Chapitre 30 : Où te caches-tu ? 1/3

Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991

Mlle Parker arriva chez elle en pleine après-midi. Le temps était bien maussade dans cette partie de la ville, tout comme la jeune femme qui depuis son départ de New-York avait le cœur en miettes. Le ciel était gris et lourd, chargé de nuages sombres qui semblaient prêts à éclater à tout moment. Le vent soufflait fort, faisant trembler les arbres agitant les branches avec violence. Des gouttes de pluie tombaient, grosses et froides, tapant sur les toits des maisons avec un bruit assourdissant. Les rues étaient désertes, seules quelques personnes pressées marchaient rapidement, les épaules rentrées et les mains dans les poches, cherchant à éviter les flaques d'eau qui commençaient à se former. La jeune femme frissonnait, le froid la gagnait. Les bras du caméléon lui manquaient, cherchant en vain la chaleur de Jarod. Son absence la pesait, tout comme la fin du week-end qui sonnait le retour à la réalité. Elle s'effondra sur le canapé, désemparée, se retrouvant dans une maison vide, seule. Dans le taxi qui l'avait ramené jusqu'à sa maison, elle avait laissé des messages urgents à Sydney et Broots, les implorant tous les deux de venir dès que possible. Il était temps d'agir et de faire avancer les choses. Elle inspira profondément. Elle serra un coussin contre elle, souriant en pensant aux moments qu'ils avaient partagés. Les yeux fermés, la jeune femme avait des flashbacks de sa première nuit d'amour avec Jarod. Elle sentait encore son odeur sur elle. Ses doigts qui chatouillaient chaque petite partie d'elle, ses baisers sucrés qui enflammaient ses lèvres. Elle tressaillit lorsque le bruit de la sonnette avait retenti, la faisant sortir de ses pensées. Elle se leva d'un bond, se dirigeant vers la porte pour accueillir ses invités.

« Bonjour Parker, salua Sydney.

- Bonjour Sydney. Entrez ! On a des choses à se dire tous les trois. Je crois qu'il est d'usage qu'on se parle.

- Bonjour à vous aussi, répondit Broots.

- Arrêtez de vous plaindre. On n'a pas le temps pour ça. J'ai cru comprendre que vous aviez du nouveau pour notre affaire ? Je vous écoute. Je veux savoir tout ce que vous savez.

- Eh bien, voilà, j'ai découvert où le Centre s'était fait livrer leurs marchandises, enfin si on peut appeler ça comme ça.

- Et où est-ce ?

- En Virginie, bien sûr ! Je vous parle de l'entrepôt qui se situe là-bas.

- L'entrepôt de Virginie ? Mais il a été ravagé par un incendie, il y a un peu plus de deux ans. Il n'y a plus rien là-bas. Tout est vide. Au dernière nouvelle, ce n'était qu'un tas de ruines. Avez-vous envoyé une équipe de Nettoyeurs sur place ?

- Ils sont rentrés bredouille. Il n'y avait rien.

- Alors encore une fois, vous avez échoué, Broots, c'est ça ? En fait, vous n'avez rien !

- Pas exactement Mlle Parker, vous n'avez pas tout à fait tort concernant l'entrepôt, c'est vrai qu'il a subi quelques dommages, mais voyez-vous l'adresse, elle est toujours valide. Et tant qu'elle est valide, rien n'empêche le Centre de l'utiliser comme bon lui semble.

- Et en quoi Monsieur l'expert, cela pourrait-il nous aider à retrouver le petit ?

- Attendez Parker, vous allez être surprise de ce que notre ami Broots à découvert, était intervenu le psychiatre.

- Merci Sydney. Après avoir passé toute une nuit à réfléchir sur la situation, oui, vous savez, ces derniers jours, j'ai très peu dormi. Oh, je ne m'en plains pas, mais j'ai…

- Broots, je vous suis alors ne perdez pas le fil.

