Chapitre 9 : La dispute

Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991

« Non, ne dis rien.

- Parker…

- Jarod, ne me repousse pas, je t'en prie.

- Parker, ne fait pas ça, lui-a-t-il demandé en rougissant.

- Ne me dis pas, Jarod, que tu n'as pas envie de me faire l'amour ? N'est-ce pas pour ça que tu m'as fait venir à l'hôtel hier soir ?

- Non ! Si je t'ai fait venir c'était parce que je voulais être avec toi, et si je suis venu jusqu'ici ce soir, c'était dans le seul but de t'apporter mon soutien. Parker, je croyais que nous deux, c'était plus que ça.

- Jarod, dans quel monde, tu vis ?

- Je croyais vivre dans le tien.

- Alors bienvenue dans mon monde, petit génie ! rétorqua-t-elle d'une voix enjouée.

Elle l'embrassait ici et là, le provoquant du regard, elle lui prit les mains, l'attirant à elle, le poussant vers le canapé, elle ne se maîtrisait plus.

- Jarod, fais-moi l'amour.

- Arrête, Parker. Reprends-toi ! dit-il, alors que la jeune femme s'apprêtait à défaire le bouton du pantalon du caméléon. Jarod la saisit par les épaules, la repoussa doucement.

- Jarod, suis-je si détestable au point que tu ne veuilles pas de moi ?

- Non, bien au contraire, et c'est ça le problème.

- Quel problème ? Je ne vois aucun problème.

- Parker, tous ces derniers événements te conduisent à réagir de manière futile. Je sais que tu as besoin de te sentir rassuré, mais ce n'est pas en te jetant sur moi que tu réussiras à régler le problème. Tu te rends compte que tu agis sans réfléchir. Ça ne te ressemble pas.

- Qu'est-ce que tu en sais, toi ? Mais que veux-tu au juste ? Un jour, tu m'invites à l'hôtel, le lendemain tu me rejettes. Que veux-tu réellement ?

- C'est toi que je veux, tu es celle que j'ai toujours voulu mais pas comme ça, pas de cette manière.

- En fait, ça n'a rien avoir avec moi, Jarod, c'est toi le problème. Je t'intimide tellement que tu en as peur. Oui, petit génie, tu as peur de moi ! se moqua-t-elle.

- Tu me trouble, c'est vrai mais pas au point d'en avoir peur. Enfin Parker, regarde-toi. Tu es beaucoup trop fragile, pour qu'on puisse aller plus loin. Je ne profiterai jamais de toi ou encore de ta faiblesse. Mais sache qu'en aucune manière ça ne remet en cause les sentiments que j'ai pour toi…

- Moi, je suis fragile ? » demanda-t-elle avec un rire léger mais forcé.

On entendit, soudainement, brutalement, le claquement froid de sa main contre la joue du jeune homme. Il sentit une violente douleur physique mais néanmoins superficielle, une douleur qu'il n'avait encore jamais ressentie jusqu'ici. Cloué sur place, il la fixa, avec les yeux écarquillés. Elle avait frappé le caméléon. Il n'avait pas eu le temps d'éviter la gifle. Il sentit que sa peau commencée à chauffer et à devenir rouge, laissant l'empreinte des phalanges de la jeune femme. Il était interloqué, indigné. Et pourtant, ce n'était pas la gifle, elle-même qui l'avait blessée, non, c'était elle. Mlle Parker, l'avait laissé sans réaction.

Quant à la Dragon Lady, elle s'était sentie offensée, trahie, les mots du caméléon avaient fait l'effet d'un coup de poignard reçu en plein cœur. Les yeux grands ouverts, le sourire pincé, les veines de son cou palpitaient, le visage de la Miss s'était empourpré de colère. Elle était aussi surprise par son geste que lui. Un geste irréfléchi, mais qu'elle ne regrettait pas pour autant. Tous deux ne savaient plus trop quoi dire. Jarod, la main sur sa joue, prit finalement la parole :

« Qu'est-ce qu'il t'a pris, Parker ?

- Jarod, ce n'est pas important de savoir pourquoi je l'ai fait.

- Est-ce parce que je viens de te repousser ?

- Tu sais Jarod, jusqu'à maintenant, aucun homme ne m'avait rejeté comme tu viens de le faire et aucun d'eux ne m'avait trouvée fragile.

- Alors c'est que ces hommes-là ne te méritaient pas.

- De quel droit tu te permets de juger qui est digne ou non de mon amour ? Tu sais, Jarod, je n'ai pas oublié que c'est toi, qui m'as incité à prendre ce tournant, que c'est toi qui m'as fait de belles déclarations et de belles promesses et que c'est encore toi, ce soir, qui vient de me rejeter.

