- Mange, fit la voix de Newt, qui se voulait ferme.
Couverts en main, Stiles regardait ce qui lui servait d'assiette, avec à l'intérieur ce qui devait sans doute être de la purée et il ne savait quoi. De la viande un peu molle, peut-être. L'apparence du plat était peu ragoûtante, certes, mais l'hyperactif savait que ce n'était pas le moment pour faire la fine bouche.
- C'est pas aussi mauvais que ça en a l'air, rit faiblement Newt, comme s'il avait lu dans ses pensées.
Mais au fond, ce n'était pas ça qui rebutait Stiles. Ce dernier releva ses yeux ambrés, qu'il posa sur la silhouette un peu trop maigre de son hôte. Non, définitivement, ce Newt n'était pas méchant et même s'il l'était, il ne pourrait rien lui faire dans son état actuel, c'était certain. Sa blessure, même si elle était en voie de guérison, était trop importante. Le blondinet avec lequel il cohabitait depuis désormais quelques jours ne pouvait pas faire de grands mouvements et devait passer la plupart de son temps allongé. Stiles commençait sérieusement à avoir mal au dos, mais l'air fatigué de son hôte blessé l'obligea à se taire. Alors, il ne se plaignit pas, tout comme il n'avait rien dit concernant son mal-être physique et mental.
Les deux jeunes hommes n'étaient pas sortis depuis le réveil de Stiles dans ce logement à moitié insalubre. Il y avait une petite extension avec des toilettes, une douche et un lavabo encore un peu fonctionnels et sacrément sales. En fait, ils semblaient abandonnés, malgré la présence du blond. Puis, Stiles se rappela d'une phrase que le blond lui avait dite : « C'est l'apocalypse ici, tu sais. On prend ce qu'on trouve et le confort, on l'oublie vite. » C'était le cas de le dire. Il y en avait si peu qu'il n'avait pas d'autre choix que de faire sans.
- Et toi, tu vas manger quoi ? Demanda Stiles, qui se posait sincèrement la question.
Il ne savait pas si Newt se nourrissait en différé de lui ou s'il ne mangeait que peu, mais il le trouvait quand même sacrément maigre. Lorsqu'il le regardait, outre sa fatigue lancinante due à sa blessure, c'était cette maigreur aisément remarquable. Comment ne pas la notifier ? Il avait les joues si creuses…
- Je mangerai demain, lui répondit tout naturellement le blondinet avec un sourire fatigué. J'ai plus beaucoup de provisions, tu sais ? Je mange un jour sur deux pour l'instant.
Tout de suite, Stiles reposa les couverts dans son espèce d'assiette et la poussa vers son hôte, assis face à lui, son dos appuyé contre le mur.
- Mange, toi, dit-il sincèrement. Tu en as plus besoin que moi.
- Tout va bien, Stiles. J'ai l'habitude de me priver. Sortir est très dangereux et dans mon état, c'est encore pire, alors… Je me rationnais déjà avant que tu arrives, tu sais ?
La culpabilité prit Stiles aux tripes. Il savait que c'était compliqué de vivre ici mais jusqu'ici, il ne s'était pas vraiment posé de question. Lorsque Newt lui mettait de la nourriture sous le nez, il acceptait, simplement. Il était perdu dans ce monde qui lui était complètement inconnu. La boule au ventre, l'hyperactif fut incapable de regarder son hôte en face. Depuis tout ce temps… Ok, il était vraiment idiot. Quel hasard, il n'avait plus faim d'un coup !
Avec son sourire toujours aussi faible, Newt repoussa à son tour l'assiette en direction de Stiles.
- J'ai l'habitude, répéta-t-il. Toi, tu es… Nouveau, ici. Tu ne sais pas grand-chose de ce monde, tu… Tu sembles venir d'un endroit plus agréable qu'ici.
A cela, il rit à sa propre remarque.
- Tu ne peux pas, d'un coup, te rationner. Je vais bien, insista-t-il. Il faudra juste que j'aille explorer les environs demain pour chercher de quoi manger. Ne t'inquiète pas, ça ira.
- Si, je m'inquiète, avoua Stiles, laissant son anxiété transparaître.
