Harry et Drago n'avaient pas cherché à protester lorsque Ron les avait enjoint à le suivre. D'instinct, ils savaient que l'heure était grave. S'ils en doutaient, il suffisait de jeter un oeil au teint légèrement vert de Ron et à sa nervosité soudaine, alors qu'ils se préparaient tous à transplaner pour le chemin de Traverse.

Ils étaient à une petite distance de l'accès à l'allée des Embrumes et déjà sur place, c'était la panique. Il y avait des cris, des pleurs. Des gens courraient et il y avait des bousculades.
Un groupe de médicomages, reconnaissables à l'écusson brodé sur leur robe - une baguette et un os entrecroisés - les bouscula, passant à toute vitesse pour s'engouffrer dans la ruelle mal famée.

Ron grogna, visiblement inquiet.
- Si quelqu'un vous demande ce que vous fichez ici, envoyez le moi. Et…
Le rouquin s'interrompit et les dévisagea l'un après l'autre. Il reprit des couleurs un instant, et leva les yeux au ciel.
- Et pour l'amour du ciel, restez collés l'un à l'autre. Parce que Harry, je t'adore, mais je ne voudrais pas que tu décides de me torturer si ton petit chéri est blessé…

Harry rougit légèrement en gloussant, et il jeta un coup d'œil en coin en direction de Drago. Lorsque leurs yeux se croisèrent, Harry lui fit un discret clin d'œil et murmura suffisamment bas pour que Ron n'entende pas.
- Je ne comptais pas te lâcher, Malefoy.
Le blond roula des yeux sans répondre, mais un léger sourire discret joua sur ses lèvres.

A l'entrée de l'allée de Embrumes, Ron s'immobilisa brusquement et jura entre ses dents. Avant de se lancer à grands pas dans le désordre qui régnait, il prit le temps de demander à ses amis - compte tenu de sa proximité avec son presque frère, il était bien obligé de compter l'ancien Serpentard blond comme un ami - de rester prudent.

L'endroit était bondé. Il y avait des médicomages et des Aurors qui courraient de droite et de gauche comme des poulets affolés auxquels on aurait coupé la tête. Des sorciers étaient ça et là, plus ou moins calmes. Certains hurlaient, d'autres semblaient au bord de l'inconscience. Les Aurors avaient ligotés les personnes touchées les plus agitées.

Harry resta figé, les yeux écarquillés, contemplant le désastre. Il sentit Drago lui attraper le poignet et le serrer, comme pour l'ancrer à la réalité.
- Qu'est-ce que…
Le Sauveur inspira brusquement avant de l'interrompre.
- Ce n'est définitivement pas accidentel. Quelqu'un a provoqué ça.

Drago resta silencieux, parfaitement d'accord avec la conclusion de son ami. L'allée des embrumes était un ramassis de pauvres hères travaillant plus ou moins légalement, l'endroit où les désespérés finissaient. Il n'était pas rare de retrouver des corps - détroussés et tués après une mauvaise rencontre, victime d'une rixe ou d'une créature sanguinaire.
Cependant, généralement, les gens ici s'entraidaient. Généralement, ceux qui vivaient Allée des Embrumes faisaient de leur mieux pour éviter la présence des Aurors près de leurs affaires.

Cette fois, l'allée entière était touchée. Habitants, employés, propriétaires des boutiques miteuses, simples passant, l'étrange folie qui sévissait n'épargnait personne.

Un peu hébété, Drago secoua la tête.
- Qui pourrait faire une chose pareille ?
Durant leurs années de service en tant qu'Aurors, ils avaient souvent eu à venir dans cet endroit mal famé. Au début, ils avaient eu les mêmes à priori que leurs collègues, persuadés que seuls les criminels s'y cachaient. Puis, ils avaient changé d'avis peu à peu, découvrant une autre facette du monde magique, plus sombre et moins attirante que ce qu'ils avaient connu.

Les deux Aurors avaient appris à connaître les habitants de l'allée, se tissant un solide réseau d'informateurs, fermant les yeux sur certains petits trafics préférant arrêter ceux qui se servaient de la misère humaine.
- Quelqu'un tient réellement à refaire plonger le monde magique dans le chaos.

Méditant sur les paroles de Harry, les deux jeunes hommes s'employèrent dans les heures qui suivirent à réconforter les habitants encore lucides, à aider les médicomages à maîtriser ceux pris de folie, ou à recenser les victimes.
A la moindre occasion, ils interrogeaient les gens autour d'eux, pour essayer de comprendre ce qui se passait.

Lorsqu'ils se laissèrent tomber au sol, adossés à un mur, épuisés après avoir donné le maximum, ils échangèrent un regard et Harry se colla contre Drago, posant la tête sur son épaule, avide de contact et de réconfort.
Il commençait à somnoler lorsqu'un médicomage se planta devant eux, les observant d'un air curieux.

Péniblement, Harry releva la tête, sourcils froncés.
- Oui ?
L'homme lui était vaguement familier, et Harry pensa qu'il s'étaient déjà croisés lorsqu'il était envoyé à sainte Mangouste après une blessure sur le terrain.
Ce dernier semblait autant épuisé qu'eux, et il se laissa tomber assis pour leur faire face. Il passa une main tremblante dans ses cheveux noirs et laissa échapper un petit rire.
- Tu ne te souviens pas de moi, hein ?

