Ni Thomas ni Derek ne furent capable d'expliquer ce qui finit par se produire. Ce fut si brutal qu'aucun ne réagit durant plusieurs secondes. Mais tous deux continuèrent de fixer le miroir.
Qui, sans prévenir, avait retrouvé sa fonction principale.
Celle d'avoir un reflet.
Stiles n'était plus là et… Il avait disparu d'un coup. Sans préambule. Enfin pas vraiment. Juste avant, il avait pris une teinte un peu pâle et dit à Thomas qu'il se passait quelque chose avec son miroir à lui et… L'image du jeune homme s'était évanouie aussi soudainement qu'elle était apparue.
Avec un temps de retard, Thomas se mit à l'appeler. Derek suivit. Il tapa à nouveau le miroir, aussi et… Depuis quand était-il devenu incassable ?
En tout cas, rien ne se produisit et un silence de mort s'installa dans le loft alors qu'on peinait à intégrer et à comprendre ce qu'il venait de se passer.
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Stiles était figé face au miroir qui lui renvoyait désormais son propre reflet. Celui d'un jeune homme épuisé, à bout mentalement et au visage ravagé par les larmes. Il baissa les yeux : son propre regard le terrifiait. Parce qu'il lui paraissait fou. Parce qu'il se sentait dingue. Que rien n'avait de sens. Que, peut-être, il perdait la tête. Sans doute. Oui, c'était sûrement le cas. Cette vision… Thomas, Derek, les avait-il rêvés ? Oui. Non. Je ne sais pas.
Et pourtant, son regard accrocha à nouveau son reflet. Puis le coin inférieur droit du miroir. Une fissure. Petite, mais bien présente. Il la toucha de ses doigts tremblants sans savoir s'il devait essayer de trouver une explication rationnelle à ce qu'il venait de se passer ou s'il valait mieux… Remettre tout sur le compte d'une folie potentielle. Après tout, ce monde le déprimait et la solitude le rongeait davantage chaque jour qui passait. Si l'on ajoutait à cela qu'il n'avait mentalement pas complètement récupéré de sa possession par le Nogitsune quelques mois plus tôt… Il était possible que l'hyperactif ait tout simplement atteint ses limites malgré ses différentes tentatives pour être fort.
Aller jusqu'à imaginer Derek et – encore pire – Thomas… C'était possible tant sa situation le désespérait.
Ereinté, épuisé, désabusé, Stiles fit ce qui lui parut le plus logique.
Il sortit de sortit de cet immeuble et décida de partir retrouver Newt. Lui au moins… Il était véritablement réel. Stiles le savait pour l'avoir tenu dans ses bras et pour lui refaire régulièrement ses pansements avec le peu de matériel médical qu'il pouvait avoir à sa disposition… Ça aussi, c'était déprimant. Ici, tout était rare et difficile à trouver. Un monde mort, voilà ce dans quoi il était. Autour de lui, les cadavres avançaient sans but, prêts à s'activer au moindre signal que pourrait leur donner l'humain s'il faisait une erreur. Et dans son état, dieu sait à quel point il était capable d'en faire. Mais pour l'instant, tout allait bien : il s'était badigeonné de sang avec celui d'un fondu qu'il avait tué et dont il avait gardé quelques restes dans un récipient cradingue. Des stratégies, Newt lui en avait enseigné des tas et lui-même en avait mis certaines au point.
Stiles dut se concentrer à outrance pour marcher en faisant le moins de bruit possible mais il manqua d'alerter les zombies autour de lui à plusieurs reprises. Une pensée morbide lui traversa fugacement l'esprit. Et s'il laissait tomber sa discrétion ? Que se passerait-il s'il se mettait à parler, comme ça ? S'il jetait son sac par terre ? S'il se mettait à hurler ? S'il poussait un fondu, juste pour lui signaler sa présence ? Stiles savait qu'il finirait mordu, déchiqueté. Peut-être qu'avec un peu de chance, il mourrait sur le coup, trop abîmé par ces monstres pour en devenir un lui-même.
Le pire, c'est qu'il hésita franchement à le faire. Il était là, sur leur territoire, au milieu d'une horde dont les éléments étaient assez espacés pour qu'il puisse avancer sans problème et sans se faire remarquer.
Il hésita, oui. Mais n'eut pas le cran de provoquer ainsi sa mort. Il allait mal, certes. Peut-être plus mal que jamais. Cependant, la peur l'empêcha d'être idiot et le transforma même en lâche.
C'est empli de honte et de tristesse qu'il rentra au Q.G de Newt. Sa folie ? Il essaya autant que possible de ne pas y penser, préparant un sourire rassurant pour le blond. Le pauvre n'avait pas à supporter ses problèmes quels qu'ils soient, d'autant plus qu'il devait se battre pour survivre. Il guérissait, mais avait trop longtemps vécu seul pour laisser son corps se reposer suffisamment. Ainsi, il peinait à aller mieux et s'épuisait toujours plus chaque jour qui passait.
Newt.
