Chapitre 13 : Zoey & Jarod : la fin

The Mark Bar Madison Av 77th St, NY 10075

Jarod assis, dans un bar, avait donné rendez-vous à une jeune personne. Zoey. La femme avec qui il avait un semblant de relation. Une relation qui aujourd'hui n'avait plus lieu d'être. Il avait une révélation à lui faire ! Mais il craignait sa réaction.

Le Mark Bar, était un lieu populaire de New York, parfait pour découvrir des cocktails artisanaux, classiques et exclusifs. Spécialement conçu avec un mobilier très moderne. Des canapés en trompe l'œil, donnaient l'impression d'être recouverts d'un imprimé façon vache et dont le dessin représentait en réalité une mappemonde. C'était le lieu de rencontre le plus chic, le plus animé et le plus intimiste de Madison Avenue, idéal pour se détendre, après une longue journée de travail, avant ou après le dîner.

La jeune rouquine était arrivée. Elle aperçut le jeune homme, buvant un verre tout en l'attendant. Elle l'appela, criant son prénom. Elle lui souriait. Il lui rendit son sourire, lui faisant un signe de la main. Il se leva pour la rejoindre, elle lui sauta au cou, l'embrassant. Les mains posées sur ses bras, il la repoussa.

« Bonjour, Zoey.

- Jarod !

- Merci d'être venue aussi vite.

- Eh bien, c'est une chance que je n'étais pas loin. En-tout-cas, je suis très heureuse que tu m'aies demandé de venir.

- Comment tu vas ?

- Je vais très bien, ne t'inquiètes pas. Mais dis-moi, depuis quand es-tu revenu ?

- Depuis un petit moment.

- Pourquoi tu ne m'as pas appelé ? On aurait pu se voir avant.

- J'étais très occupé. Je sais que j'aurai dû te donner des nouvelles…

- Ça ne fait rien, Jarod, tu es là, maintenant. Alors as-tu pu retrouver ta mère ?

- Zoey. Il faut qu'on parle. J'ai quelque chose de très important à te dire.

- Est-ce que ça a un rapport avec ta mère ? Avec le Centre ? Où avec ses hommes qui m'ont enlevés ?

- En partie, c'est aussi à propos de nous. C'est quelque chose que j'aurais dû faire depuis très longtemps, avoua-t-il d'un ton sérieux.

- Qu'est-ce qui se passe, Jarod ? Tu peux tout me dire, tu le sais.

- Viens, asseyons-nous. »

Ils s'étaient mis à l'écart, dans un endroit calme. Assis sur des petits canapés, autour d'une table nappée de blanc, une boisson à la main. Elle méritait de savoir, il lui avait promis de tout lui dire, un jour, sur son passé, sur le Centre, y compris les détails de sa mésaventure sur l'île de Carthis et sa relation ambiguë avec Miss Parker. Il ne devait omettre aucun élément. Elle l'écoutait avec attention, raconter son histoire depuis le commencement. Il inspira profondément.

Il commençait à évoquer son enlèvement et son passé. À l'âge de trois ans, il fut kidnappé pendant son sommeil, en pleine nuit, par une organisation secrète appelée le Centre. Pour lui, c'était comme vivre un long cauchemar, un cauchemar dont il n'arrivait pas à se réveiller. La terreur, ensuite la panique, seul dans le noir, voilà ce qu'il avait ressenti et ce qu'il ressentait encore aujourd'hui, il n'avait alors qu'une seule obsession, revoir sa famille. Il fut privé de ses parents, de sa maison, de sa liberté, de sa vie. Dès son arrivée, il fut confié, contrôlé puis élevé par un psychiatre, Sydney, qui fût pour lui, un mentor, un père spirituel. Mais surtout, c'était lui qui l'avait aidé à développer ses aptitudes de Caméléon, le soumettant à des expériences, des tests appelés simulations. Il était devenu sa chose, sa création. Ces simulations, où il était supposé résoudre des situations hypothétiques de danger grâce à sa capacité hors du commun, exploitant son génie pour des recherches secrètes.

