Derek garda un air des plus sérieux, qui se voulut également impassible. Et malgré la douleur qui le poignardait de tous côtés, il s'exécuta. Même s'il savait ne pas être obligé de parler de cet hyperactif pour lequel son inquiétude ne cessait de croître, il tenait à le faire. Parce qu'ainsi, il le faisait vivre. Parce qu'ainsi, il n'oublierait rien. Parce qu'ainsi, Thomas comprendrait mieux les liens qui les unissaient tous à son double.

Alors, il parla. Ce fut difficile, parce que Derek ressentait beaucoup de choses pour Stiles. Des choses qu'il ne montrait pas, des choses dont il ne parlait jamais. Il appelait ça la « chose du malheur ». Parce que les sentiments, pour lui, c'était ça. Une malédiction. Même si intérieurement, il n'avait jamais nommé ce qu'il ressentait comme tel, il le savait. Et c'était idiot qu'il s'en soit rendu compte uniquement après la disparition de Stiles. Ne disait-on pas que tout se passait toujours ainsi ? Ne disait-on pas que quelque chose se mettait à nous manquer une fois que nous le perdions ? Derek n'avait jamais connu de dicton plus réel que celui-ci depuis la première fois. Depuis que sa famille avait péri dans les flammes de son idylle avec Kate Argent.

Ainsi il parla, parla, parla. Thomas l'écouta religieusement, découvrant ce jeune homme qui tenait presque plus du personnage que de l'humain tant il était… Particulier. Une chose était certaine : l'on ne pouvait pas inventer Stiles Stilinski. Il s'en était très bien occupé tout seul. Thomas ne se fit pas la réflexion que Derek parlait étonnamment beaucoup : il ne le connaissait pas assez pour juger ses mots trop nombreux pour que cela soit habituel parce que depuis le début, l'homme lui parlait suffisamment malgré son côté taciturne plus que visible.

Si Thomas était réellement intéressé par le récit de son aîné, il n'arrêtait pas de voir le miroir du salon. Du coin de l'œil, il ne pouvait s'empêcher de le zieuter. Était-ce sa simple présence qui l'intéressait ? Qui le dérangeait ? L'impression qu'il lui donnait tendait vers les deux extrêmes, sans être toutefois trop appuyée. En tout cas, pas assez pour l'empêcher d'écouter Derek. Toutefois, cela se mit progressivement à croître, tant et si bien que l'homme finit par lui demander ce qui n'allait pas. Thomas ne sut que répondre : lui-même ne comprenait pas réellement ce qu'il commençait doucement à ressentir. Une envie de se lever, de se rapprocher de ce miroir on ne peut plus classique – même s'il était bien plus propre que la plupart des psychés que l'on trouvait dans son monde à lui, où la propreté n'était plus une priorité.

- Thomas ? L'appela à nouveau Derek.

Parce que le susnommé ne s'en était pas rendu compte, mais il avait complètement tourné la tête vers le miroir et le fixait avec une intensité folle. Une intensité dérangeante tant elle était forte. Derek fronça les sourcils et s'approcha de lui. Il entendait le cœur du jeune homme se mettre à battre à une vitesse démente.

- Tu… T'as installé quel genre de système dans ton miroir ? Demanda fébrilement le brun, un soupçon de peur dans la voix.

Parce qu'il venait de tenter… Et de se rendre compte qu'il n'arrivait tout simplement pas à détourner le regard du miroir psyché. C'était une sensation physique, un blocage qu'il ressentait. Il ne pouvait pas fixer ses yeux sur un autre point que l'objet réfléchissant. Ce n'était pas faute d'essayer : même tourner la tête, il n'y arrivait pas. Et ça, ce n'était pas normal. Pourtant, son reflet n'avait rien d'hypnotique : il se voyait, tel qu'il était. Un peu maigre, comme à son habitude, le teint hâlé, les cheveux plus ou moins disciplinés et le regard… Thomas découvrit à quel point il transpirait la tension. Elle était aussi visible dans ses yeux que dans la manière dont son corps était tendu. La seule question qu'il se posa à lui-même fut… Pourquoi ? Oui, pourquoi regardait-il ce miroir ? Pourquoi était-il incapable de s'en détourner ?

