Chapitre 21 : De bien trop courtes retrouvailles

Le parc Monceau, 35 Bd de Courcelles 75008 Paris, France

Soudain, en entendant une voix l'appeler, Margaret se retourna, c'était une voix qu'elle reconnaîtrait parmi toutes les autres, c'était celle de son fils, Jarod.

« Bonjour maman » répéta le jeune homme.

Figée sur place, les yeux pétillants emplis de larmes, malgré elle, Margaret, n'osait plus bouger. Elle avait peur d'être maladroite avec lui. La voyant inerte, il se jeta littéralement dans ses bras. Elle plaqua ses mains sur les omoplates de son fils, le serrant si fort qu'il en étouffait de son trop-plein d'amour. Elle refusait de le lâcher par crainte qu'il ne puisse disparaître une seconde fois. Ils restaient quelques minutes dans les bras l'un de l'autre appréciant cette marque d'affection trop longtemps interdite. Jarod s'écarta de sa mère. Elle lui prit le visage entre ses menues mains et y déposa de tendres petits baisers, sur ses joues, son front, ses cheveux. Le caméléon en était ému. Il peinait à contenir ses larmes. Il la regarda, elle était encore plus belle que sur la photo. Oh bien sûr, les rides de son visage, de ces longues dernières années ont eu raison d'elle, mais cela ne changeait rien à sa beauté naturelle. Margaret ne put s'empêcher d'exprimer sa sérénité par un petit rire léger, mais sincère, et pour elle, retrouver son fils, était une véritable délivrance. Jarod avait une averse de question à lui poser, mais se sentait-elle prête à subir un interrogatoire de sa part ? Aucun des deux ne savait quoi dire, trop de temps avait passé entre eux, ils étaient devenus deux étrangers. C'était Jarod qui fit le premier pas.

« Je t'ai cherché depuis si longtemps que j'ai l'impression que ce moment n'est qu'un rêve et que très bientôt, je vais me réveiller.

- Non, ce n'est pas un rêve, Jarod, cette fois-ci, je suis vraiment là. Regarde-moi, je suis là !

- Je suis tellement content de t'avoir enfin retrouvé.

- Ce que tu as grandi, Jarod et comme tu ressembles à ton père. Tu as ses yeux. Oui, tu as les mêmes yeux bruns que lui.

- C'est vrai ? Alors je suis bien votre fils ?

- Bien sûr que tu es notre enfant !

- J'ai tellement de questions à te poser que je ne sais pas par où commencer.

- Pose-les-moi et je répondrai à toutes tes questions.

- Qui suis-je ? D'où je viens ?

- Tu es mon fils, Jarod. Et tu viens de là, avait déclaré Margaret, la main sur sa poitrine.

- Je veux que tu me racontes. Je veux tout savoir.

- Dieu, que cet endroit est magnifique, soupira-t-elle. Il y avait tant à dire.

- Pourquoi m'avoir donné rendez-vous ici ?

- Tu ne te rappelles pas ? Non, tu étais bien trop petit. Après ta naissance, on t'avait ramené chez nous, à la maison, dans le Michigan, tout était parfait. Et un an avant ton enlèvement, on était venu ici, avec ton père et une très bonne amie, elle était accompagnée de sa jolie petite fille. Son mari était toujours occupé, elle se sentait seule, elle avait besoin de parler, de se confier, de se changer les idées, alors comme on avait prévu avec ton père de faire ce tout premier voyage à Paris avec notre fils…

- Cette très bonne amie, elle ne s'appellerait pas Catherine Parker ?

- Tu t'en souviens ?

- Non, je le regrette. Ce souvenir remonte beaucoup trop loin.

- Mais tu te souviens d'elle ?

- Très peu. En revanche, je connais très bien sa fille. Depuis quand remonte cette amitié ?

- C'est une très longue histoire, Jarod. Notre amitié remonte quelques mois avant que toi et sa fille ne veniez au monde.

