Au fil des jours, Thomas finit par se détendre, d'autant plus en présence de Derek. Il commença également doucement à s'accoutumer à la présence des autres, ces gens qui agissaient toujours en groupe, un peu comme une sorte de meute non pas zombifiée, mais humaine. Un véritable groupe, soudé, dont les différents éléments semblaient se compléter étonnamment bien. Par exemple, pour contrebalancer l'idiotie affolante de Scott, il y avait Lydia, dont l'intelligence n'avait d'égale que sa beauté. Si Derek était du genre renfermé sur lui-même, Isaac – qu'il n'avait vu que rarement –, le poussait à s'ouvrir. Isaac avait peur ? Lydia accourrait, Derek aussi et si les deux jeunes gens avaient des manières différentes de le rassurer, les deux marchaient. Jackson était arrogant ? Derek le recadrait. Il y en avait d'autres, bien sûr, mais Thomas ne se concentrait que sur les éléments qui titillaient le plus son instinct de survivant.
En fait, Derek semblait être le pilier de tout cela. Il avait même l'air d'être celui qui dirigeait leurs activités et leurs réunions.
Evidemment, c'était faux et Thomas le savait parce qu'il avait perçu des bouts de conversations laissant entendre que ce groupe possédait une hiérarchie et que Scott était… L'alpha, comme ils le disaient. Alpha, comme dans une meute. C'était stupide, mais c'était tout ce qu'il avait pu glaner sans se faire voir. De toute manière, ce Scott était trop idiot pour diriger quelque bande que ce soit. Bordel, il n'arrivait toujours pas à considérer Thomas comme une personne à part entière ! Il continuait de l'appeler Stiles et se faisait sans arrêt reprendre par Derek ou Lydia. Thomas lui-même ne le faisait plus tant il en avait assez de se répéter. Le latino continuait d'espérer à travers son déni et si sa stupidité l'empêchait d'y voir clair, le jeune homme aux multiples grains de beauté ne pouvait rien faire pour lui. Il pouvait comprendre la douleur de l'absence, mais le fait était que ce Scott faisait une espèce de transfert sur lui. Plus que gênant, Thomas trouvait cela des plus malsain et ne manquait jamais d'en faire part à Derek. Se confier à cet homme était une chose étonnamment facile et le brun ne s'attendait pas à trouver chez lui une oreille attentive et compréhensive. C'était comme s'il avait décidé de le prendre sous son aile en attendant de trouver une solution. Thomas ne le disait pas, mais il lui était très reconnaissant de ce fait car malgré tout, la situation restait difficile à vivre pour lui. S'il inspectait un peu moins son corps le matin, cherchant une éventuelle trace de piqûre, il continuait de se demander ce qu'on allait faire de lui. Chaque fois, les mots de Derek lui revenaient en tête. Chaque fois, il se rappelait cet amour inconscient qu'il avait senti dans sa voix lorsqu'il avait parlé de Stiles. Chaque fois, il revoyait cette intime fragilité criante de vérité dans son regard bleu-vert. L'homme, aussi particulier soit-il, était le seul être de cette bande qui lui inspirait une forme de stabilité alors même qu'il semblait capable de renverser l'ordre des choses aussi facilement qu'il ouvrait une porte. Le calme sauvage. La tempête silencieuse. Derek n'était que contrastes et c'était étrangement rassurant.
En ce jour, Thomas pouvait être tranquille. La seule présence vivante au loft n'était autre que Derek qui avait, pour une fois – selon ses dires –, verrouillé l'entrée de son appartement. Il avait l'habitude que ce soit un moulin avant mais disait avoir besoin d'une pause. Thomas le croyait. Cependant, la vérité, c'était que Derek faisait ça pour lui. Parce que le jeune homme qu'il hébergeait avait besoin d'un peu de repos et que voir sans arrêt d'autres gens – cette « meute » ultra collante – ne l'aidait pas le moins du monde. Il était déjà en permanence sur ses gardes, un peu de tranquillité ne lui ferait pas de mal, d'autant plus qu'il avait l'air d'être du genre solitaire, peu loquace. En cela, Derek et lui se ressemblaient. Peut-être était-ce pour cela qu'il l'appréciait déjà, sincèrement. Rencontrer quelqu'un qui lui était semblable, dans un sens, avait quelque chose de rassurant. C'était familier et Thomas avait besoin de petites choses comme celle-ci. Ce monde ? Il n'arrivait toujours pas à s'y adapter, d'autant plus qu'il persistait à ne pas vouloir sortir du loft explorer cette ville remplie de richesse et d'une vie si présente qu'il en avait peur. L'inconnu le terrifiait. Savoir qu'il ne risquait pas de voir le moindre fondu infecter qui que ce soit le faisait frissonner d'horreur. Il devrait pourtant en être rassuré et se dire qu'il pouvait enfin se reposer, mais… Au final, il n'y arrivait pas, c'était plus fort que lui. Il était habitué à vivre au milieu de la mort. A survivre au milieu de ses enfants. L'on ne pouvait pas changer comme cela une vie conditionnée de la sorte.
