Stiles était terrifié, mais il ne pouvait plus reculer. Pas alors que Newt lui avait tout expliqué, l'avait formé aux rudiments du combat malgré sa blessure qui réduisait fortement sa mobilité tout autant que sa force. Néanmoins, il ne se débrouillait pas si mal si l'on prenait son état en compte. Les « leçons » duraient à peine quelques minutes entrecoupées d'une bonne heure de pause pour l'instructeur improvisé, mais il tenait bon. Il était pâle comme un mort et maigre comme un clou, mais il faisait de son mieux et regardait Stiles répéter dans le vide différents coups et enchaînements qu'il lui avait appris dans la foulée. L'hyperactif avait, lui aussi, maigri. A peine quelques jours qu'il était ici, et le voilà qui commençait déjà à avoir moins de joues, moins de graisse et un teint un peu plus clair. Lui qui avait eu tant de mal à faire tanner un minimum sa peau, des heures à lézarder au soleil parties en fumée… Et il se rationnait. Déjà trois jours qu'il faisait cela, conformément à sa décision pour soulager Newt. C'était lui le blessé, lui qui avait réellement besoin de prendre des forces. Alors, même s'il n'était pas d'accord, Stiles faisait parfois en sorte de lui donner la becquée, histoire de l'obliger à bien se nourrir et veiller à ce qu'il prenne une bonne part.
Oui mais là, il n'était plus au « Q.G ». Non, il était dehors et là, ses angoisses lui revenaient en pleine figure. Newt était en sécurité, là-haut, dans cet immeuble qui donnait l'horrible impression de pouvoir s'effondrer à tout moment. Le sortir de là n'était pas à l'ordre du jour, bien qu'il aimerait le mettre réellement en sécurité, et pas le laisser dans un endroit aussi insalubre. Il revoyait sans cesse cette blessure qui guérissait trop lentement, même pour un humain. Newt avait besoin de réels soins, d'une prise en charge importante, mais dans ce monde… Ce n'était pas possible. Stiles avait beau regarder autour de lui, c'était l'enfer. Il n'y avait rien, rien qui ressemblait à un hôpital, à un service d'urgence, à quelque chose de décent… La plupart des immeubles qui s'étendaient devant lui étaient à moitié effondrés, certains néons clignotaient, s'ils n'étaient pas encore éteints et surtout… Les morts déambulaient dans les rues. Stiles aurait voulu crier, mais il savait que ce n'était pas la chose à faire s'il voulait survivre.
« Tu dois à tout prix éviter de te faire griffer ou mordre » lui avait rappelé Newt à de maintes reprises avant de le laisser sortir. Stiles se demanda amèrement pourquoi tout passait par des morsures ou des griffures. Des loups, des kanimas, des… Choses. Ici, il s'agissait de morts, de zombies, de « fondus », comme disait Newt. Une chose était certaine : si Stiles avait toujours refusé la morsure lupine, c'était pour garder son humanité et il avait bien l'intention de ne pas changer ses principes face à ces monstres. Il resterait humain, quoi qu'il arrive. Terrifié ou pas, il s'en sortirait et pas seulement pour lui. Aider Newt était dans un recoin de sa tête. Il avait beau être encore un inconnu à ses yeux, il l'avait recueilli, nourri sans même le connaître, juste pour qu'il ne subisse pas le même sort que la plupart des habitants de ce qui était autrefois une grande ville.
Stiles rasa les murs, fit preuve d'une patience folle compte tenu de son TDAH et de son envie de parler sans arrêt pour se tranquilliser l'esprit. Jamais il n'avait autant attaché d'importance à sa discrétion car cette fois, il savait qu'elle pouvait lui coûter la vie, au sens propre comme au sens figuré. Parce que son corps survivrait sans doute et continuerait de vagabonder ici et là en cas de morsure, cela ne serait sans doute pas le cas de son esprit, qui disparaîtrait sans laisser de traces, dans les méandres de l'oubli. Stiles Stilinski ne serait plus : ne resterait de lui qu'une enveloppe corporelle en décomposition aurait pour seul but d'assouvir une faim éternelle. Autant dire qu'il avait tout, sauf envie de finir de cette façon.
Très honnêtement, s'il avait pu se passer de cette sortie, il l'aurait fait. Se mettre en danger de la sorte, ce n'était pas son truc. Parce que Stiles n'était pas réellement un homme de terrain : ce qu'il préférait, c'était élaborer des plans, coordonner les opérations, s'assurer que tout se passe bien et donner un coup de main si besoin. Le reste, il le laissait à sa meute, parce que ce n'était plus de son ressort.
