One-shot écrit dans le cadre de la cent-vingt-deuxième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Pompon". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP !

Je ne suis qu'au début de la saison 2, donc pas de spoils, merci.


C'était une accumulation de choses qui durait depuis aussi longtemps qu'ils pouvaient s'en souvenir, depuis que Philippe était venu au monde alors que Louis n'avait que deux ans. Ils étaient frères, et ils avaient tous les deux un caractère bien marqué, alors évidemment, ils passaient une moitié de temps à se chamailler, l'autre à être complices. Ce n'était pas quelque chose qui ne prenait place que dans les frontières fragiles et trop vite disparues de l'enfance, et qui se retrouvait tassée, enfouie, enterrée à l'âge adulte, pour ne ressortir que sous la forme de querelles sérieuses. Dans le cas de Louis XIV et de Philippe d'Orléans, en tout cas, les choses demeuraient entre eux presque comme quand ils étaient enfants. Ils se disputaient sans cesse. Et se réconciliaient la fois d'après, sans revenir dessus, même quand les témoins de leurs chamailleries étaient sûrs que, cette fois, c'était le conflit de trop et qu'ils ne se pardonneraient plus.

Mais la construction de Versailles fut vraiment la lubie de trop. Cet endroit malcommode à cause des travaux qui avaient lieu dans tous les coins, cette noblesse sauvage qui affluait, Louis qui se mettait encore plus en scène que d'habitude et écrasait parfois Philippe sous son orgueil et sa prestance de roi... tout ça, c'était le pompon. Le duc d'Orléans avait voulu partir. Il avait été prêt à quitter Versailles avec son amant, sa femme et l'enfant qu'elle attendait de lui -ou de Louis, ça ils n'en savaient rien, mais il avait décidé de ne pas porter attention à ce détail qui, pourtant, le faisait enrager. Mais Philippe n'avait pas pu partir, parce que Henriette l'en avait empêché. Alors, il avait ruminé sa colère et sa rancune dans son coin, jurant que Louis était le pire frère du monde, qu'il en changerait volontiers s'il le pouvait, et que cette fois, il ne lui pardonnerait pas. Dispute de frères comme ils en avaient toujours eues, dispute qui fanerait comme les autres car telles étaient leurs querelles de famille.

Surtout quand, le lendemain, en plein milieu de la nuit, on vint le chercher dans sa chambre.

"Conseil du roi, lâcha l'envoyé sans prendre la peine de l'attendre, acquiesçant seulement lorsque Philippe lui ordonna d'aller réveiller sa femme."

Louis était malade. Gravement malade, et le duc d'Orléans n'avait pas suspecté que c'était à cause d'un artisan souffrant qui lui avait craché dessus quand son frère avait invité des ouvriers de Versailles à l'intérieur du palais. Et maintenant... il allait peut-être mourir... Et même sûrement, s'il en croyait leurs spéculations sur la succession, qu'ils avaient entamées directement après l'installation de tous les membres du conseil, comme s'il n'y avait rien de plus urgent à faire !

"Non, je refuse d'entendre parler de ça, décréta Philippe en se levant de sa chaise, sur laquelle il s'était assis en travers, les yeux dans le vague."

Tout en s'efforçant de contrôler son souffle paniqué, terrifié à l'idée que son frère puisse mourir, il était allé se retrancher dans un coin de la pièce et n'avait plus participé à la conversation.

Louis avait tout fait pour l'irriter, ces derniers temps, en couchant avec sa femme, en le forçant à demeurer à Versailles, en lui volant sa victoire sur les Hollandais, en décrétant qu'il ne lui faisait peut-être pas assez confiance, en le traitant avec condescendance et suffisance. Mais... Philippe aimait son frère, il l'avait toujours aimé. À savoir Louis aussi malade, toute son affection et sa tendresse revinrent le frapper de plein fouet. Malgré tous les conflits et les rancunes, il ne pourrait jamais supporter de perdre son frère. Il devait le voir... immédiatement.

Philippe espérait que son frère serait conscient, qu'il pourrait essayer de le provoquer avec légèreté pour avoir une meilleure idée de son état. Sauf que Louis délirait complètement, et à sentir l'odeur écœurante qui flottait dans la chambre, il devait avoir rendu le contenu de son estomac à peine quelques minutes plus tôt. Le duc d'Orléans prit une grande inspiration pour s'astreindre au calme, se rappela trop tard que c'était une mauvaise idée, et s'efforça de prendre des petits bouffées d'air. Ses doigts se crispaient machinalement et il regardait partout autour de lui, dans une tentative désespérée de ne pas voir la maladie de son frère, puis, n'y tenant plus, il gagna le grand lit en trois foulées.

"Mon frère ? appela-t-il en enfonçant ses genoux dans la bourre du matelas. Hé, Louis... Tu m'entends ?"

Le roi se tourna sur le dos et planta dans les siens ses yeux bleus fiévreux et hagards.

"Philippe, coassa-t-il en cherchant à tâtons la main de son frère, Philippe, ne me laisse pas !

-Non, non, je n'en ai pas l'intention, le rassura le duc d'Orléans, s'efforçant de ne pas penser au fait qu'il avait effectivement eu l'intention de s'en aller. Je vais rester là et continuer à te regarder donner des ordres à tout le monde. Ça devrait être divertissant, non ? Et que serait ton palais sans divertissement, hum ?"

Tout en parlant tout seul par-dessus les halètements de douleur de son frère, Philippe s'assit dans le lit et écarta les boucles brunes qui collaient au visage de Louis.

"Tout va bien, ton médecin va bientôt te remettre sur pied, affirma-t-il encore à se forçant à lui sourire. Tout va bien... Mon frère ? Ne me laisse pas tout seul, toi non plus..."

Il manipula la tête du roi pour la poser sur ses genoux en s'efforçant de ravaler ses larmes. Il avait vraiment peur. Louis paraissait si mal... Assez pour oublier sa maîtrise et son élégance habituelles et s'accrocher à lui comme un enfant.

"Philippe, je ne sais pas ce que je ferais sans toi... je ne sais pas ce que je ferais sans toi..., balbutia encore le roi, pendant que son cadet le berçait sur ses genoux.

-Ni moi sans toi, murmura très vite Philippe pour que personne ne puisse l'entendre. Allez, calme-toi, mon frère... Chut, tout va bien se passer. Essaye de dormir un peu, maintenant..."

Louis s'endormit relativement vite, pelotonné sur les genoux de son frère. Philippe lui caressa doucement les cheveux. On voyait vraiment les enfants qu'ils avaient été, qu'ils étaient toujours un peu, à ce moment-là.