- Tu dis que votre amitié remonte avant ma naissance ? Ça me fait drôle de penser que je connaissais déjà Mlle Parker depuis tout bébé. Si elle savait ça ! Je ne m'en rappelle pas. Je ne me rappelle pas de cette époque.

- Tiens, regarde, c'est une photo dont je ne me sépare jamais. Tu vois, là il y a ton père, et toi, tu étais là dans mes bras. À cette époque, tu avais un an. Et sur cette photo-là, on était ici, dans ce même parc, tu venais d'avoir deux ans. Tu reconnais ces personnes ?

- Oui, et là je suppose que dans les bras de Catherine s'était Mlle Parker ? C'est insensé ! Je ne m'en souviens pas.

- Non, ce n'est pas aussi insensé que ça. Notre rencontre s'était faite dans des conditions un peu particulières, et entre nous, l'amitié est née rapidement. Par conséquent, il était tout à fait naturel que toi, Jarod, mon fils et sa fille puissiez être, un jour, amis à votre tour. Dis-moi, est-ce que c'est le cas ?

- Mlle Parker et moi, nous sommes amis. On va dire que parfois, notre amitié est mise à rude épreuve, mais je fais tout ce que je peux pour la préserver.

- Parle-moi de toi, Jarod. Je veux savoir qui est mon fils et ce qu'il est devenu pendant toutes ces années. »

Alors qu'il lui parla de son enfance, au Centre, elle l'écoutait avec une attention si singulière, lui raconter les nombreuses simulations, des reconstitutions de situations réelles auxquelles il avait été soumis pendant plus de trente ans. Celles-ci où il devait reproduire le schéma mental de personnes ayant pris part à ces événements. Puis il évoqua son évasion et l'utilisation néfaste de ses simulations, à la suite de quoi il s'était reconverti en justicier voulant réparer les torts et parallèlement, il recherchait la vérité sur ses origines et sa famille, tout en découvrant les plaisirs de la vie dont il avait été si souvent privé. Les bonbons, les crèmes glacées, les jouets et les livres et bien sûr les sentiments et l'amour. En l'entendant parler, elle regrettait tellement toutes ces années passées sans lui, sans Kyle, sans son mari et sa fille, Emily qui ne lui avait plus donné signe de vie. Elle avait raté tellement de moments précieux dans la vie de ses enfants, des moments qu'elle ne pourrait jamais remplacer. Elle se sentait si coupable de la séparation de leur famille, il la rassura. Non, ce n'était pas de sa faute. C'était le Centre ! Maintenant, c'était à son tour de raconter son histoire, leur histoire. Il voulait tout savoir. Où se cachait-elle ? Comment faisait-elle pour survivre ? Comment réussissait-elle à échapper au Centre ? Que faisait-elle sur l'île de Carthis ? Qu'avait-elle découvert à son sujet ? D'où venait-il ? Qui était-il réellement ? Il y avait beaucoup trop de questions, elle lui promit d'y répondre, mais pas tout de suite. Pour l'heure, elle voulait profiter de son garçon. Margaret lui demanda s'il avait pu retrouver son père.

« Je l'ai retrouvé, oui, ainsi qu'Emily. Ils vont bien. Ils sont en sûreté. Ne t'inquiète pas.

- C'est vrai ? Ça fait si longtemps que je n'ai plus eu de contact avec ton père, je me demandais s'il était encore en vie ou si… Elle s'arrêta, se mettant à pleurer, Jarod lui sécha ses larmes.

- Ils vont bien tous les deux. Je suis désolé que tu aies dû subir de telles épreuves alors que tu te trouvais toute seule. Mais maintenant, c'est fini, je suis là et je vais te ramener à la maison, auprès des tiens ! Attends ! Prends ça, au cas où il m'arriverait quelque chose, c'est l'adresse où se trouve papa et Emily. Tu seras en sécurité là-bas.

Il lui tendit une carte où était inscrite une adresse, celle où son père et sa sœur se cachaient désormais depuis des mois.

- Pourquoi penses-tu être en danger ?

- Je suis constamment en danger, mais j'arrive à me débrouiller et je ne m'en sors pas trop mal. Enfin en-tout-cas jusqu'ici.

