Chapitre 15 : Les lettres première partie

Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991

Et d'une main tremblante et hésitante, elle inséra la clé dans la serrure du cadenas relevant le couvercle. Hébétée, la jeune Miss regarda fixement la boîte contenant une multitude de lettres, celles de son père, de sa mère et des lettres dont elle reconnaissait parfaitement l'écriture, les siennes… Celles du caméléon, enfouies entre plusieurs couches de papier tassées dans le fond de la boîte. Pour la plupart, ces enveloppes n'avaient jamais atteint leur destination, pas même leur destinataire. Elle regrettait déjà d'avoir ouvert cette maudite boîte. La jeune femme attrapa la première lettre venue qu'elle prit soin d'ouvrir, c'était celle de sa mère adressée à sa fille, en date du 28 août 1970, peu de temps avant la naissance d'Ethan, sur l'enveloppe, il y était écrit :

« À ma petite fille. »

« Ma petite Miss,

28 août 1970, 7 heures du matin. J'ai un très mauvais pressentiment. Si tu lis cette lettre, ça veut dire que je ne serai plus là, avec toi. Pardonne-moi. Je m'en veux de t'infliger cette perte, cette douleur immense et de t'avoir imposé cette vie remplie de haine et de mensonges. À ta naissance, j'avais aspiré à de grandes ambitions, je voulais le meilleur pour toi, mais je sais aujourd'hui que tous ces rêves seront irréalisables. Et je le regrette amèrement. Tu ne le méritais pas. Je sais qu'un jour ou l'autre, tu finiras par soulever le voile sur l'histoire tragique de notre famille, j'aurais tellement voulu que tu n'en saches jamais rien… Il y a plusieurs mois de cela, j'ai appris l'existence d'une prophétie provenant de rouleaux de parchemin, dit-on doté de grand pouvoir. Je sais que ton père et M. Raines recherchent activement ces rouleaux qui leur assureraient la survie et la longévité du Centre, cela leur permettrait de prendre définitivement l'ascendant sur le Triumvirat. Si mon amie et moi arrivons à découvrir où ils sont cachés et ce qu'ils contiennent, nous pourrions alors détruire le Centre et te libérer toi et Jarod de l'emprise que le Centre et ton père ont sur vous. Ils dévoilent absolument tout, ton passé, ton présent, ton avenir ainsi que celui de Jarod. Vous êtes beaucoup plus liés que vous ne le pensez. Je t'ai laissé, en lieu sûr, un DSA, il est en sûreté, dans les mains d'une personne digne de ma confiance, pour des raisons de sécurité, je préfère ne pas dévoiler son nom, si cette lettre est lue par une personne autre que toi, cela pourrait mettre la vie de mon amie en danger. Ce disque explique ce qu'est le Centre, il contient toute la vérité. Retrouve-le ! Il y a une chose que je veux que tu fasses. Je veux que tu termines mon projet. Celui pour lequel j'ai dû me séparer de toi. Celui de mettre fin, une fois pour toutes, aux agissements de ton père et de M. Raines. Je sais que tu es capable de le faire, parce que Jarod sera là, à tes côtés. Et j'ai une toute confiance en toi comme en lui. Je sais que tu feras ce qu'il faut. Il y a une chose que tu dois savoir, méfie-toi des mirages, ils sont réels. Je sais que tu adores ton père, mais prends garde à toi, il n'hésitera pas à te sacrifier pour son salut et celui du Centre. Il a tellement changé, je ne le reconnais plus, et par moments, il me fait peur. Ma petite Miss, il faut que tu saches une chose, tu as un petit frère, je n'ai pas le temps de tout expliquer, je prends déjà d'énormes risques, et à l'instant où j'écris ces quelques lignes, je sais que ton frère sera en grand danger. Après ma disparition, j'ai peur qu'Ethan ne serve le dessein de personnes malhonnêtes et sans scrupules. Je n'ai aucun doute sur le fait qu'ils se serviront de lui, de ses dons, comme ils se sont servis de toi et de Jarod. Comme ton petit frère, tu possèdes un instinct naturel, un sixième sens. Il est beaucoup plus présent chez Ethan, mais il ne tient qu'à toi de développer ton don. Fais confiance à ton intuition, il t'aidera à retrouver ton frère, il sera ton guide, et celui de Jarod. Dis bien à ton ami d'enfance qu'il finira par retrouver sa mère, tu seras là pour l'aider, je le sais. J'aurais tellement aimé t'épargner toute cette souffrance, et t'emmener avec moi, en Europe, comme il était convenu. Mais je sais que très bientôt, tu retrouveras ton chemin, j'espère seulement que cette tragédie ne te fermera pas à l'amour, et que tu n'as pas perdu l'espoir de vivre la vie que tu as rêvé, parce que moi, dans une de mes visions, je t'ai vue très heureuse… Oui, c'était une de mes plus belles visions. Je regrette seulement de ne pas être là pour profiter de mon petit-fils, j'aurais aimé avoir la joie de le connaître et de le choyer, mais tu lui diras bien que sa grand-mère l'aimait énormément. Toute cette histoire ne sera plus qu'un mauvais souvenir. Je te le promets. Si toutefois, je parviens à survivre à ce terrible malheur, je ne peux qu'espérer qu'un jour, toi et moi, nous soyons de nouveau réunis pour former une vraie famille. Jusqu'à là, suis ton cœur. Ta maman qui t'aime tant. Catherine Parker. »

