La maison qu'il avait toujours connue lui parut gigantesque. Vide, aussi. Pourtant, Noah était là, rayonnant, sincèrement heureux de le revoir. Il était venu le chercher au loft et, dans la voiture, lui avait vanté les mérites du nouveau système d'alarme dont il avait équipé la maison, gage d'une sécurité sans faille.
- Désormais, il ne pourra plus rien t'arriver, fiston ! S'était-il exclamé, fier de lui.
Stiles avait souri, tandis que des larmes brûlantes coulaient sur son cœur. Cette alarme ne le protègerait de rien. Elle n'était qu'une couche de barreaux supplémentaires qui protégeait son enfer.
Lorsqu'il monta dans sa chambre, l'hyperactif jeta directement un regard en direction de la fenêtre. Si l'alarme avait été bien installé, cela voulait dire que Derek ne pourrait pas entrer par là s'il décidait de venir le voir parce que, nécessairement, sa présence serait détectée car pour accéder à sa fenêtre, il fallait monter la gouttière et marcher sur un petit bout du toit. Alors, Stiles s'empressa de lui envoyer un texto pour le prévenir et éviter de déclencher la panique chez son père en cas de visite du loup-garou qui, par conséquent, se verrait obligé de passer par la porte.
Essayant de ne pas s'attarder sur ce détail, Stiles défit son sac et rangea ses vêtements. Au départ, il s'étonna du peu qu'il y avait, puis se rappela qu'il avait laissé quelques affaires au loft, chez Derek. Un très léger sourire étira ses lèvres. Il avait une échappatoire, un endroit où aller en cas de problème. Si au départ, il comptait refuser l'aide du loup, il fallait avouer… Qu'elle était plaisante. Lorsqu'Emile reviendrait, Stiles s'en irait. Pour éviter que son père trouve quelque chose à y redire, il trouverait une excuse. Qu'il devrait renouveler. Pour combien de temps ? Il n'en avait aucune idée, mais il trouverait. Il ne pensait pas cela possible mais Derek avait rallumé quelque chose en lui. Quelque chose d'important.
Stiles n'était pas stupide. Il se doutait bien que le loup-garou avait compris. Peut-être pas tout, mais au moins certaines choses. C'était peut-être idiot, mais l'hyperactif n'avait pas réussi à perpétrer cette comédie qui avait parfaitement fait illusion pendant sept ans. Pourquoi ? Peut-être parce qu'il s'était cru libre, intouchable et que la chute s'était révélée bien plus dure qu'il n'aurait pu l'imaginer. Peut-être aussi qu'Emile l'avait brisé au point de le rendre incapable de complètement faire semblant. Peut-être aussi que Derek… Se montrait beaucoup trop adorable pour son cœur brisé. En fait, il avait beau avoir douté de lui, le loup-garou était actuellement la personne en qui il accordait le plus de confiance malgré tout, et pour preuve : il avait dormi avec lui. Il s'agissait d'ailleurs des moments où il s'était le plus reposé – si l'on pouvait parler de repos. Certes, ses nuits étaient sans cesse perturbées par des cauchemars, mais chaque fois que Derek le prenait avec lui et l'entourait de ses bras… Ça allait. Enfin, Stiles continuait de trouver paradoxal cette manière qu'il avait d'accepter sa proximité, il ne pouvait nier qu'elle lui avait fait du bien. Cela voulait-il dire qu'il était étrange ? Encore une fois, son esprit torturé était divisé et lui rappelait qu'il ne pouvait pas adorer les étreintes de Derek et abhorrer celles d'Emile. A ses yeux, cela n'avait pas de sens et il ne saurait s'expliquer pourquoi il pensait régulièrement à ces moments passés avec le loup. Pourquoi ces souvenirs le rassuraient-ils ?
Décidant de ne pas s'attarder sur ce détail, il ouvrit la fenêtre et aéra sa chambre. Elle sentait le renfermé, le… Des choses qu'il ne voulait pas vraiment sentir. Il baissa alors les yeux vers le plancher. Il n'y avait plus aucune trace du sang d'Emile, suite à son passage à tabac par Derek. Stiles se demanda alors ce que ressentait son père au moment où il avait nettoyé. S'était-il inquiété pour lui, réellement ? Ou ses pensées étaient-elles tournées uniquement vers son meilleur ami ? La question ne se posait pas véritablement, tant Stiles était certain de connaître la réponse. Il décida de se concentrer sur une seule chose : ses quelques jours de répit. Son père lui avait directement dit, dans la voiture, qu'il le tiendrait au courant du jour où Emile sortirait. Noah tenait à ce que Stiles remercie le policier de l'avoir soi-disant défendu face à l'hypothétique cambrioleur. Le châtain s'était retenu de réagir, il avait simplement hoché la tête en murmurant un « bien sûr » qui s'était voulu convaincant. Qui ne l'était pas. Mais ces deux mots avaient suffi à Noah qui n'avait pas cherché plus loin. Lorsque cela concernait son meilleur ami, il ne creusait jamais. En fait, il poussait juste régulièrement Stiles à mettre de l'eau dans son vin et à cesser d'être méfiant à son égard. Noah pensait à tort que son fils avait un problème d'ego et lui en voulait de l'avoir forcé à aller au commissariat pour s'excuser. Il était conscient du caractère humiliant qu'avait eu cette action, mais à ses yeux, elle était nécessaire. Le comportement de Stiles était aussi honteux qu'inacceptable : par sa faute, on s'était méfié pendant un moment du pauvre Emile qui ne demandait qu'à parler calmement avec son garçon qui, lui, ne voulait rien entendre.