- Oui, tu as toujours été très intelligent…

- Maman, j'ai une question à te poser.

- Maman ? Jarod, sais-tu combien d'années, j'ai attendu pour entendre à nouveau ce mot-là ? Je croyais que ça n'arriverait plus jamais. Il faut croire que je me suis trompée.

- Il faut croire oui. Il y a quelques mois, j'ai suivi ta trace sur l'île de Carthis, et je sais que tu y étais puisque je t'y ai vu.

- J'y étais oui, mais Jarod, si j'avais su que tu t'y trouvais également, je n'aurais jamais quitté cette île… Je ne serais pas partie sans toi. Tu le sais, n'est-ce pas ?

- Je le sais bien, mais maman, pourquoi as-tu pris la fuite quand tu t'es retrouvée face à Mlle Parker ?

- J'ai été surprise.

- De sa ressemblance avec sa mère ?

- Il n'y a pas que ça, j'étais seule, blessée, je ne savais plus à qui faire confiance, et c'est vrai. Tout à coup, quand je l'ai vu, j'ai cru voir Catherine. Mon Dieu, elle ressemble tellement à sa mère. Ça m'a vraiment troublée que quand je me suis retrouvée en face d'elle, j'en ai oublié tout le reste. Je suis partie. Et je n'imaginais pas une seule minute que toi aussi, tu serais là-bas, sur cette île.

- Tu sais, elle ne t'aurait jamais fait de mal !

- Jarod, je sais que c'est ton amie, mais elle travaille pour le Centre. Elle est le Centre !

- Oui, mais elle est différente des autres, elle n'a pas mauvais fond, ça se voit dans ses yeux. Et qu'est-ce que ça veut dire "elle est le Centre ?" Qu'est-ce que tu sais à son sujet ?

- Tu comprendras, le moment venu. Mais quoiqu'il en soit, soit toujours très prudent, et elle aussi ! Alors comme ça, mon fils s'est épris d'une jolie jeune femme.

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Jarod, j'ai manqué beaucoup d'années de ta vie, mais je sais reconnaître quand l'amour est là. Toi, mon fils, tu es amoureux ! »

En entendant le mot fatidique, le caméléon faillit s'étrangler. Il sourcilla. Elle remarqua son petit sourire en coin, Jarod, les joues et les oreilles cramoisies, ne savait plus où se mettre. Comment pouvait-elle savoir ce qu'il pouvait ressentir et pour qui ? Alors c'était vrai ? Les mères savaient tout… Ou presque ! Elle lui prit le bras et tout en marchant, elle lui demanda s'il y avait quelque chose entre lui et Mlle Parker. Le jeune homme, d'abord gêné à lui parler de sa relation avec la Miss, tenta d'esquiver le sujet, puis s'expliqua sur celle-ci.

« On préfère aller doucement. On ne veut rien précipiter. En fait, pour tout te dire, pour l'instant, tout est incertain. C'est assez étrange de parler avec ma mère de la relation que j'entretiens avec la fille de son amie.

- Pourquoi tu rougis ? Tu ne devrais pas te sentir embarrassé, bien au contraire. Pendant toutes ces années où tu étais loin de moi, je me demandais comment tu étais, ce que tu faisais, avec qui tu étais, ce que tu devenais, alors si aujourd'hui, tu veux me parler du temps, de toi ou encore de ta relation avec cette jeune femme, je t'écouterai aussi longtemps qu'il le faudra, parce que Jarod, tu es mon fils et que je t'aime.

- Moi aussi, je t'aime, maman.

- Alors, parle-moi d'elle. Comment est-elle ?

- D'accord, si tu insistes. Elle est belle. Très belle. C'est une femme merveilleuse et un peu compliqué. Au premier abord, elle peut paraître froide, méprisante, dure, imprévisible, mais en réalité, c'est une personne très gentille, douce, sensible, attachante et passionnée. Elle est torturée, et ce, depuis la disparition brutale de sa mère. Ça l'obsède. Elle a du mal à tourner la page. J'essaye d'être là pour elle, autant que possible, de la rassurer et de lui montrer que je tiens sincèrement à elle. Quoique je fasse ou quoique je dise, j'ai l'impression que ce n'est jamais suffisant. Avant de venir à Paris, je voulais qu'elle sache que je l'aimais, mais elle refuse de l'entendre.

