JUNE OF DOOM 2023
Jour 29 : « Ce n'est vraiment pas grand-chose » - Hématomes, secret, acceptation (Day 29 : « It's really not that big of a deal » - Bruises, secret, acceptance).
Saison 1.
« Ce n'est vraiment pas grand-chose, ne cessait de répéter Philippe en se servant à boire devant l'une des petites commodes en acajou de ses appartements. Non, vraiment pas grand-chose. Veux-tu quelque chose à boire, cher frère ? À moins que tu ne préfères garder ça pour tes démonstrations publiques ? Le roi ne devrait jamais être soûl, n'est-ce pas ?
-Contrairement à son frère, visiblement, grommela Louis, qui tapotait les doigts de sa main gauche les uns contre les autres. Écoute, je sais que ce qui se passe dans tes quartiers n'est pas normal. Le marquis de Villepont…
-Quoi ? Je croyais que ça ne te regardait pas, rétorqua le cadet avec méfiance. Du moment que je fais des enfants avec ma femme… que tu baises aussi, d'ailleurs…
-Il ne s'agit pas de cela ! s'énerva le roi en faisant un pas un avant. Et puis de toute façon, Henriette et moi ne nous voyons plus de cette façon depuis des semaines.
-Bien sûr.
-Je parle de ce que cet homme te fait.
-Ce qu'il me fait ? Mon frère… Tu n'as pas envie que nous parlions de ça, n'est-ce pas ?
-Les hématomes ! Les hématomes que tu as sur le visage ! Ne me dis pas que ça sort de nulle part ! »
Philippe regarda son frère dans les yeux et s'efforça d'avaler calmement sa gorgée de vin, même si son visage s'était un peu tendu.
« Ce n'est vraiment pas grand-chose, répéta-t-il. Non, mon frère, vraiment pas grand-chose. Ça, c'est la fougue, c'est la passion ! Ne me dis pas que tu ne connais pas ça avec tes conquêtes ? Je suis sûre que la douce Mlle de La Vallière…
-Le marquis de Villepont s'en prend à toi, s'obstina Louis. Je m'en doute depuis quelques temps maintenant. Alors j'ai demandé à l'espionne de Marchal de fureter un peu du côté de ses maîtresses…
-Comment oses-tu ? Ça ne te concerne pas !
-Il n'est pas tendre avec elles, l'ignora Louis en avançant encore d'un pas. Il les fait souffrir. Il les frappe en prétendant que c'est de l'ardeur. Est-ce qu'il fait la même chose avec toi ? De ce que tu dis, j'en ai bien l'impression.
-Ce n'est pas vrai ! se défendit Philippe en s'appuyant contre sa commode, le verre d'alcool tremblant dans sa main et se déversant jusque par terre. Ça n'a rien à voir avec ces femmes…
-Pourquoi ?
-Parce que tout est dans l'acceptation ! J'ai accepté qu'il soit un peu guerroyant, emporté, fier, ardent, effronté… C'est la façon dont notre relation fonctionne, tu n'as pas à t'interposer. Est-ce que je me préoccupe de la façon dont tu gardes farouchement Mlle de La Vallière auprès de toi ?
-Je ne peux pas laisser faire ça, décréta fermement Louis en faisant volte-face pour commencer à appeler la garde.
-Non ! »
Philippe lâcha son verre, qui se brisa sur le sol, et courut pour attraper le poignet de son frère.
« Tu n'as pas le droit de faire ça, s'indigna-t-il. Pourquoi tu te mêles de cette histoire ?!
-Mais parce que je t'aime ! »
Le roi et le duc semblèrent pareillement surpris de cette phrase qui résonna entre les quatre murs de la chambre. Mais Louis était une personne douce durant les instants où il se permettait de ne plus être autoritaire. Philippe aussi aimait les moments (rares depuis la mort de leur mère) où ils retrouvaient leur complicité d'autrefois.
« Je ne veux pas que tu souffres, reprit Louis plus gentiment, et surtout pas à cause de tes… amis.
-Ce n'est pas de la souffrance, nia Philippe, les larmes aux yeux. Mais toi, tu vas le faire tuer, n'est-ce pas ? C'est pour ça que ça devait rester un secret. Maintenant, tu vas le mettre à mort et ce sera pire que cette douleur que tu me penses éprouver. »
Louis souffla lentement par le nez, pensivement.
« Bien sûr que j'ai envie de le faire payer, admit-il. Mais je me contenterai de le bannir de ma Cour. »
Le duc d'Orléans allait encore objecter, mais son regard se fit soudain lointain, signe qu'il se souvenait de quelque chose.
« Quoi ? lui demanda son frère.
-Quand cet homme m'a raillé à la fête que tu as organisée pour faire valoir le merveilleux travail des couturiers de ta cour…
-Oui, marmonna le roi, qui se souvenait très bien de cette humiliation.
-… il a dit que, s'il me frappait, je m'écroulerais, et que ça ferait de lui un homme mort. Est-ce que c'est la même chose que tu essayes de faire avec Victor-Jean ?
-Oui. Je sais que tu ne te déferas jamais de Villepont parce que tu… es attaché à lui. Donc je fais ce j'ai à faire. »
Louis se rapprocha de son cadet et posa ses mains sur ses épaules, le regardant droit dans les yeux.
« Je sais que je ne peux pas faire ce que les frères aînés ordinaires feraient, admit-il. Alors je veille sur toi comme je peux. »
Philippe soupira, baissa les yeux et se laissa tomber sur son lit. Louis lui enserra les épaules de son bras pour le réconforter.
« Merci, je suppose, murmura le duc d'Orléans. Je ne pensais pas que tu te souciais à ce point de ma vie domestique. À part les moments où je ne serais pas là pour pouv…
-Ça va, j'ai compris ! Tu es toujours en colère contre moi. Je veux juste te protéger, Philippe. Même si ce n'est pas toujours dans mes cordes. »
Son cadet esquissa un petit sourire et appuya sa tête aux boucles brunes contre la sienne. Le visage de son frère s'éclaira et il posa sa joue contre son crâne, pendant que Philippe glissait sa tête dans son cou. Ils se prirent la main. C'était la première fois depuis longtemps.
