Chapitre 14 : La boîte à secrets

Le Centre, Blue Cove, Delaware

Sydney, parfaitement serein, était dans le laboratoire de simulation, faisant une expérience basée sur les différences et les similarités observées chez les vrais jumeaux, surnommés jumeaux monozygotes. D'après ces résultats, cette expérience montrerait que bien que leur ADN fût identique, chaque jumeau avait une personnalité propre et distincte. Selon lui, la plupart des paires de jumeaux monozygotes ne seraient pas vraiment identiques et présenteraient ce que l'on appelle une discordance phénotypique, c'est-à-dire des différences au niveau de l'apparence et de la constitution physiques, ou une manifestation spécifique d'un trait. L'une des explications viendrait de l'existence des différences du mode d'expression du génome. Broots, surgissant derrière lui, l'interrompit, le psychiatre sursauta.

« Regardez ça, Broots, la manière dont réagissent ces jumeaux, c'est fascinant ! Vous ne trouvez pas ?

- Eh bien, Sydney, cette expérience est sûrement intéressante, mais je trouve que ça l'est bien moins que ce qu'il se passe, en ce moment même, dans le bureau de Mlle Parker.

- C'est-à-dire ? Que se passe-t-il ?

- Je suis passé devant son bureau, tout à l'heure, et il y avait plein de cartons. Je ne pense pas qu'elle déménage son bureau ni qu'elle soit sur le point de quitter le Centre ! Vous devriez venir voir. Ces derniers temps, elle n'a pas vraiment l'air d'être dans son état normal. C'est très inquiétant. À vrai dire, Sydney, si je peux me montrer honnête, je la trouve ailleurs, préoccupée et je ne crois pas que ce soit à cause de son petit frère.

- Allons voir ça ! Au fait, avez-vous du nouveau concernant l'enfant ?

- Non, pas encore. Mais actuellement, je suis une piste que je dois approfondir, je vous en dirai plus lorsque je serai sûr. » dit-il, en se frottant les mains.

En entrant dans le bureau de la jeune femme, Sydney et Broots étaient abasourdis de découvrir un tel désordre. Mlle Parker triait les nombreux cartons éparpillés dans les quatre coins de la pièce. Il y avait des dossiers, des feuilles et des objets partout. Exaspérée, elle soupira, levant les yeux au ciel, tenant un dossier dans chacune de ses mains, elle se retourna vers ses deux acolytes.

« Attention, où vous mettez vos pieds ! s'écria la jeune femme.

- Mais que faites-vous ? Qu'est-ce qu'il se passe ? On dirait qu'une tornade vient d'arriver par ici ! s'inquiéta Broots les yeux rivés sur l'ensemble de la pièce.

- Non, Broots, en fait, ce sont les affaires de mon père que j'ai dû faire rapatrier jusqu'ici.

- Alors vous vous êtes enfin décidé à vous occuper de la succession de votre père ? Vous savez, je suis là pour vous aider, si vous le souhaitez.

- Merci Sydney. Je croyais que Lyle serait là et qu'on ferait ça ensemble, mais je me suis encore trompée. Il n'a jamais eu le moindre sentiment pour notre père. Vous avez vu comme il a vite retourné sa veste. Il n'a jamais été ni famille ni loyal. Et dire qu'il est mon jumeau !

- Peut-être que c'est ce qu'il tente de vous faire croire. Chaque personne réagit différemment face à la douleur et à la peine. Il n'est pas si différent de vous, vous savez.

- Pardon ? Lui et moi n'avons strictement rien en commun, à part notre mère. Sydney, on parle d'un psychopathe qui n'hésite pas à tuer de sang-froid, alors éprouver de la peine, je ne crois pas qu'il en soit réellement capable !

- Vous oubliez votre père, enfin je veux dire Monsieur Raines, ajouta Broots sous le regard noir de Mlle Parker.

- Non, vous m'avez mal comprise. Lyle cache ses émotions comme vous le faites. C'est un processus de survie. Il se protège comme vous. Ça ne veut pas dire qu'il ne ressent pas de chagrin ou qu'il ne souffre pas.

- Vous savez Sydney, ça m'arrangerait que pour une fois, vous soyez de mon côté. Rien qu'une fois.

- Il ne s'agit pas de savoir de quel côté être. Et vous savez que de toute façon, je suis là pour vous aider et vous soutenir, en toute circonstance. Mais souvent, quand une famille subit une telle épreuve, la perte d'un être cher peut parfois aider à consolider les liens familiaux. Avez-vous essayé d'en discuter avec Lyle ? Peut-être attend-il que vous fassiez un pas vers lui.

- C'est impossible, vous le savez ! Avec Lyle, on est incapable d'avoir une conversation normale, entre frère et sœur.

- Et vous n'avez personne d'autre sur qui compter ? Vous êtes seule pour faire face à cette épreuve, compatis l'informaticien.

- Non Broots, je ne suis plus toute seule…

- Vous parlez de Jarod ?