Harry fouilla sa mémoire en vain, tandis que Drago se redressait et se crispait, visiblement aux aguets. Le Sauveur soupira.
- J'ai bien peur de ne pas savoir qui tu es.
- Ça remonte à loin. Nous étions en même temps à Poudlard, et j'ai eu le plaisir d'apprendre à tes côtés dans l'armée de Dumbledore. Puis de me battre lors de la bataille de Poudlard… Davies, Roger Davies.

Le visage de Harry s'éclaira et il sourit.
- Oui ! Le capitaine de l'équipe Quidditch de Serdaigle à Poudlard !
Le médicomage répondit à son sourire, hochant la tête. Drago grogna vaguement amusé.
- Si le moment des souvenirs est terminé… Tu voulais quoi Davies ?
- Dans mes souvenirs, vous étiez moins proches tous les deux…

Les deux anciens Aurors haussèrent les épaules dans un bel ensemble. Davies gloussa, avant de reprendre très vite son sérieux.
- Je sais que vous n'êtes plus Aurors en activité, mais… je pense que ça peut vous intéresser ce que j'ai à vous dire. Je… J'ai grandi dans le monde moldu, je suis sang-mêlé.
Davies jeta un regard plein de défi à Drago mais celui-ci resta impassible. Il reprit, gravement.
- Avant Poudlard, j'ai reçu une éducation moldue. Et notamment les cours d'histoire. On y a appris pas mal de choses, sur le moyen âge notamment. Et sur une épidémie d'un genre de folie qui a sévit en Europe.
- Folie ?
- Un empoisonnement oui. Dû à un champignon. Les symptômes… et bien il vous suffit de regarder autour de vous.

Harry siffla entre ses dents.
- Comment ?
- D'abord, ce n'est pas accidentel. Les méthodes modernes nous ont débarrassé de ce souci. Ces gens ont subi un empoisonnement à l'ergot de seigle.
- Seigle ? Comme la céréale ?

Davies acquiesça, et grogna légèrement.
- Les témoins ont parlé d'un sorcier qui est venu distribuer des colis alimentaires. Ils ont tous mangé du pain de seigle, qui visiblement était… empoisonné. Heureusement, nous sommes intervenu assez rapidement, sinon… ils auraient gardé de graves séquelles ou en seraient morts.

Harry remercia leur ancien camarade chaleureusement et promis de lui rendre visite en de meilleures circonstances pour évoquer leur passé commun. Le médicomage se releva avec un soupir épuisé, conscient qu'il n'avait pas terminé sa journée de travail et commença à s'éloigner.
Il s'arrêta après quelques pas et se retourna.
- Selon les moldus, au moyen-âge, ceux qui… étaient touchés par cet empoisonnement étaient les victimes de sorcellerie.

Drago grogna à cette nouvelle information, décrétant que rien n'avait de sens. Des familles de Mangemorts étaient attaquées, un empoisonnement Allée des Embrumes. Harry soupira et l'interrompit.
- Au contraire Malefoy. Diviser pour mieux régner. Toutes ces attaques… créent le désordre. Les familles des ténèbres se retrouvent encore plus isolées, et leur ressentiment envers le reste du monde magique augmente. Les autres sorciers se méfient de plus en plus, et l'attaque à cet endroit… attaquer les plus faibles pour montrer que le Ministère ne peut rien pour les protéger. Nous allons nous retrouver avec une société totalement déstabilisée.

- Comme après Grindelwald. Ce qui a permit à…
- À Voldemort de gagner des soutiens et de commencer son règne oui. Ce n'est qu'un nom Malefoy, rien de plus. Il est mort. Définitivement.
- Je sais. Peu importe. Il faut prévenir Weasley. C'est son boulot maintenant de se débrouiller avec ça.
Harry gloussa.
- Et nous ?
- Nous ? On rentre chez nous, on prend une nuit de sommeil, et dès demain on part à la chasse pour débusquer le responsable de tout ça.
- Pas de paperasse ni de comptes à rendre…
- La vie rêvée.
Ils échangèrent un rire amusé, et gloussaient encore lorsque Ron se posta au dessus d'eux, visiblement aussi épuisé qu'eux.
Il se laissa tomber près de Harry, comme Roger Davies avant lui, avec un soupir.
- Je n'ai jamais vu un bordel pareil.

Harry hocha la tête, sans dire un mot. Il n'y avait pas vraiment grand chose à dire… Ron continua, sur le même ton.
- Merci d'être venus les gars. La situation est sous contrôle maintenant.

Drago hocha la tête.
- Évidemment que tout est sous contrôle, on est les meilleurs.
Ron roula des yeux, avec exagération, mais il ne fit pas le moindre commentaire, souriant juste en entendant son meilleur ami glousser comme un gosse.
- Rentrez chez vous, et allez dormir. Je viendrais demain pour qu'on discute de ce qui s'est passé ici.

Les deux détectives se levèrent avec difficultés, maintenant qu'ils avaient pris du repos leurs muscles étaient crispés. Ils s'entraidèrent mutuellement sous le regard goguenard de Ron. Alors qu'ils s'éloignaient lentement, Ron les rappela.
- Hey les gars ! Si Malefoy pouvait avoir des vêtements décents quand je viendrais, ça m'arrangerait.

Harry éclata de rire, se raccrochant à Drago pour ne pas tomber et se laissa entraîner par le blond, incapable de reprendre son sérieux alors qu'il revoyait dans son esprit la visite catastrophique de Ron, lorsqu'il avait appris brutalement leur colocation…