Yuri est debout dans la cuisine, une spatule dans une main et un verre de vin dans l'autre. La petite lampe au-dessus de l'évier fait danser des points de lumière sur son corps alors qu'il se déhanche sur la playlist d'Otabek, doux comme les bonbons qu'Otabek a mangés cet après-midi, brut tel l'alcool qu'ils partagent. Voir Yuri dans une scène quotidienne suffit à ébranler le rythme cardiaque d'Otabek, qui s'accélère jusqu'à couvrir le son de la musique et la conversation que Yuri anime.
— Tu m'écoutes, Beka ?
— Hein ?
— Superman ou Wonder Woman ? demande Yuri.
— Euh… Wonder Woman, répond Otabek.
— Wonder Woman, acquiesce-t-il. Iron Man ou Captain America ?
— Captain America, évidemment.
— OK. Wolverine ou Batman ?
— Attends… coupe Otabek. On parle de notre super héros préféré, ou de qui on préférerait se taper ?
— Pardon ?
Yuri pose sa spatule et se retourne.
— Ils m'intéressent pas, se justifie Otabek, j'ai déjà trouvé bien plus canon.
— Rattrape-toi, ouais. Je sais que je fais pas le poids face à Hugh Jackman !
Les sourcils de Yuri sont froncés mais son expression est joueuse, il laisse échapper un rire qui ricoche dans la cage thoracique d'Otabek.
Depuis leur retour à Moscou, leur relation n'a pas tant changé, mais se livrer aux sentiments qu'ils s'interdisaient auparavant est étrange. Otabek est plus heureux qu'il ne l'a été depuis des lustres, alors pourquoi ne peut-il pas ignorer son pincement de nervosité ? Sa relation naissante avec Yuri est précieuse et fragile, un bijou rare à protéger sous une vitrine de verre, et il a peur de l'abîmer entre ses mains maladroites.
— Hé ? Tu veux goûter ?
Yuri fourre sa spatule sous le nez d'Otabek, qui ouvre la bouche par réflexe. Il déteste les potages froids, mais fait l'effort d'avaler la cuillérée. Yuri s'esclaffe devant son air dégoûté, puis essuie le coin de ses lèvres à l'aide de son pouce. Otabek, ravi d'être le centre de l'attention de Yuri, affiche un sourire idiot. Il le fait de plus en plus, en ce moment, mais ne peut quand même pas s'empêcher de le cacher derrière sa main.
— Pourquoi tu fais ça ? soupire Yuri.
— Quoi ?
— T'as tout le temps l'air intense et fermé, explique-t-il en repoussant la main d'Otabek pour caresser sa joue avec des cercles concentriques. T'as l'air de te retenir d'être content, c'est chelou.
— J'ai l'air idiot quand je souris.
Comme la plupart des complexes d'Otabek, celui-ci est stupide. Il n'aime pas la dent qu'il a légèrement ébréchée en se mesurant à un camarade de patinoire plus imposant que lui… C'est un rappel constant qu'il a accumulé les erreurs.
— Moi, j'aime bien quand tu as l'air idiot, rétorque Yuri.
— Tu le penses vraiment ?
— Pourquoi pas ? T'es pas content d'être avec moi, toi ?
Yuri caresse les lèvres d'Otabek du bout de l'index, qui l'attrape sans attendre et le suçote nonchalamment. L'effet est immédiat, les yeux de Yuri s'obscurcissent et ses joues rougissent. Ils se jaugent un instant, puis Otabek fait rouler sa langue autour de son doigt. Il n'a pas encore les mots pour exprimer tout ce qu'il ressent envers Yuri, mais il peut lui faire comprendre d'une autre manière.
――――――――――――――― ❅
Les premiers jours d'Otabek en tant qu'entraîneur à l'académie sont pénibles. Viktor ne le lâche pas d'une semelle et les élèves le regardent avec des airs intrigués, voire pleins de pitié. Il ne s'est pas absenté assez longtemps du monde du patin pour être oublié, il aurait aimé que ce soit le cas. Là où Viktor a décidé de prendre sa retraite en plein pic de sa carrière, Otabek va devoir refaire ses preuves. La première étape, obligatoire avant de pouvoir espérer chausser ses patins, est de passer par une rééducation, en vue d'éviter « les vilaines blessures » sur « la précieuse glace » de Viktor.