Elle relisait la lettre une deuxième fois, puis une troisième fois. Les lèvres tremblotantes, elle ne put retenir ses sanglots, laissant échapper une larme qui venait se déposer sur le papier jauni par le temps, faisant apparaître la tâche ronde de la goutte d'eau. Était-il possible que Catherine Parker soit encore en vie ? Et si elle était en vie, où se cacherait-elle ? En Europe ? Et où était ce DSA ? Et qui était cette amie dont elle ne mentionnait pas le nom ? Pourquoi parlait-elle de petit-fils ? Que des questions sans réponses. Soudain, la jeune femme prit une autre lettre, celle de son père, écrite quelques mois avant qu'il ne se fasse enlever par le caméléon dénommé Alex. Elle commença alors la lecture.

« Mon Ange,

Si tu lis cette lettre, aujourd'hui, c'est que je suis définitivement mort. Je ne pensais pas quitter ce monde aussi vite et je m'en veux de te laisser là. Il y a tellement de choses que j'aurais aimé te dire. Mais dont je n'ai jamais eu le courage de faire. J'ai fait preuve d'une lâcheté sans borne. Et j'ai honte. Tu trouveras dans cette boîte, mon testament, tout est à toi. Tout te revient de droit. Je sais que rien de tout cela ne pourra apaiser ton chagrin ni la souffrance que tu subis depuis de trop nombreuses années. J'en suis le seul responsable. Il m'est arrivé par moment, voire très souvent de manquer à ma parole et de ne pas faire face à la réalité, la vérité, comme tu le sais, est difficile à accepter. Mais pour une fois, je vais t'offrir le cadeau que je n'ai jamais pu t'offrir, la vérité ! Mon ange, je ne sais pas comment te le dire parce que pour moi, ça n'a jamais fait aucune différence, je ne suis pas celui que tu penses, je ne suis pas l'homme que tu penses, je ne suis pas le père que tu penses que je suis, je ne l'ai jamais été. Mon Ange, je ne suis pas ton père, à mon grand regret. Ton vrai père n'est autre que mon frère, que tu connais mieux sous le nom de M. Raines. Cependant, il vaut mieux pour toi que tu ignores cette partie de l'histoire. Je sais ce que tu penses de lui. Et tu as raison, méfie-toi. Il ne reculera devant rien. Il est très avide de pouvoir et il est prêt à toutes les perversions pour obtenir ce qu'il veut. Je parle des prophéties, des rouleaux de parchemin, un héritage de ton arrière-grand-père. Je ne sais pas ce qu'ils contiennent exactement, mais d'après mon grand-père, ces écrits seraient maudits voire diaboliques. Je n'en suis pas sûr, tu sais, dans le doute, je ne veux pas que tu t'en approches. Tu es mon bien le plus précieux… Il y a des secrets qu'ils ne vaut mieux pas déterrer, pour notre bien à tous. Et tu ne pourrais que le regretter. J'ai un aveu à te confesser, je sais que tu me détesteras, mais je t'aime assez pour ne pas te le reprocher… Je suis le commanditaire du meurtre de Thomas. Cela n'aurait jamais dû se produire, mais je n'ai pas eu d'autres choix que de mettre un terme à cette relation qui n'aurait jamais dû exister. Tu m'échappais, tu te détournais de ta mission, l'amour te rendait trop vulnérable, alors j'ai dû agir vite. Si je ne l'avais pas fait, ce serait Raines qui s'en serait chargé. Ne te sens pas coupable, je suis le seul à blâmer. Je sais que tu étais amoureuse de lui, où peut-être que c'était ce que tu voulais croire, parce qu'il était le seul lien avec le vrai monde extérieur, celui auquel je t'ai privé, depuis bien trop longtemps. Je ne me cherche pas d'excuse, je veux juste que tu comprennes pourquoi je l'ai fait. Tu sais par amour, on est prêt à commettre toutes les abominations même les plus atroces... J'ai une chose très importante à