- Je ne te rejette pas, Parker, je veux juste faire les choses bien. »

Elle prit son verre de whisky, resté sur la table basse du salon, le caméléon, derrière la jeune femme, la tenait par la taille et au moment où elle allait porter le liquide alcoolisé à sa bouche, elle sentit les mains de Jarod la presser tout contre lui, la tête enfouie dans sa chevelure. Son corps tout comme son cœur vibrait, elle était submergée d'émotions. Bien qu'elle tentait plus ou moins, de refouler son irrépressible envie d'embrasser le jeune homme, Mlle Parker se tourna vers lui, son désir était plus fort que sa raison. Les yeux fermés, elle se laissa dicter par son envie, scellant ses lèvres à celles du caméléon. Tout à coup, elle attrapa le visage de Jarod, lâchant le verre qu'elle tenait fermement dans sa main, celui-ci s'écrasa au sol, laissant une grande flaque de whisky sur le parquet.

Jarod sursauta, le choc lui fit perdre sa voix et sans aucune parole, il recula d'un pas, se séparant d'elle. Accroupie, au bord des larmes, elle ramassa les éclats de verre éparpillés sur le sol.

« Besoin d'aide ? » lui a-t-il proposé.

Son cœur avait fait un bond. Elle leva ses yeux humides vers lui. Jarod la dévisagea du regard. Il avait cette impression d'avoir à nouveau en face de lui, cette jeune demoiselle de 11 ans, au cœur brûlant, cette jeune demoiselle qui venait l'observer dans le laboratoire de simulation, cette même jeune demoiselle devenue une femme cherchant à raviver la flamme de l'amour, restée trop longtemps éteinte. Il l'aimait tellement que la voir souffrir lui fût insupportable.

Tout en souriant, il lui tendit sa main pour qu'elle puisse se relever, récupérant ainsi les bouts de verre qu'elle tenait entre ses doigts…

Sans lui adresser le moindre mot, Jarod se dirigea vers la salle de bain. Il connaissait la maison de la Miss comme si elle avait été la sienne, comme s'il avait toujours vécu là.

Les mains posées sur le lavabo, il se regardait dans le miroir. Son reflet lui faisait peur. Il essayait tant bien que mal de se ressaisir.

Comment pouvait-il rester à quelques mètres d'elle, sans pouvoir la regarder, la toucher, l'embrasser, sans qu'elle puisse s'abandonner littéralement dans ses bras ? Sans qu'il ne puisse lui-même céder aux avances de la jeune femme ? Sans regrets, sans remords. Combien de temps arriverait-il à résister à ses yeux qui l'appelaient sans cesse, à ses lèvres qui réclamaient ses baisers, à la douceur de sa peau qui sollicitait chacune de ses caresses, à son charme si provocant ? Il perdait le contrôle et pourtant, il ressentait cette notion de frustration et de culpabilité en lui. Il ouvrit le robinet, se passant de l'eau fraîche sur son visage…

Mlle Parker, était anéantie par ce qu'elle venait de faire. C'était la pire soirée de sa vie. Elle se sentait ridicule. Avait-elle vraiment supplié le caméléon de lui faire l'amour ?

« Non, non, non, pas ça ! »

Qu'allait-il arriver si Jarod n'avait pas mis un terme à cette mascarade ? Et malgré cela, c'était peut-être encore plus difficile pour elle d'avoir été rejetée par le caméléon, lui qui lui plaisait tant. La pilule était dure à avaler. La jeune femme avait l'esprit embrouillé, elle ne savait plus ce qu'elle faisait. Comme elle aurait aimé disparaître de la surface de la terre sans devoir affronter le regard ténébreux de Jarod. Qu'allait-il penser d'elle ?

Elle avait besoin de temps pour lâcher prise et gérer ses émotions. Elle secoua la tête, massant ses tempes, essayant de retrouver une certaine accalmie. Elle se refusait de rester là à s'apitoyer sur son sort. Tant pis pour le petit génie, il avait raté sa chance. Après tout peut-être qu'il ne s'intéressait pas vraiment à elle ? Peut-être même qu'il se jouait d'elle ? Était-ce un nouveau jeu, entre eux ? Un nouveau jeu dont elle ne connaissait pas encore les règles ?

Un instant plus tard, Jarod revenait vers Mlle Parker, elle paraissait moins frustrée, plus détendue voire presque désintéressée… Presque !

« L'orage est passé ? lui demanda-t-il d'une voix compatissante, mais toujours méfiant, et restant sur ses gardes.

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Je parle de ta colère, de la gifle, de ce revirement de situation.

- Tu l'as bien mérité ! lui lança-t-elle avec un air condescendant.

- Quel tempérament ! Dis-moi, Parker, jamais tu ne t'excuses ?

- Jarod. Mais qu'est-ce que Sydney t'a appris ? S'excuser, c'est signe de faiblesse alors pourquoi le ferais-je ? Ne te l'ai-je pas déjà dit ?

- Des fois, ça a du bon de s'excuser, de reconnaître qu'on a fait une erreur et qu'on a eu tort. Ça permet d'avancer et de tourner la page. Et je sais que tu regrettes ton geste tout comme je regrette mes paroles.

