- Tu sais, commença Derek, on est pas des barbares. On ne tue pas comme ça.
Même si ces paroles étaient censées rassurer Thomas, il ne montra aucun signe de décrispation. Ce n'était pas ça qui allait le détendre. Pourtant, même si l'expression de l'homme était indéchiffrable, il n'était pas agressif, loin de là. En fait, se retrouver face à lui avait quelque chose de particulier. Il dégageait une aura particulière, un mélange paradoxal de calme et de sauvagerie. Derek Hale semblait être quelqu'un qu'il n'était pas facile d'ébranler, mais qui pourrait faire des ravages une fois énervé. Il avait ce truc qui rappelait l'animal, un détail qui lui laissait à penser qu'il était sans cesse dans le contrôle, ce qui le rendait d'autant plus dangereux, en soi. En fait, l'impression que lui faisait Derek était toujours plus paradoxale chaque fois qu'il posait ses yeux ambrés sur sa silhouette plus qu'élancée. Protecteur. Guerrier. Ces deux mots n'allaient pas vraiment ensemble à ses yeux, mais ils collaient à cet homme étrange à qui il pourrait confier sa vie, en ayant toutefois quelques réticences. Et pourtant, il s'agissait de celui avec lequel il se sentait le plus à l'aise parmi tous les membres de ce groupe un peu étrange. Enfin, tout était relatif.
L'homme soupira et ancra son regard dans le sien.
- Pour être tout à fait honnête avec toi, Stiles n'est pas quelqu'un de facile à vivre, mais c'est quelqu'un qu'on apprécie pourtant tous. Je l'apprécie beaucoup.
Il fit une très légère pause.
- Je donnerais beaucoup de choses pour le retrouver.
Son regard s'était assombri.
- Mais je ne sacrifierais certainement pas la vie de celui qui est revenu à sa place. Tu as été arraché à ton monde, il l'a été au sien.
Il paraissait inflexible et c'est cette inflexibilité qui continua doucement de détendre Thomas. S'il devait effectivement finir par se fier à quelqu'un, ce serait certainement à Derek qu'il accorderait sa confiance, si difficile à obtenir. C'était étrange comme cet homme pouvait autant faire peur que rassurer. Un mélange particulier entre sauvagerie et droiture.
Cela lui rappelait quelqu'un.
Thomas se mordit la lèvre inférieure. Pourquoi continuait-il de se rappeler sans cesse à sa mémoire ? Les morts avaient cela d'inconvenant que de venir toquer à la porte de l'esprit des vivants sans que ceux-ci n'aient leur mot à dire. Ils faisaient souffrir leurs proches en mourant, alors pourquoi insister encore et réveiller cette douleur si difficile à faire taire ?
- A quoi tu penses ? Lui demanda Derek d'un air insondable.
Il gardait les bras croisés sur son torse, dans une attitude toutefois fort détendue. Thomas n'était toujours pas vraiment à son aise et ne réfléchit pas vraiment à la question, tout comme il ne chercha pas à en dissimuler la réponse :
- A un ami, enfin… Il était bien plus que ça, mais… Tu m'as fait penser à lui.
Sa voix était amère, un peu dure, mais empreinte d'une douleur qui ne pouvait pas se feindre. Ce garçon avait un vécu, et bien le sien. Pas celui de quelqu'un d'autre. Il avait aussi sa propre personnalité et désolé pour Scott, mais Derek constatait toujours plus à chacune de ses interactions avec Thomas à quel point son alpha avait tort. Et sans qu'il eut besoin de dire quoi que ce soit, le brun aux multiples grains de beauté continua :
- Il avait ce regard dur… Très sombre. Le tien est clair mais… Tu as cette même dureté. Quand on te regarde, c'est difficile de savoir si tu vas attaquer ou pas et pourtant… Tu dégages quelque chose de rassurant. Lui, c'était la même chose. Il était… Il était particulier, oui, mais il n'y avait qu'en sa présence que je me sentais bien. On avait beau être dans un monde de merde et risquer notre vie chaque jour… Avec lui, c'était plus simple.
Derek le regardait tout autant qu'il l'écoutait. Et comprenant parfaitement à quoi faisait référence son utilisation du passé, il eut la décence et le respect de ne pas lui en demander la raison. Rien qu'avec ses explications, il put comprendre cette peine qui pimentait son odeur de manière désagréable et ce regard dur que seul le manque dû à la perte d'un être cher causait. Derek était sans doute le mieux placé pour discuter de cela avec lui. Parce que dans le fond, ils n'étaient pas si différents.
- Tu l'aimais ? Demanda-t-il simplement.
Derek n'explicita pas, jugeant le sens de sa question assez clair. Il n'était pas anodin. Thomas poussa un soupir tremblant.
- Oui, beaucoup, souffla-t-il douloureusement.