Mais là, il était seul. Newt pourrait s'occuper de les ravitailler tous les deux, bien sûr, mais il était beaucoup trop faible. Cette blessure mal soignée mettait un sacré bout de temps à guérir et au vu de son apparence et de son emplacement, c'était un miracle qu'il y ait survécu. Penser au fait qu'il sortait avant son arrivée malgré son état le révoltait. Il le connaissait à peine, mais il voyait bien que Newt était quelqu'un de gentil et c'était également pour cette raison qu'il voulait s'occuper de leur ravitaillement. Le blondinet avait fait preuve d'un altruisme et d'une gentillesse extrême en le recueillant, en le mettant à l'abri et en acceptant de partager ses maigres ressources avec lui. Il se rationnait encore plus qu'auparavant pour que lui, Stiles, ait de quoi se nourrir, merde ! Il n'avait pas à faire ça, vraiment, mais il le faisait. Alors, l'hyperactif avait jugé bon d'inverser les rôles. Après tout, il était en bonne santé, lui. Et puis, sitôt rentré à Beacon Hills, il se remplumerait en un rien de temps. Repenser à sa ville surnaturelle préférée lui porta un coup au cœur. Beacon Hills… Ses amis, sa famille, son lycée, sa meute… Tout était là-bas. Chez lui. C'était chez lui et lui… Il était au cœur même de l'apocalypse.
Seul.
xxx
Thomas regardait les murs bleus de cette chambre qui était la sienne. Enfin, qui était censée lui appartenir d'après Scott. Le latino avait beau entendre les arguments de Lydia et Derek, il refusait toujours autant de penser que Thomas n'était pas Stiles. En fait, il continuait de se terrer dans cette espèce de déni qui semblait grossir de jour en jour. Thomas, de son côté, avait arrêté de se battre : non seulement ce n'était pas son combat mais en plus, il avait peur des potentielles répercussions que sa résistance pourrait provoquer. S'il trouvait effectivement Derek gentil derrière cet air rustre qui semblait le caractériser, il s'en méfiait toujours. Il en était de même pour Lydia. Il appréciait son intelligence et son apparente sympathie, mais… Il était toujours en territoire inconnu, dans un monde qu'il ne comprenait pas.
En fait, Thomas se contenait de manière générale. Il n'était déjà plus le jeune homme candide qui répondait sèchement dès que quelque chose le dérangeait, tout comme il arrêtait de piquer les gens dès quand ça lui chantait. C'était une question de sécurité, de survie. En lui, il y avait toujours cette peur de la violence, de représailles quant à son comportement ou une potentielle absence de coopération. Ce qui le surprenait réellement, c'était qu'on ne lui posait pas autant de question auxquelles il se serait attendu. Par souci de sécurité également, Thomas avait adopté un rituel qu'il effectuait tous les matins dès son réveil. Il s'agissait de quelque chose d'assez simple, en réalité. Si le jeune homme dormait relativement peu, il dormait tout de même plusieurs heures chaque nuit. Il suffisait à peine de quelques secondes pour lui injecter quelque chose. Alors, la première chose qu'il faisait en se réveillant était de se regarder, de palper son corps à la recherche d'un bleu, d'une trace de piqûre quelconque, quelque chose qui pourrait lui indiquer qu'on le manipulait dans son sommeil. Et même s'il ne trouvait toujours rien qui incriminerait ses geôliers, il continuait de perpétrer ce petit rituel le matin.
Thomas vit un cadre sur le bureau mal rangé du réel propriétaire de cette chambre.
Très honnêtement, il était perturbant de voir son reflet presque parfait tout en sachant qu'il ne s'agissait pas de soi. Ce Stiles Stilinski était étrange. C'était lui sans vraiment l'être. De ce qu'il pouvait dire, l'énergumène avait une carrure un peu plus fine que la sienne et un visage rieur. Oh, ce n'était pas pour autant qu'il respirait la joie de vivre. Néanmoins, il avait ce petit quelque chose, cette sorte d'étincelle qui faisait que son regard était accrocheur. Il avait cette ombre qui ne trompait pas et que Thomas reconnaissait fort bien. Ce qui lui faisait toutefois penser qu'il s'agissait bien d'une autre personne et pas d'une version de lui qu'on aurait fabriqué en trafiquant sa mémoire, c'était cette part d'espièglerie qu'il voyait dans ses yeux si semblables aux siens. Cet adolescent, son double, avait son caractère bien à lui et cela se sentait. Sur la photo, il siégeait aux côtés de Scott et de la rouquine, Lydia. Tous trois souriaient et c'était sacrément perturbant. Thomas, lui, n'aimait pas sourire.
Il n'avait jamais vraiment eu de raison de sourire.