Allongé sur le dos sur la table de massage, Otabek grogne de douleur sous les doigts sévères de Mila. Elle est mécontente de l'état de sa blessure, puisqu'il avait arrêté de voir sa kinésithérapeute avant son rétablissement total.
— Alors ? Yura et toi ? questionne Mila sur un ton qu'elle essaie de garder professionnel.
Otabek répond avec un grognement. Elle appuie sur un point particulièrement douloureux de sa jambe, il jette un bras sur son visage et serre les dents pour retenir un juron. C'est peine perdue, elle voit bien qu'il est mal à l'aise.
— Je ne suis toujours pas fan de toi, continue-t-elle, mais je veux que Yura soit heureux. J'espère que tu le traites bien.
— Je fais de mon mieux, articule difficilement Otabek.
— Tu vas devoir faire mieux que ça. Il tient à toi plus qu'il ne le devrait.
La douleur pulse dans l'articulation d'Otabek et il souffle en rythme avec son battement, se forçant à affronter le regard bleu glacial de Mila. Il ne doute pas qu'elle le torturera physiquement s'il merde une énième fois.
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En plus des séances de rééducation, Otabek est forcé de suivre un temps d'observation de façon à « prendre ses marques dans le merveilleux métier d'entraîneur ». Dans les faits, ça signifie qu'il attend des heures dans les gradins à regarder Katsuki se faire persécuter par des gamins deux fois moins âgés que lui.
Dans l'attente de la passation de coach, Katsuki entraîne Yuri, mais Otabek profite de chacune des pauses qu'ils prennent ensemble pour lui faire part de ses conseils et idées. Il a terminé de travailler l'arrangement de Take Me To Church, il a hâte de voir comment Yuri et lui peuvent transformer la chorégraphie.
— Hé ? Tu veux bien m'aider à attacher mes cheveux ?
Otabek affiche un sourire timide. Si Yuri n'aime pas les démonstrations d'affection en public, il ne manque pas de créativité pour en demander.
— Tu veux quoi ?
— Je sais pas, c'est toi, le pro.
Otabek avait l'habitude de coiffer Yuri avant les compétitions. Bien que ça fasse des années, il se souvient des nombreux tutoriels que Yuri l'a forcé à apprendre par cœur.
Les cheveux de Yuri lui arrivent maintenant juste en dessous des épaules, faciles à manipuler pour en faire une petite tresse. Au contact des doigts d'Otabek, il ne lui faut que quelques secondes pour se détendre, ronronnant presque sous la caresse. Le voir baisser sa garde est agréable mais surprenant. Sous ses airs de brute, comme les bagues en diamant qu'Otabek a héritées de sa mère, Yuri est subtil. Elles sont assez solides pour couper du verre, mais elles scintillent sous la lumière et changent d'aspect sous son prisme. Qu'y a-t-il d'autre à découvrir sur Yuri ?
— T'as vu ça, putain ? râle Yuri.
— Euh... marmonne Otabek, tiré de ses pensées.
— Vitya et Yuuri. T'as pas vu comment ils étalent leur relation en public ? Ils sont vraiment putain de crades.
En effet, ils se tiennent dans les gradins, à échanger un baiser qui pourrait figurer dans les comédies romantiques que Yuri fait semblant de détester. Otabek les trouverait également dégueulasses, s'il n'avait pas relevé la pointe de jalousie dans le son de Yuri. Est-ce ça que Yuri attend de lui, une affection sans borne et contre tout principe ?
Avant qu'Otabek ne puisse dire quoi que ce soit, Misha, qui a remarqué leur proximité, patine à toute blinde jusqu'à eux et les sépare.
— Ta leçon privée est terminée, Yura ! Il est l'heure de revenir sur la glace ! dit-il, l'air de tapoter sur une montre invisible à son poignet.
— Putain, je vais t'étriper, grogne Yuri en s'échappant du contact d'Otabek.
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La semaine s'écoule rapidement, scindée entre les séances avec Mila, l'apprentissage avec Katsuki et les soirées avec Yuri. En fin d'après-midi, Yuri dégage régulièrement du temps pour aider son grand-père, et Otabek les rejoint dès qu'il a terminé ses exercices de rééducation ou ses rendez-vous avec la psychiatre que Katsuki lui a conseillée. C'est éprouvant, mais la routine lui fait du bien.
