, ce qu'on a jamais fait.
Elle réfléchit un instant avant de continuer.
- Et tu sais quoi ? Je crois que dans le fond, je n'en avais pas envie.
- Qu'on… s'étrangla-t-il.
- Mais non, pas ça, contra-t-elle aussitôt. De parler, de vraiment parler. Alors j'admets que je n'ai pas insisté non plus. Et que je t'ai plus ou moins esquivé pour le restant de la semaine.
Voilà, ça faisait du bien de l'avouer, à lui comme à elle-même.
- Ah d'accord.
- Parce que toi non, peut-être ?
- Peut-être, dit-il en haussant les épaules.
- Merci.
Puis Rose expira lentement en regardant vaguement par la fenêtre.
- J'ai aimé passer tout ce temps avec toi, reprit-elle d'une voix adoucie. Nous deux, ça peut juste pas marcher comme on le pensait.
Il hocha la tête et décroisa les bras. Un long silence s'installa, pendant lequel ils se regardèrent à de nombreuses reprises. Rose finit même par lui sourire faiblement.
- Amalie, allez prévenir Benson que quelqu'un va partir par Poudre de Cheminette, je vous prie.
- Bien Miss.
Ils restèrent seuls quelques instants, avant que des coups ne soient frappés à la porte.
- Miss ?
- Benson, pourriez-vous raccompagner Blaise à la cheminée de transport s'il vous plait ?
- Monsieur, s'il vous plait…
Benson fit un geste vers le couloir. Blaise regarda Rose encore une fois.
- Au revoir, Rose.
- Au revoir, Blaise.
Et il quitta la pièce.
Rose observa le jardin par la fenêtre, respirant régulièrement, ses deux battements de cœur cohabitant en paix maintenant que Blaise était parti. Elle se sentait… soulagée. Atrocement soulagée. Elle ne pleura pas, mais peut-être était-ce parce qu'elle n'avait plus de larmes à verser pour quelqu'un d'autre qu'Olivia.
- Mon chat ?
- Viens.
Elle lui tendit la main et l'étreignit quand il l'eut rejointe.
- Il est parti ?
- C'est terminé. Blaise et moi, c'est fini, clarifia-t-elle.
Derek la considéra sans parler.
- Il était temps, hein ? fit-elle doucement. J'ai mis des semaines à m'avouer qu'il fallait que ça s'arrête.
- Tu as fait comme ça te paraissait le mieux, temporisa-t-il.
- Tu es trop gentil, taquina-t-elle. Ça va tout le monde ? Père est calmé ?
- Il est très calme. Il discute avec tout le monde sur la terrasse. Mais il ignore complètement William, qui est vraiment mortifié. Il ne parle même pas.
- C'est mérité, estima Rose.
Elle soupira.
- J'ai pas envie de me prendre la tête avec lui par-dessus le marché… mais je suis tellement en colère contre lui, ragea-t-elle.
- Il faudra au moins lui dire ce que tu penses de son petit spectacle de tout à l'heure, confirma Derek.
Il réfléchit un instant.
- À mon avis, ton père va l'ignorer tant qu'il ne saura pas quelle est ta décision concernant William. Si tu es fâchée, je pense qu'il va le jeter dehors.
Rose esquissa un sourire, attendrie par son père.
- Tu l'as appelé Papa, chuchota Derek.
- Ah, tu as remarqué ? C'est sorti tout seul, sous le coup de l'émotion j'imagine. J'espère qu'il ne m'en veut pas… je ne l'ai pas appelé comme ça depuis mes quatre ans, ou quelque chose comme ça.
- Faudra lui demander.
- Par Circée, je passe mon temps à discuter avec des hommes en ce moment. Vous m'épuisez.
- Même moi ?!
Elle le considéra sévèrement, mais son masque froid tomba en une seconde sous les yeux noirs qu'elle aimait tant.
- Non, toi, jamais, rassura-t-elle en se blottissant dans ses bras.
Une petite voix finit par les interrompre.
