Stiles ouvrit les yeux sur Newt, qui le regardait d'un air inquiet. L'hyperactif, lui, était relativement calme, jouissait d'une tranquillité dont il avait cruellement manqué ces derniers jours. Vivre avec un colocataire insupportable qui l'embêtait sans arrêt, l'empêchait parfois de dormir, dérangeait ses pensées au point de le mettre dans un état de confusion extrême… C'était difficile, surtout quand le colocataire en question n'était autre que lui-même. Cependant, les comprimés qu'il avait trouvés grâce aux indications de Newt changeaient la donne. Si l'effet n'était pas aussi puissant que celui de son Adderall – et qu'il devait donc, par conséquent, en prendre un peu plus tout en faisant attention –, c'était toutefois la meilleure chose qu'il pouvait avoir auprès de lui dans ce monde désolé. Il pouvait réfléchir à nouveau, ne pas mettre de longues minutes à comprendre de simples mots. Il pouvait parler avec Newt sans se torturer pour essayer de capter les mots, de les dissocier entre eux, de saisir le sens d'idées simples tout autant que leur cohérence.
Stiles était de nouveau lui-même.
Aller au-devant du danger dans son état n'avait pas été facile, mais il avait réussi. En fait, sans Newt, Stiles n'aurait pas réussi à atteindre l'endroit, tout comme il n'aurait pas réussi à ne serait-ce que faire attention à son environnement, aux morts-vivants peuplant la ville morte. Parce que Newt était toujours affreusement blessé, qu'il fallait le soutenir pour l'aider à marcher. Et pourtant, ce n'était pas un poids, loin de là.
Pour le coup, il avait été son ancrage. Son ancrage habituel – et secret – n'était pas là, alors, il avait fait autrement. Devoir soutenir Newt et faire tout ce qui était possible pour lui faire courir le moins de danger possible lui avait permis de se concentrer malgré la maladie, assez pour arriver dans ce vieil hôpital abandonné, récupérer le médicament après l'avoir fébrilement cherché pendant que Newt tuait comme il pouvait un ou deux zombies perdus dans les couloirs. Il avait beau être faible, il avait de la ressource. Et puis il s'était effondré contre un mur, attendant que Stiles revienne après avoir pris deux comprimés de son désormais précieux trésor dont il avait, depuis, fait du stock.
Et ça, c'était il y a quatre jours.
Pour l'instant, il était stable.
- Je vais bien, le rassura-t-il d'une voix faible.
Son ventre gargouilla et le regard ébène de Newt continua de le fixer avec inquiétude. Atrocement cerné, le jeune homme faisait peine à voir. Et pourtant, Stiles prenait soin de lui comme il pouvait et faisait en sorte qu'il puisse manger le plus possible.
Lui, n'avait rien avalé depuis la veille, mis à part une pauvre miche de pain trouvée dans la journée.
xxx
Thomas ne voulait plus sortir. Il était bien, chez ce Derek, en compagnie de celui-ci. La rouquine, Lydia, était également d'agréable compagnie, tout le contraire de Scott qui ne cessait de l'agacer. Et si, à force, il commençait à se dire que, peut-être, ces gens-là n'étaient pas de WICKED, il restait tout de même toujours sur ses gardes. Toutefois, il se permettait de se détendre en leur présence. Après tout, il ne trouvait toujours pas de trace de piqûres sur son corps, ne perdait pas connaissance, analysait sans arrêt ses journées à la recherche d'un élément qui ne collerait pas, même si sa vie en elle-même était étrange. A vrai dire, il ne comprenait toujours pas ce qu'il faisait dans cette ville, Beacon Hills, ni comment il était arrivé. Le pire, c'était que ces gens qui l'accueillaient n'en avaient aucune idée et paraissaient franchement désemparés lorsqu'il avait le courage d'aborder le sujet en surface.
Thomas aimait bien Derek, sincèrement. C'était un hôte discret qui lui laissait de l'espace. Il lui avait certifié qu'il pouvait se servir dans le frigo à sa guise ! Manger, manger sans compter ! C'était quelque chose de rare, dans son monde. Il fallait toujours se battre pour avoir quelque chose, fouiller les maisons, essayer de faire vivre quelques cultures, rassembler des animaux – c'était le plus difficile –, empêcher de rares voleurs de s'emparer de ses vivres… Chez lui, manger, c'était l'enfer. Et là, Derek lui laissait l'accès libre à son garde-manger. Ce qui était surprenant, c'était qu'il avait de tout : des fruits, des légumes, de la viande, des produits laitiers… Et il n'avait pas l'air d'en manquer. Mais aux yeux de Thomas, ce n'était pas le plus important.