En attendant Yuri, Otabek s'appuie contre le métal rouillé du mur de l'atelier et regarde les néons qui clignotent. Travailler sur les voitures le distrait de ses démons, mais il est épuisé. Il allume une cigarette, il a besoin de se détendre après avoir passé la journée avec Viktor et Katsuki.
Maintenant que le mois d'avril est arrivé, la chaleur dans le garage est rapidement devenue étouffante, et Nikolaï entrouvre la porte pour laisser entrer l'air frais. Otabek entend des bribes de conversation, même s'il n'y prête généralement pas attention... Aujourd'hui, Yuri semble en colère.
— Tu as reçu les messages de Vasya ? demande Nikolaï. Tu as enregistré son numéro comme je te l'avais suggéré, non ?
— Ouais, c'est fait. Et évidemment que je les ai reçus, il m'en a envoyé un milliard !
— J'imagine que tu ne comptes pas y répondre ?
— T'as tout pigé, grogne Yuri.
Nikolaï soupire, comme s'il s'attendait à cette réponse.
— Ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne revienne au garage. Tu ne vas pas pouvoir l'év—
— Laisse tomber, Deda. J'ai pas le temps de m'occuper de tout ça.
— Je sais bien, concède Nikolaï. Mais je pense également que—
Un moteur démarre, son boucan couvre la fin de la conversation. Otabek reste planté devant la porte, mal à l'aise de les avoir espionnés. Qu'est-ce qu'il se passe ? Il n'a pas la moindre idée de pourquoi Yuri est énervé, de qui est Vasily, de ce que Nikolaï réclame à Yuri, et…
— Non, c'est pas mes affaires, murmure Otabek pour lui-même.
Après tout, Otabek a des difficultés à s'ouvrir à Yuri, il ne peut pas exiger l'honnêteté totale s'il est incapable d'offrir lui-même. Si Yuri ressent le besoin de se confier à lui, il finira par le faire. Il tâche de réprimer sa paranoïa et d'avoir l'air normal alors qu'un flot d'insultes l'avertit de l'arrivée imminente de Yuri.
— Hé ?
Yuri ouvre la porte coulissante avec un geste brusque et se fige en voyant Otabek, avachi contre le mur, sa cigarette éteinte en main.
— Putain, qu'est-ce que tu fiches planté là ?
— Longue journée, dit Otabek. J'ai besoin d'une pause.
— Ah ouais ? Baba a été chiante avec toi ?
— Elle est… Efficace. Ceci dit, elle pense que je devrais bientôt pouvoir retourner sur la glace.
Mila n'a aucune pitié pour Otabek. Curieusement, il semble que ce soit la raison pour laquelle il se rétablit tôt. Il ne patinera jamais comme avant, mais la douleur devrait devenir suffisamment supportable pour qu'il puisse s'entraîner dans des conditions décentes.
Le visage de Yuri s'illumine. Ils prennent leur partenariat au sérieux, et remettre Otabek d'aplomb avant que l'intersaison soit trop avancée est essentiel à la progression de Yuri.
— C'est vraiment cool ! s'exclame Yuri.
— Oui, admet Otabek. J'ai hâte de retourner sur la glace avec toi.
Sans se départir de son sourire, Yuri lève la tête et dépose un baiser sur la joue d'Otabek. Il frotte ensuite son nez contre le sien, réclamant sa pleine attention.
— Dis-moi… souffle Yuri.
— Mh ?
— Qu'est-ce que tu penses de sortir ce soir ? Histoire de fêter ton arrivée à l'académie ? Et puis…
Yuri s'arrête de parler et son souffle caresse les lèvres d'Otabek.
— Et puis ?
— Tu vas me dire que c'est con, soupire Yuri. On se voit tous les jours, mais on n'est jamais sorti en vrai rendez-vous.
Otabek ne trouve pas ça con, et le terme « rendez-vous » envoie un frisson d'excitation mêlé à du stress le long de sa colonne vertébrale.
— J'aimerais bien, répond-il.
— T'es sûr ? vérifie Yuri.
Souriant doucement, Otabek cherche sa bouche. Ses lèvres retrouvent celles de Yuri, qui émet un petit son de satisfaction. Otabek savoure l'idée qu'il est autorisé à toucher Yuri de cette façon sans avoir à se soucier de qui pourrait les voir. Il laisse tomber sa cigarette et enfouit une main dans les cheveux de Yuri, le gardant près de lui. Il brûle d'une passion qu'il ne peut éteindre, d'un feu qui le fera brûler plus rapidement que ses mégots.