- Miss, je vous présente mes excuses, mais Monsieur votre père s'inquiète de savoir si tout va bien…
- Tout va bien, Amalie. On rejoint les autres ?
- C'est parti, confirma Derek en tendant le bras à Rose pour qu'elle y glisse le sien avant de traverser la maison.
En la voyant arriver dans le salon où il se trouvait maintenant, son père cessa de tourner en rond et considéra sa fille. À son regard préoccupé, elle répondit par un sourire et murmura :
- Tout va bien, Père. Blaise est parti, et je vais bien.
Il opina, lui pressa l'épaule et dit :
- William semble être calmé. Si tu souhaites qu'il parte, tu n'as qu'à faire un signe à Benson, d'accord ?
- Oui, fit-elle. Désolée pour tout ce drame, vraiment. Je ne savais pas que Blaise allait venir, ni qu'ils allaient se comporter ainsi.
- Tu n'es pas responsable de leur comportement, assura tranquillement son père. Je vous laisse.
Rose et Derek firent quelques pas sur la terrasse. Leurs amis étaient à nouveau assis autour de la grande table. Elle se laissa tomber sur une chaise et tourna la tête vers le soleil une seconde ou deux.
- Je vous présente toutes mes excuses, commença-t-elle directement.
Elle balaya leurs protestations de la main et observa tous ses amis.
- Je vous suis infiniment reconnaissante de ce que vous avez fait, venir tous ici pour Olivia, vous savez ?
Sa voix émue déclencha quelques exclamations. Padma lui pressa la main et Derek l'enlaça. Ils échangèrent tous des sourires. Le visage de Rose redevint sérieux quand Lisa la regarda.
- Parlons-en, soupira-t-elle.
- Blaise ? demanda timidement Terry.
- Il est parti il y a quelques minutes. Je lui ai dit ce que je pensais de son comportement.
Elle transperça William de ses yeux verts et se corrigea.
- De votre comportement, qui était inadmissible.
Puis elle détourna le regard pour se focaliser sur les autres.
- Qu'est-ce qu'il a dit ? voulut savoir Mandy.
- Pas grand-chose, éluda-t-elle. C'est surtout moi qui ai parlé, de ça et du reste…
Quelques regards entendus furent échangés parmi les cinquièmes.
- Quel reste ? osa finalement demander Marc d'une voix douce.
- Blaise et moi, on se disputait… beaucoup, expliqua Rose, les lèvres pincées. Ça ne pouvait plus durer, c'était trop épuisant.
- C'était ? murmura Michael.
Rose hocha lentement la tête.
- On a rompu.
Le dire à voix haute, encore une fois, lui fit une sensation bizarre, sans qu'elle ne détermine si c'était positif ou négatif. Ce dont elle était sûre, c'est qu'elle ne couperait pas à une conversation avec William. Elle avait envie d'entendre ce qu'il pourrait bien dire pour se justifier, ou du moins, elle avait besoin de l'entendre s'excuser. S'il n'en était pas capable, c'en serait terminé de leur amitié. Elle força un sourire sur ses lèvres, qui devint vite sincère devant la compassion affichée par ses amis.
- C'est mieux comme ça, vraiment, assura-t-elle. Bon… ça vous dirait une promenade dans le parc ? pour nous remettre de nos émotions ?
- Et après, on mange, annonça Derek.
Les rires qui fusèrent allégèrent la tension et Rose guida ses amis dans le domaine pour la deuxième fois de l'année, l'esprit un peu ailleurs. Elle fit mentalement le point, laissant Derek prendre le relais pour montrer le parc aux sixièmes. Elle s'amusa de les voir contempler l'intérieur de la serre d'Alfonso sans vraiment y mettre les pieds. Puis son regard se perdit au loin, la lèvre coincée entre ses dents.
Voilà. Je suis célibataire.