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- Il était… Différent, articula Newt. Pas comme tous ces mecs qui étaient sortis de la boîte.
Reposant sur la couchette de fortune avec la tête enfoncée dans un semblant d'oreiller que Stiles avait déniché lors de sa dernière exploration, Newt lui parlait de ce double qu'il n'avait jamais connu. Ce jeune homme qui avait exactement la même tête que lui, mais pas la même vie. Celle-ci était plus obscure, plus dure, d'une certaine manière. Il fallait du courage pour vivre dans ce monde peuplé par la mort en personne. Enfin, personne ici n'avait le choix. Stiles se corrigea donc : il fallait du courage pour vouloir survivre, ici. Courage qui, de son côté, n'avait jamais été extrêmement présent. Le peu qu'il avait encore s'égrenait doucement. Chaque jour qui passait le tuait à petits feux. Que dire de Newt qui, malgré les soins qu'il lui prodiguait aussi souvent que possible, faiblissait toujours un peu plus ? Stiles taisait comme il le pouvait l'angoisse qui prenait de plus en plus d'ampleur en lui.
Que ferait-il s'il venait, un matin, à découvrir le corps froid de Newt ? Le concerné n'en parlait pas, mais l'hyperactif voyait bien dans ses yeux qu'il y pensait, lui aussi. Sa blessure guérissait atrocement lentement et en attendant, elle l'affaiblissait. De plus, il s'était longtemps rationné et encore aujourd'hui, il ne mangeait pas à sa faim. Stiles prenait sur lui, taisait cette sensation qui habitait son ventre presque en permanence. Chaque jour, il réduisait sa portion, loupait d'ailleurs régulièrement des repas, juste pour offrir à Newt une chance de survivre.
Mais même ça, ce n'était pas certain.
Le blond continuait de faiblir malgré tous les soins qu'il lui apportait, comme si sa blessure grignotait sa vie jour après jour. Stiles essayait réellement de ne pas penser à ce qui allait probablement se passer d'ici quelques temps. Que ferait-il à ce moment-là ? Surtout… Que ferait-il sans Newt ? Outre son côté adorable et sa compagnie agréable, le blond était le seul être vivant qu'il connaissait dans cette ville, le reste n'étant qu'un amas de corps sans vie déambulant ici et là, sans but. Puis… Cette possibilité plus qu'envisageable le rendait triste. Il était gentil, Newt, et n'avait pas eu une vie facile. Il lui en avait seulement raconté des bribes, mais c'était suffisant pour dresser un portrait correct de son existence. Il n'avait jamais réellement pu goûter au bonheur, à l'amour, au repos. Se battre contre sa blessure, ce n'était pas du repos. C'était survivre encore un peu.
- Contrairement aux autres qui avaient déjà abandonné, Thomas avait déjà la rage de vaincre et pas un seul échec ne l'a arrêté. Il a… Il a fait sortir du labyrinthe ceux d'entre nous qui voulaient le suivre, pour être libres. Certains sont morts, parce que les enfoirés qui nous avaient coincé là avaient tout prévu pour que… Pour que seuls les « meilleurs » en réchappent. Ils n'ont pas hésité à sacrifier des vies et si ça n'a pas d'importance pour eux, nous… Nous on s'en souvient.
Malgré ses propres pensées envahissantes, Stiles l'écoutait religieusement. L'air de rien, il voulait connaître l'histoire de ce double bien différent de lui. Savoir qu'ici vivait autrefois un jeune homme de son âge, avec le même faciès mais une personnalité si opposée à la sienne le fascinait, dans un sens. Enfin, pas si opposée que cela. Stiles et Thomas se ressemblaient sur beaucoup de points, mais le premier était très peureux, n'arrivait pas à développer le moindre muscle et ne savait pas vraiment se défendre. A contrario, Thomas était un survivant, un guerrier malgré lui. De toute manière, pour vivre ici, il n'avait pas eu le choix que de se sortir les doigts. Impossible de se reposer sur ses lauriers, ou bien c'était la mort assurée, puis la résurrection en un monstre bouffeur de chair. Un sort peu enviable.
Alors, il écouta Newt aussi sagement possible, faisant de son mieux pour réfréner ses pulsions hyperactives. Le médicament qu'il utilisait faisait son effet, mais dans une moindre mesure. Disons qu'il l'aidait à rester saint d'esprit et à se canaliser un peu. Néanmoins, sur le long terme, cela ne serait pas suffisant. Il faudrait qu'il trouve de l'Adderall bientôt, ou bien les choses finiraient par se compliquer pour lui. Il le sentait.