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— Tout droit, puis sur ta droite au croisement, dit Yuri en montrant le tournant.
Yuri a insisté pour faire la surprise du lieu de rendez-vous, alors Otabek se charge de conduire. Il manipule la vieille camionnette dans les rues très animées du centre-ville, plus occupé à voler des œillades à Yuri qu'à regarder la route.
— Qu'est-ce que j'ai ? grogne Yuri.
Ses dernières mèches roses tombent de ses cheveux relevés et cascadent sur sa nuque, assorties aux couleurs pastels qui peignent ses lèvres et ses yeux. L'estomac d'Otabek se tord d'une manière agréable, il a du mal à croire qu'il va en rendez-vous avec Yuri.
— Rien, répond-il. Tu es vraiment beau.
Le bip de son téléphone coupe l'insulte que Yuri prépare.
— Tais-toi et gare-toi dès que tu trouves une place, c'est là !
Otabek affronte la nervosité qui grandit en lui, il a l'impression d'avoir seize ans à nouveau et de sortir avec un garçon pour la première fois. Une fois garé, il fait le tour du véhicule pour tenir la portière à Yuri.
Une faible brise secoue les pans de la chemise entrouverte de Yuri, criarde avec son motif de rayures de tigre. Malgré sa petite taille, ses jambes paraissent interminables, soulignées par un pantalon de velours violet. Même si Yuri ne prend pas soin de ses affaires hors de prix, il a toujours eu le goût de bien s'habiller. Otabek se sent idiot, mal fringué dans son jeans sombre et sa chemise fade.
Yuri attrape fermement sa main et le guide vers un immeuble dont la façade est abîmée par le temps et dont certaines fenêtres sont scellées par des plaques de contreplaqué. Otabek a mixé dans des lieux plus étranges que ça, mais ça reste un endroit étonnant pour un premier rencard.
— Suis-moi et flippe pas, dicte Yuri en tirant plus fort sur sa main pour le forcer à avancer.
Un escalier de pierre étroit les mène jusqu'au dernier palier, où Yuri pousse une porte qui n'est pas verrouillée. Sans se soucier de salir ses vêtements onéreux, il s'engouffre à travers une trappe et fait signe à Otabek de le rejoindre.
Otabek se hisse sur le toit, éblouit par la lumière. Sous ses yeux ébahis, le paysage se dessine progressivement, un labyrinthe d'immeubles découpés par les bras de la Moska. Il remarque ensuite que le renfoncement plat de la toiture sur lequel ils se tiennent est soigneusement décoré ; une nappe de pique-nique est placée sur le sol, entourée de multiples bougies disposées sous des cloches de verre.
Ils s'installent, Yuri passe une couverture autour de ses épaules, puis ouvre un panier en osier et en tire une bouteille de vin.
— T'en veux ?
Les joues de Yuri sont un peu roses, cachées par ses cheveux secoués par le vent. Il a l'air timide, non sans rappeler à Otabek le garçon qu'il a emmené sur les hauteurs de Barcelone il y a plus de dix ans.
Otabek accepte l'un des verres, désorienté par le romantisme de l'ambiance. Un coucher de soleil de toutes les couleurs se reflète sur les dômes des églises et sur les surfaces de verre des grands immeubles ; tout est si vivant et éclatant qu'Otabek se sent encore plus stupide d'être nerveux, rattrapé par ce brouillard épais cherche à l'étrangler.
— Comment t'as eu l'idée de tout ça ?
— Tu aimes bien t'asseoir à la fenêtre pour te relaxer, alors ça m'a semblé sympa de venir ici, explique Yuri.
— C'est… Wouah, dit Otabek, faute de trouver un meilleur mot.
— J'ai demandé à Baba de m'aider, elle aime les trucs romantiques. C'est elle qui a eu l'idée des bougies, et elle a mis le paquet.
Yuri laisse échapper un petit rire, comme s'il venait de confier un secret très embarrassant. Otabek ne sait pas s'il doit être soulagé ou stressé de ne pas être le seul à être nerveux.
— Tu penses que c'est exagéré, hein ? demande Yuri en regardant Otabek se gratter la nuque.
C'est vrai, mais Otabek adore ça. Il préfère les actes aux mots. Une fois de plus, Yuri a une longueur d'avance sur lui.
— C'est parfait. C'est juste que...