- Dans votre monde… Vous avez déjà eu affaire à des virus ? Ou… Des maladies meurtrières ? S'entendit demander Thomas alors qu'il feuilletait un bouquin laissé à l'abandon sur une commode.
Tranquillement assis sur le canapé, l'hôte de ces lieux releva la tête vers lui. Intrigué par la question de son protégé, il fronça légèrement les sourcils mais ne tarda pas à répondre :
- Oui, plusieurs.
- Oh, et c'était… Ils ont fait des dégâts ?
- C'est peu dire.
Derek pensait à l'histoire du monde… Du sien. Il se redressa et invita Thomas à venir s'assoir près de lui.
- On a eu des épidémies, des pandémies, certaines plus graves que d'autres, dit-il une fois que le jeune homme se fut installé. L'une des plus meurtrières a eu lieu au XIVème siècle. C'était la peste noire.
Derek fit une pause dans son récit le temps de sortir son téléphone de sa poche et de faire une recherche. Quelques secondes plus tard, il montra l'écran à Thomas, écran sur lequel apparaissait une carte.
- Nous, on est ici, fit-il en montrant le continent américain. La peste noire a principalement sévi en Europe et dans une partie de l'Afrique, juste ici. Elle a été l'une des pires que notre monde a vécu. Ceux qui l'attrapaient finissaient irrémédiablement par mourir. Ils n'avaient aucune chance de s'en sortir.
- Et les morts… Restaient morts ? S'enquit Thomas.
- Evidemment, répondit l'homme, comme si la question était idiote.
Le brun près de lui, garda le silence un moment et plut à imaginer ce qui aurait pu se passer si son monde à lui… Avait été victime de ce genre de virus, plutôt que de la Braise. Des virus qui tuaient pour de bon. Aurait-il eu la même vie, ou les choses auraient-elles été différentes ? Teresa ne serait pas morte. Newt non plus. Chuck continuerait de sculpter des petits personnages. Il n'aurait pas eu à participer à ce projet sordide de labyrinthe. Personne n'y aurait été envoyé et beaucoup de gens auraient été sauvés.
- Là d'où je viens, les morts continuent de bouger. Ils traquent, tuent les vivants, s'entendit-il dire.
Se confier ainsi était une chose particulière. De manière générale, Thomas n'était pas du genre à s'épancher sur ce qu'il ressentait… Même avec Minho et… Les autres. Il était un peu pudique, avait besoin de ne pas s'attarder sur des choses qu'il considérait comme futiles. Il allait mal ? Il n'était pas le seul. Alors forcément, se livrer et qui plus est, à un presque inconnu, restait une chose inédite. Avec Derek, c'était étrangement simple, comme si quelque chose d'immatériel les reliait, les faisait se comprendre à un degré étonnant. Il sentait qu'il pouvait lui dire… Beaucoup de choses. Lui raconter sa vie, même si d'un côté, il trouvait ça idiot. Néanmoins, il y avait une chose qu'il choisissait de garder pour lui et ce, probablement à jamais. Parce que ce genre de secrets… Était dévastateur une fois révélé et même s'il appréciait beaucoup Derek, il continuait de garder une réserve tout à fait naturelle. Son immunité n'était pas un fait à lâcher aussi facilement, d'autant plus qu'il s'agissait sans doute la seule information capable de le sauver si la Braise débarquait ici et qu'on désirait le tuer. Il faisait confiance à son hôte, mais pas au point de se mettre dans une position aussi vulnérable que celle-ci.
Thomas tourna la tête vers Derek qui gardait un air impassible.
- Ça n'a pas l'air de te surprendre, nota-t-il.
L'homme haussa les épaules.
- Pourtant ici, tout semble si… Calme, continua Thomas.