Lorsqu'il comprit, cinq ans auparavant, l'utilisation destructrice que le Centre faisait de ses simulations, Jarod n'avait alors qu'une idée en tête, celle de s'évader, emportant ainsi avec lui des DSA contenant l'accomplissement de son travail et trente-trois années de sa vie, volée. Se sentant coupable des torts et des milliers de vies détruites qu'avaient causées ses simulations, il avait cherché à se racheter, utilisant ses capacités pour réparer des injustices repérées dans les journaux et répertoriées dans des petits carnets rouges, sauvant de ce fait, un nombre incalculable de personnes. Il était devenu un redresseur de torts, poursuivi par plusieurs personnes du Centre cherchant à tout prix à le capturer ou encore à le tuer.

Commença, alors pour lui, une vie de fugitif !

Zoey était abasourdie, c'était une histoire aussi effrayante que les films d'horreur d'un soir d'Halloween. Comment pouvait-on arracher un enfant à sa mère ? Comment pouvait-on se servir d'un enfant pour détruire une vie ? Pourquoi ne lui avait-il jamais dit la vérité ?

« Mais qui es-tu, Jarod ?

- Je suis un caméléon humain, je possède la faculté d'assumer n'importe quelle identité. Je peux assimiler un nouveau métier en quelques semaines, peut-être moins. Je peux devenir qui je veux ! Je peux être aussi bien pilote de chasse, que médecin, ou encore avocat, policier, ou bien pompier, et bien plus encore. Mais qui suis-je ? Je ne le sais pas. Je ne sais pas qui je suis !

- Mais tu sais qui sont tes parents ?

- Je sais qui ils sont et d'ailleurs, tu as rencontré mon père, mais je ne les connais pas. Enfin, je veux dire, ils sont mes parents, je pense, mais on ne se connaît pas vraiment. Et je veux en savoir plus. Je veux savoir exactement d'où je viens et qui je suis !

- Pourquoi ne m'en avoir jamais parlé ? N'avais-tu pas confiance en moi ?

- Ça n'a rien à voir.

- Et qui sont ces gens qui cherchent à te récupérer ou à te tuer ? Est-ce que ce sont les mêmes hommes qui m'ont enlevé ?

- J'en viens ! »

Puis vint le moment, où il lui parlait d'une jeune femme, une jeune femme qui était étroitement liée à lui, à son passé, à son présent, à son avenir. Mlle Parker, fille présumée de M. Parker, le directeur du Centre à l'époque, avant d'être remplacé, aussi manipulateur qu'hypocrite. Également sœur jumelle de M. Lyle, l'homme au pouce coupé. L'un des hommes qui avait enlevé et retenu en otage Zoey. Un homme aussi avide de pouvoir que son géniteur, M. Raines, que l'on surnommait l'emphysémateux.

Mlle Parker, elle, était à la tête d'une équipe, avec l'aide de Broots, un petit informaticien froussard mais très talentueux dans son domaine et de Sydney, elle était chargée de le retrouver et de le ramener au bercail. La capture du caméléon était l'une des conditions à la libération de la jeune femme. Elle était sa chasseresse et lui, il était devenu sa proie.

Il poursuivit la discussion, mentionnant sa relation avec la Miss. Leur première rencontre lors d'une expérience sur la sexualité, suite à celle-ci, ils étaient alors devenus les meilleurs amis du monde, jusqu'au départ de la jeune femme. Bien des années après, elle était revenue complètement changée, conditionnée à le haïr, à se méfier de lui, il était devenu son ennemi qu'elle devait coûte que coûte appréhender pour le compte du Centre. Leur amitié s'était transformée en jeu. Celui du chat et de la souris. Il courait, elle le traquait ! Parfois même, il s'amusait avec elle, d'une tout autre manière, semant des indices sur son passage comme ferait le petit Poucet, l'aidant à trouver la vérité, car tout comme lui, elle aussi, elle était victime du Centre ! Peu à peu, leur relation prenait une tout autre tournure.

