- T'as une sale gueule, Stilinski.

Stiles releva la tête vers Jackson qui le toisait d'un air moqueur. La remarque en elle-même n'était pas méchante. A vrai dire, le sportif aimait bien asticoter l'hyperactif, l'irriter un peu. Il s'était en quelque sorte accoutumé à son sarcasme, qu'il commençait sérieusement à apprécier, si bien qu'il se languissait parfois des potentielles joutes verbales qu'ils pouvaient échanger. Jackson taclait sur le physique, Stiles sur l'intellect. Le blond avait beau être sacrément intelligent, le brun restait une tête.

Oui, mais Stiles n'était pas d'humeur.

- Ouais je sais, répondit-il platement, sans âme.

L'hyperactif avait tout, sauf envie de parler. S'il avait pu, il serait resté chez lui, seul, tout pour s'éviter de devoir se retrouver face à d'autres êtres humains. Il aimait le social, en général et parler était un passe-temps comme un autre, un hobby qui l'aidait beaucoup à vivre cette vie qui lui paraissait si difficile. Mais aujourd'hui, c'était différent. Stiles avait envie de mourir. Sa maison n'était plus sa safe-place à lui et il se rendait compte qu'il allait devoir s'en créer une nouvelle rapidement s'il ne voulait pas sombrer dans la folie, celle qui le guettait depuis qu'il était enfant.

Face à lui, Jackson perdit toute envie de se moquer. Que Stiles évite de nourrir le feu de leur amitié-rivalité était une chose : qu'il semble avoir perdu tout intérêt pour tout ce qui l'entourait en était une autre. Sans un mot, il s'assit à côté de lui. Oui, ils étaient amis. Plus ou moins. Vite fait. En fait, la meute de Beacon Hills étant la leur à tous les deux, ils avaient dû apprendre à bien s'entendre pour le bien de la meute, pour le leur aussi. Il était toujours mieux d'évoluer dans un cadre où la haine n'avait pas sa place. A force, ils avaient appris à se connaître et même si ce n'était pas le grand amour, ils avaient fait des progrès considérables.

- Qu'est-ce qui te fait tirer la tronche à ce point ? Demanda le kanima en fronçant légèrement les sourcils.

- Une mauvaise nuit.

Même la réponse de Stiles n'allait pas et pourtant, son cœur n'avait pas manqué de battement, il le savait : Jackson avait bien ouvert ses sens de garou, histoire de capter le moindre signe de mensonge. Mais Stiles disait la vérité.

Oui, il disait la vérité, mais pas dans son ensemble. Mais une demi vérité restait une vérité, n'est-ce pas ?

Jackson fut obligé de se satisfaire de cette version, car Stiles ne lui en donna pas d'autre. De toute manière, ses cernes parlaient pour lui. Il semblait réellement éreinté et pas vraiment disposé à parler. Se promettant d'insister plus tard, lorsqu'il serait de meilleure humeur, Jackson hocha la tête et se fit alpaguer par Danny qui avait besoin de lui parler par rapport à ses relations amoureuses – sans chercher à être discret.

Et Stiles put souffler un peu. Mais, au cas-où, il se saisit de son sac, se leva et s'en alla rechercher un petit coin tranquille où il pourrait s'installer quelques minutes sans être dérangé. Dans d'autres circonstances, l'inquiétude – sincère, pour une fois il n'en doutait pas – de Jackson aurait pu le faire sourire, mais pas cette fois. Il s'assit contre un arbre au fond de la cour et laissa sa tête reposer contre le tronc du vieux chêne.

Oui, il avait passé une mauvaise nuit. Non, il n'avait pas vraiment pu dormir. Comment l'aurait-il pu ? Le corps mature contre lui l'avait fait cauchemarder éveillé. Les mains sur sa peau lui avaient glacé le sang, si bien que ses tremblements avaient duré jusqu'à l'aube, moment où l'homme avait quitté son lit pour se préparer pour son travail de policier. Il devait rejoindre Noah au bureau du shérif. Et Stiles avait poussé un profond soupir de soulagement avant de laisser ses angoisses et ses larmes l'envahir.

