Chapitre 12 : Le retour d'Ethan 3/3
Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991
Dans la voiture, Jarod fit face au regard froid et perturbateur de la Dragon Lady.
« Parker ?
- Laisse-moi parler ! Je n'arrive pas à croire ce que je vais te dire… elle s'arrêta, respirant profondément avant de poursuivre, viens à la maison, Jarod, enfin si tu le veux.
- Tu m'invites après ce qu'il s'est passé l'autre soir chez toi ?
- C'est pour notre frère que je le fais, il souhaite ta présence. Il veut nous voir réunis. On peut faire ça pour lui, tu ne crois pas, Jarod ?
- Si, bien sûr. Mais et toi ? C'est ce que tu veux ? Je ne veux pas que ma présence te mette mal à l'aise.
- Ce n'est pas important de savoir ce que je veux. Je sais que les conditions ne sont pas idéales pour une petite réunion familiale, mais Ethan et là et si on peut mettre de côté nos différends pour quelques heures alors je suis prête à faire des efforts et toi ?
- Eh bien, si c'est pour quelques heures, oui, j'accepte avec grand plaisir… Attends, Parker. Tu as l'air d'aller bien. Je préfère te voir comme ça que…
- Jarod, ce qui s'est passé l'autre soir ne se reproduira plus. C'est toi qui avais raison, comme à ton habitude. Je n'aurai jamais dû me jeter dans tes bras, c'était une erreur. J'étais fragile, faible, je ne sais pas ce qui m'a pris. Mais comme tu vois aujourd'hui, j'ai repris mes esprits.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Tu as très bien compris, Jarod !
Elle sortit du véhicule, claquant la portière. Jarod n'avait pas l'air de comprendre ce qu'elle venait de lui dire. Il la rattrapa et l'arrêta net, il voulait la prendre dans ses bras l'embrasser, mais le souvenir de leur dispute était encore bien trop récente. Et elle, elle ne céderait pas. Cette fois-ci, elle ne se laisserait pas aller à ses pulsions.
- Je veux que tu m'expliques.
- Ce n'est pas le moment.
- Parker, écoute, je…
- Jarod, arrête ! Je ne veux pas savoir. Je te demande juste de venir à la maison et de faire ce que tu sais faire de mieux.
- C'est-à-dire ?
- Et bien, tu vas simuler ! Tu vas revêtir ton costume de Caméléon et prétendre que tout va bien. Après tout, tu es le maître dans l'art de jouer la comédie !
- Parker, je n'ai jamais joué la comédie avec toi, tu le sais.
- Je ne veux rien savoir !
- Non, attends ! Je ne peux pas te laisser penser ça ! Tu sais que je tiens à toi et que j'ai toujours été sincère avec toi. Et nous…
- Il n'y a pas de nous, Jarod ! Tu as tout gâché. »
Ils rentrèrent tous les deux à l'intérieur de la maison. Ethan leur avait préparé une petite collation avec le peu d'aliments qu'il avait pu dénicher dans les placards de la Miss. À croire qu'elle se nourrissait très peu ! Il était ravi d'avoir son frère et sa sœur près de lui, mais la situation était tendue. Il fallait qu'il trouve un moyen de les réconcilier, et de consolider les liens qui les unissaient, avant qu'il ne reparte. Il réfléchissait assez vite, il devait trouver quelque chose à dire pour briser la glace et faire fondre l'iceberg.
« Vous savez, on devrait se voir tous les trois, beaucoup plus souvent, suggéra-t-il.
- C'est une idée, répondit Jarod.
- Et toi Parker, qu'est-ce que tu en penses ?
- Si toi et Jarod, vous êtes d'accord, je ne suis pas contre. Mais ne te fais pas d'illusion, Ethan, on n'est pas une famille comme les autres. On ne va pas aller au restaurant ou fêter Noël et les anniversaires en famille !
- Et pourquoi pas ? lui demanda Jarod, qu'est-ce qui nous empêche d'être une vraie famille ?
- Tu le sais, Jarod ! Ne fais pas l'ignorant.
- En ce qui me concerne, Parker, ça ne me déplairait pas de passer plus de temps en votre compagnie à tous les deux. Ça pourrait être drôle ! rétorqua le caméléon.
- Eh bien, c'est décidé, nous nous reverrons tous les trois très bientôt ! De toute façon, il faudra que l'on se revoie pour cette histoire de petit frère. » déclara Ethan.