- Tu sais Jarod, il existe mille et une façon de dire "je t'aime" sans le prononcer ! Chaque couple, chaque personne se déclare à sa manière et à son rythme. Tu peux aussi bien manifester tes sentiments par des gestes ou des attentions. Et je suis sûre qu'elle te dévoilera ses sentiments, le moment où tu t'y attendras le moins. Je me souviens de la première fois où ton père m'a dit qu'il m'aimait. Il l'avait fait sa déclaration sur des post-it dispersés un peu partout dans la maison. Sur chacun des bouts de papiers étaient inscrits une lettre de différents mots, amour, amoureux, je t'aime. C'était si romantique. Je sais que tu finiras par trouver le moyen de le lui dire.

- Je ne sais pas si un jour, elle sera prête à l'entendre ou encore à le dire, murmura-t-il en se frottant les yeux, il bâillait, la fatigue le gagnait.

- Est-ce que tu vas bien, Jarod ?

- Je suis un peu fatigué, ça doit-être le décalage horaire. Je suis arrivé tardivement, hier soir à Paris, et le temps de trouver un endroit convenable pour passer la nuit… »

Elle lui suggéra de rentrer à l'hôtel pour se détendre, mais il refusa. Il se reposerait plus tard. Elle se tenait à ses côtés, sa tête sur l'épaule du caméléon et pendant près d'une bonne heure, Jarod et Margaret parlaient de tout et de rien, laissant de côté les sujets sensibles. Soudain, il l'invita au restaurant. Son estomac gargouilla et s'il ne se restaurait pas dans les quinze minutes qui suivirent, il ne pourrait plus faire un pas l'un devant l'autre. Elle était d'accord.

« Il y a un très bon restaurant ici, à deux pas du parc. Allons-y ! suggéra Margaret.

- Eh bien, allons-y. Je te suis.

- Tu sais, Jarod, je serais heureuse si un jour, tu me la présentais.

- Tu veux la rencontrer ?

- J'aimerai. Je crois qu'il est important que je puisse la voir, que je puisse lui parler. J'ai également quelque chose à lui remettre. »

Restaurant Le Camondo, Paris, France

Situé au 8ème et 17ème arrondissements, le restaurant Le Camondo était un bâtiment qui avait été construit en 1911, il s'était installé dans l'enceinte du musée éponyme attenant au Parc Monceau. Jarod n'avait jamais vu jusqu'à là un lieu aussi élégant, et pourtant, il en avait vu des restaurants, des bars, des hôtels de luxe, mais cet endroit tout aussi moderne que chaleureux à l'ambiance feutrée était un restaurant magnifique qui avait vraiment beaucoup de charme. Tous les deux, installés à la grande terrasse pavée, à la manière d'un jardin d'hiver, Jarod passa commande. Margaret était si bouleversée, c'était la première fois depuis très longtemps qu'elle ne s'était pas sentie aussi heureuse. Mais comme Jarod, elle restait sur le qui-vive. Toujours en alerte. Cependant, elle préféra ne pas trop y penser, car aujourd'hui, elle déjeunait avec son fils. Le repas se passa dans une bonne ambiance malgré la gêne qu'avait occasionnée leur longue séparation, il leur faudra du temps pour retrouver une certaine complicité mère-fils, mais Jarod était confiant. Il savait que tous les deux finiraient par y arriver…

Le parc Monceau, 35 Bd de Courcelles 75008 Paris, France

Alors qu'ils reprenaient tranquillement le chemin du parc, Jarod demanda à Margaret de lui parler de lui. Il avait besoin de savoir qui il était réellement, et même si parfois, il n'en était plus très sûr de vouloir découvrir la vérité, il lui était impossible pour lui d'attendre davantage. Il devait connaître les réponses à ces questions, celles pour lesquelles toutes les personnes concernées avaient fait le sacrifice de leur vie, et tout particulièrement Catherine Parker. Elle devait bien ça à son amie.