Parce que Newt mettait énormément de temps à guérir. Sa blessure était grave et jusqu'à preuve du contraire, il était un simple humain, comme lui. Le problème venait du fait que sa plaie commençait sérieusement à être ancienne et qu'il s'en était occupé seul. Dans ce qu'il restait de ce qui avait sans doute été une ville prospère, il y avait plus de morts que de vivants. Et Newt, dans son état, ne pouvait décemment pas affronter l'extérieur.
- Ok, souffla l'hyperactif. Je sais que je suis le petit nouveau de service, que je ne sais rien, que je ne connais pas ce monde de merde mais ce que je sais, c'est que tu peux pas sortir, ou du moins pas seul. Alors oui, je suis une brêle, pas plus épais qu'un putain de bâton mais je peux être utile ! Et je… Je peux pas profiter de ta bouffe comme ça. Je… J'aurais dû m'en rendre compte plus tôt, au moins… Me poser la question.
- Stiles, ce n'est pas… Tenta Newt.
- Cette assiette, je vais pas la manger, c'est toi qui vas le faire, le coupa le lycéen. Et demain, tu… Tu vas me montrer, ok ? Tu vas me montrer tout ce que je dois savoir sur ce monde et ce que je dois faire pour me défendre face à ces… Trucs, et j'irai t'en chercher, de la bouffe !
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- Tu es sûr que ça ne te dit rien ? Demanda Scott, de l'espoir dans la voix.
Oui, il continuait de croire que sous cet air froid et cette amnésie potentielle se cachait encore Stiles, son meilleur ami. Il peinait réellement à l'appeler Thomas. C'était difficile et absolument pas naturel pour lui. Pourquoi fallait-il qu'il appelle son presque frère par un autre prénom ? C'était absurde, insensé ! Et pourtant… Thomas se tourna vers Lydia et la regarda d'un air désespéré :
- Ton pote… Il est toujours aussi con ou c'est exceptionnel ?
- C'est récurrent, répondit tout naturellement la banshee.
- Hé ! S'indigna mollement Scott.
Lydia prit le jeune homme par le poignet et le fit avancer. Elle se tenait bien droite, gardait le menton haut, fière. Plus les heures passaient, plus elle voyait qu'elle avait raison. Ce jeune homme n'était pas Stiles. Il n'avait rien de lui, mis à part l'apparence. Même sa voix différait ! Il avait ce port de tête déterminé, cette attitude méfiante malgré tout, ce regard bien trop dur. Stiles en avait vécu des choses, dans sa vie. Pour autant, il gardait toujours une étincelle de malice dans son regard ambré. Cet adolescent, Thomas, avait des yeux whisky aussi glaciaux qu'un bord de mer en hiver. Il en avait trop vu, c'était certain. On pouvait s'inventer une histoire, mais ça n'allait jamais jusqu'à une refonte complète de sa personne. Si le brun dont elle avait emprisonné le poignet entre ses doigts était réellement Stiles, elle aurait retrouvé des choses en lui, des choses qu'elle connaissait. Mais là, rien. Il était aussi perdu que sur de lui. Et ces vêtements censés lui appartenir… Dans ses souvenirs, l'hyperactif ne les remplissait pas autant. Pour peu, elle imaginerait presque qu'il était musclé.
D'un geste ample de la main, elle lui montra le grand salon.
- Ici, on est chez Derek. C'est son loft et là, on est dans la pièce principale, l'informa-t-elle.
Le propriétaire des lieux regardait les nouveaux arrivants d'un air curieux. Il avait été prévenu par Scott de leur arrivée. Pour autant, il n'imaginait pas que Stiles… Pardon, Thomas, lui avait-on dit, serait en état de marcher si vite, seulement quelques jours après son hospitalisation. Ce jeune homme qui était le portrait craché de Stiles balaya la pièce du regard jusqu'à tomber sur lui, Derek Hale, bras croisés, le dos appuyé contre l'un des piliers. Si les yeux se voulurent inexpressifs, son odeur changea radicalement. Plus que tendu, il avait peur. Et pourtant, il n'en montrait rien. Si les traits de son visage restaient crispés, l'on ne pouvait pas deviner la véritable émotion sans capacités lupines. Il était clair que l'adolescent qui lui faisait face à quelques mètres de distance était un expert de la dissimulation. Un peu comme Stiles, en soi. Ce Thomas paraissait toutefois bien plus discret et sa méthode, diablement efficace. Derek était impressionné, mais il ne dit rien.