- Oui bien sûr, pour faire court. J'ai localisé les annexes du Centre dans un rayon de 500 km. Des annexes assez isolées. Comme par exemple dans un coin de campagne, mais relativement proche du Delaware, du Centre.

- Comme Donoterase ?

- Entre autres. Et c'est là que l'entrepôt entre en ligne de compte. Vous voyez cette grande maison, elle est tout près, il lui montra la photo d'une charmante demeure.

- Tout près de l'entrepôt ?

- Hmmm. C'est assez malin, n'est-ce pas ?

- Allons-y ! Il n'y a pas une minute à perdre !

- Vous êtes consciente que ce n'est pas sans danger ? Ce ne sera pas facile de le récupérer.

- Je sais, Sydney, en tout cas merci à vous deux de vous être autant donné du mal, mais vous avez raison, ce n'est pas sans danger. Peut-être mieux vaut-il pour vous que vous restiez là.

- Vous voulez y aller toute seule ? Vous n'y pensez pas !

- Je suis une grande fille, Broots !

- Je vous accompagne. Et vous ?

- Vous aurez besoin de moi, déclara Broots.

- Alors, en route pour la Virginie !

- Parker, attendez !

- Quoi ?

- Il serait plus prudent de réfléchir à la stratégie que nous allons adopter. »

Maison Bellcrest, Avon, Ohio 36772

Dans la ville d'Avon située dans le comté de Lorain, dans l'État de l'Ohio, se trouvait une fabuleuse maison individuelle de type coloniale idéalement conçue pour une grande famille. Elle était agrémentée d'un immense espace vert et d'un grand patio. Jarod était arrivé en fin de journée. Le voyage avait été long et épuisant, il n'avait pas réussi à fermer l'œil dans l'avion. Ses pensées s'éparpillaient. Il avait du mal à rester concentré. Alors qu'il prit la petite allée qui le menait jusqu'à la grande maisonnée, Ethan vint à sa rencontre. « Comment ça va, grand frère ? Tu as des histoires à raconter ? » Le caméléon le prit dans ses bras. Souriant et heureux de voir son frère toujours aussi espiègle et spontané. Jarod était étonné de le trouver ici. Tout compte fait, il n'était pas si étonné que ça. Il lui demanda s'il avait du nouveau concernant sa mère. « Non ! » avait-il affirmé avec un secouement de tête. C'était un non catégorique. Il n'avait eu aucune nouvelle de Margaret, mais cela ne voulait pas dire qui lui était arrivé quelque chose ou qu'elle était en danger. Et pour le moment, il ne pouvait rien faire à part attendre. Attendre un signe de sa part. Il le savait bien. Jarod avait enfin franchi le seuil de la maison, son sac sur les épaules, sa mallette à la main, le cœur en émoi. Tout le monde était présent. Tout le monde sauf Margaret. Dès qu'il entra dans la pièce, il aperçut son clone dans la salle de séjour, assis sur un fauteuil dans un coin, feuilletant un livre. Le caméléon s'approcha et s'agenouilla devant lui, le regard fuyant.

« Bonjour. Comment ça va ?

- Bien. Je suis ravi de te savoir ici. Ça faisait longtemps.

- Oui, ça faisait longtemps. Je regrette de ne pas être venu avant.

- Tu es là, maintenant. N'en parlons plus.

- Jarod ! Papa, Jarod est revenu !

- Ah ça, c'est Emily, il entendit les cris de joie de sa sœur, qui courut vers lui pour l'enlacer.

- Je suis tellement contente que tu sois rentré, Jarod ! Tu m'as manqué ! s'écria-t-elle.

- Jarod, enfin, te voilà de retour, mon fils. Je suis heureux de te revoir, son père arriva et lui donna une accolade.

- Moi aussi papa. Bonjour tout le monde.

- Ethan nous a dit que tu avais retrouvé ta mère. Comment va-t-elle ? avait demandé Charles.

- Elle avait l'air d'aller bien quand nous nous sommes vus.

