Derek ne comprenait pas ce qu'il se passait. Complètement abasourdi, il était incapable de bouger, tout juste bon à regarder Stiles s'effondrer à genoux, de l'autre côté du miroir. Ses mains cachaient son visage déjà baigné par les larmes des larmes qui lacérèrent le cœur du loup avec une violence folle. Et qu'importe que la vision en question soit réelle ou non : Derek n'avait qu'une envie. Une seule.
Le serrer dans ses bras.
Parce que jamais de sa vie il n'avait vu l'hyperactif dans un tel état de détresse émotionnelle. D'ordinaire, Stiles ne pleurait pas. Faux.
Stiles ne pleurait jamais.
Il était de ceux qui gardaient leurs ressentis et émotions pour eux, ou en tout cas ceux qui pouvaient leur donner une allure qu'ils ne désiraient pas. Stiles, de par son statut humain, aimait à se plaindre des choses pour la forme, mais il contenait en lui ce qui pouvait le faire passer pour faible. Être jugé « classique » au milieu d'une meute de loups-garous, avec une banshee, un druide, une chimère, un kanima, une coyote… Il avait toujours préféré ne pas laisser l'occasion à qui que ce soit de lui rappeler son état de faiblesse. Enfin, ça, ce n'était que son point de vue à lui. Chacun connaissait sa valeur, bien plus élevée que ce qu'il pensait.
Même s'il n'était pas le plus proche de lui, Derek savait tout ça. Parce qu'il connaissait tous les membres de sa meute et surtout… Qu'il le connaissait bien, lui. Il l'appréciait beaucoup, surtout. Et encore… C'était peu dire.
Alors, il finit par se précipiter vers le miroir… Et rencontra sa surface dure et froide en hurlant le prénom de l'hyperactif. Qu'importe s'il passait pour un dingue, qu'importe s'il était le seul à le voir ou s'il s'agissait du fruit de son imagination. Sa douleur le transperçait de part en part, l'atteignait au plus profond de son être. Derek ne pouvait pas rester de marbre face à ces larmes destructrices, ces larmes qui lui lacéraient le cœur.
A l'entente de son prénom, l'hyperactif releva son visage complètement défait vers le loup. Ses yeux déjà rougis par l'émotion dévièrent de ceux, à peine humides, de Derek. Avec l'une de ses mains, il étouffa autant que possible le sanglot qui le secoua et baissa la tête, sans doute par honte. Derek n'en savait rien, mais il s'en doutait.
Parce que l'odeur du châtain ne lui parvenait pas. La seule qu'il sentait, c'était celle de Thomas.
Thomas, qui tremblait. Thomas, qui regardait le miroir avec terreur. Thomas, dont les jambes flageolaient.
Thomas, qui avait l'impression que sa vie recommençait à s'écrouler. Parce que son double, il le voyait. Mais le pire, c'était de savoir d'instinct qu'il s'agissait d'une image réelle. Que ce Stiles était réellement là, lui aussi face à un miroir, en train de pleurer toutes les larmes de son corps. Comme Derek, il ressentait sa douleur, mais de manière différente. Moins profonde. Mais il la voyait et la comprenait. Parce que même si son monde à lui était cruel, il le connaissait. Stiles, non. Il avait atterri dans l'inconnu depuis plusieurs jours déjà et, fait surprenant mais pas forcément plus rassurant, il était encore en vie. Il tenait le coup.
Cependant, cette manière qu'il avait de craquer était très parlante en elle-même. Oui, il tenait… Mais pour combien de temps ? Thomas ne savait que trop bien la détresse qui peuplait le quotidien de son monde à lui. Là-bas, la mort régnait et nul ne pouvait lui résister, pas même les plus solides. Et si l'on croyait survivre, il fallait se dire que ce n'était pas éternel. Malgré toutes les bonnes précautions du monde, n'importe qui pouvait tomber. La mort était latente et ça, il ne fallait pas l'oublier. Thomas se sentit soudainement lâche, lui qui, s'il avait apparemment changé de monde, était tombé dans un endroit où tout semblait plus facile, plus confortable. Et même si la plupart des gens qu'il avait rencontrés étaient agaçants, ils étaient là.
Et surtout, Derek le soutenait.
Thomas doutait que Stiles ait quelqu'un à qui parler dans ce monde où les cadavres s'amoncelaient aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des bâtiments en ruine.