Noah avait subi cette époque tant elle avait été dure à vivre.
Mais il n'imaginait nullement le calvaire qu'était devenu la vie de son fils cette année-là, tout comme il était à mille lieues de réaliser à quel point elle l'avait à la fois forgé et détruit.
Pour être honnête, Stiles ne redoutait pas vraiment la confrontation avec Emile… Tout simplement parce qu'elle n'aurait pas lieu. Il était certain que son père le tiendrait effectivement au courant de sa sortie de l'hôpital et qu'il en profiterait pour lui faire de nouveaux sermons quant au comportement distant – et par conséquent désagréable qu'il avait à son égard. Qu'importe : Stiles saisirait l'échappatoire que lui accordait Derek. En attendant… Il était de retour, chez lui, dans sa chambre et même si Emile avait souvent abusé de lui en cet endroit, Stiles s'y sentait bien. Parce que ça restait son antre, son refuge. Il y avait là ses affaires, ses petits secrets, ses passions cachées, tout. C'était toujours là qu'il se réfugiait lorsque ça n'allait pas en cours, avec la meute ou… Lorsque ça n'allait pas tout court. Parce que ce n'était pas cet endroit précis que Stiles associait à son enfer.
Ledit endroit se trouvait dans la forêt.
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Deux jours passèrent ainsi. Si Stiles continuait d'avoir des nuits mouvementées à cause de ses cauchemars incessants, il arrivait à ne pas faire de bruit, à tout garder pour lui. Ici, il n'avait pas le réflexe de crier : lorsqu'il se trouvait dans sa chambre, son silence semblait inné. Par habitude, sans doute. Son vécu y jouait beaucoup. Alors certes, il prenait beaucoup plus de temps pour se calmer mais au moins, il ne réveillait pas son père. En fait, de manière générale, son père n'était au courant de rien, pas même qu'il dormait mal. Stiles lui mentait déjà beaucoup et il aimerait ne pas ajouter un énième mensonge à la longue liste qu'il lui servait déjà tous les jours.
Ses journées compensaient d'ailleurs ses nuits : puisque nous étions le week-end et plus précisément dimanche, Stiles n'avait pas eu besoin de retourner au lycée et donc… Il avait eu tout le loisir de rester tranquille, au calme. Il ne sortait que rarement de sa chambre, mais qu'importe : son père n'était pas là pour le voir. De toute manière, qu'il soit là ou pas, le shérif travaillait. Il ne faisait que ça, tout le temps. Dans un sens, ça l'arrangeait car seul, Stiles n'avait pas à jouer la comédie. Il ne cherchait pas à sourire faussement, à forcer un rire, à trouver quelque chose à dire.
Il n'avait pas non plus à camoufler les sourires fugaces qui étiraient ses lèvres lorsque son téléphone vibrait, qu'il le regardait, qu'il tapotait sur l'écran.
Stiles n'aurait pas cru ça possible, mais Derek prenait très régulièrement de ses nouvelles. En fait, il leur arrivait souvent de discuter par message et même si c'était léger, cela suffisait à l'hyperactif. Ça lui réchauffait même le cœur parce qu'il savait à quoi pensait Derek et il le rassurait à chaque fois en lui faisant comprendre, sans réellement le lui dire, qu'il ne tenterait rien. De toute façon, il lui avait déjà dit ne pas avoir la force nécessaire pour cela. Il avait essayé une fois, s'était raté à cause de lui, point final. Mais simplement savoir que le loup se souciait de lui… Ça lui faisait du bien. Parce que dans un sens, il connaissait une petite partie de son histoire – l'essentiel, sans doute – , et il ne le repoussait pas. Ne l'envoyait pas bouler, comme l'avait fait Noah par le passé. Et même si Stiles n'avait jamais concrètement parlé de ce sujet avec Derek, il se sentait un peu plus à l'aise qu'autrefois. Parce qu'avec lui, il était impossible de se cacher réellement et pas seulement à cause de sa nature lupine : il y avait quelque chose en lui qui le poussait à être vrai, qui détruisait les barrières qu'il tentait vainement de reconstruire.