Son ventre se serra encore un peu plus. Elle n'avait pas prévu que ça arrive maintenant, juste après le décès d'Olivia. Rose soupira et laissa son soulagement écraser son sentiment de culpabilité, se répétant qu'Olivia n'aurait certainement jamais voulu voir Rose malheureuse à cause d'une histoire d'amour qui aurait mal tourné. Et c'est clairement ce qui s'était passé avec Blaise : ça avait mal tourné. Pourtant, ça avait bien commencé. Enfin… Ses yeux glissèrent rapidement sur William qui avait retrouvé sa loquacité.
Non, ça n'avait pas bien commencé, s'avoua-t-elle finalement. Elle ne s'était tournée vers Blaise que par dépit et frustration après sa conversation avec William. Toute leur attirance qu'elle avait mise sur le compte d'une sorte d'harmonie, il fallait se l'avouer : ce n'était qu'un désir physique. En tout cas c'est comme ça qu'elle l'interprétait, du moins à partir du mois de février. Comment comprendre autrement leurs rencontres qui étaient soit tendues par la jalousie et la colère, soit si sensuelles qu'ils avaient du mal à se séparer ensuite ? Elle avait l'impression de n'avoir rien partagé d'autre avec lui depuis quelques mois.
Dans un autre registre, elle se reprochait aussi de ne pas s'être battue pour montrer à William combien elle tenait à lui, combien il s'était trompé en février. Mais après tout, pourquoi le regretter ? Lui ne semblait pas y penser de cette façon, vu qu'il enchainait les conquêtes sans arrière-pensée. Alors oui, il y avait cette inéluctable attraction mutuelle, mais elle ne pouvait nier que c'était probablement tout ce qui intéressait le séduisant joueur de Quidditch : un contact physique avec elle, plus ou moins… poussé. Et il était hors de question qu'elle tombe à nouveau dans le piège. Elle y perdrait un peu de dignité et un ami, ce qui ne lui paraissait pas envisageable.
Elle serra les dents, se disant qu'apparemment, elle n'était bonne qu'à être désirée sexuellement, sans qu'il n'y ait rien de vraiment concret derrière.
Un nouveau soupir lui échappa alors que ses amis regardaient les poissons nager dans le petit étang du domaine. Sa colère envers William, qui avait craqué face à Blaise et s'était tellement mal comporté, lui mordait encore l'estomac. Lui qui restait d'ordinaire bien plus calme que ça, qu'est-ce qui lui avait pris ? Elle secoua la tête en songeant qu'elle allait devoir lui dire qu'il avait dépassé les bornes, tout comme elle l'avait expliqué à Blaise.
Elle se sentait lasse, lasse de ces histoires compliquées avec ces garçons. Il était temps qu'elle prenne du recul par rapport à tout cela et qu'elle puisse faire son deuil à son rythme, quel qu'il soit. Ce dont elle avait besoin pour le moment, c'était d'amis, et pas de drame amoureux, peu importait avec qui. Forte de cette idée, Rose continua la balade avec ses amis, passant son bras sous celui de Mandy tout en reprenant peu à peu le fil des conversations.
Ils déjeunèrent à plus de treize heures, terminant la promenade avec une conclusion de Nassim qui fit rire tout le monde :
- Clairement, il nous faudra une carte en aout, si jamais on est séparés de Rose ou de Derek.
Son père ne les rejoignit pas, et ils restèrent entre eux. Rose les fit parler de leurs projets de vacances, pour avoir autre chose à penser que ses drames personnels. Nassim et Idriss retournaient au Maroc jusqu'à mi-aout avec leurs parents, Lisa allait passer une semaine en Italie avec la famille d'Anthony, Derek rejoindrait bientôt celle de Terry pour quelques jours, Mandy et sa sœur partaient pour la maison de leurs grands-parents alors que leurs parents travailleraient tout l'été. Lorsqu'ils se tournèrent vers William pour l'écouter, le Batteur sembla hésiter avant de dire d'une voix assez plate qu'il retrouverait ses parents à Maastricht cet après-midi et qu'à partir de début aout, ils iraient en Espagne.