C'était exactement ce qu'il avait envie de faire à cet instant.

xxx

Devoir se mentaliser et retenir ses émotions n'était pas chose aisée, surtout lorsque l'on devait se coltiner ses amis toute la journée, amis qui s'étaient montrés particulièrement collants et demandeurs en attention. Pourtant, Stiles pourrait parier qu'ils n'avaient rien senti d'étrange le concernant, tant il simulait bien – quoi de plus normal après sept ans d'entraînement ? Autrement, on l'aurait déjà harcelé de questions. On aurait cherché à savoir ce qui lui passait par la tête. Sa comédie était si parfaite que l'on ne s'intéressait pas à son odeur qui passait ainsi inaperçue – et dont la teneur en angoisse était réduite à la mesure de sa maîtrise de lui-même.

Et il pouvait enfin relâcher un peu la pression. L'entraînement de Crosse était terminé depuis une bonne demi-heure et les trois quarts des joueurs s'étaient déjà douchés. Stiles avait attendu que les vestiaires se vident un peu, histoire de ne pas être vu de tous. Si deux ou trois personnes passaient par là, ce n'était pas grave. Tant que l'équipe entière ne le voyait pas à poil… C'était l'inconvénient de ce vestiaire particulièrement mal foutu : il fallait passer du côté des douches pour sortir et bien évidemment, ce n'étaient pas des cabines. Il ne fallait pas être pudique. Stiles l'était un peu, mais ça allait, et il avait trop besoin de se doucher, de se débarrasser de toutes ces choses qui le faisaient se sentir sale – pas seulement la sueur. S'il prenait le risque d'être vu ici, c'était néanmoins plus sécuritaire pour lui que de se doucher chez lui. Là au moins, on ne risquait pas de le toucher. A cette idée, il frissonna alors que le jet d'eau chaude coulait sur son corps nu. Il ferma les yeux et laissa l'eau s'incruster dans chacun des pores de sa peau. Un frémissement malsain le parcourut et il augmenta la température d'un cran.

Il fallait qu'il se nettoie.

Son corps se mit à le brûler, et pas à cause de l'eau bien trop chaude, mais bien parce qu'il se sentait sale, si sale… Rouvrant les yeux et sans plus attendre, Stiles se saisit du gel douche et s'en badigeonna le corps avant de frotter fort. Très fort. Un peu trop. Il frottait avec énergie, l'énergie du désespoir. S'il y allait sans ménagement, peut-être qu'il n'aurait plus l'impression de sentir les mains sales de cette ordure sur lui… Il y passa alors du temps, beaucoup de temps.

Et ne se rendit même pas compte des yeux qui le scrutaient.

Jackson ne se montra pas : traîner dans les vestiaires n'était pas son but et s'il était resté, c'était uniquement parce qu'il avait dû parler longuement avec le coach qui l'avait retenu. Forcément, il arrivait après le départ de la majorité, ce qui faisait qu'il n'avait même pas pu parler avec Dany, pressé d'aller à un rendez-vous médical. Si Jackson s'attendait bien sûr à croiser quelques retardataires, il ne s'imaginait pas trouver Stiles comme dernier occupant des lieux. A se doucher avec une eau qu'il sentait très chaude d'ici. A se frotter la peau comme s'il voulait se l'arracher. Stiles était dos à lui et ne s'était donc pas rendu compte de sa présence, mais Jackson voyait fort bien le décalage entre la blancheur habituelle de sa peau et les quelques parcelles rouge vif qui semblaient grandir au fur et à mesure de son lavage.

Son odeur était forte et emplie d'un si grand nombre d'émotions négatives que le souffle de Jackson s'en retrouva coupé une seconde. Loin de lui l'idée de l'épier ou de faire le voyeur, mais il dut s'avouer à lui-même que ce n'était pas normal. Qu'importe son niveau d'amitié avec l'hyperactif, il y avait quelque chose qui clochait avec lui. Plus simplement, il comprit qu'il avait des choses à cacher.