te dire, il s'agit du bébé Parker. Il y a des choses que tu dois savoir sur son sujet. Il n'est pas mon fils comme tu peux t'en douter. Il n'est pas celui de Brigitte non plus, elle n'a servi qu'à porter l'enfant. C'est pourquoi, je ne lui ai jamais donné de prénom, c'était une expérience, un projet. Un projet qui porte le nom de Genius. Tu trouveras un dossier le concernant. Tu sais, je n'en suis pas très fière ! Je veux que tu le prennes avec toi, que tu veilles sur lui, que tu l'aimes, je veux que cet enfant ait la chance d'avoir une vie normale, c'est le moins que je puisse faire pour lui, pour toi. Tu trouveras tous les documents dont tu auras besoin, dans l'un des coffres, de notre résidence à Londres. Je sais que toi et Jarod, vous prendrez soin du bébé et que vous lui offrirez la vie qu'il mérite. Je sais aussi que Jarod prendra soin de toi, alors je ne m'inquiète pas trop. Je regrette sincèrement de vous avoir volé vos vies, et que vous n'ayez pas eu la chance de vivre tous les deux, une vie normale. Cette vie à laquelle tu aspirais tant... Une chose ! Pour l'instant, il vaut mieux que tu ignores sa véritable identité. Le temps que tu puisses créer des liens avec cet enfant et le moment venu, tu sauras sa véritable nature. Saches juste que vous avez un lien bien plus fort que celui du lien fraternel. Tu le découvriras assez tôt et je ne peux qu'espérer qu'un jour toi et Jarod, vous m'accorderez votre pardon. Oui, que tu me pardonnes ma folie, je me suis laissé entraîner dans cette spirale infernale, mais je refuse que cette folie t'entraîne à ton tour et te condamne à la même vie que moi. Tu as encore tellement de choses à apprendre, à découvrir, à vivre. Je veux que tu saches que je vous ai réellement aimés toi et ta mère, même si parfois, ce n'est pas l'impression que je pus te donner. Je veux que tu me fasses une promesse, dès le moment où tu liras cette lettre, tu renonceras à ta vengeance envers Raines, reste le plus éloignée possible de lui. Promets-moi aussi que tu quitteras le Centre et que tu finiras par aller vivre ta vie ailleurs, le plus loin possible. Tu es libre, tu n'as plus de chaîne, mon ange. Je n'ai jamais été aussi fière d'avoir été ton père qu'à l'heure où je couche ses mots sur ce papier et je me réjouis de savoir que maintenant tout ira bien pour toi. Tu es, et tu resteras toujours mon ange. Je t'aime Angel. Ton père. M. Parker. »

Elle était restée figée sur son lit, regardant avec les yeux écarquillés la lettre qu'elle tenait encore dans sa main tremblante. C'était trop ! Trop de mensonges ! Trop de secrets ! Trop de monstruosité ! Elle avait la confirmation que celui qu'elle prenait pour son paternel n'était pas son père biologique. Jusqu'à maintenant, elle avait refusé de le croire tout comme elle s'était refusé à croire qu'il pouvait être mêlé à l'assassinat de Thomas ou encore dans un projet impliquant un bébé innocent. Pourquoi était-elle si étonnée ? Elle qui idolâtrait tellement son père, le mettant sur un piédestal, elle le croyait incapable de tomber dans les précipices de l'horreur. La jeune femme avait tort. Elle lâcha le bout de papier qu'elle remplaça par un oreiller avec lequel elle couvrit son visage pleurant toutes les larmes de son corps. Son esprit était parasité par une avalanche de questions. Pourquoi son père parlait autant de Jarod dans sa lettre ? Et de quel lien autre que celui du lien fraternel pouvait-il l'unir à ce bébé ? En quoi consistait le projet Genius ? Lui avait-il vraiment rendu sa liberté ? Était-elle réellement libre ? Libre d'aller retrouver celui qu'elle aimait ?