Stiles ne savait pas comment il avait atterri dans ce lit, entre ces bras qu'il commençait à bien connaître. Dire qu'il n'avait aucun souvenir serait mentir : des images fugaces se rappelaient à son esprit, mais pas en assez grand nombre pour qu'il puisse reconstituer le tout. C'était comme s'il avait fait partie de la scène, sans réellement la vivre. Il se souvenait du fait que Derek était venu le voir en bas, ça, oui. Il se rappelait également de cette manière dont il lui avait tendu la main, puis la façon dont il l'avait pris dans ses bras… Et c'était tout. En fait, il avait en quelque sorte cessé de fonctionner tant il était épuisé. Nul doute que la mémoire lui reviendrait incessamment sous peu, simplement… Il fallait croire que le reste de la nuit n'avait pas été des plus agréables : Stiles ne serait pas surpris d'apprendre qu'il avait fait des cauchemars particulièrement difficiles à supporter.

En tous les cas, il était réveillé.

Contre lui, Derek dormait encore.

En soi, ce simple fait lui fit comprendre que le loup avait à nouveau passé la nuit à le veiller, à le rassurer, à le calmer… Et Stiles s'en voulut à nouveau. La bouche pâteuse et la gorge sèche, il se sentit minable. Profondément minable.

Et pourtant, il ne quitterait ces bras pour rien au monde. Ils provoquaient en lui d'étranges paradoxes, mais… Ils étaient agréables. Chauds. Forts. Des bras qui l'entouraient, mais ne l'emprisonnaient pas. Il s'agissait d'une étreinte, pas d'une manière de le retenir. Quelque chose qui le réchauffait, au lieu de le glacer de l'intérieur.

La manière dont Derek l'étreignait était fort différente de la façon dont Emile l'enserrait.

Stiles rougit de honte. Comment osait-il comparer les deux hommes ? Le premier était un loup-garou des plus adorables et l'autre… Un monstre de la pire espèce. A nouveau, certaines pensées toxiques l'envahirent : s'il acceptait le contact de Derek… Dans un sens, il méritait ce qui lui était arrivé. Comment pouvait-il condamner les actes d'Emile alors qu'il laissait Derek s'immiscer dans son espace vital ? A nouveau, il pensait d'une manière malsaine.

Parce qu'il avait grandi sans que l'on condamne ce qui l'avait détruit. Alors, Stiles s'était dit que, pour ne plus souffrir, il ne devait laisser personne se rapprocher autant de lui. Autrement… Ce serait laisser la porte ouverte à ceux ou celles qui voudraient profiter de lui. Voilà sa pensée, déformée par la souffrance et le silence : mauvaise, erronée, elle le torturait déjà. Devait-il s'écarter du loup ? Puis… Pourquoi se sentait-il si bien dans ses bras alors qu'il abhorrait ceux d'Emile ? En restant contre Derek… Ne jouait-il pas avec le feu ? Et s'il éveillait les instincts du loup en lui ? Les privilèges du contact rapprochés n'étaient pas à prendre à la légère. En accordant les siens… Stiles laissait la porte ouverte aux dérives et risquait de transmettre un message… Contraire à ce qu'il désirait. Et pourtant, le cœur battant, l'hyperactif ne savait que faire. Une chose était certaine, il était paralysé et le froid commençait à l'envahir avec force. Et si Derek… Prenait sa proximité pour argent comptant ? Non, pensa-t-il soudainement. Non, il n'est pas comme ça. Il le lui avait prouvé à maintes reprises, ne le prenant dans ses bras que pour le consoler et faire montre de son soutien de manière concrète. Car même s'il avait peur que des bras malintentionnés se referment sur lui, Stiles avait besoin de ces contacts, de cette affection qu'il n'avait jamais eue. Était-ce normal, ou contradictoire ? L'hyperactif avait-il le droit de refuser une étreinte et d'en accepter une autre ? En soi, le geste était le même, mais devait-il différencier l'intention qui le motivait ? Voilà des questions qu'il ne devrait pas se poser.

Et pourtant, il s'interrogea sur ces mêmes sujets chaque fois qu'il se réveilla dans le lit de Derek les trois jours qui suivirent. Chaque fois, c'était la même chose : il se couchait dans l'autre pièce, s'endormait et… Se réveillait avec une violence telle qu'il réveillait Derek. S'enchaîna alors la même rengaine. D'abord, le loup le prenait dans ses bras. Ensuite, il passait un temps monstre à le rassurer. Puis, il l'emmenait dans sa propre chambre. Enfin, il le laissait se blottir contre lui et les deux jeunes hommes s'endormaient ainsi. La journée ? Chacun s'occupait comme il le pouvait. Stiles prenait soin du chat et s'aérait l'esprit autant que possible en traînant sur Internet tandis que Derek s'occupait de le maintenir à flot et de faire la cuisine. Stiles avait essayé, parce qu'il aimait bien cela… Mais ses mains tremblaient trop. L'hyperactif perdait toujours pied en une fraction de secondes tant les pensées qui le traversaient étaient aussi violences qu'aléatoires.

Mais ce jour-là fut différent.

Pas parce que son téléphone sonna – cela arrivait de temps à autres, mais Stiles ne décrochait jamais. Non, à la place, il envoyait des messages, rassurait ses amis sur ses absences en cours, trouvait des excuses pour que ceux-ci évitent de passer le voir, parce que… Comment pourrait-il leur expliquer qu'il vivait chez Derek pour l'instant ?