- Jusqu'au 26, répondit-il du bout des lèvres à Padma. Enfin…
Il leva un regard hésitant vers Rose qui avait son air impassible sur le visage, celui qu'il détestait. Un petit silence plana dans le groupe qui attendait une réponse de l'héritière Wayne.
- On verra.
Derek changea de sujet et parla des BUSE et des résultats qu'ils attendaient avec impatience.
- Vous croyez que c'est pour quand ?
- En toute logique, la semaine prochaine, puisqu'on est censés les avoir courant juillet, estima Michael.
- J'espère que j'aurai de bonnes notes… assez pour continuer ce que je veux, dit Mandy.
- Je suis sûr que tu auras un O en Potions, ne t'en fais pas, taquina Idriss, ce qui fit rire tout le monde.
- Et Rose aura probablement un O aussi, en Botanique…
- Ou en Astronomie !
Elle réprima un petit pouffement.
- Méfiez-vous, je vais peut-être vous étonner et avoir aussi un O en Étude des Moldus.
Leur hilarité s'intensifia.
- Au fait, vous quatre, vous avez eu vos résultats d'examen non ? demanda Lisa.
- Oui, bien sûr…
- Alors ?
- Que voulez-vous, on n'est pas les meilleurs pour rien…
Des sourires amusés leur répondirent, et un soupir fit tourner la tête de tout le monde vers Derek. Rose haussa un sourcil et chuchota pour tout le monde :
- Quidditch.
- Ça me manque trop ! geignit le grand blond avec dramatisme.
- Moi aussi, expira William. J'ai hâte que la saison commence.
- Pour pouvoir nous torturer avec ton nouveau rôle, compléta Michael.
- Évidemment, c'est la seule raison pour laquelle j'ai commencé à jouer en deuxième année, la perspective de devenir dictateur de l'équipe… euh, pardon, capitaine de l'équipe de Serdaigle, bafouilla-t-il, déclenchant à nouveau leur hilarité.
Rose se mordit la lèvre pour s'empêcher de s'esclaffer comme les autres, toujours incertaine de ce qu'elle allait faire de William. Elle savait déjà qu'il serait difficile de rester fâchée contre lui pendant très longtemps. Pourquoi n'était-il pas moins amical en temps normal ?! Ce serait plus facile de lui en vouloir sur le long terme.
Mais il lui suffit de repenser à son altercation avec Blaise pour froncer les sourcils, mécontente. Un coup de poing, honnêtement… elle ferma les yeux un instant. Il fallait qu'ils se parlent.
Une main pressa la sienne pour la faire revenir au présent. Benson se trouvait près d'elle et attendait qu'elle lui accorde son attention.
- Oui ?
- Miss, je souhaitais vous informer que la cheminée est prête pour le transport de vos amis.
- Oh, très bien… je n'avais pas vu l'heure. Nous arrivons, Benson.
Le majordome inclina la tête et disparut à l'intérieur. Ils se levèrent et Rose observa ses amis rassembler leurs affaires dans le salon et se faire leurs adieux. Un par un, ils vinrent enlacer Rose et échanger quelques mots avec elle avant de partir dans le feu vert. Elle se mordillait sans cesse la lèvre pour ne pas pleurer de nouveau, la main de Derek dans la sienne. Lorsque William voulut leur faire un signe de main, visiblement embarrassé à l'idée de trop s'approcher de Rose, elle le prit par le poignet pour le forcer à se mettre sur le côté le temps qu'elle dise au revoir à Padma. Elle regarda Terry boucler avec l'aide de Derek la fermeture récalcitrante de son sac et marmonna :
- Tu croyais vraiment que j'allais te laisser partir comme ça ?
Un sourire s'étala sur le visage de Rose alors qu'elle prenait Terry dans ses bras sans écouter la réponse de William.
- Merci d'être venu, répéta-t-elle pour ce qui lui semblait être la millième fois en deux jours, sans que cela perde en sincérité.
- Toujours, répondit simplement son ami.