Plusieurs fois, Newt s'interrompit. Il s'essoufflait plutôt vite et toussait assez régulièrement. Stiles le fit boire à plusieurs reprises et lui enjoignit de prendre son temps. Pas besoin de se presser. Mais Newt ne l'écoutait qu'à moitié, tenait à raconter au plus vite l'histoire de Thomas – depuis son arrivée dans la boîte –, comme s'il avait peur de ne pas avoir le temps de faire vivre sa mémoire.
Stiles apprit ainsi un tas de choses et se sentit plus misérable que jamais. Toutefois, il garda le silence. Par rapport à ce Thomas, il n'était rien. Pour autant, même si son mal-être intérieur n'allait pas en s'arrangeant, il n'en dit pas un mot à Newt, qu'il considérait d'ores et déjà comme son ami. C'était d'ailleurs pour cette raison qu'il restait secret à ce sujet et faisait semblant d'aller bien, de prendre ce tournant de sa vie avec calme et une semi-assurance. Le pauvre souffrait déjà bien plus que de raison, il n'avait pas besoin d'entendre un idiot se plaindre pour… Au final pas grand-chose. Sa souffrance à lui n'était que morale alors que Newt ne pouvait pas passer une nuit sans se réveiller à de multiples reprises à cause de la douleur grandissante de sa blessure. C'était incomparable. Mais Stiles comparait.
Et s'enfonçait lentement dans des ténèbres sans fonds.
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L'endroit était toujours aussi miteux, mais il y était revenu. C'était égoïste, mais Stiles avait besoin de s'éloigner de ce qu'il avait l'habitude d'appeler le « Q.G », qu'il partageait avec Newt. Que lui avait-il dit ? Qu'il partait en exploration. Il n'explorerait rien du tout, n'en avait pas la force. Il voulait juste… Se poser, ruminer seul sans avoir à se cacher. Newt avait besoin de repos et d'espoir, pas d'un pauvre type qui n'arrivait pas à accepter le sort qui semblait être le sien. Ainsi, il reviendrait plus tard, prêt à assumer son rôle encore et encore, jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus.
La chambre d'enfant n'avait pas changé depuis la dernière fois qu'il s'y était aventuré. Il y avait les mêmes vieux meubles, le même lit, les mêmes draps bleus constellés de nuages blancs. Des nuages souriants. Le tout était recouvert d'une fine pellicule de poussière. Stiles ne chercha même pas à ranger les vêtements, par terre, à moitié sortis d'une armoire, d'une commode également. Les gens qui habitaient autrefois ici étaient partis en urgence, prenant tout et n'importe quoi, fourrant leurs affaires essentielles dans des sacs ou des valises. Puis, la vie avait quitté cet appartement, ne laissant que des bribes de souvenirs de gens encore vivants. Sans doute avaient-ils trépassé depuis.
Ce côté éphémère de la vie était plus que représenté, ici. C'était involontaire, bien sûr, mais Stiles comprenait ainsi sa valeur. Il s'assit sur le lit, et songea à son passé. A toutes ces missions rondement menées avec la meute. A toutes ces fois où il s'était mis en danger inutilement. A toutes ces fois où Derek l'avait sauvé. A toutes ces fois où il avait côtoyé la mort de près. Mais ici, elle l'entourait chaque jour. Objets, bâtiments, ruines, corps pourrissants la rappelaient à sa mémoire. Ici, il n'était rien. Juste une fleur sur le point de faner, une fleur dont les pétales flétris avaient perdu de leur couleur.
Dans cette chambre, il y avait un miroir sur pied, un miroir d'une taille impressionnante et parfaitement propre. Il détonnait avec le reste du décor de par sa propreté incongrue mais Stiles ne le vit pas, tout simplement parce qu'il se laissa tomber en arrière et finit complètement allongé sur ce lit d'enfant. Ses pieds dépassaient, alors il se recroquevilla sur lui-même et laissa libre court à sa souffrance inimaginable. Une heure, juste une heure. Voilà le temps qu'il resterait ici. Ensuite, il rentrerait, pour tenir compagnie à Newt.
Un bruit sourd le fit se redresser brusquement et il regarda face à lui, les joues inondées des larmes qu'il s'autorisait à lâcher uniquement en solo. Il hoqueta. Il ne savait pas ce qu'il avait entendu, mais ce qu'il voyait était flippant.
Cette fois, l'hyperactif avait remarqué l'énorme miroir. Mais il ne fit pas cas de sa propreté. Son cœur se mit à tambouriner dans sa poitrine et il eut l'impression de perdre pied, de sombrer dans la folie.
Parce que le miroir ne renvoyait pas son reflet. Dans la psyché, il n'y avait rien. L'image qu'elle renvoyait était entièrement noire, d'un noir si sombre, si absolu, que Stiles écrasa sa main sur sa bouche pour ne pas hurler.
Et le pire, ce fut lorsqu'il se sentit irrémédiablement attiré par ce miroir.