Disons que cette fois-ci, Stiles décrocha, parce qu'il savait ne pas avoir le choix. Ignorer son père était une très mauvaise idée et ça, il en était diablement conscient, d'autant plus qu'il gardait toujours l'espoir secret de se rabibocher avec lui un jour…

Noah voulait qu'il rentre. Il lui disait que cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas passé de moment entre père et fils et qu'après « l'intrusion » chez eux, il avait fait équiper la maison d'un excellent système d'alarmes de sorte à ce que cela ne se reproduise plus. Ainsi, il se voyait plus rassuré de le faire rentrer. Lorsque Stiles lui demanda, après avoir longuement hésité, si Emile était toujours à l'hôpital, Noah répondit que oui et que la date de sa sortie n'était pas programmée avant un moment. Bien qu'il ait lâché cette information d'un ton un peu sec, l'hyperactif se retrouva à considérer sérieusement sa proposition… Qui tenait plus de l'ordre muet qu'autre chose. Ainsi, il lui dit qu'il n'y avait pas de problème en usant de sa comédie habituelle et l'informa, avant de raccrocher, qu'il allait en informer Derek et, bien sûr, le remercier de l'avoir hébergé durant ce temps-là.

La moue qu'afficha le loup après qu'il lui eut relaté la conversation était très claire : l'idée de le laisser partir ne l'emballait pas le moins du monde, d'autant plus qu'il savait à quel point l'hyperactif était abîmé. Cependant, Stiles lui assura d'un ton aussi sûr que possible que tout irait bien. Si Emile était encore à l'hôpital, il était tranquille et de toute manière… Le shérif avait clairement stipulé son intention de venir le chercher d'ici moins d'une heure.

Derek soupira, préoccupé. Les bras croisés sur son torse, il n'était pas à l'aise. Bien sûr qu'il avait envisagé la fin du séjour de Stiles chez lui parce que son père finirait par le réclamer, cependant… Il pensait avoir un peu plus de temps devant lui. La seule chose qui le rassurait, c'était de savoir que l'hyperactif ne comptait plus essayer de mourir. Plus qu'une promesse, plus que des paroles, il le sentait. Stiles n'allait pas bien – dire le contraire reviendrait à nier sa souffrance –, mais il était stable. Et même s'il voulait le garder ici… Qui était-il pour empêcher un shérif de récupérer son propre fils ? Il reconsidéra les éléments de la conversation retransmise avec honnêteté par l'hyperactif tandis que celui-ci faisait son sac.

- Ne prends pas toutes tes affaires, lui demanda-t-il. Laisses-en une partie ici.

Le châtain releva un regard perdu dans sa direction et Derek s'efforça de soutenir ces iris brisés. Dans cette histoire, il devait se montrer fort.

- Je veux que tu aies quelque chose, des affaires ici… Au cas-où.

- Au-cas-où ? Répéta Stiles d'une voix toujours aussi peu assurée.

Le lycanthrope fit fi de l'effroi qu'il ressentait. Et dire que Noah ne se rendait compte de rien… Stiles était doué quand il s'agissait de lui mentir, mais devant Derek, il n'y arrivait pas. Il se mettait à nu, incapable d'endosser ce masque qui ne tenait plus vraiment. C'est alors que l'ancien alpha demanda à l'hyperactif de s'assoir une seconde au bord du lit.

- Est-ce que tu peux me promettre quelque chose ? Commença-t-il.

- Tout dépend de ce que tu veux me faire promettre, éluda à moitié l'hyperactif en se triturant nerveusement les doigts.

Derek prit une inspiration tout en ignorant autant que possible la bouffée de tristesse qui l'envahit.

- Dès que tu sais quand il sort… J'aimerais que tu reviennes ici.

Il y eut une lueur dans le regard de Stiles. Une lueur d'espoir. Fugace. Si brève que Derek crut l'avoir rêvée tant elle s'était éteinte rapidement. Il détourna les yeux.

- Tu sais que ce n'est pas possible.

- Si, ça l'est, insista Derek.

- Non, rétorqua Stiles, mon père…

- Je lui balancerai une excuse et je le convaincrai. Et même si je n'y arrive pas, je trouverai une solution.

Parce qu'il y croyait. Tant que le monstre était à l'hôpital, il pouvait accepter que l'hyperactif retourne chez lui, et ainsi avoir un peu de temps pour réfléchir à ce qu'il pourrait dire au shérif sans lui faire part de ce qu'il savait. Et même si sa conscience le poussait à vouloir être honnête avec Noah, l'instinct qui animait Derek lui soufflait de ne rien lui dire. Le peu que lui avait appris Stiles le concernant avait fait son effet. Si le shérif couvrait réellement – bien qu'inconsciemment – son meilleur ami… Il était clair qu'il ne protègerait pas l'hyperactif. Ainsi, il l'accueillerait à nouveau avec plaisir, même si le laisser partir lui serrait autant le ventre que le cœur.

- Si tu y tiens… Finit par lâcher Stiles d'une voix enrouée.

Oui, il y tenait. Et même si le châtain ne paraissait pas des plus emballés par son idée, il termina son sac, sans jamais y remettre toutes ses affaires.

Peut-être parce qu'au fond, il voulait revenir, saisir la main que lui tendait à nouveau Derek sous couvert d'une porte ouverte, de quelques vêtements sur une étagère...