Il embrassa rapidement Derek et fila vers la voiture où Ted l'attendait. Sentant William s'agiter à côté d'elle, elle lui lança un regard insondable.
- Tu t'inquiètes de l'heure ? supposa-t-elle. Tu as un rendez-vous peut-être ?
- Ou un combat de boxe à terminer ? suggéra Derek, contaminé par l'acidité de Rose.
- Mais non, soupira-t-il avant de s'immobiliser. Je serai en retard, c'est pas grave. Ma mère est tout à fait pondérée, elle ne m'engueulera pas pendant deux heures pour mon retard.
Son œil brillait de son humour habituel et Rose s'en voulut d'avoir envie de rire. Il reprit son sérieux et considéra la jeune fille.
- Vraiment, aucune importance. C'est plus important…
Il ne termina pas sa phrase et la désigna du doigt, puis lui.
- Qu'est-ce qu'il s'imagine ? chuchota Rose à Derek sans quitter William des yeux.
- Aucune idée, mais je reste derrière la porte, par sécurité.
William leva les yeux au ciel.
- Qu'on discute, Rose et moi. Vraiment…
Rose se mordit la lèvre en se tournant vers Derek pour cacher son amusement.
Zut, pourquoi c'est si facile de rire avec lui !
Derek sentit son désarroi et sourit avant de poser les yeux sur William, qui cacha aussitôt les siens derrière sa main.
- Ah non ! Pas de tour de passe-passe dans ma tête cette fois !
- Pourtant, ce serait mérité, grommela Derek.
Rose lui mit un coup de coude et retrouva un air grave.
- Tu veux que je sorte ? proposa Derek devant l'hésitation de son amie.
- Non, non… enfin, fais ce que tu veux quoi. On va dans la salle de jeux.
Ils échangèrent un regard entendu et Rose intima à William de la suivre. Il lui emboîta le pas et découvrit la salle de jeux pour enfant des Wayne pendant qu'elle fermait la porte derrière eux.
- Je m'attendais pas à ça, dit-il avec un petit sourire.
- Tu imaginais quoi ?
- Une salle de billard, ou un truc du genre…
- Oh, il y en a une. Mais elle est réservée aux gens qui se comportent comme des adultes chez moi.
Sa remarque acerbe éteignit la lueur amusée dans les yeux de William.
- Je peux savoir ce qui t'a pris ce matin ? murmura soudainement Rose, incapable de parler plus fort.
L'intensité de son regard fit bredouiller William.
- Écoute, je… enfin… Je te demande pardon. J'ai agi comme un idiot et j'ai dépassé les bornes.
L'absence de réaction de Rose l'incita à continuer.
- Jamais je n'aurais dû intervenir dans ta conversation avec Zabini, admit-il. C'était une erreur que je regrette, sans parler du moment où je l'ai… frappé.
Il se racla la gorge et jeta un œil furtif à Rose qui semblait très attentive. Elle avait déjà constaté que le fait de ne pas le couper aidait William à activer son moulin à paroles, alors elle avait décidé de le laisser débiter tout ce qui lui passait par la tête.
- J'ai vu rouge quand il t'a poussée, et quand tu es tombée… j'ai complètement déconnecté de la réalité. Je dis pas que c'est une excuse hein, se défendit-il, c'est juste mon explication.
Il ferma une seconde les yeux.
- À chaque fois qu'il ouvrait la bouche, je…
- Tu ? relança Rose dans un chuchotement après quelques secondes de silence.
- Je repensais à tous ces moments que tu as dû passer avec lui et je me demandais pourquoi tu étais avec lui, débita-t-il sans la regarder.
Cette fois Rose haussa un sourcil et lâcha sa réponse sans réfléchir.
- Mais… à cause de toi.
Et flute. On a dit que c'était lui le moulin à paroles, pas toi.
- De moi ?
Elle agita une main en l'air, se sentant rougir.
- Oublie. Continue, intima-t-elle de son ton autoritaire.
Après un moment de flottement, il reprit.
