- Ce n'est pas Stiles, martela Derek.

Thomas leva les yeux au ciel dans un geste se voulant désinvolte qui dissimulait une angoisse sourde. Après tout, il avait beau se sentir un peu plus à l'aise chez son hôte, ce n'était pas pour autant qu'il ne le considérait pas toujours comme un inconnu. Que savait-il de lui, de ce monde ? Pas grand-chose.

- Ben voyons, c'est pas faute de vous l'avoir répété, lâcha Thomas en levant les yeux au ciel.

Enfin, il donnait l'air de s'en foutre royalement, mais c'était simplement pour se donner un genre. Quelque chose en lui le poussait à continuer de craindre ces gens qui avaient, semblait-il, grandi dans l'opulence, dans ce monde si… Paisible. Après quelques jours, il s'était tout de même informé du fonctionnement de cet endroit, de ce pays et avait découvert qu'il était bien moins blanc qu'il n'y paraissait. Toutefois, il n'y avait pas photo et à côté de la terre dans laquelle il avait grandi… Ici, c'était le paradis. Il y avait des enlèvements, des meurtres, des atrocités. Tout un tas de choses tachait ce monde-là, mais… Il restait vivant. Thomas était peut-être tordu, mais il ne pouvait s'empêcher d'idéaliser cette ville, Beacon Hills et tous les petits villages avoisinants. C'était plus des gens qu'il avait peur. Néanmoins, il s'efforçait de se tranquilliser à leurs côtés. Après tout, ils le traitaient bien et il avait beau vérifier, il ne trouvait toujours aucun bleu, aucune trace de piqûre sur sa peau claire, qu'il regardait tous les matins. Généralement, il se tâtait et s'observait lorsqu'il se douchait, le matin. Entièrement nu, il regardait chacun des recoins et regrettait parfois de ne pas être extrêmement souple. En soi, il allait bien. Mais il n'arrivait pas à se faire à cette nouvelle condition, à son arrivée incompréhensible dans cette forêt. Il avait un clone qu'il n'avait jamais vu et à vrai dire… Cela l'angoissait un peu.

Parce qu'une zone d'ombre en cachait une autre. Oui, il était bien traité : nourri, logé, on prenait soin de lui et on lui parlait comme à un égal. Mais il n'était pas Stiles. Il n'était pas celui qu'on appréciait, celui dont on attendait désespérément le retour. Non, il était… Juste quelqu'un d'autre qui avait la chance ou bien la malchance – seul l'avenir le lui dirait – d'avoir le même visage que lui. Alors, la question dudit avenir se posait. Que ferait-on de lui ? Si ce Stiles réapparaissait, le garderait-on ici ? Le laisserait-on s'en aller ? Le ficherait-on à la porte ? Thomas ne connaissait pas encore réellement bien ce monde et il n'avait aucune idée de la manière dont il était arrivé, alors repartir… C'était compliqué. A vrai dire, si ça ne tenait qu'à lui, il s'en serait déjà allé. Son monde à lui n'était pas des plus faciles, il fallait même tout faire pour survivre, mais… C'était le sien. Là-bas, il y avait ses amis et même certaines personnes qu'il considérait comme faisant partie de sa famille.

Newt était autrefois l'une de ces personnes.

Thomas chassa au plus vite de son esprit le visage lisse de son ancien meilleur ami. Il ne devait pas y penser. Les morts appartenaient au passé et même s'il ne fallait pas les oublier, Thomas ne supportait pas y accorder trop d'attention. Parce que… C'était trop douloureux. Jusqu'au bout, il avait cru pouvoir le sauver, jusqu'au bout… Il avait eu l'espoir de lui faire découvrir une terre vierge de fondus, une terre où ils pourraient… Vivre, juste vivre. Et peut-être, peut-être… Enfin l'apprécier à sa juste valeur. Parce que Newt, c'était un joyaux, un diamant brut, l'un des êtres les plus précieux à son cœur.

Et il était mort.

Il avait poignardé le blondinet alors que celui-ci l'attaquait, les yeux révulsés et noirs, le sang de jais dégoulinant de ses plaies ouvertes, le visage strié d'horribles veines sombres.

Thomas ferma les yeux un instant. Il ne devait pas y penser. Jamais. Surtout pas en la présence de ces gens étranges. Mais c'était dur parce que le manque était toujours là, même après des mois. Le jeune homme doutait même qu'il diminue en intensité un jour. Newt faisait partie de ces gens qui laissaient un grand vide après leur départ.

- Thomas.

Le jeune homme sursauta et rouvrit les yeux d'un coup. La honte le prit. Il avait sursauté pour rien, juste parce que… Parce qu'il s'était perdu dans ses pensées et ne s'attendait pas à ce qu'on lui parle. Après tout, il était le sujet de la conversation, mais pas un de ses acteurs…

Derek le regardait d'un air indéchiffrable, un air qu'il craignait. Parce que… Thomas aimait savoir à quoi s'attendre et avec cet homme à l'éternelle barbe de trois jours, c'était difficile. Pas impossible, mais réellement difficile. Ici, dans ce monde, cet appartement, Thomas ne maîtrisait rien, à part son contrôle sur lui-même et ses émotions. Et il détestait ce sentiment, car tout semblait pouvoir lui échapper à n'importe quel moment.

- Viens, lui dit simplement le loup.