Sauf quand… Non. Hors de question de penser à lui, à ce moment, à…
Le regard douloureux de Thomas tomba sur le grand tableau de recherches du propriétaire de la chambre. Les fils, les photographies, les articles de journaux… Pas de doute, son double était un petit enquêteur, en plus d'être un petit rigolo qui semblait croquer la vie à pleine dent. Il y avait parfois quelques mots d'écrits, entre les différents indices reliés. Stiles avait une écriture particulière. Elle était sèche, un peu penchée, avec les lettres tracées grossièrement. A cela, il devina qu'il était quelqu'un de pressé, quelqu'un qui avait toujours d'autres choses à faire, qui ne se posait jamais. En soi, le bordel organisé de sa chambre en était un bon exemple : il était certain que le jeune homme retrouvait toujours ce qu'il cherchait, mais qu'il ne prenait pas le temps de ranger si c'était pour ressortir quelque chose quelques secondes après. En cela également, ils étaient très différents l'un de l'autre et Thomas ne se reconnaissait absolument pas en lui. Stiles était bordélique : Thomas était toujours très maniaque et organisé.
En fait, cet étrange double était tout son contraire. On lui avait dit que Stiles était hyperactif, qu'il passait sa vie à rire, à parler, à courir à droite et à gauche tout en restant dans l'ombre, celui qui gérait tout de loin. Pour Thomas, c'était plutôt l'inverse. Il préférait tout contrôler en agissant directement sur le terrain et en lançant des assauts de manière organisée. Il parlait peu, ne le faisait que lorsque c'était nécessaire et avait perdu la notion de rire depuis un bon bout de temps. En cela, il ressemblait plutôt à Derek, qui ne faisait pas non plus partie du clan des bavards et semblait avoir, lui aussi, été peu épargné par la vie. Il avait cette ombre si reconnaissable dans le regard, beaucoup plus prononcée que celle de Stiles. La vie de son aîné avait dû littéralement voler en éclat par le passé, comme lui.
Stiles avait franchement un lit énorme. Un lit deux places avec un gros matelas et une couette gigantesque… De ce qu'on lui avait dit, il dormait toujours avec le même oreiller, son oreiller fétiche. L'ensemble semblait fort agréable pour dormir mais Thomas… Thomas n'avait réellement pas l'habitude d'un tel confort. Il se contentait généralement du minimum. Dans son monde à lui, celui qu'il comprenait, on ne pouvait pas réellement dire qu'il avait le choix… Il prenait ce qu'il trouvait, il survivait, et ça suffisait. De toute manière, ce n'était pas comme si le brun savait s'il allait se réveiller le lendemain… Chaque réveil dans son monde était une chance, la promesse d'un potentiel jour de vie supplémentaire.
Dans un sens général, la chambre de Stiles était plutôt chaleureuse. Il ne manquait de rien, semblait avoir tout ce dont il avait besoin et paraissait heureux, autant dans sa vie que dans ses recherches incompréhensibles. Et ça, c'était tout ce que Thomas n'avait pas.
Thomas n'aimait pas cet endroit et espérait vraiment qu'on vienne rapidement le chercher. Chez Derek, ça allait, c'était sobre, il avait généralement du temps seul et même si au fond, ça le minait, il préférait ça plutôt que de savoir qu'on l'attendait, qu'on épiait chacune de ses réactions… Parce que Scott était toujours là, à l'entrée de la chambre, depuis le début de la visite. Il attendait quelque chose, un signe positif de sa part mais qu'il arrête de rêver : non, Thomas n'avait aucune réminiscence de sa prétendue vie ici, non, il n'était toujours pas Stiles. C'était d'ailleurs ce qu'il se retenait de lui répéter depuis qu'il l'avait emmené ici. Encore une fois, il s'agissait de la peur des conséquences qui le retenait de faire quoi que ce soit.
Par chance toutefois – le ciel l'aurait-il entendu ? –, le shérif Stilinski, supposé père de son double, fit son apparition. Le regard bleu et dur le toisa un instant, avant de soupirer.
- Hale attend en bas, annonça-t-il comme une délivrance…
… Ce qui était sans doute le cas, au fond. Son fils était porté disparu et le seul être qui parcourait sa chambre de long en large était sa copie conforme, sans être lui. Le shérif cachait sa souffrance, mais Thomas la sentait fort bien et pour être honnête, il avait de la peine pour lui. Il hocha la tête, lui faisant comprendre qu'il avait assimilé l'information et lui indiqua qu'il était prêt à partir quand il le voulait. Scott émit une objection mais ne rata pas l'air soulagé de Noah Stilinski, à qui il tardait clairement que le double de Stiles s'en aille.
Ainsi, l'alpha raccompagna celui qu'il pensait être son meilleur ami jusqu'à la voiture de Derek, mettant fin à la torture mentale de Thomas.