De son côté, Derek tapa contre la vitre du miroir de toutes ses forces, comme pour essayer de passer au travers pour rejoindre Stiles… En vain. Le verre ne fit pas état de la moindre fissure, comme s'il était incassable. Pourtant, le loup-garou réessaya, encore et encore, sous le regard perdu de Thomas et profondément triste de Stiles.. Stiles, dont les yeux recelaient une lueur dérangeante, une lueur que l'on ne voulait pas voir peupler ses belles prunelles ambrées.
Au bout d'un moment, Derek finit par abandonner. Si ses nombreuses tentatives de casse l'avaient fatigué, il n'en montra rien mais sa douleur, elle était impossible à cacher.
- Stiles, souffla-t-il.
L'hyperactif réagit bel et bien à son surnom : son visage déjà ravagé par les larmes se décomposa complètement, mais ses yeux… Se levèrent pour se fixer sur Thomas. Ils n'exprimèrent pas un si grand choc que cela, simplement… Beaucoup de choses, tant et si bien que son regard devenait sérieusement difficile à déchiffrer. Les larmes qui le constellaient n'aidaient pas le moins du monde.
Thomas déglutit. Voir son double – dans un piètre état qui plus est – lui faisait mal, certes… Mais le pire fut cette culpabilité qu'il ressentit. Celle d'être là, et lui pas. Parce que oui, il comprenait la situation et savait pertinemment qu'il ne pouvait ni rêver, ni imaginer un évènement de ce genre. Stiles, de l'autre côté du miroir, était aussi réel que lui, dans ce loft. Alors effectivement, dans un sens, il s'en voulait.
- Stiles, tu… Commença Thomas.
Il fit une pause, incapable de ne serait-ce que savoir ce qu'il comptait lui dire. Il avait ouvert la bouche dans le but de… De quoi, au final ? S'excuser ? Le rassurer ? Essayer de comprendre la raison de leur « échange » entre ces deux mondes ? Et encore, il n'était pas certain d'encore accepter ce concept qui lui semblait étranger, si lointain qu'il paraissait impossible que cette possibilité existe. Mais le voir là, au milieu de ce qui semblait être une sorte d'endroit en ruine lui confirmait qu'il y avait de quoi se poser la question.
- Tu vivais là… ? Souffla la voix brisée de l'hyperactif. Hein Thomas, tu vivais là… ?
Le susnommé, bouche bée qu'il connaisse son nom, ne sut quoi dire, parce que… Pourquoi ce Stiles semblait-il le connaître ? Cette idée, aussi simple soit-elle, le rendit passablement fébrile et pourtant, il ne douta pas du fait que tout ceci était réel. Derek, agenouillé devant le miroir, ne put s'empêcher de tourner la tête vers Thomas et lui lancer un regard perdu empli d'une douleur incommensurable.
D'un coup, Thomas sentit un poids énorme écraser ses épaules, comme s'il était l'unique responsable de la situation.
Une situation qui, en réalité, était née du hasard le plus total… Mais qui pouvait le savoir ? Personne, pas même eux.
- Ouais, je… Je vivais là, articula-t-il péniblement, encore sous l'égide d'un choc qu'il ne maîtrisait qu'à moitié.
Parce que Thomas savait qu'il devait s'empresser de lui donner tout un tas de conseils pour survivre dans ce monde ainsi que réfléchir avec lui pour trouver ce qui avait pu les mener à cette inversion.
Mais à l'heure actuelle, il en était purement et simplement incapable.
Derek, de son côté, n'en menait pas large. Pourquoi Stiles – parce qu'il commençait sérieusement à le voir comme réel – semblait-il connaître Thomas ? Pourquoi ne lui parlait-il pas à lui ? Pas qu'il soit jaloux, simplement… La situation le dépassait complètement. Il n'arrivait même pas à réagir correctement ! D'abord il avait frappé ce miroir, puis il avait hurlé le nom de l'hyperactif… Qui avait levé les yeux vers Thomas. Pourtant, Derek savait que Stiles l'avait remarqué. Rien n'allait, rien n'avait de sens.
Pendant que Derek s'échinait à essayer de comprendre quelque chose et de simplement réussir à trouver quoi dire, Thomas était arrivé à réunir le peu de courage qu'il avait au fond de lui pour tenter de débuter correctement la conversation, qu'il savait devoir axer sur sa sécurité :
- Ecoute, je… Je suis désolé de ce qu'il t'arrive et je n'ai aucune idée de ce qu'il se passe, mais je… Il faut que tu fasses très attention.
Face à lui, Stiles hoqueta, avant d'essuyer lamentablement ses larmes et d'esquisser un sourire triste tandis que ses yeux, eux, restaient atrocement embués.
