Stiles avait l'impression de flotter. Sa conscience voguait au centre d'un océan d'une noirceur infinie. Elle était remontée à sa surface peu de temps auparavant, elle qui avait été engloutie des heures durant. Elle était de retour, embrumée et lente, mais de retour quand même. Et c'est ainsi que Stiles finit par s'éveiller, lentement. Retrouver lentement les sensations inhérentes à celles d'avoir un corps. Car chez lui, ce n'était pas automatique. Enfin pas toujours. Il lui fallait parfois un peu de temps pour le retrouver et le… Accepter qu'il lui appartienne. On l'avait usé comme s'il n'était qu'un objet alors parfois, il doutait d'en être le propriétaire. C'est ainsi qu'il se réappropria peu à peu de ses membres. Sa première action, avant même que ses méninges et ses réflexions ne se mettent en marche, fut d'ouvrir les yeux. Lentement. Ensuite seulement, il fronça les sourcils. Dans son idée, il devrait se trouver chez lui, dans sa chambre, mais… Celle-ci, il la reconnaissait, et ce n'était pas la sienne. Il avait déjà dormi là et… Oui, il fallut attendre quelques secondes avant qu'il ne réussisse à se remémorer le séjour qu'il avait passé au loft, dans la chambre d'ami. Qu'est-ce qu'il fichait là ? Un frisson glacial le parcourut. Il savait froid. Il ne savait pas comment ni pourquoi, mais… Oui, le froid se fit ressentir à cet instant. C'était seulement intérieur, le genre de choses qu'il savait dissocier d'un simple problème de température – d'autant plus que la couette était épaisse. Mais… Pourquoi ? Pourquoi sa gorge se serrait-elle, aussi ? Et pour quelle raison Stiles se sentait-il si mal d'un coup ? Outre le fait qu'il était censé être chez lui, il… Enfin, il ne voyait pas ce qui pouvait le rendre mal comme ça, sans préambule. Stiles détestait ne pas comprendre, ne pas savoir. Et ce fait-là l'angoissa plus que d'ordinaire, sans qu'il ne sache d'où cela lui venait. Ainsi, il eut besoin de se lever pour aller questionner le propriétaire du loft dans lequel il se trouvait. Si Stiles ne savait pas ce qu'il faisait là, Derek aurait forcément la réponse.

Mû par ce besoin de savoir ce qu'il fichait ici, Stiles commença à essayer de se redresser… Péniblement. Mais, pour éviter de s'ajouter une source de stress supplémentaire, il se força à ignorer l'espèce de douleur qui irradiait dans l'intégralité de son corps. Douleur dont il ne connaissait absolument pas l'origine. Elle fusait, c'était tout ce qu'il sentait. C'est alors qu'il entendit la porte s'ouvrir et tourna naturellement la tête vers elle. Croisa les orbes claires des Derek. Des prunelles empreintes d'une inquiétude sans pareil. Viscérale.

Stiles sentit quelque chose se passer en lui. Quelque chose qu'il ne sut décrire, juste en voyant ce regard, qu'il ne comprit pas.

Pourquoi Derek avait-il l'air inquiet ? Pourquoi le regardait-il de cette manière ? Pourquoi…

Il fit deux pas et leva légèrement une main devant lui. Une espèce de geste de paix que l'on ferait devant un enfant ou un animal terrifié, pour lui montrer qu'on ne lui voulait pas de mal. Son visage paraissait alarmé.

- Stiles, c'est moi, d'accord ? Fit-il d'un air prudent.

Oui, ça il le savait, il le voyait bien… Et comprenait encore moins son comportement. Il n'avait rien dit.

- Tu n'as rien dit mais j'entends ton cœur, Stiles. Et je te vois. Tu veux bien me laisser m'approcher ?

Et toujours cette urgence incompréhensible dans la voix. Stiles capta encore moins et s'enfonça dans une confusion sans nom. Avait-il parlé sans s'en rendre compte, sans même s'entendre ? En tout cas, il hocha consciemment la tête, pour le laisser s'approcher. Il ne le craignait pas. Plus. Enfin en tout cas, il savait que Derek était gentil, qu'il ne lui ferait pas de mal. Tout ce qu'il voulait, c'est qu'il lui explique ce qu'il foutait là, pourquoi il avait mal et se sentait si misérable, pourquoi sa gorge était si serrée, pourquoi…

- Stiles, calme-toi, Stiles ! Je suis là.

La seconde d'après, une chaleur qu'il commençait à connaître l'entoura et Stiles ne chercha pas à s'empêcher de se pelotonner contre elle. Il apprécia les bras de Derek plus que de raison et n'essaya absolument pas de maintenir quelque façade que ce soit. Il n'en avait pas la force…

- Je suis là, tout va bien.

… Et il ne savait même pas pourquoi.