Jarod attrapa les mains de Zoey. Comment pouvait-il lui faire comprendre ce lien si particulier qu'il l'unissait à la Miss et les profonds sentiments qu'il éprouvait pour la jeune femme ? Zoey voulait en savoir plus sur sa relation avec Mlle Parker. Alors finalement, il se décida à lui raconter son aventure sur Carthis… Et avec qui il était !

« Il y a quelques mois, mes recherches m'avaient conduit sur les traces de ma mère, sur une petite île de Carthis, au large de l'Écosse. Une île mystérieuse surnommée l'île des Possédés, où se trouvait un ancien monastère toujours occupé par les Vespasiens, de nos jours. Là-bas, j'ai d'abord aperçu ma mère au loin, mais lorsqu'une tempête a été annoncée, l'île a dû être évacuée, en urgence et ma mère s'en est allée sans savoir que j'étais là, à peine à quelques mètres d'elle... il prit une pause avant de continuer son récit, puis Mlle Parker est apparue, elle aussi, était en quête de réponse. Par la force des choses nous avons fait équipe, nous avons fait la lumière sur un bon nombre de découvertes, sur le Centre, sur nous-mêmes, sur nos familles… Nous avons également trouvé des reliques, des rouleaux de parchemin, probablement maudits, et dotés d'un grand pouvoir, malheureusement perdus au milieu de l'océan. Pendant ces quelques jours passés sur cette île, nous nous sommes alliés, entraidés, rapprochés… Et les choses ont commencé à changer entre nous.

- Rapprocher ? Changés ? Comment ? lui a-t-elle demandé comme si elle connaissait déjà sa réponse, mais qu'elle avait besoin d'entendre ces mots sortir de sa bouche.

- Je ne veux pas te faire de mal, Zoey…

- Qu'est-ce que ça veut dire ? Je ne comprends pas, Jarod. Tu oublies notre voyage, celui que l'on devait faire il y a quelques mois ?

- Crois-moi, je suis désolé, mais il n'y aura pas de voyage. Pas avec moi.

- Tu veux qu'on arrête de se voir ?

- Ce n'était pas prévu. C'est arrivé sans que je ne m'y attende.

- Jarod, tu n'as pas besoin de te justifier. Nous deux, ça n'a jamais été très sérieux. Il n'y a jamais eu de promesses entre nous. On a pris du bon temps, on s'est bien amusés.

- C'est vrai, on s'était bien amusés.

- Il y a quand même quelque chose qui m'échappe.

- Dis-moi.

- Cette Mlle Parker, c'est celle qui te traque sans relâche depuis ces cinq longues années ? Pourquoi elle ?

- Je ne sais pas, je pourrais te dire que c'est parce que c'est la première fille que j'ai rencontrée, parce que c'est mon amie d'enfance, ou parce que c'est elle qui m'a donné mon premier baiser, ou encore parce que nous sommes attirés l'un par l'autre. Tu comprends ? C'est comme si nous éprouvions une attirance magnétique, comme un aimant, je ressens cette envie irrépressible de me rapprocher d'elle, de lui parler, d'être là, auprès d'elle, de la tenir serrée dans mes bras. Et quand je ne suis pas à ses côtés ou que je n'entends pas sa voix, j'ai mal, je souffre. Mais la vérité, c'est qu'elle est mon destin, jusqu'à mon retour d'Écosse, je ne le savais pas ou du moins je n'en étais pas sûr. Jusqu'à ces trois derniers mois, je n'avais aucune idée de l'importance qu'elle avait dans ma vie.

Elle l'entendait vanter les qualités et les mérites de celle qui lui avait volé le cœur de son homme.

- Jarod, je ne souhaite pas t'entendre me dire à quel point tu la trouves merveilleuse. Es-tu vraiment amoureux d'elle ? Es-ce que tu l'aimes ?