Sans réellement hésiter parce que toute manière il ne voyait pas ce qu'il pourrait faire d'autre, Thomas suivit Derek qui l'entraîna dans le couloir, puis lui fit passer une porte. Le brun regarda autour de lui. Il s'agissait d'une pièce aérée, un bureau simple avec quelques étagères remplies de livres, et un vieil ordinateur qui dénotait totalement avec la modernité du lieu. Il s'empêcha de sursauter lorsque Derek ferma la porte derrière lui. Il le regarda, craintif, mais essaya de ne pas trop le montrer. Cet homme avait une facilité pour le décoder et deviner ses émotions à tel point que c'en était incroyable. D'un pas aussi sensuel que léger, Derek alla se rapprocher du bureau avant de s'appuyer contre et de croiser ses bras sur son torse que Thomas devinait musclé. Son marcel le moulait aussi plutôt bien et en montrait autant qu'il laissait de place à l'imagination.

- Qu'est-ce qui t'arrive ? Je sens ton stress à des kilomètres à la ronde.

Derek parlait d'un air désinvolte et désintéressé, mais son regard ne trompait pas. Thomas retint un soupir. Oui, il avait oublié ce détail. L'homme parlait souvent d'odorat, du fait qu'il « sentait » les choses. C'était un peu bizarre et conférait à Derek un côté… Animal. Oui, animal était le bon mot. En sa présence, Thomas avait l'impression que le moindre de ses secrets était étalé devant lui, prêt à être dévoilé. Parce qu'il lui faisait un minimum confiance et que de toute manière, sa confession n'était préjudiciable pour personne, il ne chercha pas à cacher son mal-être plus longtemps. De toute manière, Derek devinait la moindre de ses émotions, alors lui dissimuler quoi que ce soit ne servait à rien. Au moins, il avait la décence de ne pas lui demander des comptes devant les autres. Thomas lui était reconnaissant de ce soin qu'il avait parfois de lui éviter de devoir s'exprimer devant ces gens qu'il connaissait si peu.

- Je… C'est juste que je suis perdu, avoua-t-il en restant planté au milieu de la pièce.

- Développe, lui demanda l'homme en lui désignant d'un vague geste de la main un siège à côté du bureau.

Thomas hésita un peu, mais capitula bien vite et enfonça ses fesses dans la matière molle et agréable recouverte d'une sorte de velours. Il ne savait pas où se mettre, pas comment se comporter. Il faisait le dur, le fier, mais au fond, c'était un gosse complètement paumé. Un gosse qui n'avait pas vraiment eu d'enfance et qui avait œuvré dans un monde en perdition. Le peu de repères qu'il avait dans la vie avaient basculé. Son seul phare actuellement, c'était Derek, parce qu'il avait l'air d'une stabilité à toute épreuve.

- Qu'est-ce que vous comptez faire de moi ? Finit-il par demander en relevant la tête vers son hôte.

Derek haussa un sourcil mais ne répondit pas. Il le toisait, semblait décortiquer la moindre de ses paroles. Et Thomas interpréta cela comme un refus de répondre. Il réessaya tout de même, en développant sa pensée :

- S'il… Si ce Stiles réapparaît, qu'est-ce qui va m'arriver ? Et s'il ne revient pas ?

Il exposait ses craintes, ses inquiétudes, parce qu'elles tournaient en boucle dans sa tête et ne pas pouvoir trouver de réponse seul le rendait fou. Il y pensait oui, souvent. Et maintenant que ces gens avaient une preuve concrète de son identité… Ses questionnements avaient gagné en importance. Avant, l'on avait le doute : bien le traiter était donc une obligation. Mais là ? Maintenant que l'on savait parfaitement qu'il n'était pas… Pas le bon Stiles ? Intérieurement, Thomas enrageait autant qu'il angoissait. Il n'avait pas la moindre prise sur sa propre vie. Il avait l'impression d'être aussi démuni que lorsqu'il s'était réveillé dans la Boîte, au bloc. Sachant combien ils étaient douloureux, Thomas se força une fois de plus à museler ses souvenirs.

- Je n'ai aucune idée d'où il peut être, souffla-t-il, absent. Son absence est mon salut et en même temps, pas vraiment. Si on le retrouve, je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire dans ce monde auquel je ne comprends rien. Et si on ne le retrouve pas… Je ne sais pas, vous allez… Peut-être me tuer, ou essayer de me faire avouer des choses que j'ignore. J'en sais rien et c'est insupportable. Je suis perdu. Je sais pas quoi faire, quoi penser. Je sais pas sur quoi je peux me reposer pour rester sain d'esprit. J'ai l'impression que je vais devenir fou.

Il passa sa main sur son visage. Ereinté, il était éreinté. Autant physiquement que mentalement. Il s'entretenait, faisait du sport pour rester en forme, mais ce n'était pas suffisant et à force, il fatiguait. Et il n'avait absolument aucune idée de l'utilité de son discours. Il avait été honnête : aussi soulageant que c'était, cela pouvait lui coûter cher. Tout dépendrait de la manière dont Derek le prendrait.

Et Thomas… N'était pas sûr de vouloir le savoir. Se confier, c'était tout ce qu'il pouvait faire, et encore… Il verrait bien les conséquences. Perdu et à bout mentalement, il soupira sans oser relever les yeux vers son vis-à-vis, dont il sentait le regard brûlant sur son être.