Voilà sur qui Stiles devait se concentrer, pas sur des chimères. Son coup de cœur et… Un double qu'il n'avait jamais réellement vu. Juste imaginé. Le pire, c'est qu'il avait réellement du mal à se remettre de ce qu'il avait cru voir. Il se souvint de ses mots, de ses larmes, de son air pathétique. De cette façon qu'il avait eu de dialoguer… Avec un miroir. Et pourtant, tout lui avait semblé atrocement réel. Chaque détail de ce qu'il avait vu s'était ancré dans sa rétine… Mais Stiles ne pouvait pas se reposer sur des conjectures, sur des choses aussi peu concrètes. Il avait besoin de dur, de certitudes. Juste un peu. Pour maintenir à flot son esprit des plus torturés et qui ne demandait qu'une chose : le droit au repos. Si l'hyperactif n'était pas aussi lâche, il se serait donné le droit d'y accéder aussi vite et en même temps… Il aurait laissé Newt seul. A la réflexion, il était lâche dans les deux cas. En restant, mais aussi en partant.
La gorge nouée, il pénétra dans le petit appartement en annonçant son arrivée aussi joyeusement qu'il le put et en ayant également, au préalable, essuyé suffisamment son visage pour faire disparaître les sillons humides de ses larmes passées.
Mais bien sûr, il n'eut aucune réponse. Aucune, parce que Newt dormait. Stiles se tut instantanément et alla ajuster sa couverture pour qu'elle le couvre mieux. Il posa également sa main sur son front et fut rassuré de constater que son front n'était pas chaud – le seul élément positif de cette journée à ses yeux. Désormais concentré sur son colocataire, Stiles recommença à agir de manière automatique et c'était parfait, parce qu'il s'agissait exactement de ce dont il avait besoin.
Vint un moment où il fut toutefois obligé de réveiller Newt pour refaire ses pansements et ainsi ne pas le surprendre. Il avait déjà essayé, une fois, et avait flanqué une peur bleue au blondinet qu'il avait manqué de l'éborgner, croyant qu'un fondu s'était frayé un chemin jusqu'à sa planque. Alors Stiles savait que c'était la chose à ne pas refaire.
Newt eut bien du mal à émerger mais lorsque ce fut finalement le cas, il fronça les sourcils. Stiles se demanda un instant s'il avait compris que quelque chose n'allait pas mais abandonna bien vite cette idée. Il avait dans l'idée que le jeune homme ne pouvait pas penser à autre chose qu'à sa blessure – ce qui, pour lui, était complètement normal. D'autant plus qu'il avait réellement un mal fou à se reposer et que la fatigue gardait ses traits perpétuellement tirés et qu'il ne mangeait pas à sa faim. De son côté, Stiles envisagea de se priver davantage mais finit par voir le problème sous un autre angle. Non, en fait, il devait tout bonnement multiplier ses sorties à l'extérieur. Car à force de se rationner, il finirait par ne plus avoir d'énergie et ne plus rien rapporter du tout. Ce qui faisait qu'au final, il n'y aurait plus de nourriture pour personne.
Oui sauf que pour cela, il allait falloir qu'il se motive alors qu'il se sentait tout bonnement brisé. Brisé par cette vision qui tournait en boucle dans sa tête. Il revoyait un regard identique au sien le fixer avec hébétude et celui, bien plus clair, de Derek… Le brûler tout entier.
- Tout va bien ?
La voix toujours aussi faible de Newt le ramena à l'instant présent. Stiles baissa les yeux sur lui et croisa son impressionnant regard ébène. Les prunelles du blond étaient si particulières par leur noirceur que l'hyperactif se retrouva un instant désarçonné… Mais se reprit bien vite.
- Oui, tout va bien.
Sa voix était-elle convaincante ? Il n'en avait aucune idée. Qu'importe. Il se concentra alors sur quelque chose de plus concret :
- Je n'ai pas ramené grand-chose aujourd'hui, je suis désolé.
Parce qu'il avait flâné, traîné dans cette chambre et découvert ce miroir de l'enfer. Alors, la nourriture était passée au second plan. Sauf que son égoïsme risquait de les mettre dans de beaux draps. Il ressortirait demain et se démènerait pour trouver quelque chose.
Newt secoua la tête sans cesser de le fixer et lui tapota amicalement – mais faiblement – l'épaule.
- Stiles, tu es revenu. Tu survis et pour moi, c'est tout ce qui compte.
Parce que dans ce monde, la solitude tuait davantage que le manque de nourriture. Stiles comprit son idée, son raisonnement intérieur. Toutefois, il se promit de faire un effort malgré tout, quitte à prendre des risques, à flirter avec la mort. Ici, la folie était plus dangereuse qu'ailleurs.
Alors il se concentra sur la réalité, sur Newt. Après qu'il lui eut changé ses pansements avec cette fébrilité qui ne le quittait pas, Stiles recoucha son ami sur la couchette de fortune qui leur servait tour à tour de lit. Mais le blond ne s'endormit pas tout de suite. D'une main, il souleva la couverture et l'invita, d'un geste, à le rejoindre. Stiles le regarda tout d'abord d'un air interdit car il s'agissait de la première fois que Newt agissait de la sorte avec lui. Hésita-t-il ? Pas vraiment. Pas plus qu'il ne se posa de question quant à son geste.
Sans un mot, Stiles s'allongea contre Newt et rabattit la couverture sur eux.