Derek était profondément humain, même s'il n'en avait pas l'air de prime abord. Il faisait attention à son bien-être sans marcher sur ses plates-bandes, lui laissait du temps, de l'espace, de longs moments de tranquillités. Il parlait peu, mais suffisamment et en cela, il ressemblait à Thomas, qui n'ouvrait jamais la bouche pour ne rien dire. Leurs conversations étaient chaque fois courtes, mais utiles et le brun commençait à lui faire confiance. Un peu. Pas de manière démesurée non plus. Il y avait quelque chose en lui qui lui soufflait que Derek avait des choses à cacher. Il avait cet air un peu sauvage, un peu… Animal qui titillait son instinct de survie, mais si c'était effectivement le cas, ce même instinct lui soufflait que ça allait, cet homme ne lui voulait pas de mal.
S'il y avait bien quelqu'un que Thomas avait tout sauf envie de voir, c'était Scott, son soi-disant meilleur ami. Si c'était réellement celui de ce Stiles qui serait apparemment son portrait craché, ledit Stiles devrait penser à revoir ses critères de fréquentation : qu'est-ce que Scott était idiot ! Sa mâchoire déformée aurait pu ne pas lui donner cet air benêt s'il n'était pas benêt à la base. Parce que le latino, aussi gentil qu'il avait l'air de l'être, ne comprenait toujours pas que Thomas n'était pas Stiles et à force, cela devenait sérieusement usant, à tel point que le brun avait fini par en parler à son hôte. Scott n'était pas méchant, juste… Bête, mais il le mettait mal à l'aise, comme s'il faisait une espèce de transfert. Il ne prenait même pas la peine de l'appeler Thomas ! Non, c'était Stiles, encore Stiles, toujours Stiles. Thomas, qui trouvait ce prénom – en vérité, il paraissait qu'il s'agissait d'un surnom – moche, commençait sérieusement à le haïr. Il avait compris qu'il remplaçait quelqu'un d'ici mais il n'y pouvait rien, alors qu'on respecte son identité !
En fait, à chaque fois que Scott faisait son apparition, Thomas avait besoin de se défouler, de se dépenser et, accessoirement, de faire quelque chose de bien pour sa santé.
Dans son monde, il avait l'habitude de faire du sport régulièrement, principalement pour se maintenir en forme. On ne savait jamais ce qu'il pouvait se passer, alors mieux valait être prêt physiquement. Mais plus qu'un moyen de parer à toute éventualité, le sport était pour Thomas un moyen de s'aérer l'esprit. Alors, il avait recommencé à en faire. Pour ce qui était des pompes et de tout autre exercice au sol, il le faisait dans sa chambre juste avant sa douche. Concernant les tractions, il attendait que Derek s'en aille faire il ne savait quoi et puis, il se lançait, dans le salon, où le loup avait une barre qu'il utilisait régulièrement. En pantalon de jogging et torse nu, il s'élevait à la force de ses bras et déployait cette fine musculature que l'on ne devinait pas de prime abord. Thomas était taillé, c'était certain, mais il n'allait pas s'en vanter, ce n'était pas son genre.
Par contre, il était loin de se douter que la séance de sport qu'il allait entamer ce jour-là allait changer le cours des choses.
xxx
- Il va bien, lâcha simplement Derek sans regarder en arrière, concentré sur la route. Mais je persiste à dire que ce n'est pas Stiles.
- Je confirme, l'appuya Lydia.
Jackson, à l'arrière avec Malia, hocha la tête. Il gardait un pli soucieux au front. A vrai dire, il s'en voulait comme rarement il s'en était voulu. Au départ, il n'avait pas pensé à sa responsabilité dans cette histoire, mais plus les jours passaient, plus il ruminait. D'accord, « Stiles » était revenu. En bon état, si on excluait tous ces os cassés dont il avait encore l'image en tête. Les radios montrées par Melissa McCall le hantaient. Des os brisés, puis ressoudées. Quoi qu'il avait pu lui arriver, cela avait dû être atrocement douloureux. Et Jackson s'en voulait, parce qu'il avait participé à l'appui de cette mission qui leur avait pris l'hyperactif. Il avait insisté lui aussi pour que Stiles aille au Nemeton. Il savait qu'il en avait peur, mais il se disait qu'avec le temps, cette peur avait dû s'estomper, ne serait-ce qu'un peu. Que nenni. Il l'avait bien sentie durant la dernière réunion de l'hyperactif, mais il l'avait minimisée. Et il n'aurait pas dû. Bordel, il n'aurait pas dû ! Mais si Jackson n'était pas autant concentré sur lui-même, il aurait réfléchi et se serait dit que celui qui avait la plus grande part de responsabilité dans cette histoire, c'était bien Scott qui, en plus de réaliser ce plan, l'avait validé. C'était lui qui avait délibérément changé certaines personnes de poste. Il aurait pu envoyer Lydia qui n'était pas une louve et aurait pu sans problème passer la barrière créée par la poudre de sorbier, ou même Mason, Melissa directement…
Mais Stiles.