Mlle Parker, tout comme Jarod, était gênée. À quoi Ethan jouait-il ? Tous les trois, dans le salon, ils prirent place, Mlle Parker et Jarod sur le canapé et Ethan, une pomme rouge à la main, sur le fauteuil. Elle s'éloigna le plus possible du caméléon, laissant un immense espace vide entre eux. La situation amusa le jeune frère. Pour détendre l'atmosphère, il leur proposa de faire plus ample connaissance. C'est vrai, après tout, ils ne se connaissaient pas vraiment. Il commença à parler de lui, de son enfance, mais très vite, il s'aperçut qu'il ne savait pas grand-chose de lui-même. Jarod et Mlle Parker connaissaient très bien ce sentiment.
« À qui le tour ? Jarod ? proposa Ethan en lançant la pomme en l'air qu'il tenait dans ses mains.
- Eh bien, tu sais ce que je suis, je ne vois rien d'autre à ajouter, annonça le caméléon.
- Je sais ce que tu es, mais je veux savoir qui tu es, Jarod, répondit Ethan.
- Je ne peux pas te le dire parce que je ne le sais pas moi-même.
- Dis-moi quelque chose sur toi que j'ignore.
- Très bien. Tu sais que ta sœur, elle adore me donner des petits surnoms, comme super boy, la créature, le monstre, mais mon préféré reste le petit génie, dit-il en regardant la Miss.
- Si tu veux tout savoir sur ton frère, son chiffre préféré est le 8, il est allergique aux pistaches et il adore aussi les Pez. C'est encore un grand enfant... Depuis son évasion du Centre, il a développé une obsession pour la justice… Et puis il aime s'amuser, ou plutôt devrais-je dire me torturer, c'est son passe-temps favori… Il m'envoie sur des jeux de piste à travers tout le pays, m'envoie des cadeaux surprises, et m'appelle au beau milieu de la nuit tout en sachant que je déteste ça ! Parfois, il pirate même ma carte de crédit pour subvenir à ses besoins. Voilà Ethan, ça, c'est ton grand frère ! s'exclama Mlle Parker, le demi-sourire aux lèvres.
- Ho, mais tu me connais si bien.
- Tu serais surpris de savoir tout ce que j'ai appris sur toi ! Une fois, ton grand frère m'a même fait arrêter !
- Tu as fait ça, Jarod ?
- Je ne sais pas ce qui était le pire, ça ou la fameuse fouille à Las Vegas… Quelle humiliation, j'ai subi ce jour-là !
- Non. Ta sœur portait une arme prohibée, ça lui a joué des tours !
- Et qui a prévenu le shérif ? lui demanda la Miss avec une pointe d'ironie.
- J'avoue, sur ce coup-là, je n'ai pas assuré…
- On peut dire que vous avez vécu de drôles de choses tous les deux. Et toi Mlle Parker, oui parle-moi de toi.
- Moi ? Que puis-je te dire ? J'ai étudié la mythologie grecque. J'ai fait une partie de mes études en Europe… Je parle également de nombreuses langues étrangères, entre autres le Cambodgien et le Japonais… Ha, enfant, j'ai eu droit aussi à des cours de danse et de piano, et…
- Dis-lui que tu gardes aussi ton Smith & Wesson sous ton oreiller lorsque tu dors ! Elle bave du côté gauche en dormant… C'est une maniaque du contrôle, elle aime bien avoir le dernier mot, et comme tu peux le remarquer, Parker est très obstinée… Et sous ses airs de dure à cuire, ta sœur est une personne tout à fait charmante… Très charmante !
- Mais toi aussi, tu me connais bien.
- Tu serais surprise de savoir tout ce que j'ai appris sur toi ! N'oublie pas Parker, que je te connais mieux que tu ne te connais toi-même, avoua le caméléon.
- C'est effrayant, rétorqua la Miss.
- N'est-ce pas ? Ha, j'ai failli oublier, elle adore aussi les lapins.
- Vraiment ? s'étonna Ethan.
- Oui, d'ailleurs, je me souviens que Jarod, le premier Noël, après son évasion, m'avait fait cadeau d'un petit lapin, tout blanc, mais j'ai dû m'en séparer, j'étais beaucoup trop occupée à traquer ton frère ! Ce lapin aurait été malheureux avec moi.
- Dis-moi, Jarod, parmi tous les métiers auxquels tu t'es essayé, lequel as-tu préféré ?
- Ha, c'est la fameuse question ! s'exclama le caméléon.