Mais puisqu'il serait inconvenant d'aller l'apostropher maintenant ou d'attendre qu'il ait terminé sa douche pour lui parler, Jackson sortit aussi discrètement que possible des vestiaires. Il trouverait un moyen et un moment de parler à l'hyperactif mais là tout de suite, la chose le désemparait. Parler, discuter, aider… Il n'en avait pas l'habitude. Lydia était la meilleure dans ce domaine mais étrangement, le kanima n'avait aucune envie de lui faire part de ce qu'il avait vu et senti. Son instinct lui disait de ne pas le faire.

C'est ainsi qu'il rentra chez lui, non pas avec des images du corps nu – de dos – de l'hyperactif ancrées dans la rétine. Ce qu'il retint, ce fut sa peau rouge, trop frottée par endroits.

xxx

Quatre jours. Quatre jours avaient suffi à le briser.

Ce matin-là, Stiles choisit de ne pas aller au lycée. Il n'était pas capable d'affronter qui que ce soit. Complètement tremblant, il arrêta sa Jeep aux abords de la forêt et en sortit en titubant. Le visage décomposé comme jamais, il s'enfonça entre les arbres au feuillage mourant et manqua de trébucher à plusieurs reprises. Il avait besoin d'air, de tranquillité, de calme. Tant pis si son père recevait un coup de fil du lycée, tant pis s'il n'avait pas prévenu ses amis de son absence. S vue se flouta brusquement alors que la souffrance qu'il maintenait difficilement à un niveau raisonnable déferlait en lui avec violence.

Stiles s'effondra au pied d'un arbre, contre lequel il se ratatina et se serra fort. Il avait froid, en ce début d'octobre et pourtant, dieu sait qu'il s'était couvert. Tout pour palier à ce froid qui le glaçait de l'intérieur. L'hyperactif ne savait pas ce qu'il préférait : sentir sa peau brûler furieusement au contact de ces mains salies par l'horreur ou se glacer ainsi intérieurement ? Il ferma les yeux et ses joues n'en finirent plus de s'inonder de larmes. Il avait cru pouvoir tenir, ne serait-ce qu'un peu, tout en se convaincant que ce monstre ne resterait pas longtemps chez lui. Un jour, deux, pas plus. Lorsqu'Emile lui avait soufflé à l'oreille d'un ton triomphant qu'il ne partirait pas avant des semaines, voire des mois, le monde de Stiles s'était complètement effondré. Stiles tira sur ses manches, cachant ses poignets bleuis. Dès son retour à la maison après son premier jour de cours à faire complètement semblant, Emile était devenu violent. C'était sa manière à lui de le mater, de lui montrer qui dirigeait, ici.

Et bien sûr, Noah ne savait rien. Il était aveugle aux regards de détresse que lui lançait parfois Stiles, ignorant de ces appels à l'aide silencieux auxquels il ne croyait pas.

A ses yeux, Stiles était un menteur. Il n'avait jamais pu supporter son collègue et le leur faisait payer à tous les deux. Noah trouvait cela navrant. Après tout, Emile était adorable, se comportait cordialement avec Stiles, qui l'avait pourtant offensé par le passé en essayant de porter plainte contre lui. Et pourtant, il ne lui en avait jamais voulu pour ces calomnies, cette diffamation qui aurait pu entacher sa carrière.

Ainsi, Noah s'absentait, profitait de verres proposés par ses collègues pour s'éclipser de la maison, ne plus supporter de voir le comportement outrancier de son fils. Et Emile qui avait tant essayé d'enterrer la hache de guerre ! Il avait donc décidé de leur laisser plus de place et peut-être qu'enfin, Stiles se réconcilierait avec cet homme qu'il avait pris en grippe sans raison ?

Stiles étouffa un sanglot dans sa manche de laquelle seul le bout de ses doigts dépassait. Quatre jours, et il n'en pouvait déjà plus. Emile s'amusait avec ses nerfs, le dressait, le frappait, le touchait, sans jamais dépasser le point de non-retour. Il se délectait de son silence, de ses soupirs, de sa résistance, de sa soumission, de sa souffrance, des larmes fugitives qu'il retenait aussi souvent qu'il le pouvait. Le reste viendrait bientôt, Stiles le savait.

Et il n'était pas certain de vouloir vivre jusque-là.