- Je n'ai rien mis du tout, l'informa Derek, les sourcils froncés. Qu'est-ce qui t'arrive ? Pourquoi tu…

- Tu me crois si je te dis que j'ai l'impression que ton miroir m'attire ? Demanda expressément le brun.

Le mot attirance n'était pas à prendre à la légère, mais bien au sens propre. Il commençait réellement à lutter pour ne pas aller voir ce miroir de plus près, pour ne pas le toucher. Poser ses mains dessus. Voir des choses qu'il ne pouvait pas imaginer possibles, mais qu'il verrait malgré tout. Parler de résistance n'était qu'un euphémisme : il luttait comme un dingue pour rester immobile.

Thomas n'entendit ni n'écouta la réponse de Derek. Peut-être celui-ci n'avait-il pas parlé… Il n'en savait rien, se retrouvait doucement enfermé dans une bulle étrange, dans laquelle rien ne pouvait pénétrer.

Dans laquelle le besoin de s'en aller à la rencontre du miroir fut plus forte que tout.

Thomas ne le savait pas, mais il s'était levé et il marchait, lentement, en direction du but non pas de son esprit, mais bien de quelque chose d'autre, de bien plus discret et latent qu'il ne l'imaginait. Il ne pensait plus correctement et son esprit demeurait vide pour l'instant. Vide d'organisation. Vide de sens. Vide de tout ce qui faisait de lui celui qu'il était.

Parce qu'il avait quelque chose à faire, une mission à accomplir. Un juste retour des choses. Un équilibre à rétablir.

Avant même que quiconque ne le voie venir, Thomas posa sa main sur l'encadrement en métal du miroir.

Juste derrière lui et parce qu'il avait été étonnamment trop lent pour le rattraper, Derek se retrouva purement et simplement bouche bée. Impossible de réfréner sa surprise, son choc : il se retrouvait face à un prodige qu'il n'était pas capable d'imaginer, seulement de voir.

Les yeux de l'humain brillaient, cyan. Pas d'un cyan lupin, non : un cyan différent, tirant plus sur le vert que sur le bleu, et… Mystique, pas animal. Les iris changés fixaient le miroir psyché avec une intensité presque insoutenable.

Fut-ce cette intensité incommensurable qui transforma l'intérieur du miroir ? Derek, derrière Thomas, crut défaillir. Il ne voyait plus leur reflet à tous les deux, non. L'intérieur du miroir n'était plus réfléchissant. D'un noir d'encre abyssal, il semblait sans fond, sans fin, sans profondeur, sans rien. Néant. Un miroir qui n'avait plus de miroir que le nom.

L'on aurait dit qu'il s'agissait de la porte de ténèbres inconnues et inquiétantes.

Mais le noir disparut aussi vite qu'il était apparu et deux visages terrifiés se firent brutalement face. Deux visages atrocement semblables, avec la même peur dans le regard. L'un était affreusement pâle, l'autre gardait un teint hâlé. L'un était juste un peu maigre, tandis que l'autre s'était trop affiné. L'un était juste perturbé, l'autre semblait au bord de la folie.

Et pourtant, ils étaient presque identiques.

Thomas et Stiles se faisaient face, les yeux luisant d'une douce lueur cyan, lueur au départ abrupte, mais qui diminuait fortement en intensité au fur et à mesure que les secondes s'égrenaient. De son côté, Derek crut qu'il allait s'effondrer tant ce qu'il voyait était… Impossible. Ses yeux verts croisèrent, l'espace d'un instant, celui, cyan-ambré, de Stiles. Et juste comme ça, il sut qu'il s'agissait réellement de lui et pas d'une illusion, alors même qu'il ne comprenait pas ce phénomène.

Les trois jeunes hommes gardèrent le silence quelques secondes, beaucoup trop stupéfaits pour prononcer quelques mots que ce soit. Et cela fut un temps long, un temps de trop. Un temps qui laissa à Stiles le temps de réaliser ce qu'il était en train de voir. Quoi qu'il pense, qu'il se croie en train de devenir fou ou non, il craqua.

Il craqua, et des larmes aux origines émotionnelles multiples déferlèrent sur ses joues creuses.