« Catherine…

- Oui, Catherine, ton amie. Sais-tu si elle est toujours en vie ? Sais-tu si elle se cache quelque part ? Mlle Parker à le droit de connaître la vérité. C'est sa mère !

- Tu as raison, elle a le droit de savoir. Elle a le droit de savoir ce qui est arrivé à sa mère.

- Tu as dit que tu avais quelque chose à lui remettre. Qu'est-ce que c'est… ? Oh non, non, non, pas ça !

- Qu'est-ce qu'il se passe, Jarod ? »

Soudain, le caméléon cru reconnaître une personne qu'il préférait ne pas avoir vue. Il ferma lentement ses yeux, pour les rouvrir par la suite. Il aperçut au loin des nettoyeurs, sûrement sous les ordres de Lyle. Son rythme cardiaque s'accélérait. Il entraîna sa mère, s'éloignant le plus rapidement possible de leur champ de vision. Il ne savait pas vraiment où ils se dirigeaient, mais il sut, à ce moment-là, qu'il leur restait très peu de temps avant qu'ils ne soient repérés. Il fallait qu'ils se mettent à l'abri. Margaret lus dans le regard de son fils l'inquiétude et la panique qu'il l'animait. Malheureusement, c'était bien trop tard, une voiture noire venait de se garer sur l'emplacement réservé aux bus. Lyle descendit de la voiture, repoussant la portière agressivement. Il n'avait pas lésiné sur le nombre d'équipes, il y avait une fourmilière de nettoyeurs, prêt à suivre ses instructions. Ses méthodes, pour capturer le caméléon s'étaient toujours soldées par des échecs, pire encore, ça se retournait toujours contre lui.

« Pas cette fois-ci, la traque du caméléon devait s'arrêter aujourd'hui. C'était une certitude. » Alors que les Nettoyeur, eux, contrôlaient leurs oreillettes, l'homme sans pouce, lui réajuster son gant, avant de vérifier scrupuleusement le chargeur de son arme, il hurla sans ménagement ses ordres à ses équipes.

« Vous, vous prenez à gauche et vous, vous prenez à droite. Les autres avec moi ! Et si notre prodige tente de s'échapper, vous avez ordre de tirer ! »

Tandis qu'il surveillait les alentours, les hommes au costume sombre, eux traversaient la rue pour atteindre le parc. Il y avait beaucoup trop de monde autour d'eux. Jarod et sa mère avaient dû probablement se fondre dans la masse. Alors que Jarod et Margaret accéléraient leurs pas, coupant à travers champs, se faufilant au milieu d'inconnus, elle s'arrêta brusquement, elle ne pouvait plus courir. Elle avait du mal à reprendre son souffle.

« Jarod... On aura plus de chance si on se sépare maintenant.

- Non. Tu restes avec moi. Viens !

- Jarod. Je commence à être fatiguée, tu sais, je n'ai plus vingt ans. Et je risquerais de te ralentir. Pars, sauve-toi !

- Mais si je m'en vais, maintenant et que je te laisse seule, que vas-tu faire ? Comment comptes-tu échapper au Centre ? Quand est-ce que je te reverrai ? Est-ce que je te reverrai ?

- Écoute-moi, on a très peu de temps. Moi, je ne crains rien, je vais me mêler à la foule. Ils ne me retrouveront pas, sans compter qu'ils ne peuvent pas se servir de leurs armes en pleine rue, au beau milieu de tous ces gens, ça créerait la panique.

- Je ne crois pas que ça les arrêterait.

- Jarod, ce n'est pas moi qui veulent, mais toi, alors tu dois t'en aller. Mais oui, je te le promets, on se reverra très bientôt. Ethan, te tiendra au courant. Dis seulement à Mlle Parker que je veux la voir. J'y tiens. Elle comprendra, j'en suis sûre. Maintenant, va-t-en vite, quitte ce parc, et n'oublie jamais que je t'aime et que je suis très fière de toi.