Alors lorsque Derek lui demanda s'il dormait bien, Stiles répondit que non mais que ce n'était pas grave : il trouvait toujours le moyen de se rendormir ou, parfois, de somnoler quelques minutes dans la journée. Il lui raconta d'ailleurs ce qu'il faisait… C'est-à-dire pas grand-chose. En fait, il passait beaucoup de temps à rêvasser, à tenter de se mettre à travailler quelque chose avant d'abandonner, de planer, d'essayer de s'y remettre, de lâcher pour aller manger un bout… Et ainsi de suite. Une pensée l'effleurant fugacement, Stiles décida de demander au loup comment allait Pyjama. Une photo de l'adorable chaton lui parvint alors et si l'hyperactif esquissa un sourire à la vue de cette petite frimousse toute mignonne, c'est le bras nu aux veines saillantes qui attira rapidement son regard. Derek tenait le chat contre lui et le petit animal semblait à son aise. Stiles ne s'en étonnait pas : le loup-garou dégageait un calme rassurant, quelque chose d'apaisant qui lui manquait déjà. Il y avait sa force, aussi. Tout dans son physique et dans son regard respirait la puissance silencieuse et un instinct de protection sans bornes. Pour être honnête, Stiles était heureux d'avoir découvert cette facette de lui. Enfin dans un sens, il la connaissait déjà, mais ces quelques jours passés chez lui avaient permis au jeune homme de constater son existence en profondeur. Bordel, pour une fois dans sa vie, il s'était senti en sécurité… Et presque accepté tel qu'il était. Evidemment, il continuait d'émettre quelques réserves car à son avis, Derek finirait par déguerpir s'il connaissait toute son histoire. Elle était lourde, du genre de celles que l'on ne désirait pas entendre et qu'on préférait passer sous silence parce que c'était plus facile que de s'y confronter. Dans un sens, Stiles comprenait : alors il ne parlait pas. Ses seules révélations avaient été faites durant ses cauchemars, lorsqu'il n'avait rien pour tenir, à part ses bras auxquels se raccrocher.
Stiles prit un réel plaisir à échanger avec Derek et il le rassurait autant que possible sur sa situation, juste pour qu'il évite de venir : si Noah rentrait, il ne comprendrait pas. Dans son idée, l'ancien alpha et son fils n'étaient pas proches et s'entraidaient juste parce qu'ils faisaient partie de la même meute, rien de plus. A son avis, Hale avait simplement rendu service à Stiles en le gardant chez lui quelques jours, notamment pour ne pas se le mettre, lui, le shérif, à dos. L'hyperactif savait que la vérité était toute autre.
Derek tenait à lui et ce simple fait manqua de le faire rougir.
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Le lendemain, Noah était censé avoir son après-midi de libre et Stiles en avait profité pour concocter un programme fort sympathique. Il était allé faire les courses avec un peu d'argent que son père lui avait donné et avait ramené de quoi lui faire un festin de roi. Un festin de roi sous forme d'arnaque. Il était de notoriété publique que le shérif adorait la malbouffe. Et Stiles voulait lui faire plaisir, sans lui faire prendre de risques – ses dernières analyses étaient passables, mais pas excellentes non plus. Alors, il décida de lui cuisiner de quoi bien lui remplir la panse et ce, sans qu'il soit dans l'abus. Burger maison, frites maison et pas trop grasses, salade composée – faut pas déconner –… Tout y passait et en fait, cela lui prit la matinée. Et tout ça pour quoi ? Pour le manger dans le salon, devant un film. Pas Star Wars, pour une fois, mais Free Guy. C'était léger, marrant et Stiles en avait besoin.
Oui, mais le téléphone de Noah finit par sonner et celui-ci, à partir. Pourquoi ? Une affaire urgente qui nécessitait sa présence. Stiles soupira, sans toutefois lui en tenir rigueur. C'était toujours comme ça, de toute façon. Le métier de son père exigeait beaucoup de ce dernier, d'autant plus qu'il n'était pas un simple policier, mais bien le shérif de la ville. Alors, il lui pardonna son absence, comme toutes les autres.
Alors, il mangea, un peu. Pas trop parce que l'air de rien, il était un peu chafouin. Puis son estomac lui paraissait avoir rétréci depuis quelques jours. Quoi de plus normal ? Les récents évènements ne l'avaient pas poussé à prendre soin de lui-même, tout comme ils ne lui avaient pas donné faim outre mesure. La plupart du temps, c'était Derek qui le poussait à se nourrir et il faisait toujours en sorte de lui servir une quantité qu'il finirait – parce que plus, c'était compliqué.