— Quoi ? Tu peux me dire si tu penses que c'est stupide. On peut toujours sortir d'ici et commander une pizza.
Otabek est tenté de choisir la facilité, mais, s'il continue à merder, c'est parce qu'il refuse de dire à Yuri ce qu'il ressent. Il a promis de faire mieux.
— Non, Yura. C'est juste que... je sais que je vais te décevoir, je n'ai aucune idée de comment être ton petit ami. Je veux dire, regarde-moi, je suis déjà en train de paniquer, débite-t-il.
Le regard de Yuri vacille comme les flammes des bougies, oscille entre colère et tristesse, et s'arrête sur cette dernière.
— Pourquoi tu penses ça ?
— Je suis bizarre et maladroit, et je fais toujours, toujours des conneries, dit Otabek.
— C'est ainsi que tu te vois ?
— C'est ce que tu ressens aussi.
— Je... Bon sang, non ! J'ai jamais pensé les conneries que je t'ai dites !
L'image qu'Otabek a de lui-même est floue ; c'est comme s'il se visualisait à travers un miroir déformé, faussé par ses propres attentes.
— Je sais pas comment être ton petit ami, admet Otabek.
— C'est pour ça que tu es si stressé ?
Otabek fixe la ligne d'horizon. Les voitures vont et viennent comme de minuscules taches sur une toile. Combien de ces personnes rentrent chez elles pour retrouver quelqu'un qu'elles savent aimer ?
— J'aurais aimé que tu me le dises plus tôt, dit Yuri. Je voulais pas te contrarier.
— Je ne suis pas fâché. J'aurais aimé pouvoir t'offrir tout ça, insiste Otabek. J'aurais aimé savoir comment agir en tant que partenaire, et pas seulement en tant que meilleur ami.
Même sous le soleil mourant, Yuri est plein de vie, ses cheveux sont dorés et son énergie est débordante. Comment pourrait-il être heureux avec un homme qui a du mal à se lever le matin ?
— J'ai pas envie que tu te comportes comme mon mec, rectifie Yuri. J'ai envie que tu restes… Beka, je veux pas que tu changes ta personnalité pour moi. Qu'est-ce qui te prend la tête comme ça ?
Otabek pousse un long soupir. Ça va sonner encore plus crétin que tout le reste, mais…
— T'as été avec plein de gens auparavant, mais pas moi.
— J'ai été avec plein de gens parce que toutes mes relations ont été un putain d'échec, dit Yuri.
— Qu'est-ce qui te dit que moi, je peux t'offrir plus que ces personnes ?
Yuri lutte contre le réflexe de lever les yeux au ciel, contre celui de s'énerver.
— Tu comprends pas, hein ?
— Yura ?
— Être avec toi, c'est plus que suffisant. J'aime bien quand tu parles à ma caisse, quand t'écoutes ta musique de daron, quand tu fais tes stupides playlists pour moi, quand tu m'apprends à conduire, merde, j'aime même quand tu jettes ma bouffe dès que j'ai le dos tourné et que tu laisses tes trois poils de barbe sur le fond de l'évier après t'être rasé. C'est suffisant pour toi, oui ou non ?
Yuri termine sa tirade avec une gorgée de vin, et Otabek le regarde, la bouche entrouverte. Yuri se cache derrière son amertume, protégé par ses insultes ; ses compliments sont également comparables à des diamants, beaux mais assez acerbes pour être tranchants. Est-ce suffisant pour Otabek ?
— Oui, déclare-t-il.
— Putain, merci ! s'exclame Yuri. Maintenant, tu veux bien arrêter de te prendre la tête et venir m'embrasser ?
— Maintenant ?
— Ouais, j'ai pas organisé toute cette merde juste pour qu'on discute du sens de la vie. J'avais au moins l'espoir de me faire peloter.
Le masque de robustesse de Yuri s'effondre et il éclate de rire. Otabek le tire contre lui, ils se roulent sur la nappe et rient encore plus fort, renversant l'un des verres et tachant leurs vêtements de rose. Enveloppé dans le tissu comme dans un cocon, Yuri bredouille d'autres mots flatteurs. Leurs voix sont étouffées contre leurs lèvres et ils se livrent à d'innombrables baisers, alimentés par leur désir et leur faim mutuels.