- C'est plutôt une bonne nouvelle. Ça me rassure. Mais comment le Centre a-t-il pu savoir où tu te trouvais ?

- Non, papa. Je n'ai aucune envie de parler du Centre maintenant.

- Comme tu veux. Jarod, mon garçon, tu as l'air à bout. Est-ce que tu vas bien ? s'inquiéta le major.

- Je vais bien, papa. J'ai eu beaucoup de travail ces derniers mois. Ethan, j'ai besoin de toi pour retrouver ma mère.

- Je sais, Jarod. Comme je te l'ai dit tout à l'heure pour l'instant, je ne peux rien faire. Il faut attendre qu'elle me contacte.

- Ce qu'il faudrait savoir, c'est si elle a réussi à quitter l'Europe saine et sauve. Et si elle est revenue aux Etats-Unis. À partir de là, ce sera beaucoup plus facile de la retrouver, était intervenu Charles.

- En-tout-cas, moi, je peux vous dire que je n'ai pas chômé. J'ai demandé de l'aide à certains de mes amis journalistes, peut-être qu'ils découvriront une information à son sujet. J'ai également fait appel à un détective privé pour retrouver sa trace. Comme a dit papa, si elle est rentrée aux États-Unis, on le saura assez rapidement. On peut aussi toujours faire appel à la police, ajouta Emily.

- Non, surtout pas la police. Ce serait trop risqué. Emily, tu ne devrais pas faire autant d'effort. Tu es toujours en convalescence. Ménage-toi.

- Je me sens mieux, Jarod. Et je ne supporte pas de rester allongée dans mon lit toute la journée. J'ai besoin de bouger !

- Je suis d'accord avec Jarod. Nous ne devons pas impliquer la police. Si Margaret est en danger, elle pourrait l'être davantage si nous faisons ça.

- Je ne peux pas rester ici sans rien faire. Il faut trouver une autre solution.

- Il est compréhensible que tu veuilles agir, Jarod, mais pour l'instant, il faut être patient. Nous avons déjà mis en place des mesures pour la localiser. Nous devons maintenant attendre et voir si quelque chose se présente.

- Je suppose, oui. J'ai l'impression d'être si impuissant que ça me rend fou.

- Il y a un autre moyen pour retrouver Margaret, mais attention Jarod, ça risque de ne pas te plaire. » avait prévenu Ethan.

Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991

Broots et Sydney, assis dans le salon, discutaient de la façon dont il fallait s'y prendre pour pénétrer dans la maison et ainsi récupérer l'enfant. Il était clair qu'il leur fallait un plan. Mais lequel ? Broots et Sydney échangèrent un regard déterminé. Ils savaient tous deux que récupérer l'enfant était leur priorité absolue, mais la sécurité de tout le monde, y compris celle du petit garçon, était primordiale. Il était donc nécessaire de se montrer prudent et d'agir avec tact. Mlle Parker s'était retirée dans la cuisine pour préparer du café. Elle avait besoin de calme pour réfléchir. Elle avait du mal à rassembler ses idées. Elle était revenue quelques minutes plus tard, un plateau dans les mains, sur lequel était posé trois tasses à café. Elle prit place sur un fauteuil, silencieuse. Broots voulu lui exprimer son soutien, mais se ravisa et sur un ton peu enthousiaste, il demanda :

« Comment allons-nous faire pour arracher ce petit des griffes de Raines ? Avez-vous une idée de la manière de procéder, Mlle Parker ?

- Non, je n'y ai pas encore réfléchi.

- Il y a une porte de garage à l'arrière de la maison, nous pourrions peut-être essayer de la forcer, proposa Broots.

- Non, je pense que cela pourrait alerter les nettoyeurs et les gardes de sécurité, répondit Sydney en secouant la tête. Nous devons trouver une autre solution. Il doit y avoir un autre moyen d'y entrer.

- Parfois, il n'est pas nécessaire de se poser trop de questions. Et avec Raines et Lyle, la réflexion n'est plus d'actualité. Il faut agir vite.