- Je t'aime maman. Fais bien attention à toi. » il la serra dans ses bras, elle le laissa sans aller.

Sans plus attendre, Jarod se mit à fuir. Encore haletant et sans ralentir, il courait aussi loin et aussi vite que ses jambes pouvaient le lui permettre même si celles-ci manquaient de céder à chacun de ses pas. Il essaya de se frayer un chemin à travers la foule. L'étau se resserra dangereusement. Chaque mètre que Jarod parcourait intensifiait sa rage et sa colère. Et plus il s'enfonçait dans les rues sombres, et plus les pas devenaient plus rapprochés, plus rapides. Tandis qu'un des hommes de main de Lyle avait localisé le caméléon, ce dernier toujours poursuivi s'engagea dans le dédale de rues, bloqué, il n'y avait plus aucune issue. Derrière lui des hurlements le sommant de ne pas bouger résonnaient comme un coup de feu. Jarod tourna la tête en direction du bruit, il se retrouva face à Lyle suivis par deux nettoyeurs. L'homme au pouce coupé, jubilait de sa victoire. Enfin, il avait attrapé le caméléon-humain, celui-ci allait rentrer au bercail. À distance, l'un de l'autre, Jarod observa son ennemi, se sentant pris au piège et perdant le contrôle de la situation, il essaya rapidement de trouver une solution, mais Lyle tendit son bras brandissant son arme vers lui. Il était hors de question pour le prodige de s'enfuir à nouveau.

« La chasse au caméléon est terminée. Il est temps de rentrer à la maison, Jarod ! cria Lyle fièrement.

- Non, il va falloir que tu tires sur moi, Lyle, parce que je n'ai aucunement l'intention de retourner là-bas.

- Mais nous te voulons en vie, Jarod. Enfin, c'est le Triumvirat qui te veut en vie. En ce qui me concerne, ta mort serait une véritable consolation pour moi. Une sorte de petite revanche bien méritée, si tu vois ce que je veux dire. »

Alors que les deux nettoyeurs, restés en retrait, le tenant en joue, Lyle se dirigea vers Jarod et l'asséna d'un coup-de-poing, le faisant basculer en arrière, sa tête heurta le sol. À terre, il encaissa les coups sans même réagir. Les deux hommes baissèrent leurs armes. Un sifflement se fit entendre et contre toute attente, le caméléon se releva avec difficulté. Tout à coup, Jarod se jeta à toute vitesse sur l'un des deux hommes. Et sans comprendre ce qu'il lui arrivait, celui-ci fût projeté quelques mètres plus loin, ce dernier s'écroula sous le poids et la force du caméléon. Jarod en profita pour le désarmer. Il attrapa le second nettoyeur par le cou, le plaqua brutalement contre le mur, resserrant ses mains pour l'étrangler, puis le voyant qui ne montrait plus aucune résistance, il le lâcha, le corps glissa le long du mur pour tomber au sol. La rapidité à laquelle le caméléon avait réagi avait laissé Lyle presque admiratif. Mais pour lui, ça ne changeait rien, la rue était encerclée par plusieurs nettoyeurs. C'en était fini pour le caméléon. Jarod paniquait. Et d'un geste précis et assuré, Lyle jeta son arme.

« Je vais te faire une faveur, où plutôt une proposition que tu ne pourras pas refuser. Je te propose un combat à mains nues. Si tu me mets K.O, je te laisse t'en aller, en revanche si je te mets à terre, tu rentreras bien sagement au bercail. Qu'en dis-tu, mon ami ?

- Ce que j'en dis ? C'est que tu es vraiment cinglé. Et je ne suis pas ton ami !

- Tu as le choix, tu peux soit refuser mon offre soit l'accepter, à toi de voir.

- Tu es pathétique, Lyle.

- Soit. Mon offre expire dans une minute, après quoi, tu rentres avec moi ! Tic-tac, les secondes tournent.

