Genre imposé : fantasy
Période : contemporain

« Le premier vol de cet aéronef venait de révolutionner la technique et le voyage des hommes. Ils allaient pouvoir rejoindre le ciel et traverser des paysages encore inexplorés, dans lesquels dormaient d'étranges créatures ailées… »

Note de l'auteur : lorsque l'objectif est d''écrire vite, la construction d'un monde et de son contexte géopolitique ab nihilo est un challenge intéressant. La phrase d'accroche et ma monomanie m'ont toutefois conduit à une ambiance davantage steampunk que fantasy pure, mais on va dire que ça passe.

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Sirènes et cendres

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— Nous sommes prêts, magister. Dépêchez-vous.

L'homme ainsi interpellé remonta le col de son manteau long et soupira. Tout avançait trop vite, ces derniers temps. Les découvertes scientifiques s'enchaînaient, l'industrie s'emparait de ces nouvelles « machines à vapeur », l'armée se tenait en embuscade et le programme « Horizon » avait été lancé en grande pompe conjointement avec le Comptoir du Commerce Méridional et le Comité Militaire.
Le magister soupira encore. L'Horizon était un ballon dirigeable magnifique, un condensé d'innovation propulsé à la vapeur, un véhicule parfait pour une expédition cartographique d'envergure. L'opportunité d'une vie. Le rêve d'un scientifique. Dommage qu'autant de soldats aient embarqué avec lui.

— Magister. Terre en vue.

Ainsi les légendes disaient vrai. Une île perdue, un continent peut-être, se cachait bien derrière la Mer aux Mille Récifs. Le magister reposa son stylet et referma soigneusement son journal avant de suivre le matelot jusqu'à la passerelle panoramique de la proue. Le centre névralgique de l'Horizon était en effervescence.

— Les détecteurs s'affolent ! La concentration doit être faramineuse ! s'extasiait un amiral.

Le magister grimaça. Une mission « de cartographie », hein… Il jeta un coup d'œil en coin aux deux jeunes femmes qui se tenaient un peu en retrait de l'agitation. Toutes deux arboraient une longue chevelure ébène illuminée de curieux reflets verts, et bien qu'elles soient vêtues de robes élégantes de civiles elles n'en étaient pas, oh non. Leur maintien, leurs inflexions de voix, leur attitude, tout trahissait une appartenance à l'armée.

Mais l'armée de qui ?

Quelque chose ne collait pas. Il se chuchotait qu'elles venaient de loin, mais le magister pressentait confusément que ce « loin » l'était beaucoup plus que ce que quiconque imaginait.
L'une des femmes remarqua qu'il regardait dans sa direction. Elle lui adressa un sourire dépourvu de toute sympathie. Il frissonna.

— Oiseaux !

Ce n'étaient pas des oiseaux. Pour la première fois depuis le début du voyage, le magister remercia que les coursives de l'Horizon soient bondées de soldats braillards et rustauds. À croire que quelqu'un savait.

— Descendez-moi ces sales bêtes !

L'attaque fut brève. Les créatures volantes, de longs serpents munis de deux paires d'ailes, ne firent pas le poids face aux canons « nouvelle génération » de l'armée. Les soldats se félicitèrent à grands cris, heureux de cette victoire facile. Le magister en garda un vague sentiment de dégoût. Quelque chose ne colle pas.

Il croisa une femme sur le chemin de ses quartiers. Ses cheveux verdâtres ondulaient comme des algues sombres dans l'océan. Elle tenait une tablette de verre sur laquelle défilaient des symboles qu'il ne reconnut pas. Il cilla. Elle disparut.
Il se demanda s'il avait rêvé.

Ils stoppèrent à l'aplomb d'une caldeira érodée, parsemée d'une végétation malingre et striée de ravines desséchées. À la nuit tombante, les roches se piquetèrent de halos jaune pâle, comme si des bougies les illuminaient de l'intérieur. Il n'avait pas été convié à la réunion d'état-major. Il s'invita. Personne ne s'en offusqua.
Il eut l'impression que sa présence n'avait, de toute manière, aucune importance. La cartographie avait toujours été un prétexte. Et ils – elles – savaient parfaitement où conduire l'Horizon.