- Sympa l'appart, commenta simplement le sosie de Stiles d'une voix monotone. On en a pas des comme ça, là d'où je viens.
- A quoi ressemblent les appartements, dans ta ville ? S'enquit Lydia qui le croyait.
Thomas fit quelques pas sans répondre, dépassa Derek sans lui jeter un regard et se mit à regarder un petit panorama de Beacon Hills à travers l'immense baie vitrée. Au fond de lui, il était toujours terrorisé et ne faisait aucunement confiance à ces gens qui se disaient ses amis. Il avait potentiellement de la sympathie envers cette Lydia qui, dieu merci, arrêtait de l'embêter avec cette histoire de Stiles, d'identité et d'amnésie – merci Scott. Si ces personnes étaient l'ultime vestige de WICKED, pourquoi l'interrogeraient-il sur l'endroit d'où il venait ? En somme, il ne vit pas l'inconvénient de répondre. De toute manière, il était perdu dans un monde qu'il avait directement deviné différent du sien. L'hôpital fonctionnait, il y avait des médecins, des patients, du matériel médical, des médicaments en masse ! Dans la rue, pas un fondu, que des vivants qui marchaient, couraient, roulaient dans des tas de voitures différentes, riaient, pleuraient, attendaient. Vivaient. Ces gens vivaient. Et puis… Thomas n'avait rien ici. En fait, il avait tout perdu depuis bien longtemps. Il se raccrochait simplement à ce qu'il lui restait de santé mentale et à cette idée limitée qu'était la liberté. Il eut une boule au ventre en apercevant trois enfants, en bas de l'immeuble, jouant au ballon.
- A rien, finit-il par lâcher, ils ne ressemblent à rien. Chez moi, il n'y a plus d'appartements, plus de maisons, plus rien.
Derrière lui, le silence. Il reprit, sans s'en soucier, le regard voilà :
- La Dernière Cité est un cimetière où on ne vit pas. On y survit.
Thomas pouvait bien le dire, cette information n'était pas classée secret défense et ne lui coûtait rien. Ces inconnus pouvaient bien l'arrêter, l'emprisonner, lui faire ce qu'ils voulaient, il ne pourrait pas se défendre. Il était sur leur territoire, dans une ville qu'il ne connaissait pas et il était encore faible. Il était encore fatigué malgré ces quelques jours passés à l'hôpital. C'était comme si son corps était diminué et nul doute que ce Derek, avec sa haute stature et ses muscles apparents, pourrait l'immobiliser tout seul s'il tentait de s'enfuir. Il le voulait, bien sûr, mais en était actuellement incapable. Il avait tant donné par le passé, s'était tant battu, avait tant résisté. Cette fois, il n'en pouvait plus alors qu'on le prenne, qu'on l'enferme. S'il devait s'échapper, cela viendrait plus tard, lorsqu'il aurait recouvré assez d'énergie pour élaborer un stratagème et le mettre en place.
- Là-bas, les vivants sont morts et les morts vagabondent dans les rues.
Pourquoi prenait-il la peine de parler alors que ces gens n'en avaient probablement rien à faire ? D'autant que ce brun latino aux airs de chiot ne semblait toujours pas le croire. Sans doute un stratagème de WICKED ou de… Il ne savait plus très bien. Il était terrorisé et épuisé. Son cœur battait trop vite dans sa poitrine et il en était conscient. Ce qu'il ne savait pas, en revanche, c'était que ses battements cardiaques étaient écoutés, scrutés, analysés. Un comble pour ce jeune homme dont chaque aspect de la vie avait été contrôlé jusqu'à son arrivée dans la boîte. D'un air las, il se retourna vers ses potentiels geôliers et quémanda plus ou moins consciemment son indulgence dans l'espoir de ne pas être maltraité tout de suite :
- Je peux aller dormir ? Pas besoin de lit, un simple matelas de camp suffira. J'ai juste besoin de… Dormir, juste dormir.
En réalité, il aimerait ne jamais se réveiller. Dormir et oublier. Dormir et s'en aller. Dormir et retrouver un blondinet qui avait quitté ce monde bien trop tôt.