- Je te présente toutes mes excuses pour cette scène surréaliste et débile. Mon comportement a été parfaitement incorrect et malvenu. Même si je n'avais pas commencé à provoquer Zabini, je n'aurais jamais dû en rajouter.
Rose eut malgré elle un mouvement de sourcil qui voulait clairement marquer son accord.
- Je t'assure que quand tu m'as touché le bras, ça m'a fait revenir sur terre et j'allais laisser tomber.
- Je sais, souffla-t-elle.
Il hocha la tête, visiblement rassuré qu'elle ait compris ce moment-là.
- Pardon, Rose. Ce n'était vraiment pas le moment de me battre avec quelqu'un, ni le lieu.
- Ce n'est jamais le bon moment ni le bon endroit pour coller son poing dans la figure de quelqu'un, fit-elle remarquer avec sévérité.
- Oui, oui, bien sûr. Mais là… encore moins. Je suis désolé d'avoir usé de violence alors que toi et ta famille êtes en plein deuil.
- Ah les hommes, grommela soudainement Rose, lasse.
Il l'observa un moment avec un air penaud qu'elle trouvait…
Adorable et irrésistible.
… parfaitement à propos.
- Tu crois que tu pourras me pardonner ? demanda-t-il doucement.
Elle évita de se perdre dans ses yeux bleus et soupira.
- Avec un peu de temps.
Il hocha la tête, et Rose réprima un sourire de le voir acquiescer à tout ce qu'elle disait.
- À toi de parler, chuchota-t-il.
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? demanda-t-elle avec étonnement.
- Ce que tu veux. Tu peux même me hurler dessus si tu veux.
- J'ai pas envie de crier, sourit-elle légèrement. J'ai eu assez d'émotions pour les mois à venir.
- C'est vraiment fini ?
Elle haussa un sourcil, perplexe.
- Zabini et toi, lâcha-t-il du bout des lèvres.
- Oui, c'est vraiment fini. Et toi et Alicia, ça va toujours ?
- Ok, pardon, ça me regarde pas, dit-il en levant les mains.
Il la considéra un instant avec suspicion.
- C'est une vraie question en fait ?
- Il me semble, rétorqua-t-elle, amusée.
- Ça fait un moment que je l'ai plaquée.
- Mais oui, je suis bête : les jolies Espagnoles qui t'attendent à bras ouverts ne veulent peut-être pas de concurrence anglaise, se moqua finalement Rose.
- N'importe quoi, maugréa-t-il en croisant les bras. On avait dit que c'était toi qui parlais. Tu allais me raconter comment tu avais largué Zabini.
- Ben tiens.
Il lui fit un sourire radieux auquel elle ne put pas s'empêcher de répondre.
- Je pense qu'il faudrait qu'on reparle de notre… arrangement amical.
- Celui qui dit qu'on ne peut pas s'embrasser dans le compartiment du train ? demanda William avec son sourire charmeur.
- Celui-là même, répondit Rose avec tout le sérieux qu'elle pouvait. Si on veut pouvoir rester amis, je pense qu'il faudrait qu'on établisse des règles plus fermes.
- Lesquelles ?
- On ne se touche pas. Pas de mains qui se tiennent ou qui se posent dans mon dos, de doigts qui frôlent une jambe ou un bras, rien. Et surtout… pas de baiser. Aucun.
Elle savait qu'il serait difficile de résister à son petit air frustré, alors Rose décida d'enfoncer le clou.
- J'ai pas envie qu'on échange ces petits gestes ambigus. On est amis, point. Je ne fais pas ça avec Anthony, ou Michael, ou Mandy, ou n'importe lequel d'entre eux.
- Sauf Derek, marmonna-t-il.
- Je n'embrasse pas Derek dans son dortoir ou sur le quai de la gare, rappela-t-elle sévèrement. Et laisse-le en dehors de tout ça, veux-tu.
- Tu sais qu'il allait sauter sur Zabini aussi ? demanda abruptement William. Quand il t'a poussée par terre. Il me l'a dit quand tu n'étais pas avec nous.