— Si vous installez une mine ici, vous aurez accès à une source de puissance illimitée, annonça l'une des deux femmes.

Il ne parvenait pas à les distinguer l'une de l'autre. On aurait dit deux sœurs. Son instinct lui soufflait que ce n'était pas le cas.

— Nous pouvons vous montrer comment la dompter, poursuivait-elle. En échange et comme il a été convenu, nous récupérerons une partie de la production.

Comme il a été convenu. Évidemment.
Le magister ne put s'empêcher un reniflement amer. « Comme il a été convenu », avaient-elles également contribué à la construction de l'Horizon ? Et toutes ces découvertes technologiques récentes, était-ce réellement des « découvertes » ou était-ce elles qui les avaient apportées ?

L'une d'elles le fixa. Il déglutit.

Il avait sa réponse.

Il y eut un choc.
Il y eut des cris.
Il ne comprit pas immédiatement.

— Nous sommes abordés, magister ! lui cria un soldat. Retournez dans votre cabine !

Il haussa un sourcil perplexe. D'autres serpents volants ? Mais dans ce cas, pourquoi une telle panique ? Les munitions ne manquaient pourtant pas !

Puis il vit.

Ça n'aurait pas dû se maintenir en l'air. Il n'y avait pas de ballon pour soutenir sa nacelle, et ça n'avait d'ailleurs rien d'une « nacelle ». Il s'agissait d'un engin de plusieurs centaines de mètres de long, oblong comme un cercueil, cuirassé de métal et hérissé de canons démesurés. Et il volait, contre toute logique, nimbé d'un sifflement strident qui faisait grincer les dents.
Le magister resta pétrifié quelques secondes, observa horrifié un tube flexible relier cette apparition de cauchemar à l'Horizon. Planté dans la passerelle. Nous sommes abordés. Il se précipita.

L'équipage de quart était plongé dans la sidération. Le commandant, livide.
Il y avait trois cadavres au sol.
Il y avait cet homme, arme pointée, dont l'uniforme noir était rehaussé de métal, dont les bottes montantes claquèrent sèchement au sol, dont les pans de la cape se déployaient comme les ailes d'un envoyé psychopompe.
Il y avait les femmes.

— Harlock. Ne te mêle pas de ça, cracha l'une.
— Je continuerai à m'opposer à toute ingérence sylvidre dans ce quadrant, sorcière. Surtout si vos « largesses technologiques » n'ont d'autres buts que d'exploiter les peuples.
— Tu parles sans savoir, pirate.

Reniflement de dédain.

— Si je vous laisse faire, combien de temps avant qu'une catastrophe écologico-nucléaire ne survienne et ne détruise toute civilisation ici ? Seule la mine vous intéresse, pas vrai ?

Le magister recula d'un pas. Il aurait dû s'enfuir, mais il ne pouvait détacher ses yeux de la scène qui se jouait devant lui. Elle était cruciale, il le sentait, même s'il n'en comprenait pas vraiment les enjeux.

Mouvement. Éclat de métal sorti d'un sac à main. La femme n'eut pas le loisir de dégainer : un tir la transperça, ainsi que sa compagne. Leurs corps tombèrent sans bruit. Puis s'enflammèrent, accompagnés d'un hurlement lugubre à glacer le sang.

Le magister expira l'air qu'il avait inconsciemment retenu. Aucun humain ne mourait de cette manière.

— Il n'y a rien de bon à suivre le chant des sirènes, lâcha l'homme d'un ton égal. Et il n'y a rien de bon à exploiter du minerai énergétique avant d'avoir acquis le niveau technologique suffisant pour le maîtriser.

Le magister hocha la tête malgré lui. Tout avait avancé trop vite, ces derniers temps.

Il regarda l'homme. Il regarda son arme. Il regarda son vaisseau.

Il vit la mort.