Il ne savait pas non plus qu'il était en train d'hyperventiler, de trembler, de pleurer, de… Il ne se rendait pas vraiment compte de tout ça.

Parce qu'il n'était pas complètement revenu à lui.

xxx

Lorsque Derek redescendit une bonne demi-heure plus tard, il avait l'air sombre et profondément angoissé. Le genre de choses qu'il n'avait pas l'habitude d'afficher, de montrer. Il était du style à se contrôler et à garder ses émotions les plus intimes pour lui. C'était plus simple : pas de démonstration, pas de questions.

Mais pas aujourd'hui.

- Il va falloir que vous m'en disiez plus, ordonna-t-il d'un ton sec à Isaac et Peter, installés au salon.

Les deux amants – difficile de ne pas le deviner – étaient aussi pâles l'un que l'autre. Si le plus jeune était un livre ouvert, son aîné tentait de garder la face avec un air inexpressif.

Sauf que lui non plus n'y arrivait pas vraiment. Ce fait, aussi simple que parlant, n'allait pas améliorer l'humeur de Derek. Loin de là.

- On l'a trouvé dans la forêt, articula Isaac d'une voix rauque.

Il n'avait pas pleuré, ce n'était pas son genre. Cependant, ses yeux rouges trahissaient son envie de se lâcher. Peut-être le ferait-il à un moment où à un autre.

- Je le sais ça, claqua Derek, c'est ce que vous m'avez dit en arrivant. Mais je ne peux pas me contenter de ça.

Non, ce détail ne pouvait lui suffire quand il revoyait dans sa tête Isaac puis Peter entrer, un Stiles inconscient sur le dos. Les poignets en sang. La lèvre fendue, l'arcade sourcilière aussi. La pommette bleuie, les vêtements mal enfilés et puant le… Puant tout. Trop de choses. Le premier instinct de Derek ? Prendre l'hyperactif avec lui pour le laver. Peter l'avait aidé. On avait demandé à Isaac, un peu en état de choc, de rester dans le salon. Il en avait déjà trop vu, trop senti.

Alors forcément, Derek avait compris des choses, et pas juste avec ce marasme d'odeurs qui collait à la peau de l'hyperactif jusqu'à ce que lui et Peter l'en débarrasse. Durant sa douche, ils lui avaient découvert d'autres bleus, mais c'était bien minime par rapport au reste. Par rapport à cette chose collante dont il n'était pas difficile de deviner ce que c'était. Pendant ces quelques minutes, on avait oublié la pudeur, oublié que l'hyperactif était inconscient. Et on l'avait soigné et lavé au mieux, avant que Derek n'aille lui chercher de quoi s'habiller. Il n'était pas allé piocher dans les quelques affaires que Stiles avait laissées au loft : Derek avait préféré, pour des raisons toutes personnelles, de lui faire enfiler des vêtements à lui. C'était plus rassurant. Pour le loup, en tout cas, ça l'était.

- On était dans la forêt, on s'amusait, commença Peter sans entrer dans les détails.

A ce stade, inutile de cacher leur semblant de relation.

- On a voulu trouver un endroit discret, au cas-où. On a aperçu un chalet et on s'est dit que ça ferait l'affaire. Ça avait l'air abandonné, tranquille.

Peter fit une légère pause et posa instinctivement sa main sur la cuisse d'Isaac, qui apprécia silencieusement le contact. Il n'allait pas bien. Peter non plus. Mais le bouclé avait moins de défenses mentales, moins de barrières. L'oncle Hale, lui, savait plus ou moins garder son sang-froid. Alors, il continua :

- Quand on s'en est approchés, on a tout de suite senti que quelque chose n'allait pas, qu'il s'était passé quelque chose ici... Mais on ne savait pas que ça concernait Stilinski.

- C'était… C'était un mélange d'odeurs, souffla Isaac. On sentait ça de l'extérieur. Dans cette odeur, il y avait… Quelque chose qu'on connaissait, mais… On n'arrivait pas à mettre le doigt dessus.

Sa voix tremblait, tant et si bien que Peter décida de reprendre rapidement le flambeau, en exerçant une pression rassurante sur sa cuisse, tout en sachant qu'il devrait le laisser parler. Après tout, c'était lui qui avait trouvé l'hyperactif.

- J'ai décidé d'entrer pour voir… Pourquoi ça sentait comme ça. Isaac est resté dehors. Il devait me prévenir si quelqu'un arrivait.

- Et c'est là que… Il ne s'est passé que quelques minutes après que Peter soit rentré, mais… Je l'ai vu, articula péniblement Isaac en relevant des yeux plus que rouges dans la direction de Derek. Il était là, il… Il marchait, il avait le regard vide, l'air perdu, je… Il était blessé. Je l'ai appelé…

Il avait hurlé son nom.

- … J'ai couru vers lui, j'ai passé ma main devant son visage, il ne réagissait pas vraiment. Il ne me voyait pas.