- Et qui vous a soufflé cette idée ? Jarod ?

- Pardon ?

- Ce que je dis, c'est que d'habitude, vous savez comment agir… Instinctivement.

- Si vous avez quelque chose à me dire, je vous en prie, Broots, dites-le !

- Si je peux me montrer honnête avec vous, je trouve que depuis votre retour de Carthis, vous avez changé. Vous n'êtes plus la même.

- Que voulez-vous dire ? Allez-y. Allez au fond de votre pensée !

- D'accord. Vous disparaissez pendant plusieurs jours sans dire où vous allez. Tenez comme ces derniers temps. Votre téléphone portable est toujours coupé. Vous restez injoignable. Votre comportement à changer également. Vous êtes moins triste, certes, et moins en colère, mais malgré tout, on dirait que vous êtes blasé de tout. Ce que je veux dire par là, c'est que vous n'êtes plus intéressé par ce qu'il se passe au Centre. Depuis la disparition de Monsieur Parker, vous êtes moins absorbé par les problèmes. Un incendie pourrait se déclarer au Centre que cela vous serait égal. Et voilà que maintenant vous pactisez avec l'ennemi. Enfin, qu'est-ce qu'il se passe ? Cela ne vous ressemble pas du tout.

- Broots, vous ne savez à propos de moi que ce je veux bien que vous sachiez. Vous ne me connaissez pas.

- C'est ce que je constate.

- Nous devrions plutôt nous concentrer sur le petit, suggéra le psychiatre.

- Attendez, Sydney. Si vous avez une question à me poser, Broots. Faites-le qu'on en finisse !

- D'accord. Hum… Que se passe-t-il entre vous et Jarod ? »

Maison Bellcrest, Avon, Ohio 36772

Ethan, les mains dans ses poches, se tenait debout, le dos bien droit, la tête bien haute, les yeux rivés sur l'une des fenêtres de la grande pièce principale. Une idée germa dans son esprit, seulement, il savait que cela impliquait des risques considérables. Jarod s'approcha de lui et posa sa main sur son avant-bras le faisant pivoter afin de l'obliger à lui faire face.

« À quoi penses-tu petit frère ?

- Il y a une personne qui pourrait nous aider.

- Non, non, non. Tu oublies ça tout de suite.

- Jarod, laisse-le parler. Vas-y Ethan, on t'écoute. À qui tu penses ? se mêla le Major Charles.

- Je pense à Mlle Parker. Elle pourrait nous aider. Je suis sûre qu'elle le ferait si on le lui demandait.

- Non ! On ne lui demandera rien ! hurla Jarod. Tu as bien compris Ethan ? On ne lui demandera rien. Alors oublie !

- Pourquoi pas Jarod ? C'est le Centre qui a séparé notre famille. C'est à eux de nous la rendre ! Surenchérit Emily. Demande-lui son aide. Appelle-la ! Elle lui tendit le téléphone.

- Non, il ne le fera pas ! s'exclama une personne qui jusqu'ici n'avait quasi prononcé aucune parole.

Tout le monde s'était retourné vers la voix à l'exception de Jarod. C'était le clone du caméléon, plongé dans son livre. Jarod avait du mal à l'affronter, il en détourna ses yeux. C'était comme s'il avait peur de lui. À chaque fois qu'il le regardait, c'était lui-même qu'il voyait. Il était son miroir. La souffrance qu'ils leur avaient été infligée. La peine qu'ils leur avaient été causée. Jusque-là J.C, initiales de Jarod et Clone, était resté à l'écart, il s'était contenté d'écouter. Il était vrai qu'il était tout aussi doué que le vrai Jarod. Le clone semblait ressentir la même douleur, les mêmes émotions vis-à-vis de certaines choses ou de certaines personnes. Ce qui les rapprochait, mais les perturbait également tous les deux, ils étaient mal à l'aise. Ils se regardèrent en silence.

- J'ai raison, n'est-ce-pas ? Tu ne le feras pas.