- Tu regrettes ? lui demanda-t-elle avec un rire nerveux et saccadé.

- Disons que je n'aurai pas dû mentionner le fait que tu sois émotionnellement fragile. J'ai manqué de tact.

- Si tu attends des excuses de ma part autant te dire tout de suite, c'est peine perdue, je ne te dois rien. C'est toi qui es venu jusque chez moi, je ne t'avais rien demandé.

- Non, je sais que tu ne t'excuseras jamais.

- Jarod, laisse-moi, tu m'ennuies ! » lâcha-t-elle, la jeune femme commençait à montrer des signes d'impatience.

Impatiente et affreusement contrariée par la situation, Mlle Parker baissa la tête, rougissant, fuyant son regard, n'osant pas l'affronter. Décidément, il ne laissait pas la jeune femme indifférente. Il la déstabilisait. La Miss était devenue mal à l'aise, nerveuse. Elle était là devant lui, se raclant la gorge tout en gigotant, ne tenant plus en place, ne sachant plus où se mettre. Pourquoi était-ce si embarrassant, pour elle, de se retrouver à une telle proximité de sa proie, pourtant si proche et si loin à la fois ? Elle aurait donné n'importe quoi pour ne plus éprouver la moindre attirance pour cet homme.

Jarod lui paraissait bien plus gêné qu'elle, mais il préféra ne pas le lui montrer. Il détestait la voir dans cet état. Peut-être avait-elle raison. Il n'aurait jamais dû venir chez elle.

Il se rapprocha de plus en plus près de la jeune femme. Troublée, elle recula de trois pas, plaçant ses mains devant lui comme pour le repousser, elle commençait à s'agiter faisant des allers retours pour éviter qu'il ne la touche, de peur de retomber dans ses bras.

« Est-ce que ça va ? s'inquiéta-t-il.

- Et comment crois-tu que je me sens, d'après toi ? C'est une situation très gênante, Jarod.

- Gênante ?

- Ne fait pas l'innocent, ça ne prend pas avec moi ! Pourquoi ai-je l'impression que la situation t'amuse ?

- Non, tu te trompes, la situation ne m'amuse pas du tout. Parce que je me faisais une joie de passer cette soirée avec toi et au lieu de ça, je souffre de te voir si malheureuse, et je sais que j'en suis en partie responsable. C'est une chose que je ne peux pas supporter. Mais je sais, que quand tu retrouveras tes esprits, alors tu comprendras pourquoi j'ai préféré qu'on n'aille pas plus loin, ce soir. Mais sache que ça n'a rien avoir avec toi, c'est juste les circonstances qui ne nous sont pas favorables, pour l'instant. Je sais que nous deux…

- Jarod, il n'y a pas de nous deux, il n'y en a jamais eu et il n'y en aura jamais !

- Non, ne dis pas ça, Parker !

- Il est préférable que tu t'en ailles.

- Si tu veux vraiment que je m'en aille, je partirai. Une fois que je me serais assuré que tu ailles bien, alors seulement, à ce moment-là, je partirai.

Il se dirigea vers elle, lui attrapant les poignets, l'attirant jusqu'à lui. Il la regarda avec complaisance. Ses yeux ne pouvaient le tromper, ils étaient le signe révélateur de ses sentiments qu'elle enfouissait au plus profond d'elle-même. Effarouchée, elle retira ses bras, le forçant à lâcher prise.

- Regarde-moi, je vais bien, petit génie. Maintenant, laisse-moi, j'ai besoin d'être seule.

- Parker, tu ne veux pas qu'on en parle ?

- Je ne vois pas l'intérêt d'en parler, Je me suis assez ridiculisée ce soir.

- Tu ne seras jamais ridicule à mes yeux.

- Tais-toi, Jarod ! Ça suffit ! On a fini de jouer ! Terminé les cadeaux et les allusions ! Terminé les appels téléphoniques ! Et terminé les visites nocturnes ! Cette fois-ci, j'en ai assez. Je veux que tu arrêtes de me torturer comme tu le fais. Je te laisse moins 30 secondes pour prendre tes affaires et t'en aller de chez moi.

- Je te laisse. Je t'appellerais plus tard quand la tempête aura tourné !

-…………. »

Il s'avança vers la jeune femme, mais elle se détourna de lui, haussant les épaules, regardant ailleurs pour ne pas le voir. En guise d'au revoir, il finit par lui embrasser la joue. Il enfila sa veste en cuir. S'apprêtant à sortir, il se retourna, espérant qu'elle lui fasse un signe, n'importe quoi qui puisse le retenir, mais il n'en était rien. Elle n'avait même pas levé les yeux vers lui.

Jarod sortit de la maison de la jeune femme, claquant la porte derrière lui. Au bord des larmes, le dos plaqué contre le mur, ils étaient redevenus des ennemis.