Stiles.
Oui, si Jackson ne s'en voulait pas autant, il aurait réfléchi plutôt rapidement et se serait rendu compte que Scott avait envoyé son meilleur ami à l'abattoir. Que ce soit volontaire ou pas, c'était un fait. Derek leur avait fait écouter les messages. Stiles avait hurlé, Stiles avait souffert. Avait-il justement souffert des mêmes lésions que son « double » ? Jackson ne voulait pas l'imaginer.
C'était sa culpabilité qui l'avait poussé à vouloir voir « Stiles » même s'il savait par Lydia et Derek que le jeune homme s'évertuait à dire que « ce mec au nom à coucher dehors » n'était pas lui. Toutefois, il avait besoin de lui parler, de s'excuser pour ce désagrément qu'il n'avait pourtant pas causé.
Et que faisait Malia dans tout ça ? Elle était curieuse. Toujours un peu à l'ouest, elle venait voir comment se portait son ex petit-ami qu'elle avait, l'air de rien, un peu aimé. Il était sympathique et elle avait eu de l'affection pour lui. Ils avaient eu une relation, s'étaient considérés comme en couple, mais… Ce n'était pas de l'amour au sens propre ni pour l'un, ni pour l'autre. En fait, Stiles l'avait grandement aidée à s'adapter à ce monde qu'elle avait oublié, à apprendre à se contrôler, à ne plus céder à sa part animale à chaque sursaut d'émotion. Durant un temps, Stiles avait été son ancrage. Alors, elle pouvait bien lui rendre une petite visite et si ce n'était vraiment pas lui… Tant pis. Malia était pragmatique : s'il y avait un problème, elle passait rapidement à autre chose.
Et puis, et c'était là le principal motif de la visite, la coyote avait pensé à quelque chose pour vérifier définitivement l'identité du brun aux yeux ambrés. Selon Derek, c'était inutile : déjà plusieurs jours que Thomas vivait chez lui, et il commençait à bien le cerner. Stiles et lui n'avaient de semblable que l'apparence.
Elle leur avait alors rappelé l'histoire de Donovan et leur avait appris une chose, et pas des moindres : Stiles avait une trace de morsure au niveau de l'épaule. C'était une blessure dont il n'avait jamais pris soin et qui s'était lentement transformée en une cicatrice hideuse. C'était le genre de chose qui passait difficilement inaperçu et c'était pour ça que Stiles faisait toujours attention à la cacher. Parce que depuis cet incident qui, il fallait le dire, l'avait traumatisé, il ne se changeait plus devant qui que ce soit et faisait en sorte de porter des vêtements assez serrés, de manière à ce qu'on ne voit pas son épaule par inadvertance. Si Lydia et Jackson apprirent l'histoire et l'accueillirent avec une surprise non dissimulée – c'était à peine si Scott leur en avait touché un mot autrefois, tant il avait été flou –, Derek gardait un visage impassible. Il l'avait toujours en tête, cette histoire et pour être honnête, il s'en voulait de n'avoir pas été là mais sa principale rancune allait vers Scott qui avait été plutôt égoïste à ce moment-là. Comment avait-il pu préférer croire un presque inconnu et laisser son meilleur ami tomber ? Encore aujourd'hui, Derek n'avait pas la réponse mais si le latino ne rendait pas honneur à son statut d'alpha à ce moment-là – à cause, sans doute, d'un manque de maturité –, il espérait que ça irait mieux avec le temps.
Toutefois, si Scott continuait comme cela, il faudrait faire quelque chose.
Sur ces pensées pas forcément très positives, Derek stoppa sa voiture après l'avoir garées à côté de son immeuble. Le moment était venu et il espérait que Thomas ne prendrait pas mal cette demande qu'il devrait lui exposer même si, selon lui, elle n'était pas utile. Il se rendait bien compte que Thomas commençait à peine à se tranquilliser même s'il sentait toujours une certaine méfiance émaner de lui.