- Pourquoi est-ce qu'il refuserait de le faire ? Pourquoi Jarod ne l'as-tu pas encore fait ? questionna le père.

- Appelle-la, Jarod ! insista la cadette.

- Non. Je ne l'appellerai pas.

- Non ? Enfin, tu sais qu'il s'agit de maman, là.

- Tu as très bien compris Emily. C'est non !

- Alors tu t'en fiches de maman, c'est ça ?

- Non, ne crois pas ça. Je veux la retrouver tout autant que toi. C'est ce que j'ai fait pendant toutes ces années.

- Vraiment ? J'en doute, Jarod.

- Emily ! gronda le major.

- Non, tu n'as pas le droit de me faire des reproches, avait dit le caméléon, un sanglot dans la voix.

- Jarod, si tu as le pouvoir de retrouver notre mère par l'intermédiaire du Centre, je t'en prie, fais-le. Si c'est la seule solution, fais-le !

- On se débrouillera autrement, mais sans elle, il quitta la maison suivi d'Ethan.

- Qu'est-ce qui lui arrive ? Est-ce que j'ai dit quelque chose de mal ? s'interrogea-t-elle.

- Il est amoureux ! informa J.C.

- Je crois, mes enfants, que malheureusement, c'est beaucoup plus compliqué que ça !

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Ce qu'il veut dire, c'est que Jarod, à un gros problème, et je crois savoir lequel. » ajouta J.C.

Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991

La jeune femme s'était levée de son fauteuil. Elle chercha par tous les moyens d'éluder la question du petit homme chauve. Comment pourrait-il comprendre ? Elle-même ne parvenait pas à comprendre sa relation avec le caméléon. Elle n'arrivait d'ailleurs pas à l'expliquer non plus. Comment le pourrait-elle ? Et était-ce bien le moment d'entamer une conversation à ce sujet ? Elle le croyait, oui. Il avait le droit de savoir. Seulement, elle jugerait de quelle information, et à quel moment, elle les lui transmettrait. Pour l'heure, elle se contenterait de répondre partiellement à ses questions. Il n'avait pas besoin de connaître tous les détails de sa liaison avec le caméléon. Quand elle y pense ! Jamais elle n'aurait imaginé que cela se produirait. Oh et puis après tout ! Elle supplia Sydney de les laisser seuls un instant. Il hocha la tête et quitta la maison.

« Que se passe-t-il entre Jarod et moi ? Voilà une question qui a le mérite d'être audacieuse.

- Je sais que ce ne sont pas mes affaires, mais je suis de votre côté. Vous savez que jamais je ne trahirai votre confiance. Je suis votre ami.

- Vous n'êtes pas stupide Broots et moi non plus. Vous savez exactement ce qui se passe entre Jarod et moi. Vous avez seulement envie de l'entendre.

- Peut-être parce que je n'y crois pas.

- Ou peut-être parce que vous refusez de le croire. J'ai d'ailleurs moi-même du mal à le croire. C'est vrai, depuis mon retour d'Écosse, j'ai beaucoup changé. J'ai pris conscience de mes fautes, de la vérité, de mes sentiments. La mort de mon père a été en quelque sorte comme une révélation pour moi. Ces derniers mois, je n'ai fait que remettre en question les décisions que j'ai prises toutes au long de ces années. Je me suis rendu compte que j'étais en train de passer à côté de quelque chose d'important, ma vie.

- Votre vie ? Qu'est-ce que ça signifie ?

- Que j'ai envie de vivre. Je veux vivre ma vie. Je veux prendre mes propres décisions, je veux faire mes propres choix, je veux profiter de la vie et être avec les personnes que j'apprécie. Toute mon existence n'a été fondée que sur le Centre. Ma famille, mes relations, mon travail. Je ne veux pas me réveiller un matin et réaliser que j'ai tout perdu par loyauté envers le Centre. Je ne sais pas si pour vous, ça a un quelconque sens ce que je vous dis, mais ça en a pour moi. Et ça en a pour Jarod. C'est insensé et absurde, je le sais.