- Oui, je sais. Et qu'est-ce qu'il a fait à la place ?
William croisa les bras sans répondre.
- Il est venu vers moi pour savoir comment j'allais. Il m'a aidée à me relever et m'a soutenue le temps que ma cheville soit rafistolée.
- Parce qu'il t'a vraiment fait mal en plus ! grogna William, ses yeux bleus assombris par la même colère que le matin même. Quel gros…
- William, réprimanda Rose. Ça suffit.
Elle le vit faire un geste inédit. Il contracta les mâchoires. Rose entrouvrit la bouche et inspira, momentanément distraite. Elle se reprit avant qu'il ne parle à nouveau.
- Donc, je disais. Juste amis.
- Juste amis.
- Et pas d'histoire d'attraction physique. Je n'ai pas la moindre intention d'être un nom de plus sur ton tableau de chasse, lui apprit-elle froidement.
- Un nom de plus ? mon tableau de chasse ?
Il paraissait réellement perdu. Il se renfrogna en comprenant.
- Rose, tu…
- Je n'ai envie d'être sur le tableau de chasse de personne, d'ailleurs, le coupa-t-elle.
- Sauf celui de Zabini quoi…
- William ! s'écria-t-elle, la colère montant en elle.
- Pardon, s'excusa-t-il en levant les deux mains. Ne pas se toucher, ne pas s'embrasser, ne pas mentionner d'attraction physique, résuma-t-il pour changer de sujet. Autre chose ?
- Ne pas faire de scène ni de remarques déplacées, même en marmonnant dans ton coin, termina Rose un peu sèchement.
- Noté.
L'ambiance s'était refroidie entre eux et la tension dans les épaules de William se reflétait dans les poings serrés de Rose.
- Vous me fatiguez, murmura soudainement Rose, bataillant contre les larmes qui venaient de lui monter aux yeux.
Désemparé, William hésita un instant puis fit un pas en avant. Rose secoua la tête et recula pour garder la même distance entre eux.
- Je te signale que je serre mes amis qui pleurent dans mes bras.
- Pas aujourd'hui, refusa Rose. Pas avec moi.
Elle regarda quelques secondes par la fenêtre puis reposa les yeux sur lui.
- Et pas de surnom. Je m'appelle Rose, tu t'appelles William.
Il opina.
- Très bien. Alors tu arrêtes de m'appeler « mon capitaine ».
- Et toi « ma Rose ». Ou « ma petite Rose ». Ni quoi que ce soit d'autre.
Ils se scrutèrent un moment sans plus parler.
- On devrait s'en sortir, non ? questionna William, sa bonne humeur revenant dans ses yeux.
- Absolument, sourit Rose, bien qu'elle soit toujours un peu crispée.
- Je peux te poser une question ?
Elle opina et attendit.
- Quand tu dis « vous me fatiguez », tu penses à… ?
- Toi, Blaise, les garçons.
- Même Derek ? taquina-t-il, récoltant un petit sourire.
- Non, certainement pas. Seulement les garçons avec qui j'ai, ou j'avais, une… attirance physique, résuma-t-elle, repensant au fait qu'elle n'était bonne qu'à ça apparemment – ou à une amitié platonique.
- Ben je pensais pas qu'il y en avait tant que ça, grommela-t-il.
Ses yeux pétillèrent et Rose ravala la remarque qu'elle s'apprêtait à lui faire en comprenant qu'il plaisantait.
- De toute façon je veux plus entendre parler de relation autre qu'amicale pour au moins les cinq années à venir, soupira-t-elle en se massant les tempes.
- Ah oui, carrément.
- Carrément, répéta-t-elle avec un petit sourire.
Un petit silence qui n'avait rien d'inconfortable s'installa.
- Aucune chance pour que j'ai le droit de te serrer dans mes bras ? En tant qu'ami, rappela-t-il aussitôt sous la pression de son regard.
- Aucune. Je suis encore un peu fâchée contre toi, avoua Rose avec un sourire désolé. Donne-moi un peu de temps, c'est tout.
