- Qu'est-ce qui t'arrive ?
La voix de Newt, bien que toujours faible, était empreinte d'une inquiétude marquée, tout comme son regard des abysses. Il fixait Stiles qui avait réussi sa première sortie sans se faire mordre et en plus de ça, en ramenant tout ce qu'il avait pu trouver en termes de nourritures et d'objets utiles, deux jours plus tôt. Il avait repéré quelques endroits inexplorés, non exploités par la plupart des survivants qui, depuis, devaient avoir passé l'arme à gauche. Ou bien sans doute faisaient-ils désormais partie des morts-vivants qui sillonnaient la ville, sans âme, dirigés par un appétit sans faim et sans fin.
Oui, Stiles avait réussi et ne s'était vraiment pas mal débrouillé pour un nouveau dans ce monde qu'il ne connaissait encore que très mal. Pour autant, il semblait à Newt que sa santé commençait lentement à décliner. Outre sa peau devenue pâle et les cernes qui creusaient ses yeux, c'était son air éteint et ses mouvements frénétiques qui commençaient sérieusement à inquiéter Newt. Les premiers jours, ça allait, et Stiles paraissait simplement canaliser son stress. Mais là… Il avait l'air de perdre pied. Là encore, le brun tapotait de manière maladive l'espèce de vieux stylo qu'il avait trouvé l'autre jour et qu'il avait tenu à ramener au Q.G, comme il aimait à l'appeler.
Newt fronça les sourcils en voyant que son colocataire ne lui répondait pas. Stiles ne lui avait pas donné l'impression de l'avoir entendu. Il n'avait esquissé aucun mouvement à part son tapotage intempestif et n'avait pas détourné son regard fixé sur le stylo. Il l'appela, encore, en vain. Alors, il se redressa en grimaçant et retint un gémissement alors que sa blessure – qui mettait beaucoup trop de temps à guérir – le tirait atrocement. Après de longs essais, il réussit finalement à se rapprocher de Stiles et lui toucher l'épaule. Le brun sursauta violemment et tourna brutalement la tête vers le blondinet.
- Qu'est-ce que… Quoi ? Articula difficilement l'adolescent aux multiples grains de beauté.
- Qu'est-ce qui t'arrive ? Répéta Newt comme il le put.
Parler avec sa blessure en plein milieu du torse était toujours aussi difficile, mais il faisait des efforts. Après tout, il était censé guérir, surtout depuis qu'il avait quelqu'un qui le soignait avec plus de soin qu'il ne le faisait lui-même. Et puis, Stiles faisait de son mieux pour s'adapter à ce monde qui n'était pas le sien, quitte à se dépasser lui-même pour leur ramener à manger. Pour quelqu'un qui n'avait jamais croisé de Fondu dans sa vie avant d'arriver ici, il s'en sortait bien… Ce qui l'aidait, c'était son instinct de survie, durement gagné chez lui. Newt ne connaissait pas grand-chose de son passé et à vrai dire, il ne l'avait pas encore vraiment questionné là-dessus. A vrai dire, il n'osait pas vraiment. Il sentait son mal-être, trop habitué à côtoyer la mort et la tristesse au quotidien, alors il n'avait aucune envie de remuer le couteau dans la plaie. Se faire arracher de chez lui pour atterrir ici devait être une horreur.
Stiles le regarda d'un air absent et finit par froncer légèrement les sourcils. Son front se plissa et il finit par se pincer l'arête du nez. Newt commença à s'inquiéter mais finalement, le brun finit par lui répondre après quelques secondes d'un blanc étrange :
- Je… Je crois que ça commence à être difficile.
Sa voix était pâteuse et parler semblait lui être un effort, comme pour Newt mais pour des raisons différentes. Le blond se rapprocha tant bien que mal de Stiles de manière à s'assoir à côté de lui en grimaçant et une fois qu'il eut réussi, il remarqua une chose et pas des moindres.
Le brun faisait toujours attention à ce que son hôte fasse le moins d'efforts possible pour qu'il se ménage. Il l'aidait à chaque déplacement, faisait tout pour qu'il ait un maximum de confort avec les moyens du bord. Newt pouvait très bien s'en sortir sans et à vrai dire, il n'en demandait pas tant à son invité, mais le changement était flagrant. Il n'allait pas se plaindre – bien que sa vie actuelle était bien plus facile depuis que Stiles y était entré. Toutefois, cette brutale différence était là. Et il fallait qu'il comprenne. Si le brun était effectivement d'une grande aide, c'était aussi quelqu'un de perdu et d'agréable qu'il ne comptait pas laisser tomber. Le monde tombait en ruine, les derniers survivants mouraient peu à peu, mais ils étaient encore là. Même s'ils ne se connaissaient pas extrêmement bien, ils allaient continuer d'avancer ensemble. Après tout, n'étaient-ils pas dans la même merde ?
- Qu'est-ce qui commence à être difficile ? S'enquit Newt en faisant de son mieux pour ne pas trop forcer sur sa voix.
De nouveau, il y eut quelques secondes de flottement, puis :
- Je… Je commence à dérailler.
Newt chercha alors à en savoir plus et sa première réaction fut de lui demander de préciser sa pensée. Stiles soupira et prit un bon moment avant de répondre. Sa réflexion, pourtant invisible et silencieuse, était palpable. Le blondinet pouvait presque apercevoir les rouages de son cerveau en pleine ébullition.