――――――――――――――― ❅
La bouche de Yuri est sur celle d'Otabek avant qu'ils n'entrent dans l'appartement. Ses lèvres sont chaudes, mais elles ne sont pas dévorantes comme tout à l'heure ; elles taquinent et effleurent, et Yuri recule une fois la porte fermée.
— J'ai une autre surprise pour toi. Assieds-toi sur mon lit et sois sage pendant mon absence.
Les mots de Yuri font frissonner Otabek. Il n'essaie pas d'argumenter, les baisers qu'ils ont partagés sur le toit n'étaient qu'un avant-goût parfumé au vin de ce qui va suivre. Yuri se retourne, sans prendre la peine de le regarder, et disparaît dans la salle de bains.
Otabek attend, nerveux et agité. Depuis leur retour d'Almaty, ils n'ont pas fait grand-chose, si ce n'est se toucher à travers leurs vêtements. Yuri doit être aussi impatient que lui, mais la douche ne s'arrête pas de couler. Il ne peut s'empêcher de se demander... Est-ce l'une des tentatives de Yuri pour lui faire perdre le contrôle ? Il ne peut ignorer la façon dont son corps réagit à la simple idée d'être proche de Yuri, et il résiste à peine à l'envie de presser sa paume entre ses jambes pour apaiser son désir brûlant.
La porte s'ouvre soudain et Yuri se dirige lentement vers le lit, enveloppé dans un peignoir blanc comme neige, ses cheveux dorés tombant sur ses épaules. Yuri s'assoit sur les genoux d'Otabek, qui remarque qu'il s'est remaquillé : du rose foncé sur les lèvres et du vert pâle sur les paupières, assorti à ses yeux.
— Hé, dit Yuri.
— Hé, répète Otabek.
À vrai dire, Otabek ne sait pas d'où il tire la force de parler, sa gorge est sèche. Il a la même sensation que s'il venait de fumer tout un paquet de clopes.
— T'as été sage ? taquine Yuri.
— Oui, murmure Otabek.
— Bien. Tu veux déballer ta surprise ou pas ?
Tremblant d'impatience, Otabek dénoue la ceinture de Yuri et fait glisser le peignoir le long de ses épaules. Yuri se tortille pour l'aider à l'enlever, et le peignoir tombe sur le sol avec un bruit mouillé. Yuri est vêtu d'une bralette en dentelle florale, d'une lingerie fine et d'un porte-jarretelles en dentelle. Le tissu laisse entrevoir sa peau pâle, rappelant la lumière du soleil filtrant à travers le feuillage par une journée ensoleillée, et la douce lueur de la lampe de chevet fait ressortir sa beauté d'une teinte dorée.
— Merde.
— Je savais que ça te plairait.
Yuri s'esclaffe, une lueur malicieuse dans les yeux, et glisse un genou entre les cuisses d'Otabek. Un autre rire satisfait lui échappe.
— Qu'est-ce que tu attends ? Déshabille-toi.
Tandis que Yuri se lève, Otabek enlève lentement ses vêtements, se débarrassant de chaque pièce comme les pétales d'une fleur. Il m'aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie... Pour cette nuit, Otabek croit que Yuri l'aime plus qu'il ne veut l'admettre.
— Comment tu veux faire ça ? demande Otabek, la voix rauque.
— J'ai tout organisé pour ce soir, j'ai pensé que tu pourrais enfin prendre les choses en main.
Yuri surprend une fois de plus Otabek, et il devient complètement dur à l'idée que Yuri le veuille ainsi.
— Oh. T'es pas obligé de le faire, ça ne me dérange pas d'être passif si c'est ce que tu veux...
— J'ai besoin de t'avoir en moi, dit Yuri. Tu veux ?
Désireux de mettre fin à la discussion, Yuri s'allonge sur le ventre, écarte suffisamment les cuisses pour qu'Otabek puisse s'installer entre elles. La façon dont Yuri le regarde par-dessus son épaule donne envie à Otabek de le déshabiller jusqu'à l'os, pour découvrir exactement ce dont il a besoin.
Cette fois, toutes les lumières sont allumées et Otabek s'émerveille à la vue de Yuri. Il se retient de le toucher, de peur d'abîmer ce qu'il chérit. Au lieu de ça, il dépose des baisers légers tout autour des sous-vêtements de Yuri.
— Putain, tu me tues, soupire Yuri.