Dans un sens, ce monde le fascinait. L'angoisse qu'il faisait naître en lui était nette, mais à côté de cela… Il avait l'opportunité de voir à quoi ressemblait la vie sans la Braise. Dans les rues… Les gens sortaient ! Ils se voyaient, prenaient le temps de parler… Il y avait des parcs, des écoles, des hôpitaux ! Tout fonctionnait, rien n'était à l'abandon comme ça l'était chez lui… Bien sûr, il se doutait que ce monde-ci avait ses tares et que l'humain, partout, pouvait agir en égoïste. Néanmoins… Le brun continuait de se sentir étouffé par cette tranquillité inhabituelle tout en essayant de l'accepter sans toutefois s'y faire.
- Tu me crois ? Demanda soudainement le portrait craché de Stiles, commençant à douter.
Et s'il s'était trompé sur le compte de son hôte ? Et si Derek était aussi conciliant simplement pour avoir la paix ? Et si… Thomas détestait avoir l'impression d'être le dindon de la farce, le piégé inconscient. A nouveau, sa méfiance s'éveilla. Bordel, il ne devait pas relâcher ainsi sa méfiance. Pas alors que cet homme… Merde, il ne le connaissait pas vraiment ! Il ne connaissait personne.
Derek lui lança un regard indéchiffrable et se redressa d'autant plus, stoppant net les réflexions intérieures de Thomas, dont l'angoisse était aussi visible qu'odorante.
- Je te crois, commença-t-il simplement. Je te crois pour la bonne et simple raison que tout ici n'est pas aussi calme et normal que tu ne le penses. Ça en a l'air, mais ça ne l'est pas.
Il n'était pas dans les habitudes de Derek de parler autant. A vrai dire, son truc, c'était de passer sa journée dans le silence le plus total. Il aimait le calme et ne pas avoir à communiquer plus que nécessaire. Enfin ça, c'était avant. Avant que son oncle ne morde Scott, avant que cet idiot et Stiles ne viennent chambouler le déroulement de sa vie. Avant que les babillages de l'hyperactif brisent régulièrement le silence et que son appartement, autrefois morne et n'accueillant que lui, serve de quartier général à cette meute hétéroclite devenue progressivement sa seconde famille. Mais s'il y avait une chose qui n'avait pas changé, c'était son propre débit de parole. Il faisait tout son possible pour parler le moins possible.
Avec Thomas, il n'avait cependant pas le choix. Le rassurer était une nécessité. S'il se détendait doucement au fil des jours, la peur ne quittait pas son odeur, à raison. A travers lui, Derek ne pouvait s'empêcher de voir Stiles. De se demander où il était, ce qu'il ressentait. Si Thomas avait peur ici, qu'en était-il de l'hyperactif ? Il avait déjà sa propre hypothèse mais n'en parlait pas, parce qu'il n'avait aucun moyen de la vérifier. Et puis pour être honnête, s'occuper de son hôte l'empêcher de concentrer ses pensées sur Stiles trop longtemps. S'il n'était pas là, s'il n'était pas aussi perdu… Oui, dans un sens, Derek commencerait doucement à perdre la tête. Parce qu'il ne disait rien, mais la disparition de Stiles lui faisait quelque chose, sans doute plus qu'à quiconque.
Le plus perturbant chez Thomas, c'était son regard. Des yeux identiques à ceux de Stiles, mais dont les ombres étaient assez différentes pour comprendre directement qu'il ne s'agissait pas de la même personne. Cette dureté… Elle ne venait pas de nulle part, d'autant plus que leur attitude n'était pas la même.
- Qu'est-ce que tu entends par là ? Demanda le brun.
Sa voix était plus grave, un peu plus rauque également, comme s'il avait passé sa vie à crier. A crier au point de se la briser. Derek, qui s'était dit qu'il était peut-être temps de lui parler de sa nature lupine, se ravisa. Son instinct lui soufflait qu'il était encore trop tôt et que son invité… Avait encore besoin de temps. Il paraissait solide, mais Derek percevait cette fragilité si semblable à la sienne.
- On verra plus tard, finit-il par répondre.
Thomas hocha la tête et ne chercha étonnamment pas à argumenter pour savoir ce qu'il avait à dire. A la place, il lui fit une demande aussi surprenante qu'inattendue. Une demande née d'un instinct étrange qui s'était réveillé d'un coup.
- Stiles… Tu pourrais me parler de lui ?