- Ta proposition ne m'intéresse pas, Lyle. Si tu ne me tues pas, sache que même si tu me ramenais au Centre, j'en sortirais de la même façon que les fois précédentes.

- Pourquoi devrais-je te tuer, Jarod ? Je ne ferai jamais ça à ma chère sœur. Pense à Parker, tu ne voudrais pas la voir aussi malheureuse et pleurer ta perte ? N'a-t-elle pas assez souffert ?

- Pourquoi me parles-tu d'elle ?

- Depuis son retour de Carthis, elle est différente. La traque du caméléon ne l'intéresse visiblement plus. Ma sœur a trouvé d'autres centres d'intérêt. Elle semble être, comment dire ? Amoureuse !

- Amoureuse ?

- Oui, Jarod. Elle est amoureuse. Qui aurait cru qu'elle puisse retrouver l'amour après ce qui était arrivé à son jeune charpentier. Ne te méprends pas, je suis ravi pour elle, quoiqu'elle pourrait choisir un peu mieux ses amants. Oh, la minute s'est écoulée. Jette ton arme ! On rentre à la maison ! »

Devant son refus d'obtempérer, Lyle sortit rapidement une autre arme de la poche intérieure de sa veste. Face-à-face et sans lâcher le caméléon du regard, il prit soin de le viser correctement. Il savait que Jarod n'aurait jamais le cran de tirer. Il voulait le voir se débattre ou encore le supplier de lui laisser la vie sauve, Jarod n'en fit rien, ce qui avait pour effet d'énerver l'homme sans pouce.

« À genoux, tout de suite ! » s'écria-t-il. Jarod, toujours le revolver à la main, n'avait pas d'autre choix que d'obéir au ordre de ce grand malade. Mais alors que ce dernier allait appuyer sur la détente, il s'écroula. Jarod, d'abord sans réaction, fut ensuite surpris de trouver un Broots juste là, devant lui, une barre de fer à la main. La respiration saccadée, il s'avança vers l'homme, malgré la gravité de ses blessures.

« J'espère que je ne l'ai pas tué.

- Non, ne vous inquiétez pas, il va juste faire une longue sieste, rassura Jarod en prenant le pouls de Lyle.

- Tant mieux, je vais déjà avoir du mal à expliquer ce qu'il vient d'arriver, alors sa mort….

- Que faites-vous à Paris ?

- Mlle Parker étant à Londres et Sydney en pleine expérience, Lyle avait besoin de… À vrai dire peu importe. Mais vous êtes blessé ? Il ne vous a pas raté !

- Il m'en faut plus que ça, Broots. Pourquoi m'avoir sauvé la vie ? Vous auriez pu en profiter. De retour au Centre, on vous aurait accueilli les bras ouverts.

- Et bien disons que maintenant, on est quitte.

- Que voulez-vous dire ?

- Il y a environ deux ans, dans cette église, vous souvenez-vous ? Vous m'aviez sauvé la vie, face à Damon. J'attendais le bon moment pour vous rendre l'appareil. C'est fait.

- Je ne sais pas quoi dire.

- Avez-vous retrouvé votre mère ?

- Oui. Mais on a dû se séparer, à nouveau.

- Vous la reverrai, j'en suis sûr. Vous devriez partir avant qu'il ne se réveille. Passé par là, de ce côté-ci d'autres nettoyeurs ne vont pas tarder. Ils sont toujours à vos trousses.

- Merci Broots. J'espère que vous ne m'en voudrez pas trop, mais si je le fais, c'est dans le seul but de vous éviter les ennuis.

- Vous en vouloir, pourquoi ?

- Pour ça ! »

Jarod se retourna, se plaçant derrière l'informaticien, et d'un coup sec, il l'assomma avec le cross de l'arme. Broots tomba au côté de l'homme sans pouce. Jarod se pencha sur le corps inconscient de Lyle, ramassa son arme, récupérant également ses clés de voiture, il en aurait sûrement besoin. Le sourire largement étiré sur son visage, le caméléon s'en alla, après s'être retourné, jetant un coup d'œil en direction de Broots.

«Je suis désolé. Merci, mon ami. »