- Tu crois que je ne le sais pas ? Tu crois que… Je n'ai pas vu ce qu'il y a dehors ? Souffla-t-il.
Sa voix si frêle, si fébrile fit autant frissonner Thomas que Derek. Et son regard ! Quel regard… L'on eût dit que l'hyperactif était résigné. Que ses larmes, symboles de sa lutte intérieure, contrastaient avec cette lueur vaincue.
Derek se tourna alors brutalement vers Thomas. S'il ne comptait pas le moins du monde se montrer violent de quelque manière que ce soit, il ne cessait de se demander ce qu'il se passait. De toute évidence, Thomas savait quelque chose – il avait une longueur d'avance sur lui – et Derek… Avait viscéralement besoin de retrouver Stiles, le Stiles qu'il connaissait. C'était là, en lui. Et puis savoir que tout cela était réel… Oui, il s'en convainquait : si Thomas voyait la même chose que lui, c'était vrai.
- Stiles, qu'est-ce que… Commença Derek.
Mais il ne continua pas tant le regard que lui lança Stiles lui déchira le cœur. L'envie de le serrer dans ses bras se transforma en pulsion. A nouveau, il appuya ses mains contre le miroir, y donna des coups dans l'optique de dépasser cette barrière qui les séparait… En vain. Et Stiles le regarda faire, de nouvelles larmes étincelant dans son regard ambré. Un regard toujours plus résigné.
- On va te sortir de là, finit par dire le loup d'une voix pas si assurée que cela.
Stiles se mordit la lèvre inférieure et ferma les yeux fortement, comme pour essayer de bloquer un nouveau sanglot. Le loup en Derek montra les crocs. S'il ne pouvait pas casser ce miroir, comment faire ? L'urgence d'agir le tenaillait mais il ne savait pas comment il était censé s'y prendre dans ce genre de cas.
- Je sais pas, je sais même pas comment on arrive à se parler ! Explosa l'hyperactif, à bout, de nouvelles larmes coulant sur ses joues.
- On y réfléchira plus tard, articula Thomas, livide.
- Non, on n'a pas le temps ! Eructa Derek.
La pâleur et la maigreur de Stiles lui sautaient aux yeux tout autant qu'elles lui brisaient le cœur. Outre ses larmes, jamais il ne l'avait vu aussi mal en point et autant dire qu'il supportait difficilement cette vision douloureuse.
Sans faire mine de l'écouter, Thomas fixa Stiles et lui demanda sur un ton d'urgence :
- Est-ce que tu as été mordu ? Griffé ?
Derek fronça les sourcils et se retint d'intervenir. La lividité de Thomas, ce double si différent de Stiles, lui fit peur… Tout autant que ses paroles.
L'hyperactif secoua la tête.
- Non… Pas encore, ajouta-t-il. Mais… Ils sont si nombreux que je vais finir par y passer.
- Non, rétorqua Thomas en s'accroupissant pour être à son niveau. Ecoute-moi bien. Sors le moins possible et surtout, évite les endroits que tu ne connais pas… Les endroits où tu n'es pas déjà passé et assure-toi de toujours refermer derrière toi. Et si tu dois te retrouver face à l'un d'eux… Vise la tête. Vise toujours la tête.
- Je sais, souffla douloureusement Stiles. Je sais tout ça… Mais je suis obligé de sortir, je n'ai pas le choix. On a… On a pas grand-chose à manger.
Thomas choisit sciemment de ne pas relever le « on » qui, il fallait le dire, compliquait les choses. Cependant, il fit de son mieux pour donner ses meilleurs conseils à son double avec des astuces pour vivre dans ce monde et des planques de nourriture qu'il pourrait trouver. Derek l'écouta, fasciné, même si son regard ne quittait pas la silhouette amaigrie de Stiles. En lui, une vieille colère afflua et un sentiment farouche de protection le prit : plus jamais on ne l'enverrait au Nemeton. Plus jamais. Qu'importe ce qu'en disait Scott, qu'importe si leurs missions nécessitaient du monde. Et dans le même temps, il s'en voulut de n'être pas arrivé à assez vite. Il aurait dû partir bien plus tôt. Ainsi, il aurait sans doute pu le récupérer avant qu'il ne… Passe dans cet autre monde. Il sut alors qu'il fallait enquêter, et se débrouiller pour casser la barrière invisible de sorbier autour de la zone du Nemeton.
Par la suite, il fut incapable de dire quoi que ce soit. Mais le regard de Stiles se posa de plus en plus régulièrement sur lui, comme s'il attendait quelque chose. Et ces yeux morts le paralysèrent.