Ensuite, il éteignit la télévision sans avoir regardé Free Guy. Il se gardait ça pour une prochaine fois, un jour où son père n'aurait pas à partir en trombe à cause d'une urgence.
Une idée lui vint soudain et il monta soudainement pour la concrétiser, juste parce qu'il n'avait rien à faire. Peut-être aussi qu'il avait envie de, juste, renouer avec certaines choses. Une passion, notamment, qu'on ne lui connaissait pas.
Stiles s'accroupit devant son lit et attrapa une grande boîte qui reposait là depuis longtemps. Un étui, plus précisément. Il le déposa sur son lit, l'ouvrit et en sortit une guitare tout à fait lambda qui, si elle avait un peu pris la poussière, n'en restait pas moins belle dans sa simplicité. Autrefois, on avait souvent dit à Stiles qu'il avait des mains de musiciens. Il l'était. Parfois. Quand il avait le temps, qu'il n'était pas accaparé par ses cours ou par la meute.
Après avoir passé un coup de chiffon sur son instrument, Stiles s'assit sur son lit et gratta quelques accords. Il grimaça : ce n'était pas fameux, mais il fallait juste qu'il reprenne ses marques. Rien de bien méchant. Stiles était du genre rapide et avait tendance à récupérer vite, quel que soit le domaine qu'il négligeait un temps. Mais le jeune homme avait une méthode bien à lui. Une méthode que beaucoup jugeraient idiote en la voyant, qui avait toutefois fait ses preuves le concernant.
Alors, le jeune homme se leva et se dirigea vers son bureau. Il cala correctement son téléphone de sorte à ce que l'écran soit tourné dans sa direction. Puis, il s'installa sur sa chaise de bureau et mit son portable sur le mode vidéo. Tout de suite après, il éteignit l'écran mais il savait que son cellulaire le filmait.
Stiles était un autodidacte. C'était sa mère qui lui avait acheté cette guitare et s'il en avait beaucoup joué petit, ses petites séances musicales s'étaient progressivement espacées. En fait, il jouait selon le temps qu'il avait, ses humeurs, et son envie générale. Puisqu'il n'aimait pas apprendre comme tout le monde, il avait pris l'habitude de se nourrir de vidéos qu'il trouvait sur internet. Il les regardait, refaisait la même chose, puis essayait de se perfectionner, le tout en se filmant. Ensuite, il visionnait ses enregistrements, notait ses erreurs pour mieux les corriger par la suite. Il faisait cela chaque fois qu'il prenait sa guitare. C'était comme ça qu'il s'était amélioré au fil du temps, par intermittences, et qu'il avait acquis un petit niveau.
Il était d'ailleurs excellent, mais Stiles n'avait pas gratté de cordes depuis si longtemps que sa virtuosité ne se voyait pas. Pas pour l'instant, en tout cas.
Si le fait de se savoir filmé le tendit, cela ne dura qu'un court moment car très vite, son hyperconcentration prit le dessus. Il était comme ça, Stiles : lorsqu'il faisait quelque chose qui lui plaisait, il était à fond dedans. Alors il oublia que son téléphone le filmait. Quoi de plus facile ? Il avait éteint l'écran exprès, de manière à ne pas se concentrer sur son reflet. Juste sur ses doigts. Juste sur les cordes. Juste sur ces sons qui devinrent de plus en plus clairs, de plus en plus nets. Stiles aimait la musique : il devait parfois avouer qu'elle lui manquait. D'où lui était venue cette envie de céder à sa vieille passion ? La solitude, sans doute, la tranquillité également. Le besoin de se raccrocher à quelque chose qu'il aimait faire et qui lui faisait du bien. Alors peu à peu, ses doigts se firent plus sûrs et la musique qu'il exécutait à l'instinct devint belle, agréable à entendre. Stiles esquissa un très léger sourire. Il était dans sa bulle, loin de tout. En cet instant, il n'était pas le jeune homme perturbé, torturé par son passé que la vie lui rappelait sans arrêt. Il n'était pas l'humain fragile qui se réveillait en sursaut chaque nuit. Il n'était pas Mieczyslaw Stilinski.
Il était juste sa musique. Celle qui lui venait aussi simplement qu'il respirait. Un observateur extérieur aurait pu constater ses progrès d'une rapidité stupéfiante et virtuose : parce que c'est ce qu'il était. Mais personne ne le savait, parce qu'il n'en parlait pas. Il ne parlait jamais de rien, à personne. Il se laissa simplement emporter par ce qui l'animait, ce qui le faisait vibrer.
Il ferma les yeux.
Alors forcément, il n'entendit pas tout de suite le bruit que fit la poignée de la porte en s'abaissant, tout comme il ne vit pas la porte de sa chambre s'ouvrir doucement.
Un instant plus tard, un cri, étouffé. Plus aucune musique.
Rien.