- Oui, petit génie, dis-nous.
- J'ai beaucoup aimé être médecin, il n'y a rien de plus gratifiant que de sauver une vie tout comme le métier d'avocat. J'ai également apprécié être instituteur, j'adore les enfants, j'espère un jour, avoir la chance d'en avoir un… Et toi Parker, tu aimes les enfants ?
- ….
- J'ai une question à te poser, Parker.
- Quoi ?
- Quel est ton prénom ? demanda Ethan.
- À l'exception de mon père et de notre mère, seul Jarod, le connaît, mais il n'a pas l'autorisation de m'appeler par mon prénom.
- C'est dommage. Pourquoi ?
- Parce que sinon je le tue ! Mais un jour, peut-être, je dis bien peut-être que je te le dirai.
- Et quoi d'autre, Mlle Parker ? Je veux tout savoir !
- Eh bien, quoique certaines personnes en pensent, je déteste passer mes journées au Centre, cet endroit me rend malade, je déteste faire ce que je fais. Tu sais, j'ai fait des choses dont je ne suis pas très fière, et si je pouvais, je partirais. J'ai l'impression de vivre la vie que je n'ai jamais choisi d'avoir, tu vois, c'était comme si j'étais spectateur de ma propre vie, je la vois défiler sans la vivre.
- Parker, rien ne t'empêche de reprendre le contrôle de ta vie, de progresser, de sortir de ce statut de spectateur. Tu peux redevenir acteur de ta vie si tu le veux vraiment. » rassura, Jarod.
Jarod se rapprocha de la jeune femme, lui prenant la main qu'il serra dans la sienne de toutes ses forces. Elle la retira brutalement. Pendant plus de trois heures, ils parlaient, faisant connaissance, rigolant, se taquinant, comme feraient des frères et sœurs. L'ambiance était plus détendue, même s'il y avait toujours ce léger froid entre la Miss et le caméléon.
Ce fut l'heure pour Ethan de repartir. Mlle Parker était attristée. Il y avait très peu de personnes avec qui elle s'entendait bien. Ho, il y avait bien sûr, Broots et Sydney, mais ce n'était pas la même chose, quant à Jarod, la relation qu'elle entretenait avec lui était tout autre, on pourrait éventuellement, la décrire plus comme une relation platonique… Pour l'instant ! Mais celle qu'elle avait avec Ethan était au-delà du lien fraternel, même avec son jumeau elle n'avait jamais ressentie une telle connexion. La jeune Miss pouvait parler avec lui, librement et en toute confiance, sans la pression d'avoir à faire semblant d'être une autre personne.
Elle retrouvait en Ethan, toute l'empathie dont Jarod pouvait faire preuve, partageant avec son jeune frère ses craintes, ses doutes, ses erreurs sans avoir peur d'être jugé en permanence. C'était le frère idéal. Celui avec qui on aurait aimé grandir. Elle regrettait qu'il n'ait pas eu l'occasion de connaître leur mère, de ne pas avoir vécu les mêmes moments, les mêmes souvenirs, les mêmes épreuves. À l'inverse de Lyle, Ethan ne générait ni rivalités, ni ressentiments, ni conflits. Il inspirait la loyauté, l'intégrité, l'indulgence, le pardon… L'amour. Catherine Parker, sa mère, aurait fière de lui ! Le jeune homme la serra dans ses bras avant de retourner dans la voiture laissant Mlle Parker et Jarod seul.
« Merci, j'ai passé un très bon moment.
- Moi aussi. Je voulais te remercier pour Ethan…
- Ce n'est pas utile. Si tu as quelques minutes à m'accorder, je voudrais qu'on reparle de ce qui s'est passé tout à l'heure. Dis-moi, j'ai vraiment tout gâché entre nous ?
- J'ai été dure avec toi, hein ? Jarod, non, tu n'as rien gâché, mais ça ne change rien à ce que je t'ai dit. J'ai pas mal réfléchi, tu sais, et je crois que…
- Alors tu le pensais ?