- Je t'en prie Zoey, ne me le demande pas.

- Jarod, je tiens beaucoup à toi. Je ne dis pas ça pour te garder, mais tu es peut-être ou tu crois peut-être être amoureux d'une chimère. Je ne veux pas te voir souffrir.

- Non, ce n'est pas une chimère, j'ai essayé d'ignorer et de faire taire mes sentiments, mais c'est impossible. C'est bien réel. Elle est réelle !

- Jarod, je ne sais pas exactement ce qu'il s'est passé sur cette île, mais je trouve que tu as changé. Tu me fais peur, Jarod. Tu parles d'enlèvement, de prophétie, de malédiction, de destin. Et cette autre femme, ton amie dont je n'ai jamais entendue parlée jusqu'à aujourd'hui. Cette femme pour laquelle tu t'apprêtes à me quitter. Quel avenir crois-tu avoir avec elle ?

- Je ne sais pas, mais je sais une chose, sans elle, je ne vois pas d'avenir.

- Et tu es sûr ? Parce que dès que je passerai la porte de ce lieu, je partirai, et ce sera fini entre nous, tu ne me verras plus jamais, Jarod.

- Aujourd'hui, je le sais. Je sais que c'est elle que je veux. »

Il savait qu'en lui avouant ses sentiments pour Mlle Parker, il allait lui faire de la peine. Et peut-être que si elle n'avait pas été surveillée et enlevée par le Centre, exigeant sa libération en échange de celle du caméléon, il lui aurait épargné cette discussion. Oui, il ne lui aurait rien dit, sûrement pour la protéger, ou par lâcheté. Mais elle devait savoir, et lui, il ne pouvait plus continuer à lui cacher la vérité, plus longtemps, il se devait d'être honnête, pour Zoey, pour Mlle Parker et pour lui-même. Et il avait cette étrange impression d'avoir les épaules plus légères, de s'être débarrassé d'un poids en moins. Il avait eu besoin de se livrer à une personne extérieure au Centre. Une fois, il s'était confié, à un psychiatre, lorsqu'il s'était donné pour mission de rendre justice à une personne, se faisant ainsi interner dans un asile pour aider une jeune femme, retenue prisonnière injustement et droguée à son insu par un médecin qui avait commis un meurtre. Mais au final, c'est lui qui était considéré comme fou !

« Si c'est elle que tu veux alors il ne me reste plus qu'à m'effacer. Je ne vais pas te faire d'esclandre, parce que je me souviens encore que c'est grâce à toi si j'ai fait la paix avec ma famille et que c'est toi qui m'as aidé à me reconstruire quand je n'allais pas bien, que tu m'as soutenu lorsque je me battais contre mon cancer. Alors, tu es libre, Jarod. J'espère seulement qu'elle sait la chance qu'elle a. J'espère aussi que ça marchera pour toi et que tu retrouveras ta mère, je te le souhaite. Adieu Jarod, lui a-t-elle dit en se levant, elle lui donna un dernier baiser.

- Adieu Zoey. »

Elle sortit, laissant Jarod pensif. Soudain, il se mit à repenser à la première fois où il avait rencontré Zoey, une jeune femme craintive, et malade, atteinte d'un cancer. Elle avait débarqué dans un restaurant fuyant un ex-petit ami violent. Il se souvient alors de leur baiser, de leur première nuit, de leur voyage sur la route, ensemble… C'était une femme pleine de légèreté, insouciante, excentrique, et elle savait profiter de la vie. C'était ce qu'il avait apprécié chez elle. Il versa une larme. C'était fini !

Mais il savait que quelque part à Blue Cove, dans le Delaware, une jeune femme au caractère bien trempé, l'attendait, et l'aimait…

Désormais, son esprit était inondé de pensées pour une seule et unique femme. Celle qui avait la capacité de l'affaiblir. Oui, parce qu'elle était devenue son point faible !

Souriant, le cœur rempli d'espoir, il sortit du bar…