Les baisers et les morsures d'Otabek laissent des marques roses qui contrastent magnifiquement avec le tissu blanc immaculé. La chair sous ses lèvres est douce, ferme et lisse, et il frotte son nez contre les petites ecchymoses.
— Qu'est-ce que tu attends ? répète Yuri. Aller, je me suis préparé pour toi...
Puis, la voix de Yuri se réduit à un gémissement. Otabek tire sur le tissu en dentelle et caresse la peau crémeuse juste au-dessus des fesses de Yuri. Yuri se cambre contre sa bouche. Il ne s'attendait pas à ce que Yuri soit aussi réceptif.
— T'as envie de ma bouche ?
— Merde, oui, s'il te plaît, souffle Yuri.
Les gémissements de Yuri se transforment en sons désespérés tandis qu'Otabek alterne les baisers et les coups de langue. S'appuyant sur son avant-bras, Yuri tente de maintenir le contact visuel, les paupières lourdes mais les yeux déterminées. Son autre bras se tend et trouve sa place sur le cou d'Otabek. Yuri guide ses mouvements, donne le rythme, et il le récompense en lui caressant doucement les cheveux lorsqu'il est satisfait.
Otabek entend le bruissement du tissu lorsque Yuri enfouit son visage dans l'oreiller, ce qui atténue les bruits de plaisir qu'il émet. Enhardi, Otabek laisse couler un filet de salive sur sa langue et reprend ses baisers, prodiguant son attention à la chair sensible.
— C'bon, gémit Yuri. Vraiment bon.
Ils reprennent leur souffle, reliés par un fil fin et transparent.
— Tu veux que je continue ? demande Otabek.
Yuri sort un petit flacon de la poche de son peignoir et le jette sur le matelas avant de mettre un préservatif dans la main d'Otabek.
— Non, c'est toi que je veux. Dépêche-toi.
La voix tremblante de Yuri trahit sa façade de bravade. Il n'est plus la créature sauvage qu'Otabek a vue dans les publicités de Cartier, il est son Yuri, l'homme qu'il a cherché pendant des années.
Yuri se met à genoux et à plat ventre, et Otabek se glisse en lui aussi doucement qu'il le peut. Son souffle aigu se transforme en un rire nerveux. Otabek se fige, enroule ses bras autour de sa poitrine pour le serrer contre lui.
— Tu peux la prendre, roucoule Otabek à son oreille. Tu te débrouilles bien, tu peux la prendre.
— Ah, t'es… Merde, t'es épais, merde.
— Je te fais mal ?
Otabek pose une main sur l'estomac de Yuri pour le maintenir immobile. Malgré la surprise initiale, Yuri s'agrippe aux draps et pousse ses hanches en arrière, et leurs corps s'emboîtent à la perfection.
— Beka, c'est incroyable, Beka, complimente Yuri en tordant le cou pour croiser le regard d'Otabek.
Le nom d'Otabek sur les lèvres de Yuri est plus doux que jamais, résonnant à chaque baiser qu'ils partagent. Il se perd dans la chaleur de Yuri, hypnotisé par la vue de leurs corps unis, par la façon dont Yuri arque son dos pour le prendre complètement. La profondeur de ses sentiments pour Yuri grandit à chaque instant, et il sait qu'un jour il devra les avouer à voix haute. Il est prêt à tout offrir à Yuri. C'est peut-être là l'essence même de la relation avec quelqu'un : se livrer sur un autel sacrificiel, abandonner une partie de soi pour forger un lien plus profond.
— T'es parfait...
Otabek gémit contre la courbe du cou de Yuri, sa prise sur les hanches de Yuri devenant plus forte à mesure qu'il cherche à établir plus de contact physique.
— T'es tout ce que j'ai toujours voulu.
Les sons de plaisir de Yuri et l'urgence de ses mouvements poussent Otabek à continuer à bouger malgré la gêne qu'il ressent dans son genou. La douleur n'est rien en comparaison du frisson électrique qui parcourt son corps.
— Beka... T'es proche ?
Otabek peine à répondre.
— Tellement. Tellement proche.
— J'ai vraiment envie de venir, halète Yuri. Touche-moi, touche-moi maintenant.
La main d'Otabek se glisse sous le ventre de Yuri, le caresse à travers le tissu humide. Yuri se cambre davantage en arrière, son dos courbé ressemblant à une branche sur le point de craquer. Otabek le protège avec son propre corps, le tient fermement comme s'ils pouvaient se fondre en une seule entité.