Isaac baissa la tête, incapable de soutenir le regard de Derek plus longtemps, incapable également d'en dire plus. Alors non, il ne raconta pas la suite, qui n'était de toute façon pas utile. Parce que sinon, il allait craquer. De toute façon, il n'était pas en mesure d'expliquer ce qui l'avait traversé lorsque, pour essayer de raccrocher Stiles à la réalité, il l'avait doucement pris par les épaules et regardé dans les yeux. A l'intérieur des prunelles de l'hyperactif était passé un éclair de douleur, aussi fort que fugace. Puis, plus rien à part du vide… Et ce qu'Isaac avait automatiquement identifié comme une forme de résignation silencieuse. Car Stiles n'avait pas prononcé un mot, le regardant ainsi sans le voir.

Il avait fermé les yeux avant de s'effondrer, aussi simplement que cela. Comme un automate qui s'était éteint parce que sa batterie s'était vidée.

L'air cette fois-ci impénétrable, Derek tourna la tête vers Peter, décidant de laisser Isaac tranquille. En temps normal, il l'aurait consolé en le prenant dans ses bras. Mais lui-même était trop mal, trop en colère pour le faire. Peter le ferait pour lui et c'était encore mieux, puisqu'ils entretenaient une relation.

- Toi, dis-moi ce que tu as trouvé dans ce chalet, ordonna-t-il.

Et même si Peter était l'oncle, l'aîné, il opina du chef. Il n'avait pas la moindre intention de lui cacher ses découvertes, mais préférait toutefois épargner Isaac. Ainsi, il tourna la tête vers lui. Croisa son regard. Et le bouclé comprit aussi simplement que cela. Hocha la tête en reniflant. Se leva, sortit de la pièce. De là, on le vit se réfugier sur le balcon et sortir ses écouteurs de sa poche.

- C'était l'enfer, fit Peter sans cesser de regarder son amant, de dos à la baie vitrée. C'était sale, répugnant et ça puait la mort.

Il n'utilisait pas le mot comme une expression, mais bien comme une représentation de ce qu'il avait ressenti. Pour lui, ça se rapprochait effectivement plutôt facilement de la mort.

- Dans cet endroit, il n'y avait pas grand-chose, pas beaucoup de meubles, mais des accessoires pour maintenir quelqu'un en place, il y en avait.

Le souvenir des strips, ensanglantés pour certains, ne quittait pas sa mémoire.

- Au fond, il y avait une pièce avec un matelas plein de tâches dégoûtantes, et je pense que c'est là qu'était l'hyperactif. Son odeur était partout.

- Et tu n'as pas reconnu son odeur avant, releva Derek, dans un mélange de perplexité et de scepticisme.

- Elle était différente, avoua Peter, le regard perdu dans le vague. C'était la sienne, sans vraiment l'être.

Il fit une très légère pause. Pour l'instant, il arrivait à peu près à garder son sang-froid. Nouveau regard sur Isaac, penché sur le balcon extérieur. Il écoutait de la musique pour se changer les idées et… Ne rien entendre. Il essayait de digérer les évènements à sa manière.

- Ce qui m'a permis de la reconnaître, c'est sa chemise, que j'ai trouvée dans cette espèce de chambre. Là, son odeur était normale. Elle débordait de tout un tas d'émotions, mais c'était toujours la sienne.

Peter posa à nouveau les yeux sur Derek, qui y lut un sérieux sans bornes. L'oncle blagueur aux tendances psychopathiques avaient disparu. Ce qui ressortait à cet instant, c'était sa véritable personnalité. Celle de Peter Hale, avant l'incendie.

- Ce qu'on a senti en arrivant au chalet… Je ne m'en suis rendu compte qu'après coup, mais je pense que c'était une version « épurée » de son odeur. Je n'y reconnaissais pas son identité et c'est peut-être pour ça que je n'ai pas compris tout de suite que c'était la sienne. C'était peut-être celle de son corps, mais pas celle de sa personnalité.

Derek hocha la tête, comprenant ce que son oncle cherchait péniblement à lui expliquer. Si ça le rassura ? Pas le moins du monde, pour la simple et bonne raison qu'il y voyait là un élément cauchemardesque supplémentaire. Pire encore, parce que cette histoire d'odeur lui fit vaguement penser à quelque chose, une chose sur laquelle il refusa de se pencher pour le moment. Disons que ça faisait beaucoup et qu'il n'avait pas besoin d'un problème supplémentaire.

- De toi à moi, je pense qu'on n'a pas besoin de mots, Derek, reprit Peter, le regard bien plus sombre que d'ordinaire. Avec Isaac, on l'a trouvé. Toi et moi, on l'a lavé et soigné. On a vu, senti. Alors, je pense qu'on sait tous les deux ce qu'il s'est passé.