- J'essaye de comprendre ce que vous venez de me dire. Vous êtes en train de dire que vous êtes amoureuse de… De Jarod ?

- Quelle ironie du sort, n'est-ce pas ?

- Comment ça ?

- Pendant plus de cinq ans, je me suis montrée intransigeante envers vous, envers Sydney, vous sommant de rester sur la trace de Jarod. Me démenant comme une malade pour le traquer et le capturer afin de le ramener au Centre. En fin de compte…

- C'est vous qui avez cédé ?

- Oui… Non… Je ne sais pas. C'est plus compliqué que ça.

- Mais vous le détestiez, non ?

- Non. Disons que mes sentiments et mes émotions étaient dictés par la seule motivation de satisfaire uniquement les désirs de mon père.

- Mais comment est-ce que c'est arrivé ? Quand est-ce que c'est arrivé ? Enfin, avec Jarod, alors qu'on est supposé le ramener ?

- Ça n'a pas vraiment d'importance de savoir quand, comment et pourquoi. C'est arrivé. Et je ne le regrette pas un seul instant.

- Et maintenant, Mlle Parker, que va-t-il se passer ? Qu'est-ce que nous sommes censés faire ? Jouer la comédie ? Attendre que les choses se fassent ?

- Je ne sais pas Broots, je n'en sais rien du tout, mais je suis sûre d'une chose, c'est que je n'arrêterais pas de le voir.

- Donc c'est bien une liaison que vous entretenez avec lui. Les choses sont claires au moins… Ah, je ne m'attendais pas à ça. Je pensais me tromper… Avez-vous pensé aux conséquences ?

- Je ne fais que penser aux conséquences, et j'en ai plus qu'assez ! C'est nous qui subissons chaque jour les conséquences, vous, Sydney, Angelo, Jarod, moi. Et il est temps que ça s'arrête !

- Pffff ! Je suppose qu'il va falloir que je fasse quelques heures supplémentaires au Centre.

- Quoi ?

- Eh bien, oui. Vous aurez besoin de mon aide pour vos absences. Vous savez pour brouiller les pistes. »

Sydney frappa à la porte avant d'entrer dans la maison. Le vieil homme avait l'impression d'avoir interrompu quelque chose d'important entre les deux jeunes gens. Mlle Parker soulagée d'un grand poids se mit à sourire. Il était si rare qu'elle ouvre son cœur à Broots, qu'il en fût surpris et reconnaissant de son honnêteté et de son amitié.

« Maintenant, que tout a été mis au clair, il est temps de passer à l'action, déclara-t-elle.

- J'ai quelques affaires à régler au Centre et vous, vous êtes épuisé et avec le décalage horaire…

- Où voulez-vous en venir, Sydney ?

- Vous devriez vous reposer. Prenez une bonne nuit de sommeil. Vous savez, j'ai réfléchi. Il faut planifier notre approche. Nous, nous allons nous concentrer sur les aspects tactiques, tandis que Broots se mettra à chercher des informations sur les plans de la maison. Je suggère de partir demain en fin de journée. L'idéal serait d'être sur place la nuit. Ça nous donnera l'occasion de mieux nous y préparer et ainsi avoir l'avantage de l'effet de surprise.

- Vous m'impressionnez Dr Freud !

- Et pourquoi ne pas passer par la fenêtre de la chambre de l'enfant ? demanda Broots.

- C'est risqué, mais cela devrait fonctionner si nous sommes rapides, annonça Mlle Parker.

- On pourrait faire appel à Jarod, suggéra l'informaticien.

- Non ! Surtout pas ! cria la jeune femme.

- Remarquer Broots n'a pas tort. Les talents de Jarod pourraient nous être utiles.

- Sydney, vous ne pensez pas ce que vous dites ? Vous voulez qu'il se fasse prendre ?

- Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. Disons que ces capacités hors du commun pourraient nous être bénéfiques. Travailler en équipe. Et je suis sûr qu'il ne demande qu'à vous venir en aide…

- Mais cela pourrait le mettre en danger.

- Eh bien, c'est vrai que vous avez changé. Que dirait votre père… Monsieur Parker, s'il était encore là ?

- Ça n'a plus la moindre importance, Broots puisqu'il n'est plus là.

- Alors que faisons-nous ? Voulez-vous que je lui laisse un message sur sa boîte mail ?

- Non ! Je refuse d'exposer sa vie. Si le Centre venait à savoir… Non, Sydney, ce n'est pas envisageable.

- Il n'est pas question d'exposer sa vie ou de la sacrifier, Parker. Mais de faire appel à la bonne personne peut parfois s'avérer être très utile. »

Maison Bellcrest, Avon, Ohio 36772

Jarod se baladait dans cet immense jardin. Il avait besoin de s'éloigner et de réfléchir. Il était réticent sur le fait d'appeler Mlle Parker pour obtenir son aide. Il passa une main dans ses cheveux. Non, il fallait trouver une autre solution. Ethan l'appela. Mais alors qu'il tentait de trouver une réponse à son dilemme, une voix juvénile l'interrompit : « Jarod ! »

« Où es-tu maman ? soupira le caméléon à haute voix.

- Jarod ! Eh, est-ce que ça va ? Tu n'as pas l'air dans ton état normal. Tu veux en parler ?

- Je suis confronté à un problème difficile, Ethan. Je ne sais pas comment le résoudre. C'est la première fois que je me sens aussi inefficace face à une situation aussi difficile, soit-elle.

- Je n'aurai pas dû te mettre dans l'embarras tout à l'heure. Je suis désolé. Mais tu n'es pas seul. Nous sommes tous là, Jarod. Cependant, tu dois reconnaître que sans aide, ce sera très difficile de retrouver la trace de ta mère, à moins d'un miracle.

- Tu ne comprends pas.

- Tu crois qu'elle ne t'aidera pas, c'est ça ?

- Non, c'est tout le contraire justement.

- Explique-toi, Jarod.

- Elle me l'a proposé, et j'ai refusé.

- Alors quoi ? Écoute si elle te l'a proposé, c'est parce qu'elle a les moyens de le faire. Des moyens que nous ici, nous n'avons pas. Tu es très intelligent Jarod, un vrai génie à ce qu'on dit. Réfléchis comme tel !

- Ethan. Tu te rends compte de ce que tu me demandes ? Tu me demandes de mettre la vie de ta sœur en danger. Tu sais ce que le Centre risque de lui faire s'ils apprennent sa trahison.

- Jarod, ne me parle pas de trahison alors que tu couches avec ma sœur. Que crois-tu qu'ils lui feront s'ils apprennent votre relation ? Et pourtant vous prenez vos précautions à chacun de vos rendez-vous, non ? J'imagine.

- Oui, mais ce n'est pas sans risques. Non, en effet, tu as raison.

- Non Jarod, je n'essaye pas de te culpabiliser.

- Je ne peux pas faire ça. Toi, tu te souviens, de ce que tu as dit, que tu étais parti parce que tu refusais qu'elle choisisse entre toi et le Centre. Et aujourd'hui, tu me demandes de faire ce que toi-même tu…

- Je sais Jarod, mais à ce moment-là, je n'avais pas les idées très claires. Et puis j'ignorai encore qu'elle était la seule personne à pouvoir tous nous aider. C'est une certitude.

- Et cette certitude d'où vient-elle ?

- Les voix, Jarod.

- Je me refuse de prendre ce risque ou encore de sacrifier sa vie pour en sauver une autre.

- Même si cette vie est celle de ta mère ?

- Laisse-moi seul Ethan, j'ai besoin de réfléchir.