- Je suis hyperactif, j'ai un TDAH assez… Assez présent, lui apprit alors le brun. Et je suis ici, sans… Mon traitement. Il m'aide à me… Canaliser, à ne pas trop réfléchir, à… Me concentrer… C'est quelque chose que je prends… Tous les jours. Sans, c'est… C'est vraiment compliqué.
Déjà plusieurs jours qu'il était ici et si les effets de son sevrage drastique et brutal ne s'étaient pas pointés dès le début, ils commençaient à réellement se faire ressentir depuis sa première sortie et c'était violent. Si l'hyperactif était autrefois réticent à l'idée de commencer à prendre son traitement – combien de fois son père avait-il dû le réprimander pour cela ? –, il comprenait désormais totalement pourquoi il ne pouvait pas s'en passer. Stiles était une usine à réflexion. Trop penser rendait malheureux et il le savait. Il ne se passait pas une seule seconde sans qu'il songe à ses amis, son père, son quotidien. Il ne se passait pas une seule seconde sans qu'il réfléchisse à tout ce qui concernait ce monde. Il ne se passait pas une seule seconde sans qu'il n'imagine tout un tas de scénarios pour tout un tas de situations impossibles, probables, possibles. Et cela, pour tous les domaines. Trop réfléchir l'épuisait. Mais il ne pouvait pas se reposer, parce que dormir commençait réellement à devenir un enfer. Sa tête bourdonnait sans arrêt et ça, c'était quand il n'avait pas simplement mal au crâne. Ça lui prenait d'abord dans le creux de la nuque avant de remonter et de prendre sa tête dans un étau douloureux. Et puis après, s'endormir était en train de devenir une épreuve. Son cerveau n'arrêtait pas de le harceler avec ses réflexions, avec des images qui le terrorisaient. Des images qu'il arrivait à garder loin de son esprit en temps normal mais qui commençaient à devenir sérieusement incontrôlables. Alors la journée, son hyperactivité s'en donnait à cœur joie. Tapoter, triturer… Ses tics et tocs s'enchaînaient, se remplaçaient, se complétaient. C'était aussi fatiguant pour lui que pour quiconque se trouvant à ses côtés, il le savait, mais il était… Impuissant. Ce qui retenait et canalisait son hyperactivité, c'était bien l'Adderall. Sans lui, il ne pouvait pas contrôler grand-chose.
Et le pire dans tout ça, c'est qu'il était confus, sans arrêt. Il fallait qu'il se concentre – ce qui était déjà difficile en soi – pour démêler ce qui était de ce qui n'était pas. Parce qu'un brouillard énorme passait à travers chacune de ses pensées, chacune de ses réflexions et il lui fallait un temps certain pour assimiler la moindre information.
- C'est le bordel dans ma tête, gémit-il en se la prenant dans les mains d'un air désespéré.
C'était en effet bel et bien le cas. Rien n'était rangé, tout se baladait, se mélangeait, se séparait. Contrôlait le flux et le rythme de ses pensées seul, sans aide, était impossible. Alors, Stiles avait peur. Non, il était terrifié.
Parce qu'il se pourrait bien qu'il perde doucement la boule.
Un sevrage, c'était rarement simple et il fallait généralement y aller petit à petit, qu'importe le sujet. Lorsqu'il était brutal comme cela, il fallait s'accrocher, parce que ce n'était vraiment pas simple. La violence du retour était folle. Ce sevrage si soudain faisait que ses symptômes s'aggravaient et apparaissaient plus sévères qu'avant la première prise de son traitement. S'il n'arrangeait pas vite son problème, la suite s'avèrerait bien compliquée pour lui.
Stiles savait qu'il ne voulait pas devenir fou, mais que pouvait-il y faire ? Il n'avait rien, ici, rien qui pourrait l'aider, et réfléchir de manière logique n'était vraiment pas une chose aisée dans sa situation. Il ne faisait que penser, penser et encore penser, mais rien n'avait de sens, parce que tout s'emmêlait. Lorsque Newt parlait, c'était une torture : entendre était une chose, comprendre en était une autre, assimiler de sorte à pouvoir répondre quelque chose de cohérent était encore bien différent. Il espéra alors vaguement que le blondinet ne lui en voulait pas, lui mettre des vents ou mal lui répondre ne faisait pas partie de ses objectifs. C'était on ne peut plus involontaire.
- J'suis désolé, arriva-t-il à s'excuser de sa voix toujours aussi pâteuse.
- Stiles. Stiles, Stiles écoute-moi. Stiles, l'appela encore et encore Newt en se faisant violence pour passer outre sa douleur. Ecoute-moi bien. Tout ira bien, d'accord ? Je sais où trouver quelque chose qui peut peut-être t'aider.
Il était difficile pour l'hyperactif de faire ce que le blondinet lui demandait, mais par égard pour lui, il fit de son mieux. C'était vraiment difficile, même garder son regard fixé sur lui était une épreuve. Sans même se voir, Stiles avait l'impression d'avoir un air fou.
Patient, Newt mit ses problèmes et douleurs de côtés pour lui expliquer ce qu'il savait.
Lui indiquer où il pourrait peut-être trouver un substitut de son Adderall.