- Attends, écoute-moi et ne m'interromps pas. S'il te plaît. Ce que j'ai à te dire n'est pas facile. Mais je voudrais que tu fasses l'effort de me comprendre… J'ai besoin de temps pour savoir où j'en suis, Jarod. Ça n'a rien avoir avec toi, c'est moi ! Depuis quelques jours, j'ai cette impression d'aller droit dans le mur. Tout s'enchaîne, j'ai les idées perdues. Depuis mon retour de Carthis, je n'ai même pas eu le temps de me plonger dans la succession de mon père, j'étais dans le déni, c'était plus simple de fermer les yeux, ça me permettait de ne pas avoir à affronter la réalité, et le fait que tu sois-là n'a rien arrangé, au contraire, je suis devenue dépendante de toi. Mais à présent, je me sens assez forte pour surmonter et faire face à cette tragédie. Enfin, ce que j'essaie de te dire, c'est que j'ai besoin de me retrouver, de faire le point, je veux redevenir moi-même, mais je ne pourrais le faire que si je suis seule, sans toi, parce qu'à chaque fois que tu te trouves près de moi, je n'arrive plus à réfléchir normalement, j'ai la sensation de vivre dans un monde d'illusion et il n'y a rien de réel…
- Nous deux, c'est bien réel, ce n'est pas un mirage. Ne me dis pas, Parker, qu'il est trop tard et que tu renonces à nous… ?
- Non, je ne renonce pas, Jarod. Mais aujourd'hui, je ne sais pas exactement ce que je veux, je sais que je suis partagé entre mon désir d'être avec toi, mon devoir envers le Centre et ma famille. Je sais que je dois faire un choix seulement, c'est trop tôt, je ne m'en sens pas le courage, je suis incapable de le faire. Ce n'est pas tout, Jarod. En parlant avec Ethan, j'ai compris beaucoup de choses notamment sur mon sixième sens. Si je veux arriver à le développer, à le maîtriser, je dois d'abord me débarrasser de tout ce qui est négatif dans ma vie et ne me recentrer que sur l'essentiel, découvrir ce dont j'ai besoin réellement. Je sais que ce n'est pas ce que tu voulais entendre, je sais que tu veux plus et moi aussi, j'en veux plus, mais pour l'instant, je suis dans l'incapacité de te donner ce que tu attends de moi.
- Dis-moi, ce n'est pas définitif ?
- Non, ce n'est pas définitif. Je veux juste prendre la bonne décision, je ne veux plus souffrir… Et je ne veux pas te faire souffrir. Mais Jarod, si on veut, un jour, avoir une chance d'être ensemble, il va falloir que tu apprennes à me faire plus confiance, à me laisser gérer les choses à ma façon. Et arrêter de jouer aux petits génies avec moi !
- Je comprends. Je sais que ce que tu traverses en ce moment n'est pas facile pour toi, mais n'oublie pas que je suis là et saches que je te fais entièrement confiance, même si je sais que je ne te l'ai pas toujours montré… Et j'attendrai. Je t'attendrai, le temps qu'il faudra. Je ne renoncerais jamais à toi, Parker, jamais !
Elle avait les yeux qui souriaient, lui, il la fixait avec autant d'empathie que d'admiration, il était sensible à ces paroles. Il esquissa un sourire, s'avançant, marchant vers la jeune femme restée immobile. Subitement elle se retrouva si près de son visage que leurs corps, leurs fronts, leurs nez finissaient par se toucher. Il lui prit les mains qu'il plaqua doucement contre sa poitrine, fermant les paupières, elle ressentit le cœur de Jarod battre à vive allure. Alors qu'elle passa ses bras autour du cou du caméléon, il frôla de ses doigts sa bouche avant de prendre possession les lèvres frémissantes, humides et fraîches de la Miss. C'était un long baiser. Un baiser chargé d'émotion et d'intensité. Intense, passionné, sensuel.
- Prends ton temps. Et quand tu seras enfin prête, je veux dire vraiment prête, alors je serai là. J'espère que tu trouveras les réponses que tu cherches et que tu sauras enfin ce que tu veux, parce que moi, je sais que c'est toi que je veux ! J'aimerais que tu sois heureuse.
- Ces dernières heures, j'ai été heureuse.
- Je vais devoir rejoindre Ethan. J'aurais aimé rester près de toi beaucoup plus longtemps, j'ai encore tellement de choses à te dire... »
Il l'embrassa à nouveau. Le caméléon recula. S'éloignant d'elle, il se dirigea vers la porte quand tout à coup, il entendit une petite voix l'appelait :
« Jarod ! Attends !
Il se retourna, elle se jeta dans ses bras, l'embrassant une toute dernière fois.
- Au revoir, Parker, prend soin de toi. »
Il se libéra de son emprise quittant la maison de la jeune femme, cette fois-ci sans se retourner…