- Et tu as trop peur de succomber à mon charme magnétique et animal, je comprends, lâcha-t-il dramatiquement. Je suis irrésistible.
Rose se mit à rire, enfin détendue. Puis elle posa les doigts sur sa bouche, réalisant quelque chose.
- Quoi ?
- Imagine, souffla-t-elle. Si Blaise avait appris pour nos… baisers.
- Ça aurait donné une autre saveur à mon coup de poing, je te le garantis, rétorqua-t-il, la faisant pouffer avant qu'elle se morde la joue pour arrêter. Il aurait peut-être même répondu.
- C'est possible, accorda-t-elle en haussant les épaules. Et Alicia, tu crois qu'elle m'aurait pourchassée pour m'assommer avec son balai ?
- Pourquoi ?
- Le quai de la gare ?
Il fronça les sourcils une fraction de seconde.
- Ah mais… on avait déjà rompu.
Rose n'eut aucune réaction visible, bien qu'une voix dans sa tête ait hurlé « mais quoi ?! ». Elle la fit taire en secouant la tête et haussa un sourcil. Il comprit instantanément.
- Le soir du banquet de fin d'année, précisa-t-il.
- Quand tu es parti à la fin du repas ? se rappela Rose alors qu'il hochait la tête.
Elle se retint d'ajouter « si j'avais su », à cause de toutes les résolutions qu'ils venaient de prendre et aussi, parce qu'elle n'était pas sûre de ce qu'elle aurait fait si elle avait su.
- Bon… on se revoit en aout ? demanda finalement William, son espoir se mélangeant à son malaise.
- Évidemment, répondit-elle en haussant les épaules. Ça ne change pas, ça.
- Mais tout à l'heure, tu as dit…
- Je sais ce que j'ai dit, fit-elle avec douceur. Donc on se revoit en aout. Tu me confirmeras le jour de ta venue, d'accord ?
- Bien sûr.
Elle lui sourit et ils retrouvèrent Derek dans le petit salon. William saisit son sac pendant que Rose appelait Benson.
- À bientôt, Rose.
- À bientôt, William.
Puis il disparut avec un dernier sourire dans le feu magique. Rose soupira et appuya son front contre Derek.
- On peut aller s'allonger dans l'herbe compter les nuages ?
Il la prit par la main et l'entraina dehors pour le reste de l'après-midi. Lorsqu'il partit, ce fut avec la promesse de revenir quelques jours avec ses parents et ses sœurs, comme ils en avaient parlé à la gare.
Rose déambula dans le Manoir, un peu perdue d'être à nouveau seule pour quelques semaines, à gérer son chagrin et le départ d'Olivia. Elle s'accrochait aux paroles de son père qui lui avait dit que ça irait mieux, petit à petit. La gorge serrée, elle prit son livre sur les Animagi et alla frapper à la porte du bureau.
- Entrez.
- Père… je peux m'installer avec toi dans le bureau ? demanda-t-elle d'une petite voix.
- Bien sûr ma chérie. Viens.
Ils se sourirent. Elle s'installa dans l'un des fauteuils et le regarda travailler quelques minutes avant d'ouvrir son livre. Son père avait l'air fatigué mais serein. Il était beau, aussi, elle s'en rendait compte autant que les mères de ses amis, songea-t-elle en esquissant un sourire. Elle le revit tenir le petit salon en respect quand il avait séparé Blaise et William, impressionnée par sa rapidité d'action et son sang-froid, dont elle n'était pas sûre d'avoir hérité. Comme elle le scrutait toujours, il finit par lever la tête et hausser un sourcil dans un geste familier, dont elle avait clairement hérité.
- Ça va ?
- Oui.
- À quoi tu penses ?
- Je t'aime, Papa.
- Moi aussi je t'aime, ma chérie.
Elle se plongea dans le chapitre qu'elle avait déjà lu une dizaine de fois après un dernier sourire à son père qui était aussi ému qu'elle.