- Je veux que tu comprennes que ça ne change rien. Elle n'est pas plus en danger maintenant qu'hier ou que demain et peu importe ce qu'elle fera. Toutefois, je comprends, tu sais. Voilà ce qu'on va faire. On va continuer nos recherches de notre côté, mais si ça ne donne rien alors je ferai appel à elle. Il n'y a qu'à espérer que Margaret se manifeste d'elle-même et que l'on n'aura pas besoin de l'aide de Parker. »

Jarod se tenait debout devant le jeune homme. Il y avait comme de l'électricité entre les deux frères. Leurs regards étaient chargés d'inquiétude et d'incompréhension. Ethan tentait désespérément de convaincre son grand frère de faire appel à la jeune femme, où même à son mentor, Sydney. Après tout ce n'était pas la première fois, alors qu'est-ce qui avait changé ? Le cadet se heurta à un mur de silence. Jarod restait inflexible. Ethan soupira, visiblement exaspéré par l'entêtement du caméléon. « Je n'ai besoin de personne ! Je suis capable de la retrouver tout seul. » Jarod s'emporta. Il n'y avait plus de bruit, à part leur respiration d'une lourdeur insoutenable. Il était clair que les choses allaient mal tourner. Soudain, Jarod se jeta sur Ethan, lui envoyant une droite en plein visage, ce qui le fit vaciller. Ce dernier répliqua aussitôt s'ensuivit d'une bagarre et des échanges de coups de poings violents. Alertés par les cris, le Major, Emily et le clone arrivèrent en courant. Charles sépara les deux hommes.

« Arrêtez ! Ça suffit tous les deux ! Bon sang, qu'est-ce qui se passe ici ? Jarod ? Ethan ?

- Rien, avait dit Ethan naturellement.

- Jarod, mon fils, que t'arrives-t-il ?

- Heu… Je ne sais pas. J'ai été soudainement saisi d'une pulsion.

- Une pulsion ? Celle de casser la figure à ton jeune frère ? Non, mais regardez-vous, dans quel état, vous êtes !

Ils étaient l'un en face de l'autre, haletants après leur dispute. Ils avaient tous les deux des égratignures et des petites entailles sur le visage. La pommette droite d'Ethan était légèrement enflée et avait une coupure sur le front, juste au-dessus de son sourcil droit. Quant à Jarod, il s'en était sorti avec une lèvre inférieure fendue et une éraflure sur la joue gauche. Ethan jeta un coup d'œil à son frère et soupira.

- Je suis désolé, Ethan. Je n'aurai pas dû me jeter sur toi comme je l'ai fait. Je ne sais pas ce qu'il m'a pris, s'excusa Jarod, l'air sombre.

- Non, Jarod, c'est moi. Je suis allé beaucoup trop loin. C'est que j'essaye de vous aider. C'était une mauvaise idée, je n'aurai pas dû faire cette proposition.

- Ah, je vois ! Encore cette histoire avec Mlle Parker. On trouvera une autre solution, il n'est pas utile, mon garçon, de te mettre dans cet état. Il est vrai que les filles ont tendance à nous faire cet effet-là.

- Quel effet ? avaient demandé les deux hommes, et ce, en même temps.

- Celle de nous mettre la tête à l'envers ! Écoutez, si ça se trouve, on aura bientôt des nouvelles du détective privé alors rentrons à l'intérieur pour en discuter calmement et soigner tout ça. »

La tension entre Jarod et Ethan se dissipa peu à peu, laissant place à un silence pesant.

Debout, face à la fenêtre, la jeune femme s'était éloignée, elle pensait au caméléon alors que celui-ci de son côté pensait à elle simultanément, Mlle Parker et Jarod se demandaient si l'un était en mesure d'aider l'autre et comment, sans pouvoir y mettre la vie de l'être aimée en péril.

« On fera appel à Jarod qu'en cas de nécessité absolue. Jusqu'à là, on le laisse tranquille ! »

« S'il faut lui demander son aide, c'est moi qui le ferai. Mais en dernier recours. Jusqu'à là, on la laisse hors du coup. »