- Je parle des seules personnes pour qui j'ai réellement compté, Sydney… Et qui aujourd'hui, compte sincèrement pour moi.

- Eh bien, qu'est-ce que le Centre à cumuler comme papier pendant toutes ces années.

- Oui, Broots, et tous ces documents datent depuis la création du Centre jusqu'à aujourd'hui. Sydney, regardez ça ! Dans ce carton… La plupart de ces dossiers ne concernent que Jarod… Certains sont même en double exemplaire.

- Que comptez-vous faire de tout ça ?

- Je ne sais pas. Mais je sens qu'il y a des réponses pour nous dans ces dossiers. Je vais les ramener à la maison.

- Vous voulez emporter les dossiers de votre père chez vous ?

- Et pourquoi pas ?

- C'est que ces documents sont la propriété du Centre… Eh, regardez dans ce carton-là, il y a une boîte. Elle est à vous donner la chair de poule. Que croyez-vous qu'elle contienne, Mlle Parker ? demanda Broots.

- Je ne sais pas Broots. Ce matin, je suis allée à la banque et dans l'un des coffres de mon père, j'ai trouvé ceci. Posez-la ici, je la prendrai en partant.

- L'un des coffres ? Mais combien votre père en possédait-il ?

- Ce coffre à la banque n'est pas le seul qu'il détient… Détenait ! Un homme comme lui en possède plus qu'il n'en faut… Enfin, je veux dire en possédait. »

C'était une boîte de forme rectangulaire et de dimensions plutôt moyenne juste assez pour contenir des papiers ou encore divers bibelots. Faite en bois et recouverte de lierre, elle était pour le moins quelque peu étrange. Sur le dessus de la boîte, on pouvait apercevoir un triangle équilatéral entouré par deux cercles alors que sur la face, était situé le symbole de l'infini… Cette boîte avait quelque chose de mystique. Et curieusement elle avait une légère ressemblance avec le bas-relief de la photo… Vraiment très légère ! Sauf que ce symbole n'était pas composé de huit têtes de mort.

Après l'avoir bien observer sous tous les angles, Broots la posa sur le bureau. Elle l'ouvrirait plus tard, une fois chez elle et surtout à l'abri des regards indiscrets. Elle était dépassée. Ces boîtes de carton contenaient des années de vie du Centre, de ses recherches, de contrats militaires, de ses expériences menées sur le projet Caméléon, de Jarod, et bien plus encore.

« Il n'y aurait pas assez d'une vie pour tous les lire… ! » pensa-t-elle.

« Broots. Vous allez me ranger tout ce foutoir et faire rapatrier tous ces cartons chez-moi. Je les veux pour la fin de la journée. Je vais rentrer ! Au fait, avez-vous trouvé quelque chose qui puisse nous aider à localiser mon petit frère ?

- J'ai peut-être une piste, mais…

- Qu'est-ce que vous attendez pour me dire de quoi il s'agit ? Pressons !

- J'ai épluché les comptes du Centre, et j'ai remarqué qu'une énorme dépense avait été faite ces dernières semaines.

- Une énorme dépense ? Dans quelle mesure ?

- Assez conséquente, je dirais. J'ai donc poussé mes recherches plus loin et cette dépense concerne des équipements médicaux et du matériel de sécurité très sophistiqué.

- Rien que ça !

- Ce n'est pas tout. Je suis en train de concentrer toutes mes recherches sur le lieu de livraison parce que voyez-vous, ils ont été assez malins pour ne pas se faire livrer au Centre pour éviter de…

- Que l'on ne remonte la piste jusqu'à eux. Et que l'on ne découvre la vérité !

- Mais quelle vérité ? Qu'est-ce qui se passe ici ? interrogea l'informaticien.

- Des équipements médicaux et du matériel de sécurité ! Il est clair que Raines souhaite faire du petit Parker son prochain cobaye, annonça le psychiatre.

- Il faut le trouver ! Je ne veux pas qu'il subisse le même traitement que les autres sujets de Raines. Continuez vos recherches, Broots. Vérifier, si aucune livraison n'a été effectuée dans nos locaux.

- Bien, mademoiselle. »

Broots commença alors à remettre de l'ordre. La pièce était sens dessus dessous, ramassant les nombreuses feuilles que la Miss avait dispersées un peu partout. Pourquoi fallait-il que ce soit toujours lui qui devait-être désigné pour les corvées les plus ingrates ? Quant à Sydney, il retourna au laboratoire de simulation là où l'attendaient les jumeaux. Même s'il envisageait sérieusement de prendre sa retraite, largement bien méritée, ses expériences, le passionnaient toujours autant tout comme chacune de ses découvertes. C'était un défi au quotidien qu'il adorait relever. Mlle Parker, piquée par la curiosité, emporta avec elle la fameuse boîte.

Que contenait-elle… ?

Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991

Il était précisément 18h30 à sa montre lorsque Mlle Parker franchit le seuil de la porte d'entrée. Après avoir quitté le Centre, la jeune femme avait passée quelques heures sur la route avant de rentrer chez elle, la Miss avait besoin de vider son esprit, et rouler, lui permettait de ne penser à rien. Elle jeta ses clés, déposant sur un petit meuble, la boîte qu'elle tenait sous son bras. Comme d'ordinaire, elle se servit la moitié d'un verre de whisky, mais cette fois-ci au lieu de le diluer avec des glaçons, elle le but sec et d'une seule traite.

« Il est temps de changer ses habitudes ! »

Tout en fixant l'objet, elle s'en reversait un autre, et pendant que son esprit errait, elle faisait virevolter le breuvage, avant d'en avaler une bonne rasade. Elle reposa le verre. Devait-elle l'ouvrir ? Et que se passera-t-il, une fois qu'elle aura ouverte cette boîte de Pandore ? Quoiqu'elle fasse, elle savait qu'elle risquait fortement de le regretter. Avait-elle envie de savoir quelles abominations abritées ce coffret ? Mlle Parker s'approcha du meuble lorsqu'elle réalisa qu'elle ne possédait pas la clé du cadenas. S'équipant d'un coupe-papier, la Miss s'apprêta à crocheter la serrure. Quelqu'un sonna à la porte. C'était Broots, accompagné de Sam, le fidèle nettoyeur de Mlle Parker, les bras chargés de carton qu'elle lui avait demandé, tantôt de ramener chez elle.

« Qu'est-ce que vous faites-là ?

- Ce sont tous les cartons qu'il y avait dans votre bureau.

- Vous avez fait vite. Vous faites des progrès. Est-ce que tout y est ? Vous n'avez rien laissé au bureau ? Aucun document ? Aucun objet ?

- Tout est là, Mlle Parker.

- Merci, Broots… Dites-moi, j'espère que vous n'aviez croisé personne au Centre ?

- Non, Mademoiselle Parker, rassurez-vous.

- Je veux parler de Lyle !

- Il n'était pas dans son bureau, et pour tout vous dire, il n'était pas au Centre.

- Ce sale rat est en train de nous mijoter un mauvais coup ! Avez-vous fait ce que je vous ai demandé ?

- C'est-à-dire ?

- Le micro, Broots !

- Il est en place et opérationnel. Mais il n'a rien dit qui pour l'instant pourrait nous aider. Peut-être qu'il se méfie.

- Tôt ou tard, Lyle fera un faux pas, alors surveillez-le !

- C'est la boîte ? Vous ne l'avez toujours pas ouverte ? Je ne pense pas que crocheter la serrure avec un coupe-papier soit faisable. Vous aurez sûrement besoin de ça pour l'ouvrir, dit-il le sourire aux lèvres, en tenant la clé du bout de ses doigts.

- Où l'avez-vous trouvée ?

- Au fond d'un carton, avec ce trousseau de clés. Tenez. Alors, d'après vous, qu'est-ce qu'il y a l'intérieur ?

- Vous pouvez partir, maintenant !

- J'ai compris, on vous laisse. »

Après le départ des deux hommes, Mlle Parker se dirigea vers sa salle de bain, fixant son reflet devant son grand miroir juste au-dessus du lavabo. Elle alluma quelques bougies parfumées qu'elle disposa sur le rebord de sa baignoire, son verre encore rempli de whisky également posé sur le bord. La lumière de la salle de bain était tamisée, et on pouvait entendre une musique de fond, douce et apaisante. Elle avait besoin de se détendre. Et quoi de mieux, que de prendre un bon bain pour se relaxer ? Quelques minutes plus tard, la voici, plongeant, se prélassant dans une eau chaude, lactée, légèrement et délicatement parfumée imprégnant sa peau, recouvrant ainsi d'une mousse onctueuse et généreuse son corps entièrement nu. Ses articulations, ses muscles, s'en retrouvaient immédiatement soulagés, libérant ses tensions et sa mauvaise humeur accumulées tout au long de la journée. Les paupières closes, elle repensa à la conversation qu'elle avait eue avec Ethan lorsqu'il lui avait appris à développer son don. Elle respira profondément, vidant totalement son esprit pour ne se concentrer que sur la voix de sa mère. Une demi-heure plus tard, elle sortit de son bain, apaisée et prête à ouvrir la boîte de Pandore, elle tendit une main vers un peignoir de bain dans lequel elle s'enveloppa.

Dans sa chambre, Mlle Parker était assise, le corps bien droit sur son lit. Elle accorda une attention toute particulière à l'objet posé en face d'elle et rien qu'à l'idée de découvrir les nombreux secrets que renfermait cette boîte, elle en avait la boule au ventre. Elle déglutissait. Qu'est-ce que son père avait bien pu lui cacher ? La jeune femme souffla, il était temps de lever le voile sur les horreurs qui avaient marqué sa vie. Son cœur s'affolait alors qu'elle se penchait en avant et d'une main tremblante et hésitante, elle inséra la clé dans la serrure du cadenas relevant le couvercle…